“Yorarien” ! Pourquoi il ne peut y avoir de révolution dans les pays développés occidentaux

L’actualité récente, notamment en France du fait du mécontentement généralisé vis-à-vis du Président de la République lui-même ou du système politique trop présidentiel, amène certains radicaux frustrés des deux côtés politiques et autres « psycho-historiens » à s’imaginer ou prédire un ensemble de scénarios « violents ». La tête du président sur une pique pour certains, « bouter » des millions de noirs et d’arabes hors de France d’un seul coup, un raccourcissement du mandat de Macron par la colère de la rue ou un sauveur droitard qui pourra envoyer par charters entiers de l’autre côté de la Méditerranée quelques millions de personnes comme au bon vieux temps de l’Algérie française (la « remigration »). Tout cela au nom du « ça s’est déjà fait avant, ça peut se refaire » ou à travers un pseudo-modèle « empirique » par du comparatisme au doigt mouillé. Je vais expliquer, à travers trois tendances croissantes sur ces 50 dernières années, en quoi penser ce genre de scénarios en France, mais de manière générale dans nos pays développés occidentaux, est fumeux.

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L’Occident est trop riche

Une manière commune de comparer les niveaux de richesse (et le développement au sens large avec toutes les aides sociales, institutions, éducation que cela implique) de différents pays est ce qu’on appelle le PIB/habitant. Un duo d’économistes scandinaves Dalggard et Olsson se sont amusés à faire une corrélation entre le PIB/habitant d’un pays et le niveau de « modération politique » (la radicalité politique implique violence et autoritarisme) de sa population (calculs réalisés pour 71 pays).

La cohésion politique (synonyme de la “modération politique”) en fonction du PIB/habitant

Le niveau de « cohésion politique » a été calculé sur la proportion de personnes qui ne se placent pas eux-mêmes sur les deux niveaux extrêmes du spectre politique (extrême gauche et extrême droite). Plus le taux de personnes se déclarant « modérées » est élevé, plus le niveau de cohésion politique est élevé (et donc plus faible est la probabilité d’un « coup d’Etat », « coup de force de la rue », etc..). La corrélation entre le niveau de PIB/habitant et le niveau de « cohésion politique » est de 0,67. En moyenne, sur tous les pays étudiés, 84 % de la population se déclare « modérée » politiquement, cela monte à une moyenne de 93 % pour un pays de l’OCDE aux revenus élevés (dont la France fait partie).

Maintenant, regardez les différences de niveau de vie qui existent entre la France et différents pays. Ces derniers ne sont pas choisis par hasard, car j’ai pu entendre parler sur les réseaux sociaux de comparaisons que l’on faisait entre les grèves à répétition actuellement en France et certains événements révolutionnaires plus ou moins récents.

Evolution du PIB/habitant de différents pays (France, Russie, Algérie, Sri-Lanka, Tunisie, Ukraine, Maroc)

Comme vous le constatez, le niveau de vie en France par rapport à plusieurs pays (dont l’Ukraine qui a un niveau dans les eaux de certains pays du Maghreb…) est nettement plus élevé. J’ai mis la Russie à titre de comparaison, notons que ce sont des chiffres allant jusqu’en 2018, l’Ukraine et la Russie ont dû, sans doute, dévisser depuis, et je suis au minimum très sceptique sur le fait que les trois pays du Maghreb aient pu atteindre le niveau français en quelques années…

J’ai pris le Sri-Lanka, car tout récemment son gouvernement a été renversé par la force, suite à de désastreuses politiques économiques – liées au passage inepte de l’agriculture sri-lankaise au 100 % BIO, je parle abondamment de ce scénario dans mon livre, car certains à droite ou à gauche s’imaginent que c’est une solution… – .

Que retenir de ces deux graphes finalement ? D’abord qui dit niveau de vie élevé dit institutions comme des aides sociales pour les défavorisés (le RSA par exemple), des politiques sociales protectrices (vieux, handicapés, etc.). Un « coup de force » a besoin d’une part de la population suffisante qui « n’a rien à perdre » (autre que sa vie, pas son RSA et autres avantages sociaux qui lui permettent d’avoir de quoi se nourrir). Faire des comparaisons sur des événements, même en Europe, d’il y a un ou deux siècles ou même 50 ans en arrière (le rapatriement des pieds-noirs d’Algérie par exemple) n’a pas de sens. Et ceux qui soliloquent sur ce genre de scénarios sont assez symptomatiques d’un ensemble d’attitudes qui germe de plus en plus aujourd’hui (j’y reviens plus tard dans l’article). Même la comparaison avec la « révolution Maïdan » est bancale, c’est énormément sous-estimer la différence de niveau de vie entre l’Ukraine et la France.

Un autre exemple que je n’ai pas cité concerne les Etats-Unis avec l’événement du Capitole. Une nouvelle fois, c’est dû à des événements très particuliers notamment la complicité du président sortant Trump avec les insurgés et certaines décisions laxistes (surtout pour un gouvernement « de droite », je dirais) sur la sécurité qui ont été permises. Évidemment, nous ne sommes pas du tout dans ce cas en France où Macron rêverait de laisser les manifestants prendre d’assaut l’Elysée.

Le niveau de richesse et de développement inédit des pays occidentaux conduisent logiquement à une autre tendance (comme une sorte de seconde boucle) : le vieillissement de sa population.

L’Occident est trop vieux

On sait depuis longtemps que la violence (et donc en filigrane les « révolutions ») au sein des sociétés vient en grande partie des jeunes hommes. Or, en France, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans est devenu plus élevé que ceux ayant moins de 20 ans depuis 2014, selon Maxime Sbaihi. La balance des âges, de manière générale dans les pays occidentaux, est en faveur des personnes âgées. Le politologue Bruno Tertrais montre que les sociétés les plus jeunes ont tendance à être les plus belligènes :

La théorie récente qui lie un « surplus » ou une « poussée » de jeunes (youth bulge) à un accroissement de la violence politique (en l’absence de migration) s’avère féconde. Elle se réfère à une proportion de jeunes adultes très importante dans la population dans des circonstances socio-économiques peu favorables, notamment en termes de perspectives d’emploi. Il s’agit là d’un domaine de recherche qui s’est avéré particulièrement fructueux depuis le début du siècle. Les indicateurs prédictifs s’avèrent la proportion de jeunes dans la population totale, ou au regard de la seule population adulte, ainsi que l’âge médian. Par exemple, les pays comprenant plus de 20 % des 15-24 ans, ou dont cette classe d’âge représente plus de 35-40 % de la population adulte totale, ont bien davantage de chances de connaître des épisodes de violence collective. Le sociologue Gunnar Heinsohm a construit un « indice de belligérance » qui mesure le ratio de jeunes adultes du sexe masculin (15-19 ans) à leurs aînés (55-59 ans). L’âge médian est aussi utilisé comme corrélat : Le risque serait particulièrement important lorsque celui-ci est inférieur à 20 ans et, à l’inverse, très faible s’il dépasse 27 ans.

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La grande majorité des guerres civiles depuis les années 70 (tout continent confondu) sont intervenues dans des pays connaissant les situations décrites par Tertrais (Irlande du Nord, révoltes arabes, Algérie, Congo, etc..). On parle souvent à droite de la « tranquillité » du Japon niveau délinquance en comparant à nos quartiers remplis d’immigrés d’Afrique. On parle du côté moins criminogène des asiatiques du Nord-Est, mais c’est aussi parce que le Japon est devenu une société de vieillards.

Evolution de l’âge médian de la population de différents pays (Japon, Corée du Sud, France, Chine, Algérie)

Plus sérieusement, ce n’est pas avec des cortèges de vieux syndicalistes – gras, impotents et réclamant surtout la perpétuation de leurs privilèges de retraites (surtout pour les sociétés d’Etat comme SNCF, EDF etc..) -, avec certes quelques jeunes bobos en manque de pub et quelques escarmouches entre policiers et jeunes sanguins (où on va chialer pour quelques lacrymos et un tir de LBD mal ajusté) qui vont faire trembler un gouvernement disposant du monopole de la force légale. Parlons d’ailleurs, maintenant du changement psychologique opéré depuis une décennie sur les jeunes générations, c’est la « troisième boucle » qui amène à tempérer les scénarios révolutionnaires.

Les jeunes actuels sont plus immatures et trop pris entre le virtuel et la réalité

Jean Twenge est une psychologue américaine qui étudie les différences générationnelles, notamment les valeurs professionnelles, les objectifs de vie et la vitesse de développement. Elle a passé des décennies à étudier les différences et changements psychologiques de diverses générations aux Etats-Unis. Ces tendances touchent tout le monde, quel que soit le sexe, l’ethnie ou la classe sociale. Ce qu’elle appelle la génération « iGen » (« génération Internet ») est celle qui a pu expérimenter dès l’enfance l’utilisation des outils Internet, du smartphone et des réseaux sociaux (grosso modo celle née à partir de la fin des années 90 – début des années 2000). Or, l’utilisation nouvelle (et souvent non régulée) de ces outils a modifié la psychologie de ces jeunes du point de vue de la tendance statistique. Je parlerai plus en détails des résultats de ces études dans de prochains articles, mais en ce qui concerne le sujet de cet article, plusieurs tendances psychologiques de fond vont contre le scénario « révolution » :

  • Développement retardé. Les jeunes d’aujourd’hui ont un développement psychologique plus lent que les précédentes générations. La période de l’adolescence devient plus une extension de l’enfance, certains « passages » (prise d’alcool, sexe, petits boulots, passer le permis de conduire, etc..) afin de développer la responsabilité et l’autonomie sont moins vécus chez cette génération ou le sont plus tard (Université). En moyenne, selon Jean Twenge, un jeune de 20 ans aujourd’hui a plus la maturité psychologique d’un jeune de 15-16 ans d’autrefois.
  • Compétences sociales réduites. Ces jeunes sont bien plus « tenus » par leurs parents, moins rebelles et passent surtout moins de temps à l’extérieur avec leurs amis et en week-end. Disposant d’internet et du smartphone très tôt, ils ont surtout développé une capacité à communiquer de façon virtuelle entre avatars, réduisant certaines compétences sociales concrètes personne à personne (soft skills).
  • Dichotomie plus forte entre les paroles et les actes. Comme ils passent bien plus de temps sur Internet à palabrer, c’est d’autant moins de temps à développer la capacité d’agir. En moyenne, les iGens sont très prompts à réagir de façon virale sur Internet à des préoccupations sociétales ou politiques sur les réseaux sociaux mais le sont beaucoup moins pour agir individuellement pour leurs causes dans le réel.
  • Sécurité avant tout. Les iGens sont plus averses aux risques. Cette aversion aux risques touche de multiples choses : vie de couple (avoir des enfants par exemple), sexe, être entrepreneur, les actions violentes, supporter les critiques quelconques (d’où la flambée de safe spaces et demandes de trigger warnings à l’Université etc..).

Cette tendance statistique psychologique de la jeunesse n’incite pas du tout à vouloir tenter le « coup de force dans le rue » et autres choses de ce genre qui nécessitent de réelles actions risquées (pas juste des grèves merguez-frites picon-bière, en quelque sorte…).

En résumé, « yorarien » de significatif au niveau « révolution », changer les choses aujourd’hui au niveau politique se passe avant tout au niveau du vote (où les boomers notamment sont très actifs et où les jeunes font de l’abstention de l’ordre de 70-75%).

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4 comments
  1. J’ajouterais à tous ces facteurs la puissance inédite de l’état.

    En France, tout est surveillé, et la moindre association de jeunes un peu costauds, un peu énervés est vite dissolu ou bien ses membres inquiétés.
    Bien entendu, cela n’est possible que parce qu’il n’y a pas trop de monde à surveiller, et que même les énervés passent par le net. Sinon ça demanderait beaucoup plus de moyens humains d’infiltrer et surveiller tout ça.
    Mais, le fait est que l’infrastructure technique globale des pays riche permet d’avoir de quoi monter un petit “cloud” de surveillance de la population …

    Mais on est bien d’accord qu’il ne faut pas s’attendre à grand-chose avec le peu de testo qui reste.

  2. J’ajoute aussi que les gens pensent que çavapeter parce que les médias noircissent énormément le tableau, alors qu’en vrai, çavapasimal !!!

    donc oui, yorarien.

  3. Alors, plusieurs critiques sur cet article.

    1) Pour le lien entre PIB et révolution, si on connaît un peu d’histoire, on se rend compte que ce ne sont pas les prolétaires qui font la révolution. A la limite, les prolétaires sont dérangés dans leur train train quotidien qui “vapasimal” par une minorité très active, ce qui peut les pousser à changer certaines opinions pour revenir à la tranquillité (en fait ne pas être gênés). Historiquement, les démunis n’ont jamais rien fait en politique, se contentant d’exister plutôt que de vivre. “Un « coup de force » a besoin d’une part de la population suffisante qui « n’a rien à perdre »” est une phrase essentiellement fausse. Ces hordes n’ont jamais existé.

    2) Suite logique, ce sont des minorités actives plutôt prospères qui décident des changements. Qui déclenche un changement de système ? Ceux qui sont montés suivant les voies du système précédent. La Révolution Française fut en soi la révolution des fonctionnaires royaux et du monde gravitant autour d’eux. Le passage de l’Empire romain au Moyen-Âge, pareil, les nobles descendent des élites sénatoriales et des fonctionnaires impériaux avec quelques barbares fonctionnarisés en plus. Et nous pourrions voir la même chose pour presque tous les changements d’époque.

    Pour nous, on pourrait penser aux fonctionnaires (5 millions en France), aux financiers et aux réseaux des cités (islamistes et drogue). Tant qu’ils ne bougent pas, pas de révolution. Le jour où ils bougeront, le régime tombera, aussi riche et vieux soit-il.

    3) Quant aux jeunes qui ressemblent de plus en plus à des larves, on peut renverser l’interprétation en se plaçant dans l’optique de la minorité active plutôt que du mythe de la foule en colère qui prend le palais. Encore une fois, regardons un peu les techniques de subversion. Le but d’un mouvement de subversion, c’est d’obtenir non le soutien actif de la masse (très difficile à obtenir, voire impossible) mais plutôt sa neutralité face à la violence que le mouvement exerce contre le pouvoir en place. Ce que vous décrivez, c’est un jeune qui aujourd’hui n’a même plus besoin d’être subverti pour ne rien faire.

    -> Conclusion : Il peut se passer quelque chose. Si des élites (fonctionnaires, financiers, gars des cités) tentent de prendre encore un peu plus de pouvoir, ils finiront par faire changer le système. Cela se fera soit par un pourrissement graduel sur disons 20-30 ans (peut-être déjà enclenché) soit par une action violente (qui probablement échouera) suivie d’une occupation accélérée de l’Etat par ces élites (exemple du coup d’Etat manqué du KGB en Russie en 1991, suivi par une occupation de l’Etat par ces mêmes gens durant la décennie suivante).
    La population, réduite à l’état de larve, sera neutre, ce qui est optimal pour un tel scénario.

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