Temps et puissance [TNT 12]

“L’aspect informationnel de l’entropie pose un problème philosophique fondamental sur la nature de nos connaissances. L’entropie apparaît comme étant aussi bien une propriété de l’observateur que de l’Univers observé. Il est impossible de dissocier l’une de l’autre. On ne peut pas comprendre l’Univers sans comprendre l’Homme, ni comprendre l’Homme sans comprendre l’Univers, car l’Homme est un produit de l’évolution de l’Univers. ”

François Roddier, Thermodynamique de l’évolution

Nous nous sommes quittés lors du dernier article sur la présentation du temps comme théâtre d’un processus irréversible. Dans cet article, nous étudierons plus en détails en quoi consiste ce processus duquel sortent les êtres individués en devenir et ainsi le rapport que ce dernier entretien avec l’identité et la puissance.

Frege a soutenu que les déclarations d’identité peuvent être significatives et informatives, même lorsqu’elles concernent le même objet. Par exemple, si quelqu’un dit « l’étoile du matin est l’étoile du soir », cette déclaration est informative, car bien que « l’étoile du matin » et « l’étoile du soir » se réfèrent au même objet (la planète Vénus), ils ont un sens différent, c’est-à-dire qu’ils présentent cet objet de différentes manières.

Selon Frege, une déclaration d’identité a un sens seulement si les deux termes ont un sens différent. C’est parce que le sens d’une déclaration d’identité, pour Frege, est de dire que les deux sens correspondent à la même référence. Donc, si les deux termes avaient le même sens, la déclaration d’identité serait vide de sens, car elle ne fournirait aucune information nouvelle. Par exemple, si on me demande « Qui est le nouveau copain de Mathilde ? » et que je réponds, « C’est Étienne, le frère de Cécile », j’offre ici une nouvelle information venant participer de l’identité d’Étienne. Mais si j’ajoute qu’Étienne est un idiot et que tout le monde acquiesce, cela obtiendra une forme de vérité, bien que cela relève d’un sentiment et non de ce qu’Étienne pourrait être en soi.

Je me suis considéré comme porteur de mes représentations, mais ne suis-je pas moi-même une représentation ?

Gottlob Frege, Écrits logiques et philosophiques

Notre identité est co-construite par ce que nous recevons à la naissance, nos actes et la perception par autrui de ce que nous avons reçu à la naissance et nos actes. Plutôt qu’opposer la méthodologie essentialiste et la méthodologie nominaliste, les deux viennent se compléter pour capturer la réalité dans son essence qui, bien qu’elle existe indépendamment de l’observateur, ne peut toutefois pas être dissociée entièrement du sens que lui attribue ce dernier. Si le président des Etats-Unis se balade seul dans l’Amazonie et croise une tribu qui ignorait jusqu’à son existence, l’identité dont il jouira dans ce contexte sera toute autre que celle dans son pays. Il n’en sera pas moins le président des Etats-Unis, mais cela n’aura plus aucune importance. Son entropie, en tant qu’incertitude sur le sort qui lui sera réservé dans les heures qui viennent, augmentera drastiquement. Ainsi, la puissance d’un individu sera toujours relative à un contexte.

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Cette vision de l’entropie comme quelque chose à la fois d’intrinsèque à une chose, mais en relation avec un observateur, se retrouve chez J. A. Wilson qui écrivit un papier publié par Nature en 1968, Increasing Entropy in Biological Systems, Entropy not Negentropy. Une approche qui réunit là aussi les attitudes opérationnelles et essentialistes.

Pour rejeter le changement de signe dont nous avons vu qu’il provenait de ce que l’entropie est une mesure de l’information que nous n’avons pas, Wilson fait une distinction entre l’information liée au système, et celle qui est disponible pour un observateur extérieur au système. La quantité d’information dont un observateur a besoin pour spécifier le micro-état du système — et qu’il n’a pas — « est égale à la quantité qui est dans le système, c’est-à-dire l’information liée au système qui est identique à l’entropie ». Cette approche nous apparaît comme à l’opposé de la méthode opérationnelle que nous avons présentée jusqu’à présent : l’entropie est considérée évidemment comme une grandeur intrinsèque au système ; à partir de là, Wilson recherche une définition de l’information qui ne fasse elle aussi appel qu’aux propriétés du seul système, indépendamment des opérations d’observation et de mesure.

Henri Atlan, L’organisation biologique et la théorie de l’information

On peut parfois critiquer l’essentialisme pour son manque de preuves empiriques ou son incapacité à expliquer le changement et la complexité. D’un autre côté, on peut critiquer l’attitude opérationnelle pour son manque de sens, de la « profondeur » ou de la réalité au-delà de ce qui est immédiatement observable. Dans le contexte, la fonction de décision et l’information, on pourrait dire que l’attitude opérationnelle nous aide à comprendre comment un organisme ou un système fait des choix et traite l’information, tandis que l’attitude essentialiste pourrait nous aider à comprendre ce que signifie « être » cet organisme ou ce système. Mais si l’essence d’une chose dépend en partie du point de vue d’observateurs et peut changer au cours du temps, cela soulève alors quelques questions sur le temps et l’information.

Ce que les modèles représentent, ce n’est pas la structure de l’environnement, mais son action, dans la mesure où elle affecte le système. Ils sont à la fois subjectifs, dans le sens où ils sont construits par le sujet pour ses propres besoins, et objectifs, dans le sens où ils sont naturellement sélectionnés par l’environnement : les modèles qui ne génèrent pas récursivement des prédictions adéquates sont susceptibles d’être éliminés par la suite.

Francis Heylighen, Foundations and methodology for an evolutionary world view: A review of the principia cybernetica project

Ce fut d’ailleurs le point de départ du philosophe Henri Bergson, pour qui « le temps est invention ou il n’est rien du tout. » J’ai déjà cité l’article « Le possible et le réel », une œuvre assez tardive puisqu’elle fut écrite en 1930 à l’occasion de son prix Nobel. Bergson y parle du temps comme « jaillissement effectif de nouveauté imprévisible » dont témoigne notre expérience de la liberté humaine, mais aussi de l’indétermination des choses. En conséquence, le possible est « plus riche » que le réel. L’univers autour de nous doit être compris à partir du possible, non à partir d’un quelconque état initial dont il pourrait, de quelque manière, être déduit.

Ilya Prigogine, La Fin des certitudes

Le temps est-il « invention ou rien du tout » comme le dit Bergson ? S’il est relatif à l’observateur et sa vitesse de déplacement comme l’indique Einstein, est-ce qu’il pourrait tout simplement être relatif à tout système, au moins dans la perception de ce dernier ? Au final, la question qui importe est de savoir lequel du temps et de l’information est fondamental et lequel est contingent. Deux approches vont alors se dessiner, avec d’un côté, les réalistes, comme Prigogine, qui pensent que le temps est fondamental et l’information contingente, et de l’autre côté, les anti-réalistes comme Wheeler, qui pensent que c’est l’information qui est fondamentale et le temps contingent. Pour le dire en terme wheeleriens, a-t-on affaire à un it from bit ou plutôt à un bit from it ?

Pour l’expliquer selon les termes de Bell, doit-on préserver la localité ou le réalisme ? Le théorème de Bell est un résultat important en physique quantique qui a été développé par le physicien John S. Bell en 1964. Il montre que certaines prédictions de la mécanique quantique sont en contradiction avec les principes de la physique classique, ce qui implique que la nature de la réalité à l’échelle quantique est différente de ce que nous observons à l’échelle macroscopique.

Plus précisément, le théorème de Bell concerne les corrélations quantiques entre des particules séparées spatialement, telles que des photons ou des électrons. Le théorème de Bell montre qu’il est impossible d’expliquer toutes les corrélations quantiques à l’aide d’une théorie qui respecte à la fois la localité (c’est-à-dire que les effets ne peuvent pas se propager plus vite que la vitesse de la lumière) et le réalisme (c’est-à-dire que les propriétés des particules ont une existence objective indépendamment de l’observation). Which way, western man?

Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions ultérieurement, mais ce qui est sûr, c’est que l’univers est indéterministe, l’information y joue un rôle majeur et le temps est le théâtre de flux d’énergie et d’information permettant le « jaillissement effectif de nouveauté imprévisible ». Il est au cœur du processus, mais quel en est le but ?

Vos choix et vos actes recouvrent une importance première. Certains vous offriront une plus grande puissance, d’autres la réduiront. Qu’est-ce que la puissance ? La puissance est une potentialité liée à la capacité actuelle ou future à l’action, la dissipation d’énergie. Si l’être est l’information, la puissance est le potentiel de cette information ordonnée à produire de l’entropie une fois qu’elle aura généré un étant devenu ce qu’il était censé devenir au fil du temps. Elle repose sur l’être en tant qu’agencement d’information débouchant sur un ordre en vue de ce but qui sera révélé par l’action. Cette information ordonnée, c’est l’essence, comme le remarquera Spinoza ; et la construction d’information est le but de la cybernétique, comme nous l’avons dit par le passé. La puissance est l’essence en devenir qui va évoluer, ou la construction d’information, donc l’équivalent de l’extropie.

Par conséquent, la puissance d’une chose quelconque, ou l’effort par lequel elle agit ou tend à agir, seule ou avec d’autres choses, en d’autres termes, la puissance d’une chose, ou l’effort par lequel elle tend à persévérer dans son être, n’est rien de plus que l’essence donnée ou actuelle de cette chose.

Spinoza, Éthique

Par convention, et pour insister sur son importance, je la placerai cependant au cœur du schéma. Le but de toute structure ordonnée est d’augmenter sa puissance. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous ne pouvons pas différencier la structure, l’entité, du processus. Votre puissance est votre essence et votre identité, elle est la raison même de ce processus. C’est cela qui poussera Nietzsche à tout interpréter sous l’angle de la volonté de puissance.

Le système de la société n’est donc pas caractérisé seulement par une certaine « essence » et encore moins par une certaine morale (la diffusion du bonheur, la solidarité, l’harmonisation des conditions de vie, l’intégration par un consensus rationnel, etc.), mais seulement par l’opération qui produit et reproduit la société.

Niklas Luhmann, La société de la société

Votre puissance augmentera alors, mais après quelques tours à construire l’information, vous finirez inexorablement par mourir, et donc ne laisser derrière vous que de l’information. Désolé pour ceux qui rêvent d’immortalité, mais je crois que seule l’information est immortelle, et que les promesses de prolonger votre vie dans des espaces virtuels sont du flan. Les choses se font et se défont alternant extropie et entropie, elles font l’expérience de la fusion et de la fission passant de l’ordre au chaos, l’information est enregistrée, et l’univers apprend.

Désirer l’immortalité de l’individualité, c’est, à vrai dire, vouloir perpétuer une erreur à l’infini ; car, au fond, chaque individualité n’est qu’une erreur particulière, un faux pas, une illusion qui ferait mieux de ne pas être, et d’où le but propre de cette existence est de nous ramener.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

Enfin, dans les êtres exceptionnels, la connaissance, purifiée et élevée par la souffrance même, arrive à ce degré où le monde extérieur, le voile de Maya, ne peut plus l’abuser, où elle voit clair à travers la forme phénoménale ou principe d’individuation. Alors l’égoïsme, conséquence de ce principe, s’évanouit avec lui ; les « motifs », autrefois si puissants, perdent leur pouvoir, et à leur place, la connaissance parfaite du monde, agissant comme calmant de la volonté, amène la résignation, le renoncement et même l’abdication de la volonté de vivre. C’est ainsi que, dans la tragédie, nous voyons les natures les plus nobles renoncer, après de longs combats et de longues souffrances, aux buts poursuivis si ardemment jusque-là, sacrifier à jamais les jouissances de la vie, ou même se débarrasser volontairement et avec joie du fardeau de l’existence.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

Le pessimisme de Schopenhauer repose sur une erreur majeure de la conception de la vie. Pour lui, toute individuation est une fission de l’Un originel qui veut revenir à l’unité. Toute individuation découle alors d’une erreur initiale. C’est on ne peut plus faux. Chaque individuation est le fruit d’un test d’agencement de l’information qui permet à l’univers d’apprendre à s’agencer dans son unité. Certes, nous étions pure information avant le rassemblement des gamètes nous ayant formés, et nous serons pure information après notre mort, mais notre passage dans l’existence a un sens, car l’unité que représente le tout informationnel aura été “filtré”. Il n’est pas le même avant notre existence et après notre existence. Notre volonté est alors une capacité à juger et à faire des choix qui font ce que nous sommes et permettent l’apprentissage. Schopenhauer aura pourtant bien perçu ceci.

Ainsi tout homme doit à sa volonté d’être ce qu’il est ; son caractère est en lui primitivement ; car le vouloir est le principe même de son être.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

Par vos actes, vous construisez et laissez derrière vous de l’information. À destination de qui est cette information ? Un tout plus grand que vous, qui apprend. Votre famille, votre culture, l’univers et peut-être même Dieu. Alors, Heidegger a raison, la question de l’être doit nécessairement être posée en tenant compte de notre relation à l’autre et à ces touts plus grand.

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Le questionné de la question à élaborer est l’être : ce qui détermine l’étant comme étant, ce par rapport à quoi l’étant, de quelque manière qu’il soit élucidé, est toujours déjà compris. L’être de l’étant n’« est » pas lui-même un étant. Le premier pas philosophique dans la compréhension du problème de l’être consiste à ne pas « raconter d’histoire », c’est-à-dire à ne pas déterminer l’étant comme étant en sa provenance par le recours à un autre étant, comme si l’être avait le caractère d’un étant possible.

Heidegger, Être et Temps

La question du temps, quant à elle, doit nécessairement être pensée en fonction de la connaissance. Le temps marque une différence entre le passé et le futur. Cette différence est liée à la construction d’information qui s’effectue au cours d’une conversation avec l’environnement. Nous vivons dans un univers conversationnel. De cette communication naît la connaissance, que je tiendrai comme le but de ce processus. « Knowledge is power » disait Francis Bacon. La connaissance est intimement liée à la puissance. La connaissance va guider le comportement de manière plus efficace, lui conférant ainsi plus de puissance.

La connaissance ne présuppose pas seulement un lien entre celui qui connaît et ce qui est connu, elle exige que ce lien crée une différence entre passé et futur. La réalité du devenir est la condition sine qua non à notre dialogue avec la nature.

Ilya Prigogine, La Fin des certitudes

Dans Méditations cartésiennes et conférences parisiennes, Husserl critiquera – à raison – l’idée selon laquelle la connaissance vient uniquement de l’expérience sensible. Il affirme que la conscience est capable de percevoir des objets qui ne sont pas immédiatement donnés par les sens, comme les objets mathématiques ou les lois de la nature. C’est évidemment vrai, car la connaissance fait partie intégrante du processus et se retrouve dans l’essence, l’existence et l’expérience. Notre schéma est complet, il peut vous permettre de comprendre les énonciations les plus absconses de Hegel et de Whitehead.

L’Etre se rapporte à l’Essence comme l’immédiat au médiat. Les choses, en général, « sont », mais leur être consiste à manifester leur essence. L’Etre passe en l’Essence ; on peut exprimer ceci en disant : « L’être présuppose l’Essence ». Bien que l’Essence apparaisse, par rapport à l’Etre, comme médiée, l’Essence est néanmoins l’originel véritable. L’Etre retourne en son fondement ; l’Etre se dépasse en l’Essence.

Hegel, Esquisse de la logique

Si vous lisez la citation suivante de Whitehead, vous aurez sûrement bien du mal à comprendre son propos. Mais avec ce schéma en tête tout devient limpide.

En résumé : il existe deux espèces de processus, le processus macroscopique et le processus microscopique. Le processus macroscopique est le passage de l’actualité réalisée à l’actualité en voie de réalisation ; tandis que le processus microscopique est la conversion de conditions à peine réelles en une actualité déterminée. Le premier processus effectue la transition de l’« actuel » au « à peine réel » ; et le second processus effectue la croissance du réel à l’actuel. Le premier processus relève de la cause efficiente ; le second, téléologique, relève de la cause finale. Le futur est à peine réel, sans être actuel, tandis que le passé est un ensemble d’actualités. Les actualités sont constituées par leurs phases génétiques réelles. Le présent est l’immédiateté du processus téléologique par lequel la réalité devient actuelle. Le premier processus fournit les conditions qui régissent réellement la réalisation, tandis que le second processus fournit les fins effectivement atteintes. La notion d’« organisme » est combinée à celle de « processus » d’une double manière. La communauté des choses réelles est un organisme, mais ce n’est pas un organisme statique. C’est un inachèvement en cours de production. Ainsi, l’expansion de l’univers en ce qui concerne les choses réelles est le premier sens de ‘processus’ ; et l’univers à n’importe quel stade de son expansion recouvre le premier sens d’organisme. Dans un sens, un organisme est un nexus.

Alfred North Whitehead, Process and Reality

Reprenons cela en utilisant les concepts aristotéliciens de l’entéléchie et de la puissance. Une chose est en puissance si elle possède la capacité ou la disposition de devenir cette chose. L’entéléchie, quant à elle, est l’état final ou la fin (telos) vers laquelle une chose se dirige lorsqu’elle est en processus de développement ou de réalisation. Ainsi, une entité potentielle est en puissance, car elle possède la capacité ou la disposition de devenir une entité actuelle. Son essence, c’est-à-dire sa nature, est réelle, mais elle n’a pas encore réalisée son entéléchie qui la porte à l’existence en acte. En revanche, une entité actuelle, en acte, a déjà réalisé son entéléchie. Elle est déjà ce qu’elle doit être, elle a atteint son état final ou sa fin, tel que défini par sa nature interne. Les processus macroscopiques construisent l’information ou sélectionnent les possibilités et les processus microscopiques portent cette nouvelle information ou possibilité dans le monde réel. Ce qui était une possibilité devient alors d’abord réelle, puis actuelle. L’organisme est à la fois une entité actuelle, car il forme un système qui existe concrètement, et un nexus, car il n’est pas statique et se trouve être lui-même une structure d’interdépendance et de relation entre les choses et les événements. L’idée de processus macroscopique et microscopique peut alors être mise en parallèle avec le schéma d’Éric Jantz représentant la Macroévolution et la Microévolution que j’avais présenté dans mon article sur l’évolution comme principe cybernétique.

L’univers qui s’auto organise, d’après Eric Jantsh et retravaillé par François Roddier. On ne sait pas ce qu’il se passe aux tous premiers stades après le Big Bang. Mais depuis les atomes légers, on ne cesse d’observer une alternance entre une micro et une macro évolution.

Qu’est-ce que cela nous indique, que l’organisme soit à la fois une entité actuelle et un nexus ? Chaque chose est un sous-système appartenant à un méta-système. Le plus grand des systèmes est l’univers. Chaque organisme est soumis à un processus. Mais dire qu’un organisme est soumis à un processus postulerait l’existence statique de cet organisme soumis à une chose extérieure. Ce n’est pas le cas en réalité. Les deux se confondent. Sans le processus, il ne peut y avoir d’organisme, donc l’organisme est le processus. Ce que l’organisme est en soi est le processus. Autrement dit, l’être et le devenir se confondent. L’être et la puissance sont la même chose.

Comment observe-t-on concrètement et historiquement ce processus d’évolution de la connaissance lié à l’information, l’ordre et l’action ? Joseph Henrich nous en offre un aperçu dans son ouvrage L’intelligence collective, où il met en avant ce que l’on nomme la coévolution gènes-culture. Les gènes, qui sont un support pour l’information et les mèmes qui en sont un autre, font évidemment partie du processus qui conduit à générer des organismes et influencent leur action. Le processus pouvant être pensé sur l’échelle des générations, on va naturellement observer un entremêlement entre les évolutions culturelles et génétiques dont Henrich propose quelques exemples dans un tableau.

Mais si l’être et le devenir se confondent, qu’est-ce que cela pourrait signifier ? L’Être de Parménide rencontre le devenir d’Héraclite. L’Être serait cette chose immobile au sein de laquelle s’opèrent des changements mais la conception du temps serait seulement une propriété subjective des étants. Le temps pourrait-il alors être une pure illusion ?

La théorie de la relativité restreinte d’Einstein soulève une nouvelle objection à l’idée qu’il existe un présent objectif. L’objection est d’autant plus forte si nous suivons Saint-Augustin en acceptant que seul le mouvement présent est réel. En effet, si nous voulons savoir ce que comprend la réalité, en dehors de notre environnement immédiat, nous devons penser à ce qui se passe ailleurs. Cependant, la théorie d’Einstein nous apprend qu’il n’existe pas de simultanéité objective entre des événements séparés dans l’espace. La simultanéité apparente diffère d’un observateur à l’autre, en fonction de leur état de mouvement, et il n’existe pas de réponse objectivement juste. La combinaison d’Augustin et d’Einstein semble donc nous donner l’impression que la simultanéité est aussi une question qui dépend de la perspective. La caractéristique distinctive du point de vue augustinien – l’affirmation que le contenu du moment présent est une caractéristique objective du monde – semble avoir été perdue.

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Wheeler avait un point de vue particulier sur le temps. Le temps ne serait pas un flux régulier, mais plutôt un concept qui prend du sens uniquement à grande échelle et dans des conditions non extrêmes. Il suggère que le temps est de nature statistique, ce qui est directement lié à l’entropie. L’entropie est un changement des micro-états selon des probabilités statistiques, et elle irait vers toujours plus de désordre car cela serait tout simplement le plus probable.

Ce qu’on tient pour la flèche du temps ne serait que le résultat de ces opérations tendant vers les résultats les plus probables. Ayant proposé le concept de “participation de l’observateur”, qui suggère que la réalité est en partie déterminée par l’observateur, la distinction entre le passé, le présent et le futur pourrait, selon lui, dépendre de l’observateur. Le passé, le présent et le futur n’existeraient pas réellement mais seraient une vue de l’esprit de l’observateur.

Wheeler proposa une expérience nommée l’expérience de choix retardé qui est une variante de l’expérience de la double fente et qui pourrait aller dans son sens. Voici comment elle fonctionne conceptuellement:

  • Expérience de double fente de base: Dans l’expérience de double fente, une particule (par exemple, un électron ou un photon) est envoyée vers une barrière avec deux fentes. Lorsque les particules passent à travers les fentes et arrivent sur un écran de détection, elles forment un motif d’interférence, comme si elles étaient des ondes qui interfèrent les unes avec les autres. Cependant, si vous mesurez par quelle fente la particule passe, le motif d’interférence disparaît et vous obtenez un motif de particules, comme si la particule avait choisi un chemin particulier.
  • Choix retardé: Wheeler a proposé une variation de cette expérience dans laquelle le choix de mesurer ou non par quelle fente la particule passe est fait à la dernière minute, après que la particule ait déjà passé la barrière à double fente, mais avant qu’elle n’atteigne l’écran de détection. Cela soulève la question de savoir si la particule “décide” de se comporter comme une onde ou une particule en fonction d’une décision prise dans le futur.

Depuis, cette expérience fut réalisée et elle confirme l’hypothèse de Wheeler. Cela peut être interprété de deux façons. Certains pourraient interpréter cela comme si la particule “savait” d’avance si elle serait mesurée ou non, ou comme si la mesure dans le futur “influençait” le passé via une rétroaction. Dans le cas où le futur influencerait le passé, cela pourrait dire deux choses ; Soit le temps peut s’écouler dans les deux sens et il serait donc symétrique et non asymétrique comme on le pense. Soit le passé et le futur n’existent tout simplement pas et sont la même chose. Le processus serait l’être en devenir, sa puissance, la chose en soi, mais il ne prendrait pas place dans le temps, il serait ce qui nous confère subjectivement la conception du temps alors même que ce dernier n’existerait pourtant pas. Nous reviendrons sur cette possibilité mais privilégions la plus probable qui repose sur le sens.

Reginald T. Cahill a développé une théorie appelée “Process Physics”, qui envisage la réalité comme un “système d’information sémantique auto-organisé”​​. Dans ce contexte, le temps est modélisé comme un processus plutôt qu’une ligne géométrique. Selon Cahill, le modèle géométrique traditionnel du temps ne peut pas capturer la distinction fondamentale entre le passé et le futur. Il soutient que le passé est fixe et au mieux partiellement enregistré, tandis que le futur est indécis et certainement non enregistré​​.

Dans ce cadre, l’information n’est pas seulement traitée et stockée, elle a aussi un sens intrinsèque. De plus, le système peut s’auto-organiser, c’est-à-dire qu’il peut se structurer et se développer de manière indépendante, sans intervention extérieure. C’est un rejet du modèle de “bloc de l’univers” d’Einstein où le futur est déjà déterminé dès la formation de l’univers.

Dans ce modèle, la réalité est vue comme un processus d’auto-définition en cours. Chaque “maintenant” est une occasion de se définir davantage, en construisant continuellement son futur à partir de son passé. Cahill propose un modèle mathématique de cette vision sous forme d’un réseau neuronal stochastique, où chaque nœud est un sous-réseau du même type. Ce modèle permet au système de générer continuellement de nouvelles informations sémantiques, ce qui signifie qu’il ne cesse jamais de se définir lui-même ou, pour reprendre nos termes, de construire l’information, augmenter sa puissance et définir son identité.

Un concept clé ici est que le réseau crée des “motifs” complexes en utilisant des règles simples et des influences aléatoires. Ces motifs peuvent émerger et créer ce que l’on pourrait interpréter comme un espace tridimensionnel en constante évolution, un peu comme l’univers lui-même.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que même si le modèle ne part d’aucune géométrie ou loi physique pré-existante, il parvient à générer un comportement qui ressemble beaucoup à la façon dont nous observons que l’espace et la matière interagissent dans l’univers.

Cette théorie est toujours en cours de développement et sujet de débats dans la communauté scientifique. Je la trouve pour ma part élégante et philosophiquement satisfaisante car en adéquation avec mon schéma. Dans le même esprit, Stephen Wolfram a proposé une théorie nommée hypergrpah que je trouve extrêmement élégante.

L’hypergraphe de Stephen Wolfram est une théorie visant à représenter l’univers et toutes ses composantes, y compris l’espace, la matière et l’énergie. Selon cette théorie, l’univers est un réseau en constante expansion de relations, représenté par un hypergraphe, un type de graphique dans lequel les “lignes” peuvent relier n’importe quel nombre de points. Les hypergraphes complexes peuvent imiter de nombreuses caractéristiques de l’univers et reproduire les structures et les processus physiques décrits par la théorie de la relativité et la mécanique quantique. Ces hypergraphes sont générés en appliquant des règles simples à un point de départ simple, et les mises à jour de ces règles correspondent à notre notion commune de temps​.

Selon Wolfram, l’espace de l’univers est constitué de relations abstraites discrètes entre des points abstraits, mais à l’échelle à laquelle nous le percevons, le modèle de relations donne l’impression d’un espace continu. C’est un peu comme la manière dont les poissons perçoivent l’océan comme un fluide lisse, même si l’eau est composée de molécules discrètes. En fin de compte, Wolfram croit que tout ce qui existe est fait d’espace, suggérant que c’est le même hypergraphe qui donne la structure de l’espace et tout ce qui existe dans celui-ci​.

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