Immortalité et vie bonne, peut-on avoir les deux ?

Le désir de prolonger la vie et devenir immortel est présent dans le cœur des hommes depuis qu’ils ont pris conscience de leur propre fin, leur conférant ainsi la particularité qui en fait des Daseins Heidegerriens angoissés.

On note des traces de cette quête dès la première épopée qui nous soit parvenue, ceile de Gilgamesh, qui, observant la mort de son ami Enkidou, prend conscience que, tout roi puissant qu’il est, la mort sera pour lui aussi une fin inéluctable. Il se lance alors dans une course folle contre les Dieux afin de trouver le secret de l’immortalité. Cette dernière se soldera par la révélation prodiguée par Outa-Naphisti lui indiquant que le secret pour devenir immortel pour un mortel est de faire en sorte qu’on ne nous oublie pas.

“— Est-ce là le domaine d’un roi ? lui demande Outa-napishti. Les dieux ne t’ont pas offert la royauté pour que tu négliges ton jardin, pour que tu batailles au loin, que tu les jalouses au point de vouloir devenir l’un des leurs. Tu as mieux à faire. Tu es un homme, alors fais régner l’homme. En toi, en chacun.
— Est-ce que je serai immortel, ainsi ?
— Oui, tu seras immortel ! Comme tous ceux qui ont fait briller l’esprit, qui ont accompli une œuvre juste. Non seulement personne ne t’oubliera, mais chacun portera en lui une part d’humanité que tu auras donnée. Voilà comment tu deviendras immortel !
— Mais cette immortalité n’est pas la même que la tienne !
— Non ! Mais c’est celle qui te convient. Chacun raconte sa propre histoire et les histoires de chacun s’additionnent pour composer la grande histoire du monde. Ta part est immense dans ce récit. Ne la néglige pas. Accepte-la !”

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Une conclusion sensiblement similaire à celle qu’on trouvera dans le second épique connu, l’Illiade d’Homère, qui est le récit de la quête de gloire d’Achille qui voit dans cette dernière le moyen de faire persister son nom à travers les âges. Les morts chez les grecs sont sans nom, sans voix et sans visage, ils perdent toute identité. Ils reviennent dans l’apeiron, le chaos initial. Achille choisira alors la gloire héroïque, le conduisant à la mort plutôt qu’une vie paisible, entouré de ses enfants, afin d’obtenir le saint Graal de la préservation de son identité. Il restera effectivement dans les mémoires puisqu’on le connait encore aujourd’hui – sans même n’avoir jamais existé, ce qui est encore plus fort.

Cette quête de gloire afin de faire persévérer son identité est à mettre en opposition au cheminement d’Ulysse, dont le parcours sera celui de la quête de l’identité perdue qui passe par retrouver sa place parmi les siens, auprès de sa femme et son fils, dans son royaume.

Au cours de son voyage, les Dieux s’emploieront à lui faire oublier son identité par bien des procédés. Entre autre, Calypsos tentera de lui faire oublier Ithaque, sa femme, son fils en lui offrant ses charmes charnels à longueur de journée, avant de lui proposer l’apothéose, l’immortalité transformant un mortel en immortel, à la condition qu’il accepte de rester sur son île avec elle. L’île étant elle même une sorte de paradis sur Terre.

Elle ne commettra pas la même erreur qu’Aurore, déesse du matin, qui elle aussi s’étant éprise d’un mortel lui avait offert l’immortalité, sans toutefois penser à lui conférer la jeunesse éternelle, et finira avec un vieux chewing-gum rabougri trainant dans le royaume des Dieux. Mais en acceptant une telle offre, Ulysse sait bien qu’il perdrait son identité et serait condamné à la vie mauvaise. C’est pourquoi chaque soir il ira sur un rocher, au bord de la mer, pleurer toutes les larmes de son corps, jusqu’à ce qu’Athéna l’entende, car jamais il n’oubliera qui il est. Ainsi, Ulysse nous montre la voie de ce qui constitue une vie bonne, qui passe par accepter la mort et trouver sa place dans le cosmos.

” C’est pourquoi, mes juges, soyez pleins d’espérance dans la mort, et ne pensez qu’à cette vérité, qu’il n’y a aucun mal pour l’homme de bien, ni pendant sa vie ni après sa mort, et que les dieux ne l’abandonnent jamais ; car ce qui m’arrive n’est point l’effet du hasard, et il est clair pour moi que mourir dès à présent, et être délivré des soucis de la vie, était ce qui me convenait le mieux ”

Platon, Apologie de Socrate

Accepter son statut de mortel tout en repoussant la mort

Si chercher l’immortalité sans jamais trouver sa place dans le cosmos ne conduirait pas à une vie bonne, je ne vois pas pourquoi chercher à repousser la mort, tout en acceptant que nous sommes mortels, serait un problème. Si l’immortalité ne saurait être LE but en soi, elle reste une perspective désirable tant qu’elle ne nous détourne pas de la vie bonne. Cela pourrait devenir un problème seulement si, afin de préserver la vie, nous nous détournions de tout risques qui nous permettraient de trouver la gloire. Ainsi, vouloir devenir immortel, ce n’est pas refuser la mort à tout prix mais vouloir vivre pleinement. C’est simplement vouloir augmenter une potentialité sans savoir si nous l’exploiterons entièrement car dans le même temps, vivre pleinement signifie prendre des risques, quitte à se mettre en danger.

De cette façon, je ne crois pas aux erzats de vie éternelle qu’on nous propose à l’heure actuelle. La vie virtuelle dans un metaverse n’est pas la vie, mettre son esprit dans un ordinateur n’est jamais que générer un algorithme en fonction de nos souvenirs, en aucun ce ne saurait être “nous”. Un être humain ne se résume pas à son cerveau, son esprit et encore moins ses souvenirs. La cryogénisation ? c’est simplement faire un bond dans le futur, et encore, si tout se passe comme prévu. Il n’y a qu’une seul façon de repousser la mort, c’est de comprendre le mécanisme du vieillissement, et les progrès fait en la matière commencent à poindre le bout de leur nez.

La vieillesse, cette maladie curable

“Les sots pleurent les morts. Pleurons ceux qui vieillissent ;
Pleurons l’humaine vie et ses courtes délices,
Et la jeunesse, hélas, qu’un rien fait défleurir.
Vieillir, mon cher Cyrnus, est plus dur que mourir.

Théognis de Mégare, I, 525-526, 1069-1070.

Nous commençons à connaitre le fonctionnement qui amène au vieillissement, duquel s’en suit la mort car le risque de souffrir d’un ensemble de maladies comprenant l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardio-vasculaires et les AVC, la démence et le cancer, augmente rapidement avec l’âge. Il y a quelque chose dans le processus de vieillissement qui semble nous prédisposer à ces maladies chroniques, qui entraînent chez la plupart des gens de nombreuses années en mauvaise santé avant la mort. Pourtant il serait potentiellement possible de l’éviter car le vieillissement n’est jamais que des défections dans la reproduction des cellules.

Dans leur livre intitulé Pourquoi les animaux ne font pas de régime, David Raubenheimer et Stephen J. Simpson nous renseignent plus en détail sur le lien entre télomères, régime et vieillissement.

Peut-être avez-vous déjà entendu parler des télomères ? Les télomères se trouvent au bout des chromosomes ; ils empêchent ainsi ces éléments essentiels à la réplication des cellules de se défaire au fur et à mesure que nos cellules se divisent. Ils vont permettre de conserver l’intégrité des chromosomes et d’éviter les erreurs lors de la reproduction des cellules. Mais au fur et à mesure, les télomères se raccourcissent, occasionnant ainsi une augmentation des erreurs de divisions cellulaire qui conduisent au vieillissement.

Il semblerait donc que conserver des télomères le plus long possible permettrait de ralentir le vieillissement. Bonne nouvelle, on connait des pistes pour atteindre ce but. Une étude de Rahul Gorkan sur des souris a mis en avant que le régime auquel elles étaient soumises et tout spécialement le ratio de protéines avait des conséquences directes sur la taille des télomères et leur durée de vie.

Les souris suivant le régime pauvre en protéines et riche en glucides avaient des télomères plus longs et vivaient plus longtemps, contrairement aux souris mises au régime riche en protéines et pauvre en glucides, qui avaient des télomères plus courts et vivaient moins longtemps.

Phénomène intéressant, une étude a mis au jour combien de mutations en moyenne entrainent la mort chez les mammifères. Ce nombre est le même pour tous les mammifères et il est de 3200 mutations. La durée de vie est liée à la vitesse de mutation. Plus les animaux vivent longtemps, moins ils subissent de mutations chaque année. Les chiens ont 249 mutations annuelles, les lions 160 et les girafes 99, contre 47 pour les humains. D’où le secret des “années de chiens” qui visent à convertir l’âge d’un chien en âge humain pour ce que cela signifie.

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Le taux de mutation mesuré dans les cellules de les glandes intestinales est inversement corrélé à l’espérance de vie typique de chaque espèce : plus la durée de vie est courte, plus les mutations s’accumulent rapidement. En revanche, le nombre estimé de mutations à la fin de la vie est similaire chez toutes les espèces (Nature).

Alors, est-ce que l’anti-vieillissement est du “bullshit” ou est-ce que certains d’entre nous vivrons vraiment 1000 ans ? On a déjà fait des progrès énormes dans l’anti-vieillissement. On sait inverser l’effet de vieillissement à l’échelle cellulaire, les premiers médicaments qui tuent les vieilles cellules et combattent le processus de sénescence ont passé les premiers tests sur des humains et on a réussi à redonner les capacités cognitives d’une personne de 20 ans à des personnes âgées avec une stimulation électrique, enfin, ces chercheurs israéliens ont réussi à imprimer en 3D un coeur fait de tissus humains, ce qui ouvre le champs d’un possible remplacement d’organes.

Il est alors très probable qu’on parvienne à allonger la durée de vie. Jusqu’à 1000 ans ? Je ne sais pas mais est-ce seulement souhaitable ?

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Le compromis entre la vie longue et la descendance

David Raubenheimer et Stephen J. Simpson nous indiquent qu’on observe un phénomène pernicieux qui va nous placer encore une fois devant ce choix de l’immortalité ou de la vie bonne.

Au cœur de notre physiologie se trouvent deux voies biologiques opposées. Ensemble, elles orchestrent deux processus vitaux très différents dans l’ensemble du règne animal. Nous appellerons l’un de ces deux réseaux la voie de la longévité et l’autre est la voie de la croissance et de la reproduction. On observe dans le règne animal que les organismes ayant un régime avec un ratio pauvre en protéines vont augmenter leur durée de vie mais vont faire moins d’enfants. Au contraires, ceux avec un régime riche en protéine vont vivre moins longtemps mais faire plus d’enfants. ces deux systèmes s’inhibent l’un l’autre. Quand l’un des deux est activé, l’autre est désactivé, et vice versa.

Quand la nourriture et les nutriments viennent à manquer, la voie de la longévité entre en jeu et le système de croissance et de reproduction est mis en veille. Les systèmes de réparation et d’entretien des cellules et de l’ADN sont activés pour que l’animal reste en forme en attendant que son environnement change et que la nourriture redevienne abondante afin de pouvoir atteindre son objectif évolutif de reproduction. D’ici là, il demeure à l’abri au cours d’une période qui peut se prolonger. Si le monde ne change pas et que les nutriments nécessaires pour déclencher les systèmes de croissance et de reproduction restent rares, l’animal connaîtra une longue vie sans descendance.

Mais lorsque la nourriture est abondante et qu’il y a suffisamment de protéines, la voie de la longévité est mise en veille et celle de la croissance et de la reproduction s’active. Dans ce cas, l’organisme se met à fabriquer de nouveaux tissus, mais en même temps, il fait baisser le niveau d’activité des systèmes qui protègent et réparent l’ADN, les cellules et les tissus qui subissent usure et dommages.

Pour beaucoup d’entre nous aujourd’hui, ce choix n’est en rien un dilemme. Notre époque refusant l’enfantement alors nos contemporains verraient surement là une façon de faire d’une pierre deux coups en choisissant de vivre plus longtemps, en meilleure santé et, cerise sur le gâteau, sans enfants. Je ne suis pas de ceux là, et je crois que faire des enfants est la chose la plus importante pour un être humain en cela qu’elle participe à la sélection de l’information, via le processus de sélection naturelle, nécessaire au progrès. Mais ai-je raison ? Peut-on redéfinir ce qu’on appellera une vie bonne aujourd’hui ?

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