La grande fiction des retraites

Lino Vertigo a déjà écrit un article sur le système de retraite de lui-même. Pour ma part, j’aimerais m’atteler à en montrer les effets pervers politiques.

Lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron voulu instaurer un régime universel – entendez par là terminer l’étatisation des retraites – sans succès. Cette réforme mise de côté, notre président a été « faire campagne » sur une réforme allongeant l’âge de départ à la retraite et la durée de cotisation pour un motif d’équilibre budgétaire. Le système de retraite par répartition étant ce qu’il est, la gérontocratie a encore frappé : 37 % des retraités ont voté pour ce programme, et 40 % des plus de 70 ans. Surement pour une question de responsabilité, de bon sens. Solidarité intergénérationnelle avez-vous dit ? Après eux le déluge ? Les vieux au niveau de vie supérieur aux actifs décident pour ceux-ci, les jeunes se révoltent : eux aussi veulent leur part du gâteau, d’autant plus qu’ils ne cotiseront pas moins.

Et toi EtomitRodem ? Tu es content de payer pour les vieux ? Tu es content de payer toujours autant pour moins au final ? Pourquoi ne vas-tu pas dans la rue ? « Vas-tu nous laisser dévorer par ces gens-là » ? Tout d’abord, quelques éléments personnels…

  • 19,24% de mon « coût salarial » par en cotisation retraite.
  • Si ma paie n’évolue pas, j’aurais cotisé sur les 38 annuités qu’il me reste 401 696,40€
  • Pour un départ à la retraite à 66ans, et une mort estimée à 80 ans (espérance de vie des hommes en France), en ayant placé cette somme à 0% d’intérêt, je bénéficierai d’une rente de 2 391,05€ par mois
  • Placées à 2% d’intérêts, la même cotisation donnerai un montant disponible de 648 675€ pour, sur la même base de calcul que précédemment, 3 861,16€ par mois.

Le premier constat est donc édifiant : j’ai largement intérêt à la retraite par répartition. Même si j’estime mon espérance de vie supérieure à la moyenne nationale (du fait de ma CSP), mon revenu va augmenter pour la même raison. Cependant en rester là, jouer à l’orchestre du Titanic ne me suffit pas. Je suis un observateur engagé. Voici donc mon message.

Genèse du système de retraite en France

Les gens n’ont pas attendu l’Etat et le CNR pour être vieux et ne plus pouvoir travailler. Les enfants aidaient leurs parents comme ceux-ci les avaient élevés, et ceux-ci devenus grands-parents les aidaient également avec les enfants (environs 16,9 millions d’heures de garde encore en 2018 d’après une étude du DREES). Ce mode de « retraite archaïque » ne peut cependant être celui d’une civilisation industrielle, et dans le privé les sociétés de secours mutuel virent le jour (dès 1804). Leur essor fut hélas entravé par l’Etat qui avait peur qu’elles soient gangrénées par les marxistes, mais elles réunirent jusqu’à 639 044 membres en 1862, et existent encore aujourd’hui. Des compagnies privées emboitèrent le pas en créant des caisses de retraite pour leurs employés (les régimes spéciaux actuels), comme dans le chemin de fer, les mines.

En 1910, la loi sur les retraites ouvrières et paysannes rend l’adhésion à un organisme de retraite obligatoire, mais laisse le libre choix de la caisse. La question de la gestion des caisses est permanente, aboutissant en 1930 sur un compromis : protection maladie par répartition et par capitalisation pour la retraite.

C’est le régime de Vichy en 1941 qui va faire main basse sur les caisses d’assurance vieillesse et leurs 20 milliards de francs pour mettre en place « l’Allocation aux Vieux Travailleurs Salariés (AVTS) », premier système intégral par répartition. Le CNR et la IVème république partiront de cette base pour l’intégrer au système de sécurité sociale.

Les conséquences du régime par répartition

Loin des conséquences économiques déjà largement explicitées par Lino, je vais m’attarder sur les conséquences sociologiques du régime. Comme expliqué plus haut, le remède logique à la vieillesse est la perpétuation de sa lignée : nous survivons génétiquement en nos enfants, et nos enfants nous font également survivre de manière plus concrète. La solidarité, l’entraide, concepts si promus et encensés, n’ont plus d’incarnation personnelles. Je me souviens de ce chômeur, durant le confinement, qui s’était exclamé « je ne vais quand même pas, à 40 ans, demander à mes parents de m’aider ». Et puis quoi encore ? Demander à ceux qui nous ont donnés la vie, et à qui je l’espère on apporte soutien et aide dans leurs vieux jours, étrange. Demander à l’ensemble des inconnus spoliés par l’impôt est bien plus moral. Hein ?

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              En effet, l’accomplissement le plus édifiant et le plus exceptionnel de l’occident, j’ai nommé l’individualisme, ne cesse de dégénérer sous le poids du sens de l’évolution technico-politique. Le lien entre la production et la consommation a été rompu par l’état providence. Déjà difficile à tenir aux vues de la division du travail, la robotisation et de l’abondance des biens et services, la productivité humaine est devenue une chose normale et désincarnée. Avec l’état providence, cette abondance est due. La notion de sacrifice est une hérésie dans un monde où tout nous est due par le simple fait de notre existence. Les calculs mesquins sont alors de mise, comme le comprenait Schumpeter dès 1942 dans « Capitalisme, socialisme et démocratie » :

« Dès que des hommes et des femmes, ayant appris leur leçon utilitaire, se refusent à admettre comme allant de soi les arrangements traditionnels que leur entourage social fait pour leur compte dès qu’ils prennent l’habitude de soupeser, de leur point de vue, individuel, les avantages et les inconvénients inhérents à telle ou telle ligne de conduite éventuelle (ou encore, en d’autres termes, dès qu’ils appliquent à leur vie privée une sorte de système inarticulé du prix de revient) – ils ne peuvent manquer de prendre conscience des lourds sacrifices personnels que les liens de famille et, notamment, la paternité imposent, dans les circonstances modernes, aux civilisés, ni, corrélativement, de constater que, sauf dans le cas des paysans, les enfants ont cessé d’être des actifs économiques. Ces sacrifices ne consistent pas seulement dans des éléments justiciables de l’étalon de mesure monétaire, mais ils comprennent en outre une quantité indéfinie de pertes de confort, d’insouciance, et de chances de profiter d’alternatives de plus en plus attrayantes et variées. En comparant ces alternatives avec les joies de la famille, nos contemporains soumettent ces dernières à une analyse critique d’une sévérité croissante. La portée de ces observations est fortifiée, loin d’en être affaiblie, par le fait que le bilan des avantages et des inconvénients est probablement incomplet, peut-être même radicalement faux. En effet, le plus important de ces actifs familiaux, à savoir la contribution de la paternité et de la maternité à la santé physique et morale – à la « normalité », pourrions-nous dire, – notamment en ce qui concerne les femmes, échappe presque invariablement au projecteur rationnel des individus modernes, celui-ci tendant à concentrer son faisceau sur des détails vérifiables à caractère directement utilitaire et à dédaigner les nécessités profondes inhérentes à la nature humaine ou à l’organisme social. […] On peut le résumer dans la question qui vient si nettement à l’esprit de tous parents virtuels : Pourquoi couper les ailes de nos aspirations et appauvrir notre existence pour finir par être négligés et traités par-dessous la jambe sur nos vieux jours ? »

La solidarité diffuse et égoïste promue par le système par répartition contribue à l’abaissement de la qualité individuelle des membres de la société. Comme le rappelait Ayn Rand dans son roman « La Grève » par la bouche de Francisco d’Anconia :

« Quand vous acceptez de l’argent en paiement de vos efforts, vous ne le faites que parce que vous êtes convaincu que vous l’échangerez contre le produit de l’effort des autres. Ce ne sont pas les quémandeurs ou les pillards qui donnent sa valeur à l’argent. Un océan de larmes, ni tous les fusils du monde ne peuvent transformer les morceaux de papier dans votre portefeuille en pain qui vous permettra de survivre demain. Ces bouts de papier, qui auraient dû être de l’or, sont un gage d’honneur – votre droit sur l’énergie des hommes qui produisent. Votre portefeuille est votre profession de foi selon laquelle il existe, quelque part dans le monde autour de vous, des hommes qui ne feront pas défaut à ce principe moral qui est la racine même de l’argent. »

              En effet, prenons un exemple simple : une grand-mère dans sa maison, veuve de son mari. Sans enfants, elle aura besoin d’argent pour tout. Ses courses, l’entretien de la maison, du jardin, le ménage, etc… Or cet argent n’est du que pour une chose : acheter le temps de travail d’inconnus. Si cette femme a fait des enfants, et que ces enfants ont été élevés dans l’exigence et comme des individus complets (goût de la culture, amour de la technique, droiture morale), alors elle n’aura pas à chercher de l’aide ailleurs. Même avec le système de répartition, si vous voulez assurer vos vieux jours, élevez vos enfants en conséquence.

La grande triangulation

Nous en arrivons au point névralgique : que font tous ces gens dans la rue ? Contre quoi manifestent-ils ? Pour quoi manifestent-ils ? Le savent-ils eux-mêmes ?

              Lorsque des jeunes et des vieux, des salariés et des retraités manifestent pour réclamer quoi que ce soit au niveau des retraites, ils devraient se regarder et discuter entre eux. Car en effet, l’Etat n’a pas d’argent propre. « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme », et c’est vrai avec le budget de l’Etat. Que les manifestants se mettent d’accord pour augmenter les cotisations, allonger le temps de travail, baisser les pensions, etc… car se sont eux qui paient et eux qui reçoivent. Hormis la frange marxiste pour qui « il faut prendre l’argent là où il est », qui se sert de l’Etat à des fins belliqueuses envers ses ennemis de classe, il est toujours bon de rappeler aux honnêtes gens que :

« L’Etat, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde »

Frédéric Bastiat, Harmonies économiques

              L’Etat est l’homme de paille créé par les marxistes mentaux pour outre passer les pseudo contradiction du capitalisme : capitalistes et prolétaires ne se battent plus directement les uns avec l’argent et les autres avec le nombre. Ils se battent tous les uns contre les autres, petits capitalistes, gros capitalistes, actifs, inactifs, par l’intermédiaire de l’Etat.

Que faire ?

Que devrions-nous donc faire ? Les partisans de la retraite par capitalisation sont inaudibles, l’heure n’est pas venue. Mais nous ne pouvons pas rester les bras ballants. Les adversaires de la reforme sont stupides. Ils manifestent contre une entité qui n’a pas besoin d’eux. Une grève contre un patron a du sens car le patron a quelque chose à perdre. L’Etat non. La seule chose serait une grève de l’impôt, mais c’est impossible car l’Etat a le monopole de la violence légitime. Une sortie de crise possible serait de changer son fusil d’épaule et de demander de revenir à une gestion partiaire des caisses de retraite. Dans un premier temps, il ne faudrait pas combattre cette réforme mais faire sécession :

  • Sécession économique : Il faut monter des mutuelles de retraites, auxquels les gens pourraient cotiser pour des retraites complémentaires, afin de montrer que les individus peuvent gérer leur futur. Cela sera difficile au début, étant déjà tellement spoliés au quotidien, mais cela donnera une légitimité pour désétatiser les retraites.
  • Sécession mentale : Il faut revenir à la croyance en soi-même contre la croyance en l’état providence ou la solidarité nationale. Une solidarité familiale, construite à partir de la famille et du groupe d’intérêt, pour démarchandiser le soutien aux personnes âgées méritantes.

Grâce à des actions de ce type, nous comprendrons de nouveau que le salut ne viendra pas de l’Etat mais de nous-même.

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