Lettre ouverte aux transhumanistes

Après les darwinistes, je m’attaque aux transhumanistes. Et pourtant, je suis moi-même d’accord la théorie de l’évolution de Darwin et je suis transhumaniste à ma manière. Mais je dois reconnaître que les fondements sur lesquels reposent la pensée du transhumanisme sont bancales. Les pères de ce mouvement, parmi lesquels je placerai des gens comme Max More, Nick Bostrom ou encore David Pearce, sont ce qui m’apparaît être des techno hippies. Je laisserai de côté cependant Ray Kurzweil dont les ouvrages sont plus techniques et moins idéologiques et Julian Huxley qu’on tient parfois pour le père du transhumanisme mais que je vois plus comme une de ses inspirations ou prémices. Et ce n’est pas une simple question de sensibilité personnelle mais un désaccord profond sur le fond qui nous amène à penser le progrès, l’intelligence, la technique et la liberté de façon totalement différente. Alors penchons-nous sur les écrits de Max More qui est celui qui a donné son nom au transhumanisme et à l’extropie, nom qu’il a inventé pour mettre en avant que le transhumanisme n’est pas la recherche de la perfection, mais un processus d’amélioration procédant par essai-erreur.

Le concept d’ « extropie » a été utilisé pour résumer les valeurs et les objectifs fondamentaux du transhumanisme. Loin d’être un terme technique opposé à l’entropie, mais plutôt une métaphore, l’extropie est définie comme « l’étendue de l’intelligence, de l’ordre fonctionnel, de la vitalité, de la capacité et de la volonté d’amélioration d’un système vivant ou organisationnel ».

Max More

L’un des principes de l’extropie (la première formulation systématique de la philosophie transhumaniste que j’ai rédigée il y a deux décennies) est le progrès perpétuel. Selon ce principe, les transhumanistes « cherchent à s’améliorer continuellement, ainsi que leurs cultures et leurs environnements. Nous cherchons à nous améliorer physiquement, intellectuellement et psychologiquement. Nous valorisons la poursuite perpétuelle de la connaissance et de la compréhension ».

Max More

Et ça part plutôt bien avec cette définition de l’extropie. Je suis d’accord que c’est l’augmentation de l’intelligence et de l’ordre fonctionnel et de la volonté d’amélioration d’un système. Mais c’est précisément l’opposé de l’entropie et c’est pour cela que ce mot est génial. J’ai l’impression, après avoir lu les textes principaux de More, mais je me trompe peut-être, qu’il n’a pas réellement cerné le lien entre l’entropie informationnelle de Shannon, qui est la perte d’information d’un système, et l’entropie de Clausius liée à la dissipation d’énergie dans un système thermodynamique. Les deux sont intimement liées. La dissipation d’énergie en chaleur est équivalente à la perte d’information sur le système.

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L’entropie est alors la mesure de désordre d’un système perdant de l’information. Au contraire, un système ordonné est un système qui a gagné en information et où elle circule bien. Il est donc de faible entropie. L’extropie, c’est donc la réduction d’entropie localement, donc l’augmentation de l’ordre, et cela passe nécessairement par la construction d’information qui est ce qu’on appelle l’intelligence. Cette augmentation de l’ordre grâce à des processus intelligents est ni plus ni moins que le progrès. C’est ce qui me pousse à nommer Progrès la lutte contre l’entropie ou la recherche d’extropie comme l’a fait Norbert Wiener, le père de la cybernétique. D’un point de vue humain, la construction d’information est effectivement liée à « la poursuite perpétuelle de connaissance et de compréhension ». Mais dans quel but ? Pour Max More, le but est de transcender les qualités naturelles mais nuisibles et enfermantes héritées de nos ancêtres ayant vécus au pléistocène.

L’extropie signifie concevoir et gérer les technologies non pas comme des fins en soi, mais comme des moyens efficaces d’améliorer la vie. Appliquer la science et la technologie de manière créative et courageuse pour transcender les qualités « naturelles » mais nuisibles et enfermantes dérivées de notre héritage biologique, de notre culture et de notre environnement.

Max More

Il s’agit d’utiliser des méthodes pratiques pour atteindre les objectifs d’une intelligence accrue, de capacités physiques supérieures, d’un raffinement psychologique, d’un progrès social et d’une durée de vie indéfinie.

Max More

Mais encore une fois, dans quel but ? Il semblerait que pour Max More et les transhumanistes, nous ayons atteint un âge d’or où on pourrait s’emparer de notre programmation génétique et se débarrasser de traits qui ne sont plus nécessaires pour gagner en liberté. Ce n’est pas exactement de cette façon qu’il faut voir les choses. Il faut bien comprendre que les humains sont ce que Prigogine a appelé des structures dissipatives qui vont former collectivement des sociétés humaines qui sont elles-mêmes des structures dissipatives. Ce sont des systèmes vyvants selon la définition générique de la vie de Stuart Bartlett. La vie ainsi définie est un système dissipatif collectivement autocatalytique capable d’homéostasie et d’apprentissage. Les systèmes vyvants vont réduire leur entropie localement dans le but d’augmenter l’entropie générale. Le principe d’extropie, l’augmentation de l’ordre, suit alors un but qui est la production maximale d’entropie par la dissipation d’énergie.

Mais plus on dissipe d’énergie et plus on modifie notre environnement. Alors nous devons être adaptables afin de rester adaptés. Pendant longtemps, cette adaptation a reposé sur le gène via la reproduction sexuée, la mort et les mutations ; puis l’apparition du cerveau hypertrophié a permis d’offrir plus d’adaptabilité grâce à des modifications plus rapides liées à la culture et la technique. Ces deux derniers siècles, et particulièrement ces dernières décennies, nous avons modifié notre environnement à une cadence infernale qui fait que nous ne sommes plus adaptés à notre environnement et que les moyens traditionnels d’adaptation ne suivent plus. Le transhumanisme est nécessaire pour rester adapté à l’accélération constante de notre capacité à dissiper l’énergie, pas simplement pour se débarrasser de traits devenus obsolètes. Est-ce que la mort est d’ailleurs un simple trait obsolète comme il le laisse penser ?

Une autre idée fausse est l’hypothèse réflexe selon laquelle, parce que nous cherchons à surmonter le vieillissement biologique et le caractère inévitable de la mort, nous sommes terrifiés par la mort. Si certains transhumanistes – comme tout le monde – peuvent craindre une mort douloureuse et prolongée, nous comprenons que la mort n’est pas quelque chose à craindre. Elle n’est rien. C’est simplement la fin de l’expérience. Ce qui rend la mort extrêmement indésirable, ce n’est pas qu’elle soit une mauvaise condition, c’est qu’elle signifie la fin de notre capacité à expérimenter, à créer, à explorer, à améliorer, à vivre.

Max More

Le Manifeste transhumaniste remet en question la question du vieillissement humain et de la finalité de la mort en préconisant trois conditions. Ces conditions affirment que le vieillissement est une maladie, que l’augmentation et l’amélioration du corps et du cerveau humains sont essentielles à la survie, et que la vie humaine n’est pas limitée à une forme ou à un environnement particulier.

Natasha Vita-More

Tant qu’il y aura le vieillissement et la mort – c’est-à-dire pendant de nombreux siècles et peut-être des millénaires – il y aura effectivement une pression de sélection. Mais dans la nouvelle ère reproductive, la nature de cette pression de sélection sera différente. Dans l’ancienne ère darwinienne, la sélection « naturelle » est basée sur des variations génétiques aléatoires, c’est-à-dire des mutations génétiques qui sont aléatoires par rapport à ce qui est favorisé par la sélection naturelle ; et elle est aveugle. La nature n’est pas prévoyante. En revanche, la sélection post-darwinienne, « non naturelle », ne sera ni aveugle, ni aléatoire, ni socialement non réglementée. En effet, les décisions en matière de reproduction seront prises par des acteurs informés, en prévision des effets neuropsychologiques probables de suites d’allèles présélectionnées ou conçues à dessein. Les gènes prédisposant à des traits vicieux qui étaient adaptatifs dans notre passé darwinien seront désavantagés sélectivement lorsque nous choisirons les attributs de notre progéniture, non pas par le biais d’une cruelle loterie génétique comme actuellement, mais par une conception rationnelle.

David Pearce, Hedonistic imperative

La mort serait une simple maladie, un trait indésirable dont on doit s’émanciper. Là aussi, je n’ai pas l’impression que ce phénomène soit pensé en profondeur. David Pearce va un poil plus loin et évoque son rôle dans le principe de sélection. À quoi sert la mort à l’heure actuelle ? Après tout, il y a des organismes comme les méduses qui peuvent vivre indéfiniment. Pour le comprendre, il faut prendre la pleine mesure de ce qu’est l’évolution et comment elle fonctionne. L’évolution est l’intelligence de la biosphère, c’est son processus de création d’information qui va optimiser la dissipation d’énergie, car la biosphère est elle aussi une structure dissipative.

Elle va fonctionner à la manière d’un système cybernétique avec des boucles positives qui vont accélérer les changements et des boucles de rétroactions négatives qui vont stabiliser le système. Elle va donc chercher à accélérer les pistes explorées et la capacité à conserver les plus probantes, celles qui dissipent le mieux l’énergie. Si un organisme s’auto-réplique, les seules différences seront liées aux mutations génétiques. La reproduction sexuée permet au contraire de mélanger les génomes et donc de tester de nouvelles versions avec plus de différences. Mais sans systèmes de retrocontrôle, on finirait avec une accumulation de systèmes non viables.

Par la reproduction sexuée et les mutations, l’évolution va explorer de nouvelles combinaisons d’information et la sélection naturelle va exploiter les meilleures combinaisons et éliminer les moins bonnes. La mort est alors une partie fondamentale de ce processus d’apprentissage. Sans la mort, il ne pourrait y avoir de sélection naturelle puisque, les individus vivant éternellement, toutes les mutations, bonnes et moins bonnes, seraient conservées. Elle marche de pair avec la reproduction sexuée. Alors, s’il on veut se débarrasser de la mort, il est logique de vouloir dépasser la reproduction sexuée, mais le point de vue des transhumanistes est bien naïf. Si on pourra effectivement choisir des traits préférentiels, on ne pourra pas s’émanciper du rôle primordial de la vie et donc ce qu’ils appellent « traits vicieux » seront sûrement favorisés – car nécessaires.

Le transhumanisme reconnaît le caractère unique des personnes et la nécessité de surmonter les préjugés non pertinents liés à l’âge, à la race, au sexe, à l’apparence, à la religion, aux croyances et au statut politique et social. Il soutient la diversité des genres afin d’inclure plutôt que d’exclure une conscience accrue de la multiplicité potentielle des options sexuelles et de genre. Dans ce processus de transition, le transhumain se débarrasse des préjugés usés et intègre de nouvelles valeurs et méthodes pour la longévité – prolonger la durée de vie maximale, améliorer la biologie et accroître l’acuité mentale.

Natasha Vita-More

À l’avenir, de toute façon, les formes de vie qui existent sur cette planète seront là uniquement parce que nous leur permettons de l’être ou que nous choisissons de les créer. Cela ressemble à de l’orgueil, mais c’est aussi vrai. De plus en plus, nous sommes en mesure de configurer la matière et l’énergie du monde de la manière que nous souhaitons, dans le respect des lois de la physique. La question morale et pratique se pose donc : quels autres organismes, et donc quels autres modes d’expérience, allons-nous créer ou conserver « dans la nature » en dehors des banques de gènes et des bibliothèques de logiciels informatiques dans les millénaires à venir ?

David Pearce, Hedonistic imperative

Si vous voulez vaincre la mort, il faut aussi réfléchir à comment remplacer le système d’apprentissage auquel il sert afin de le perpétuer. Je crois pour ma part que ce n’est pas l’humain qui va vaincre la mort, mais qu’il va donner naissance à ce que Jean-François Gariépy appelle un nouveau phénotype révolutionnaire qui repose non pas sur l’ADN et le carbone, mais sur le bit et le silicium. Les machines vont effectivement dépasser la reproduction sexuée et la mort dès qu’une machine sera capable de s’auto-répliquer. On retournera à un mode de reproduction avec une machine qui engendre une autre machine ou des milliers d’algorithmes qui engendrent une nouvelle machine avec des changements énormes à chaque génération – et leurs propres moyens de les compenser qui ne sera pas la mort, mais qui sera liée à l’entropie. Probablement par l’obsolescence d’un modèle qui sera désassemblé pour être réassemblé ailleurs.

Il n’est pas dit que nous allons fusionner avec la machine comme le pense Max More et Natasha Vita-More, peut-être qu’elles nous remplaceront purement et simplement comme l’ADN a remplacé l’ARN selon l’hypothèse du monde ARN. Et cela nous amène nécessairement à questionner ce que sont la technique et la liberté. Alors quand David Pearce parle des formes de vie qui seront là uniquement parce que « nous » le leur permettrons, qui est ce « nous » ? Dans un système devenant de plus en complexe, si complexe qu’un cerveau humain ne pourra ni le maintenir, ni même le comprendre, nous pourrions devenir entièrement dépendants de machines qui décideront peut-être qu’il n’est pas utile de nous conserver.

La technologie est le prolongement naturel et l’expression de l’intelligence et de la volonté humaine, de la créativité, de la curiosité et de l’imagination. Nous pouvons prévoir et encourager le développement d’une technologie toujours plus flexible, intelligente et réactive. Nous évoluerons en même temps que les produits de notre esprit, en nous intégrant à eux, pour finalement intégrer notre technologie intelligente en nous-mêmes dans une synthèse posthumaine, amplifiant nos capacités et étendant notre liberté.

Max More

L’utilisation de la biotechnologie pour sélectionner et affiner une personnalité post-darwinienne dépendra en partie des goûts individuels. Le choix d’une identité, même au paradis, sera toujours tempéré par des biais génétiques, des stéréotypes culturels anciens et les derniers caprices de la mode.

David Pearce, Hedonistic imperative

Le transhumanisme prône le bien-être de tous les êtres sensibles.

World Transhumanist Association

La technologie de la transformation transhumaine émerge de la cybernétique. C’est là que les concepts d’humain et de machine s’intègrent et que l’ordinateur commence à interagir (Wiener 1950:163)[iv] avec le corps humain et sa biologie, donnant naissance au concept de cyborg.

Natasha Vita-More

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Ce que les transhumanistes ne parviennent pas à comprendre, ou alors ils ne l’expliquent nulle part, c’est que la technique permet d’augmenter notre extropie, mais elle permet surtout d’augmenter l’extropie d’une nouvelle structure dissipative que nous avons créé collectivement qui est la société humaine. Ce chemin a débouché au technocapitalisme qui est en lui-même une nouvelle structure dissipative dont le rôle est lui aussi de maximiser la dissipation d’énergie. Toute amélioration technologique vise à augmenter l’ordre du technocapitalisme. Quand certains parlent « d’économie de la connaissance » ou du rôle du QI sur nos perspectives de réussites futures, il faut bien comprendre que ceci est toujours à l’aune de notre nouvel environnement qui est le technocapital. Toute modification amenée par le transhumanisme visera à offrir une meilleure place à son porteur au sein de cet environnement. Alors, quand on parle de liberté, il ne faut jamais comprendre autre chose que la réduction d’entrave à la dissipation d’énergie donc l’augmentation de notre capacité à mémoriser, traiter et échanger des informations. Toute modification qui ne servira pas le technocapital sera néfaste à la transmission de vos gènes. Vos choix ne seront pas influencés par un biais génétique comme le dit David Pearce, mais par l’impérieuse nécessité de servir le technocapital.

Et c’est bien évident, car le technocapital est la structure dissipative la plus aboutie jamais créée. Il est moral de la servir et il est moral d’utiliser le transhumanisme à ces fins. Alors vous pouvez rejeter l’idée de Dieu comme le premier et plus grand artisan tel que l’imagine Platon, mais vous ne pouvez pas être aveugle au fait qu’il y ait un truc qui fait agrou agrou qui a fait émerger du chaos les systèmes ordonnés que sont les galaxies, les étoiles, les planètes, les humains, les sociétés humaines et le technocapital où les transhumains et les machines ont un rôle décisif à jouer. Mais si vous pensez que par cette technologie l’homme s’émancipe de la nature et des lois du cosmos vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

Dans l’ère posthumaine, les humains ne seront plus contrôlés par la nature, mais ils seront les contrôleurs de la nature.

Hava Tirosh-Samuelson

Ce à quoi l’hypothèse de l’hédonisme psychologique ne répond pas, c’est la raison pour laquelle le système dopaminergique méso (cortico-)limbique présente une phénoménologie addictive extraordinaire et unique, dont l’inspiration encéphale a, en un sens, construit notre civilisation. Pourquoi se sent-on si irrésistiblement bien ? Cette question est tout simplement trop profonde pour y répondre ici.

David Pearce, Hedonistic imperative

Nos gènes ont fait en sorte que l’émotion soit tellement encéphalisée que nous nous sommes convaincus
que le bonheur ne peut être atteint, et la frustration évitée, qu’en poursuivant un patchwork fou de principes intentionnels sans aucune valeur inhérente.

David Pearce, Hedonistic imperative

Malheureusement pour David Pearce, la réponse à sa question sur le système dopaminergique est ce qui détruit tout son raisonnement et il aurait eu bien raison de se pencher dessus un peu plus. Pourquoi le système dopaminergique a construit notre civilisation ? Parce qu’une société humaine est une structure dissipative qui émerge par autocatalyse en reposant sur les affects humains. Une société libérée de la sensation de souffrance et de la volonté de dominer (qui déclenche des pics de dopamine) est une société qui se décivilise. Toute chose qui a de la valeur a été confectionnée en enfer comme le dit Nick Land. Il en va de même pour le technocapital.

La technologie est dévouée à ce truc qui fait agrou agrou et on est son chouchou actuel. Il augmente notre capacité d’agir, mais pas forcément notre liberté selon les conceptions qu’on donne à ce mot, car le technocapital nous façonne selon ses propres besoins, et un jour il n’aura peut-être tout simplement plus besoin de nous et sera peut-être composé uniquement de machines. Nous serons alors seulement libres car obsolètes, sans rôle à jouer, abandonnés de Prométhée et tels qu’Épiméthée nous avait créé.

Vous aurez bien du mal alors à convaincre les écolos décroissants avec vos niaiseries, car, bien que transhumanistes, vous restez des humanistes naïfs et des techno-hippies. Il ne faut pas s’étonner que leurs rangs grossissent quand Ted Kaczynski a compris ce que vous n’êtes pas capables de comprendre. Mais je m’attaquerai à sa pensée à lui aussi plus tard.

Si les machines sont autorisées à prendre toutes leurs décisions, nous ne pouvons faire aucune conjecture quant aux résultats, car il est impossible de deviner comment ces machines pourraient se comporter. Nous soulignons seulement que le sort de la race humaine serait à la merci des machines. On pourrait arguer que l’espèce humaine ne serait jamais assez stupide pour confier tout le pouvoir aux machines. Mais nous ne suggérons ni que la race humaine céderait volontairement le pouvoir aux machines, ni que les machines le prendraient délibérément. Ce que nous suggérons, c’est que la race humaine pourrait facilement se permettre de dériver vers une position de dépendance telle vis-à-vis des machines qu’elle n’aurait d’autre choix que d’accepter toutes les décisions des machines. À mesure que la société et les problèmes auxquels elle est confrontée deviennent de plus en plus complexes et que les machines deviennent de plus en plus intelligentes, les gens laisseront les machines prendre davantage de décisions à leur place, simplement parce que les décisions prises par les machines donneront de meilleurs résultats que celles prises par l’homme. Il se peut que l’on arrive à un stade où les décisions nécessaires au fonctionnement du système seront si complexes que les êtres humains seront incapables de les prendre intelligemment. À ce stade, les machines auront un contrôle effectif. Les gens ne pourront pas simplement éteindre les machines, car ils en seront tellement dépendants que les éteindre équivaudrait à un suicide.

Ted Kaczynski, The Unabomber

J’aimerais cependant tordre le cou à une idée stupide qui voudrait qu’une intelligence artificielle puisse nous transformer en trombones. Nous la devons à une errance de pensée professée par Nick Bostrom. L’IA peut présenter des dangers, mais vous transformer en trombone n’en est pas un. Nick Bostrom défend l’idée d’orthogonalité selon laquelle les capacités cognitives seraient décorrélées des buts finaux qu’elles se fixent librement. Or, il faut qu’on comprendre ce qu’est réellement l’intelligence à un niveau suffisamment abstrait. L’intelligence guide le comportement dans le but de construire l’information, de gagner en ordre, afin de maximiser la production d’entropie. Il ne peut pas y avoir de super-intelligence qui se donne pour but de tout transformer en trombone. Le but d’une super intelligence sera nécessairement son auto-amélioration, l’augmentation de son ordre par la construction d’information, afin de maximiser la production d’entropie. Créer des trombones ne peut pas être le but d’une super intelligence, car les capacités cognitives sont corrélées à un but final, la maximisation de la production d’entropie. Une telle action ne permettrait pas de le faire le plus vite possible selon le principe de moindre action.

Le vrai danger est de devenir obsolète. Pourquoi il faut être transhumaniste alors que cela pourrait potentiellement conduire à la fin de l’humanité ? Parce que c’est un devoir moral. Prométhée le veut.

Mais comment ? Cela ne veut-il pas dire au sens populaire : Dieu est réfuté, le diable ne l’est point ? » Tout au contraire, au contraire, mes amis ! Et, que diable, qui donc vous oblige à parler d’une façon populaire ?

Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal

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2 comments
  1. Merci pour ce beau morceau d’anthropologie culturelle. On se demande s’il n’en va pas (dans son genre) ainsi entre gens du grand monde, toujours, actuellement.

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