L’humanité suffoque…

et la science n’y changera pas grand-chose. 

Si vous me le permettez, sortons ensemble déambuler dans la rue. Tout au long de notre périple, prêtons attention aux personnes que nous croisons. Elles ont toutes, ou quasiment, un point commun. Leurs lèvres ne sont pas closes. 

De cette observation qui semble anecdotique, on en déduit qu’elles respirent toutes au moins partiellement par la bouche. Mais si l’on est capable de respirer par la bouche, c’est qu’il n’y a rien de mal à cela, non ? À vrai dire, il faut tourner la question autrement : si nous possédons un organe dédié, pourquoi en utiliser un autre ? Notre bouche nous sert à parler, à manger, et en cas de rhume, à respirer. Il faut alors conclure que respirer par la bouche est symptomatique et « anormal ». 

Mais pourquoi ? Pourquoi s’intéresser à cela ? Ce n’est à priori pas mortel, et si problème de santé publique il y a, il semble bénin. Ça n’empêche ni de lire, ni de travailler, ni de dormir. Alors, adonnons-nous à une petite expérience de pensée. Figurons-nous un monde où il est commun qu’un examen chez le docteur se termine par un diagnostic qui exige l’amputation votre petit orteil. Celui-ci n’a pas la place d’être accueilli par votre pied, qui n’a pas assez grandi. Si vous refusez l’amputation, votre pied pourrait s’infecter, et dans le pire du pire des cas, causer votre mort. Dans ce monde imaginaire, cette opération est courante. Quelle horreur ! Mais continuons. L’amputation du petit orteil n’a commencé à être nécessaire, disons… il n’y a que 3 siècles, et avant cela, l’humanité n’en a jamais eu besoin. De plus, on reporte qu’aucun autre mammifère (ou tout animal dactyle, avec des « doigts ») n’en a jamais eu besoin non plus, et n’a jamais eu de patte « trop petite ». Mais l’opération chez les humains demeure tout à fait commune. Grotesque, n’est-ce pas ? C’est pourtant essentiellement ce qui se passe avec les dents de sagesse. De même, alors que nous n’avons jamais eu de meilleur accès à des soins dentaires (à l’échelle macroscopique), nous n’avons jamais eu autant de problèmes aux dents : 

Introduction
en douceur à
Unqualified
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Premier tome d’une série de 7 de l’oeuvre de
Curtis Yarvin offert à nos tipeurs.

Introduction
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Premier tome de l’oeuvre
majeure de Curtis Yarvin

« Selon l’OMS, la dégradation des dents [étape avant la carie, en quelque sorte, traduction hésitante de ma part] affecte 60 à 90 % des écoliers vivant dans des pays industrialisés. C’est la maladie chronique la plus prévalente aux États-Unis, où 42 % des enfants développent des trous/cavités dans leur dentition de lait. Au Royaume-Uni, 26 000 enfants entre 5 et 9 ans ont été mis sous anesthésie générale pour un traitement dentaire de 2013 à 2014.

Les dents de travers, que l’on appelle malocclusions, sont une épidémie pour nos enfants. Environ 4 millions d’enfants aux États-Unis portent des bagues pour redresser leurs dents. Le nombre total de patients portant des appareils orthodontiques a doublé entre 1982 et 2008, et a augmenté de 24 % chez les adultes. Si vous êtes assez chanceux pour atteindre l’adolescence la bouche vierge, votre passage à l’âge adulte va probablement impliquer des douleurs liées aux dents de sagesse. Aux États-Unis, 10 millions de dents de sagesses sont extraites annuellement, tandis que l’industrie dentaire engrange la colossale somme de 129 milliards par an. »

[1, p11-12]

C’est là notre paradoxe, qui s’épaissira au fil de mon exposé. Si les caries sont un problème inquiétant et très intéressant à étudier, nous nous focaliserons ici sur les dents de travers, ou malocclusions. Grossièrement, une malocclusion signifie que les dents n’ont pas eu assez de place pour pousser droit. Évidemment, des problèmes peuvent tout de même subvenir, mais l’implication est forte. Pour laisser assez de place aux dents sagesse (3e molaires), la mandibule doit ajouter au moins 35mm d’os derrière les secondes molaires (ibid, p42). Autrement, les dents de sagesse ne peuvent pas faire éruption. Notre problème central est donc ce manque de place sur la mâchoire, souvent reformulé en « mâchoire trop petite ». 

Hypothèse 1 : « génétique »

Pour expliquer le rétrécissement de notre mâchoire, d’aucuns recourent souvent à notre première hypothèse : la génétique. J’entends. Mais alors quels sont les gènes responsables de ce rétrécissement ? Étant donné le nombre d’extractions de dents de sagesses, quelqu’un a bien dû mener l’enquête… Pas de nom de gène ? À vrai dire, il y a bien des gènes qui régulent la croissance de la mâchoire [2] mais cela pourrait n’être que peu pertinent étant donné qu’un gène, ça s’exprime [61]. On pourrait même imager en disant que tout est génétique, car nos gènes sont le hardware sur lequel on croît. Difficile de faire quelque chose que notre génétique ne nous permet pas (grandir jusqu’à 3 mètres, faire de la photosynthèse, … ceci dit, que celui qui arrive à cette dernière me contacte, je suis intéressé). 

De plus, l’hypothèse génétique est absurde. Comment expliquer l’apparition si soudaine de problèmes de dents, si fréquente/répandue, seulement chez l’humain, et seulement pour l’humain au mode de vie moderne ? Pourquoi depuis si peu de temps, et pourquoi dans notre seul taxon ? De même, rien, si ce n’est un dysgénisme d’une agressivité sans précédent, ne pourrait expliquer la propagation de ce phénomène. Je rappelle qu’une dent de sagesse problématique non extraite peut causer des infections potentiellement mortelles, et qu’une dentition saine est plus attractive (sélection). À moins d’une histoire de vie très rapide, comme dirait l’autre, difficile de rationaliser tout cela. 

figure 1 [23], Weston Price

Le coup de grâce à l’hypothèse génétique nous vient d’un dentiste du siècle dernier, Weston A. Price. En quête de solutions et de réponses aux problèmes dentaires de ses contemporains, Price part rencontrer des tribus non-civilisées (ou devrais-je dire primitives : non-industrialisées et non mondialisées). Chacune des tribus qui avaient gardé un mode de vie et d’alimentation traditionnels comptait parmi ses membres des individus vigoureux, en très bonne santé, et avec des dentitions parfaites. Le taux de caries n’excède pas le un pour cent (sans même tenir compte de la gravité), et aucune malocclusion n’est visible à l’horizon. Price a fait le tour du globe : de l’Afrique à l’Océanie, en passant par les eskimos. Il serait curieux que toute cette diversité génétique ait pour (seul) point commun une dentition déclinante. Bien que le filtre des morts à la naissance puisse être avancé, les proportions ne collent pas, d’autant que d’autres hypothèses sont plus prédictives (Annexe 4).

C’est avec beaucoup d’émotion que je vous l’annonce, mais nous faisons face à un phénomène environnemental et culturel. Soyez rassurés, la sécurité vous protégera des débordements de la part des Kaczynski-oïdes (dont je fais partie…). 

Hypothèse 2 : la mastication

Nous arrivons donc à notre seconde hypothèse : la mastication influence la morphologie crânienne. Après avoir lu ces mots, et maintenant que vous me considérez comme un illuminé, je vais essayer de m’expliquer, étape par étape. Tout d’abord, pourquoi une action musculaire impacterait un os ? On appelle ce phénomène la loi de Wolff. On constate par exemple des différences osseuses chez des joueuses de tennis [3]. Ici, le bras dominant des joueuses était plus dense et plus résistant à la torsion, mais on peut aussi trouver des différences de forme et de masse. On a notre constat : le muscle influence l’os.  

C’est d’ailleurs pour cela qu’on recommande, entre autre, de faire du sport pour lutter contre l’ostéoporose.  

Maintenant, il nous faut une explication de ce mécanisme. Quand un muscle se contracte, de la tension est générée, et celle-ci se transmet à l’os par le tendon. Dans l’os, on pense que les ostéocytes sont capables de sentir la tension mécanique et y répondent en exprimant les cytokines. Il y a aussi une affaire de sclérostine, qui inhibe grosso modo la formation d’os. L’expression de sclérostine est négativement corrélée à la charge qui pèse sur l’os [4]. Je m’arrêterai là car ce n’est pas mon domaine, mais si l’envie vous en prend, n’hésitez pas à lire mes sources. 

« It was shown that osteocytes highly express IGF-1 and its expression is upregulated by mechanical loading13,14. Thus, bone tissue is remodeled in response to mechanical loading, which is largely dependent on osteocytes and their expressed cytokines. » 

« Il a été démontré que les ostéocytes expriment fortement IGF-1 et que son expression est régulée par charge mécanique13, 14. Donc, le tissu osseux est remodelé en réponse à une charge mécanique, ce qui est largement dépendent des ostéocytes et de leurs cytokines exprimées. »

[4]

Il nous faut ensuite des observations in vivo. D’abord, on constate que la taille des muscles masticateurs est corrélée avec la morphologie mandibulaire [5]. Non, corrélée avec la morphologie mandibulaire [6, 7, 8, 9, 10]. Je cite quelques études, mais elles-mêmes en citent d’autres, et on s’apercevra que le sujet est très étudié, et que tout cela n’est pas nouveau : une des études, de Weijs et Hillen [10], date par exemple de 1986. Et comme nous le verrons plus loin, on avait de forts indices de cette relation depuis des décennies. 

Plus les muscles masticateurs sont gros, plus la mâchoire est solide, développée, et plus le palais est large.  

Les corrélations diffèrent un peu selon les ethnies étudiées, mais la direction reste la même. Chez des Indiens [9], les muscles corrèlent plus avec une croissance horizontale (corps de la mandibule), tandis que chez des Israéliens, le ramus sera plus impacté [5]. 

Pour reprendre la problématique de début d’article, la mâchoire peut croître dans 3 dimensions : les axes x, y et z, (« yaw », « pitch » et « roll » dans certaines études) ou les plans frontal, sagittal et transversal. Elle peut grandir vers l’avant, vers le bas, et vers les côtés. Quand on parle de large mâchoire, c’est qu’elle va vers les côtés, par exemple. Et actuellement, les mâchoires grandissent trop en hauteur y, et pas assez en largeur x et en profondeur z, ce qui mène à des visages élongés (« adenoid face » [26]). Et ces visages élongés partagent souvent des caractéristiques de respiration buccale. 

Quand j’ai discuté avec mon dentiste sur la nécessité d’une méta-analyse pour confirmer la corrélation, il m’a répondu : « non mais on le voit, en fait [en tant que dentiste] ».

Essayons maintenant d’observer nos amis mammifères, pour espérer trouver non pas une corrélation, mais un lien de causalité.  

Nous avons des données sur les souris. Des chercheurs ont conçu une étude en deux phases, avec des souris sous diète dure ou molle. La première consistait à faire une simulation, et la seconde en une expérience. La simulation prédisait une croissance osseuse à l’endroit où le tendon s’insérait, et la partie expérimentale a confirmé cela [4]. Le modèle est donc prédictif, et confirme la théorie présentée plus tôt. Les études animales sont au final elles aussi pléthores [11, 4, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19].  

« Rats (Watt and Williams, 1951; Moore, 1965; Beecher and Corruccini, 1981a), macaques (Beecher and Corruccini, 1981b), and squirrel monkeys (Corruccini and Beecher, 1982) on a soft diet do not attain the same facial breadth as control animals » 

« Les rats (Watt et Williams 1951 ; Moore 1965 ; Beecher et Corruccini 1981a), macaques (Beecher et Corruccini 1981b) et singes-écureuils (Corruccini et Beecher 1982) sous diète molle n’atteignent pas la même largeur faciale que les animaux du groupe contrôle »

(Notez les dates). 

[10]

Donc, les animaux avec une diète normale/dure ont des caractéristiques faciales différentes de ceux avec une diète molle. Que manque-t-il à notre modèle explicatif ? Essayons enfin de regarder notre passé.

Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs (butineurs) n’avaient pas de malocclusions. Ainsi, Janet Monge, anthropologue et conservatrice de musée, dira au New York Times que pas un seul des vieux squelettes de son musée n’avait de dent de travers [20]. Corruccini a aussi fait des travaux sur le sujet. De même, on suppose que la transition agricole a entraîné un rétrécissement de la mâchoire humaine, par un déclin de la demande en mastication, ce qui dénote bien d’un effet de la mastication sur la morphologie mandibulaire [21, 22]. 

« Drawing on an expansive global dataset and an innovative analytical approach (9), Katz et al. demonstrate small but consistent effects of a soft agricultural diet on skull morphology that relate directly to chewing anatomy. »

« Avec une approche analytique innovante et un ensemble de données globales, Katz et al ont démontré des effets petits, mais constants d’une diète agricole molle sur la morphologie crânienne qui est directement liée à l’anatomie masticatoire »

[22]

Les tribus étudiées par Weston Price avaient, comme dit plus tôt, des dentitions parfaites, similaires à celles de nos ancêtres. Ce n’est que lors de leur transition à une diète moderne que le massacre a commencé. En effet, lorsque des tribus faisaient cette transition et se mondialisaient, le taux de caries explosait, à l’instar celui de malocclusions. Je recommande fortement le livre de Price, en tant qu’ouvrage scientifique, mais aussi comme passionnant livre de voyage [23].

figure 3 [23], Weston Price

Ce que je tiens à noter, c’est que l’effet de la mastication est universel, même si l’on peut débattre de sa puissance (annexe 1).

Nous avons, pour conclure, une théorie (loi), une explication des mécanismes étoffée, une corrélation humaine, une causalité animale, et des observations anthropologiques. Il manque seulement une causalité humaine, et malgré la rareté des données, je ne les ai pas encore lues…  Pour un exemple du quotidien, demandez-vous combien de fois vous devez mâcher un aliment moderne avant de l’avaler. Il y a peu de peu de chances que votre réponse soit supérieure à 10, sans compter l’intensité que cela a demandé… 

Cela constitue donc notre 2nde hypothèse, qui porte un nom : « masticatory-functional hypothesis », « l’hypothèse de la mastication fonctionnelle », formulée par Carlson et Van Gerven (Annexe 5). 

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Le mode de respiration a lui aussi un rôle crucial dans la croissance mandibulaire. Si un mois a suffit à James Nestor, auteur de Breath, pour modifier sa structure osseuse faciale vers le pire, on observe aussi l’inverse. Des enfants qui ont subi une adénoïdectomie sont repassés à la respiration nasale, et l’arrière de leur mâchoire a accéléré sa croissance, pour rattraper le retard accumulé [26]. 

Des singes à qui on a bouché les narines, et qui passent à une ventilation buccale, présentent des visages allongés (cf. Egil Harvold). Après avoir débouché leurs narines, leur visage est peu à peu revenu à la normale. 

Tous ces longs prolégomènes nous donnent notre élément mécanique. Il nous manque un élément culturel. Et c’est l’allaitement. 

L’allaitement, ou donner le sein, est devenu de moins en moins long à travers le temps. Si à la Préhistoire, il durait 3 à 4 années [27], il est courant aujourd’hui de ne pas allaiter. On a donc une association négative entre allaitement et dégradation des dents. Les formules (= substitut au lait maternel) existent depuis peu (post-Révolution Industrielle assurément [28]) ; on peut alors déduire de leur démocratisation qu’elle a fait baisser le taux d’allaitement. Cela joue le rôle de technologie qui influence l’environnement, puis la culture. 

De plus, et pour poursuivre la comparaison avec nos « collègues mammifères », le constat est indiscutable : ça tète. Et quoi de plus naturel ? J’ai même entendu des anecdotes féminines de chatons qui n’ont pas distingué mamelon humain et félin ! 

Plus l’histoire avance, moins les mères allaitent et moins longtemps. Et c’est d’autant plus déplorable que les bénéfices sont innombrables [29, 30, 31, 32 33]. Même l’OMS le conseille [34], et qui sait combien les citer me fait mal. À vrai dire, c’est à travers l’influence de La Lèche League, une association pro-allaitement [35]. Cependant, un bénéfice immense, rarement évoqué, est mécanique. Les enfants allaités ont moins de malocclusions que leurs homologues non-allaités de par « l’entraînement musculaire » et moteur d’une tétée [29, 36, 37, 38]. Il n’y a guère que Brian Palmer qui en ait assez parlé [39]. 

Mort muette civilisationnelle

D’un point de vue sociétal, voire civilisationnel, il est crucial de s’intéresser à notre santé orthodontique, car celle-ci a un impact qui va bien au-delà d’elle-même.

D’abord, et bien que je reste timoré là-dessus, une dentition correcte pourrait aider à l’équilibre, et ainsi prévenir les chutes [40, 41]. Les personnes qui chutent le plus et pour qui c’est le plus grave, ce sont les personnes âgées. Or, on sait que la perte de dents accompagne parfois le vieillissement [42], tout comme la baisse de l’équilibre [43]. C’est évidemment très hypothétique, mais on pourrait faire baisser le fardeau sanitaire, en réduisant le nombre d’hospitalisations pour chutes. Une bouche bien développée aide probablement aussi la fonction oculaire [44, 1 (page 40)]. Au global, la santé de la dentition semble ruisseler. 

Figure 4 [43] : courbe du temps passé en équilibre sur une jambe, yeux ouverts ici.

Ensuite, il y a un lien que j’ai du mal à m’expliquer entre la dentition et l’intelligence. La page web de l’OMS que j’ai citée plus tôt faisait mention d’une meilleure performance des enfants allaités aux tests d’intelligence [34]. De façon surprenante, il y a de nombreuses études sur le sujet [45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53]. Je recommande la plus grande prudence (certaines études ne contrôlent pas le QI de la mère, ce qui est un facteur confondant). Toutefois, il semble que l’effet isolé de l’allaitement, bien que petit, soit soutenu. L’effet semble aussi dose-dépendant : dans la pire des estimations, on parle de 0,19 points de QI gagné par mois d’allaitement. En suivant, les recommandations de l’OMS, le bénéfice sociétal est colossal [53, elle est facile à lire et récente (2023)]. Au niveau micro, la mastication peut, sous certaines conditions, améliorer les fonctions cognitives [54, 55, 56]. 

Mais surtout, le palais est le « plafond » de la bouche, et le « sol » de la cavité nasale [1, 57]. En fait, une mâchoire trop petite implique mécaniquement une plus grande difficulté à respirer, toutes choses égales par ailleurs. Si nos cavités nasales ne sont pas assez développées, on se rabat sur une respiration (ventilation) buccale [40], ce qui soulage peut-être sur le moment, mais n’arrange rien. En effet, la ventilation nasale implique l’utilisation par le corps d’oxyde nitrique, qui « améliore le rendement » d’oxygène [1]. James Nestor explique dans son livre [57] que la ventilation buccale nous amène dans un état de stress (système nerveux sympathique). Et c’est sur cet état de stress que je veux insister. 

Il y avait ces gens, sans amygdale, partie du cerveau qui provoque les sentiments de peur. En en étant privés, ils n’avaient jamais ressenti de peur. À l’un d’eux, une jeune femme, on fit tester un dispositif, dans le cadre d’un traitement psychologique. Il s’agissait d’un appareil qui faisait respirer un mélange de dioxyde de carbone et d’air ambiant. Le dosage était le suivant : 35 % de CO2, et 65 % d’air ambiant. Après quelques bouffées d’air, la jeune femme fut prise d’une panique sans nom. Pour la première fois de sa vie, elle avait peur. Une peur bien plus profonde que toutes les autres, la peur d’être privé du nutriment le plus important du corps humain, l’oxygène [57, page 166 à 169]. 

Tous ces badauds de la rue, la bouche entre-ouverte n’ont pas l’anatomie optimisée pour respirer. Dans leur développement, il leur a manqué quelque chose. En conséquence, ils suffoquent. Peu ou beaucoup, ça n’a pas tant d’importance. Certains ont des apnées du sommeil : ils ne peuvent simplement plus respirer pendant leur sommeil, pour quelques secondes [1 p52-53]. Voilà une mort bien silencieuse… 

Je vous rassure, il existe des traitements qui fonctionnent et qui utilisent le principe de ventilation nasale [58]. Mais comment se fait-il qu’alors que la science n’a jamais été aussi avancée, nous avons tant régressé ? Nous avons oublié l’action la plus vitale qui soit. Alors que nous pouvons envoyer de l’information à l’autre bout de la planète, des tribus de chasseurs-cueilleurs qui n’ont pas passé l’étape de la sédentarisation ont plus de savoir sur la chose que nous. Peut-être que la civilisation s’accompagne d’un tribut…  

La science comme solution

« Mais la science a désormais connaissance du problème, donc nous aurons la solution sous peu »… « La science » le savait depuis bien longtemps. George Catlin constatait les effets délétères de la ventilation buccale à la même époque que l’apparition des premiers appareils orthodontiques. Ces observations ont été confirmées notamment par Edward Angle, le père de l’orthodontie moderne (c’est lui qui a inventé la classification des malocclusions) [59]. On sait depuis bien longtemps que de gros muscles masticateurs donnent de plus grosses mâchoires. Francis Pottenger avait trouvé des différences liés à la diète sur des chats avant la Seconde Guerre mondiale ! L’allaitement est pratiqué depuis des dizaines de milliers d’années. Les connaissances, nous les avons. 

L’un des promoteurs de l’école myo-fonctionnelle s’est vu retirer sa licence de dentiste pour un motif, aussi sérieux qu’il soit, du même acabit qu’une accusation d’agression sexuelle avant une élection présidentielle. Que ce soit en anthropologie/génétique (Cavalli-Sforza [62]), dans les violences conjugales (Erin Pizzey, Steinmetz, Murray-Straus), ou tout autre domaine plus ou moins sujet à controverse (Charles Murray [63], 58 min à 58 min 30 environ), si les résultats perturbent l’homéostasie du climat culturel, ils ne seront pas utilisés. Ils seront bafoués, rejetés, vilipendés, cachés. Il y a des paniers de crabes, des omertas, des intérêts économiques, et le nier serait faire l’expression d’un déni cosmique, à la limite du solipsisme. 

Certaines possibles solutions ont été développées sur ce site [a]. Si elles sont intéressantes, elles me semblent difficilement réalisables à l’échelle d’une vie… J’encourage le lecteur qui sera arrivé jusque là à faire ses propres recherches et ne pas compter sur un Deus Ex Machina, de même que le français Révolutionnaire dans l’âme ne devrait pas compter sur une Révolution prochaine [b]. On ne dissipe pas de l’énergie si facilement. 

Je suis probablement pessimiste, mais je pense qu’il est temps de faire le deuil de nos morts silencieuses.  

Annexe 1 : 

Ce que je tiens à noter, c’est que l’effet de la mastication est universel, même si l’on peut débattre de sa puissance. 

Universel : Dans les études ou dans le livre de Price, quelque soit la région du globe, on observe l’effet, qui est donc trans-culturel/trans-population. Parler de génétique est alors fallacieux, car les différences ne se trouvent pas là. Dit simplement, quelque soit la « population génétique », une mastication accrue offre une mâchoire massive, et les différences s’expriment sur d’autres caractères. 

Puissance : Le débat de la puissance de l’effet de la mastication est intéressant. J’ai trouvé au cours de mes recherches des fiches de révision d’une étudiante en anthropologie [24]. Cela donne un état des lieux de la connaissance dans le milieu universitaire. On y apprend que les dents sont très génétiques, contrairement à la mâchoire. On peut déduire que l’influence de la mastication est un secret de polichinelle… mais on apprend aussi que la dérive génétique n’est pas si importante, ce qui diffère d’autres de mes sources. Si certains de mes lecteurs venaient à faire des déductions sur une possible omerta dans le milieu universitaire, je le condamnerais fermement… 

Côté grand public, Daniel Lieberman a, à ma surprise, beaucoup parlé de mâchoire [25] et il est plus lucide sur l’influence de la mastication que ne l’est le lambda. 

Annexe 2 : 

L’étude [53] est à lire pour qui veut une porte d’entrée sur le sujet. Elle est récente, et explique bien les choses (notamment les facteurs à contrôler : QI maternel, environnement à la maison, facteurs socio-économiques). On y expose des indices selon lesquels tous les bébés ne bénéficient pas de façon égale de l’allaitement, ce qu’on peut relier au métabolisme évoqué par la [52].

Annexe 3 : trois dates de changements non-évoquées (cuisson, notamment). 

Il y a en réalité trois changements majeurs dans le temps pour nos mâchoires, et je n’ai pas évoqué le premier, qui date d’au moins un million d’années. Il s’agit du troc « cerveau-mâchoire » : la mâchoire recule peu à peu pour se placer sous la boîte crânienne. Étant donné que la découverte de la cuisson est très vieille, et que la prévalence accrue de malocclusions est récente, je n’ai pas jugé pertinent de m’y épandre. L’ordre de grandeur (dans le temps) n’est pas le même. 

Annexe 4 :  Réconciliation génétique. 

Si les problèmes orthodontiques ont une origine probablement environnementale, on peut tout de même retrouver des différences entre populations génétiques [60]. Ainsi, des dentistes pourraient gagner à se spécialiser dans le traitement d’une malocclusion plus prévalente dans la région où il exerce (ibid). Qu’elle que soit la génétique, vous pouvez tous aspirer à une grosse mâchoire (rire). 

Annexe 5 : 

L’hypothèse de la mastication fonctionnelle est, comme son nom l’indique, une hypothèse, et non une théorie (la théorie étant une hypothèse qui a assez résisté aux contre-arguments pour augmenter son statut). Il en existe d’autres (“Protective Buttressing Hypothesis“, par exemple), et je tiens à le préciser.

Bibliographie + sources sans hyperlien :

[1] The dental diet, par Dr Steven Lin

[19] Moore, 1965

[23] Nutrition and physical degeneration, Weston A. Price. Disponible en anglais. Je n’ai aucune idée de la qualité de sa traduction française. (Disponible gratuitement grâce au projet Guttenberg, mais http, pas https)

[30] À son sujet : pas la meilleure puisque l’on a pas isolé l’effet de l’allaitement. Par conséquent, le statut socio-économique joue aussi, etc. Et ils n’ont pas trouvé de différence entre enfants allaités et non-allaités. Elle a été critiquée pour cette raison par une autre que je cite (laquelle, je ne sais plus, mais c’est comme ça que je suis tombé dessus). Je la mets pour l’honnêteté intellectuelle.

[32] C’est un article de The Lancet sur l’allaitement : à part la partie sur les caries qui a été démontrée comme fausse, pas de problèmes.

[36] L’article n’est plus disponible. Utiliser l’URL vous suivante vous redirigera à l’accueil du site Internet : https://www.sparkledentaljoondalup.com.au/Blogs/Sparkle-Dental-Blog/September-2016-(1)/Breastfeeding-and-jaw-development

[39] Son site ne fonctionne plus de mon côté, alors j’ai mets un lien vers l’une de ses études.

[57] Breath, James Nestor

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