Le Futurisme comme progressisme révolutionnaire de droite (2/2)

Nous nous étions quittés sur la perception futuriste du romantisme et du passé comme frein à abattre empêchant l’évolution de l’homme et de la civilisation par le prisme de la technologie triomphante, perçue, quant à elle, comme apport positif et vecteur d’évolution. Par la suite, nous avions également vu l’opposition forcenée contre la gauche égalitariste comme utopisme aboutissant à ralentir l’évolution de l’Homme et à dissoudre les éléments permettant l’émancipation de l’ordre naturel au détriment de la puissance. Nous développerons ici la perception futuriste de l’Homme, sa place dans l’univers, et les attentes originaires du triomphe de la Technique à venir, soit l’émancipation de l’ordre naturel par l’Homme, destiné à en devenir le maître, et dès lors, à obtenir la maîtrise de sa propre destinée.

La Technique comme triomphe métaphysique de l’homme sur la nature

La Technique – comprise comme l’ensemble des procédés mis en place permettant un contrôle accru de l’environnement passant par des connaissances scientifiques aboutissant à la création d’outils – est au centre du futurisme. Annonçant les analyses de Heidegger, Marinetti associe à la connaissance scientifique la maîtrise du réel passant par une meilleure compréhension de ce dernier. La Technique permet d’avoir accès à un dévoilement des mystères entourant le sujet, permettant dès lors de mieux le comprendre pour mieux le manipuler, d’où la conviction que la science est indétachable de la connaissance, elle-même indétachable du pouvoir et de l’action. Par jeux de syllogismes, on comprend rapidement que le Pouvoir découle directement de la Science.

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Bien que se fondant sur une perception matérialiste du monde, le futurisme aboutit à concevoir une eschatologie en réinterprétant pour son compte les notions chrétiennes de parousie, identifiant la fin des temps comme la naissance de l’homme multiplié maîtrisant toutes les dimensions, l’espace et le temps, luttant contre l’entropie au moyen d’un corps artificiel et capable de se déplacer librement dans l’espace sans entrave, modelant le réel à sa guise, soit une Humanité de petits Prométhée, atteinte lors de l’aboutissement de la sacro-sainte Technique ayant résolu tous les mystères de la matière et du temps.

Anthologie de Marinetti commercialisée par la Nouvelle Librairie.

Se fondant sur la science pour abattre les fantômes des sentiments et du fait religieux, la maîtrise technique se doit d’émanciper totalement l’homme de sa nature. La Nature comme existant indépendant de l’Homme et l’ayant vu naître se fait ancêtre et représentant ultime du passé. L’essence de l’Homme étant un individu évolutif originaire d’animaux simiesques, c’est perpétuer un stade archaïque que de maintenir le lien entre l’ordre naturel et l’homo sapiens. Se faisant, le futurisme rebat les cartes en tordant les êtres naturels pour les resituer dans un contexte artificiel.

Ainsi, Marinetti cherche à bâtir de nouvelles idoles sur les fondations scientifiques, s’attachant à décrire les produits industriels en leur offrant la forme de créatures mythologiques. Il énonce ici que les produits de la Technique peuvent remplacer la portée symbolique et didactique des mythes anciens, mais également que le produit est devenu autonome et indépendant de l’Homme. Le créateur devient idolâtre de sa création de par sa propre incompréhension des processus de production, renvoyant l’Homme artificiel en face d’un moteur à explosion au même stade d’incompréhension que l’homme des cavernes ayant à observer la foudre. La figure tutélaire du chaman parlant aux Dieux se voit remplacée par l’Ingénieur comprenant le fonctionnement des objets produits.

Développant le récit d’un accident de voiture prenant la forme d’un « bon requin » à la carrosserie abandonnée telle des écailles, qui ne saurait être repêchée que par les « très hauts éperviers de fer », Marinetti associe à ces créatures toutes puissantes un rôle autrefois pourvus par les Titans prométhéens forgeant la réalité à partir de Gaïa et Ouranos. Les machines sont devenues les bâtisseurs du monde consommant l’Hubris humaine les ayant fait naître tout en en perdant la compréhension. La défense de ce fait éloigne les futuristes italiens de certains esprits de la révolution conservatrice allemande, tel qu’Ernst Niekish, fondateur du National-Bolchevisme, dont la Technophobie marquée amènera à exprimer que « la technique dévore les hommes et l’humain. Elle est chauffée avec des corps, et le sang lui sert de liquide de refroidissement. »

L’industrie modifie la réalité sensible plus sûrement que les guerres, les mythes et les religions ne le font. L’homme vient de dépasser sa simple situation originelle en se faisant être supérieur par le dépassement de ses capacités de production. Si la main aristotélicienne passait pour l’outil qui fabriquait des outils, assurant la domination de l’Homme, la révolution industrielle amène à créer des outils en fabricant d’autres tout en se répliquant : la technique autonome indépendant du facteur humain est en voie de triompher. L’homo faber ne se contente plus d’user de son intelligence pour maîtriser son milieu par des outils. Il usera désormais du milieu créé pour s’améliorer à son tour par le biais d’outils le dépassant en portée, voir le mobilisant à ses fins. La création est destinée à dépasser le créateur, et la distinction entre sujet et objet, se confondre.

Ce triomphe trouve un écho dans le rapport à la vitesse. Les avions transperçant le ciel, les voitures déclassant les chevaux (amenant à une quasi-disparition des équidés, remplacés par les moteurs à explosion) et les presses industrielles capables de produire des outils plus rapidement qu’une armée de forgerons. La production s’accélère, les distances s’écrasent virtuellement, chaque emplacement autour du globe devient accessible. Nul doute que Marinetti se serait ébahi devant le transfert de l’information passant d’une plateforme à une autre en une poignée de secondes, ou encore plus devant les innovations récentes des processeurs quantiques. L’être humain est partiellement devenu l’être artificiel, « l’être multiplié » soit celui qui traverse toutes les époques et toutes les géographies à travers toutes les vitesses et tous les différents éléments en écrasant définitivement le passéisme du fait de son incapacité à prendre le contrôle sur la nature et d’accomplir la quête de l’émancipation totale.

Messerschmitt Me262, premier chasseur à réaction de l’Histoire. Rapide, permettant au pilote de s’affranchir des contraintes physiques de son corps tout en étant voué à la destruction.

Mais cette métaphysique ne saurait être rapprochée du Prométhéisme stricto sensu. Dans un texte destiné à développer points d’accords et de désaccords avec la philosophie de Nietzsche, il sera développé que le théoricien de la Volonté de Puissance ne serait qu’un réactionnaire inassumé ne détruisant les idoles Abrahamiques pour mieux retrouver celles de l’Antiquité. Prométhée ne saurait être au mieux qu’une ébauche de l’homme originaire de l’industrie. Si le Titan peinait à influencer sur la vie, les Hommes ont appris par l’élevage à sélectionner les traits, à creuser les montagnes et assainir les lacs. L’homme nouveau a obtenu la maîtrise de la matière et de la vitesse. Le triomphe absolu ne nécessite plus que trois éléments.

Premièrement, c’est la disparition totale d’un cadre naturel hors de contrôle de la main humaine, soit le devoir d’entraver et de contrôler la marche libre de l’évolution. Une forêt cesse d’être libre que lorsqu’elle se voit recouverte d’une épaisse couche de béton et d’acier en fusion, ou qu’elle est contenue entre les murs lisses et aseptisés d’un laboratoire de recherche. L’évolution (naturelle) cesse dés lors que l’eugénisme lui substitue sa propre sélection. Si le vocable chrétien assimile au pouvoir divin la capacité de nommer les choses, c’est ici la capacité de les étudier et de les expérimenter qui apporte la maîtrise de l’étudié. Marinetti aurait surement reconnu la véracité de l’Hypothèse Gaïa assimilant la Terre “naturelle” à un vaste superorganisme afin de lui opposer la Civilisation Technique comme Titan concurrent, parasite du premier le consommant pour devenir à son tour un superorganisme au sommet de l’évolution, c’est à dire artificiel, soit destiné à le supplanter.

Le deuxième élément serait la découverte et la maîtrise de la vitesse de la lumière. Impossibilité physique, il n’empêche que s’approcher de cette capacité reviendrait à exercer un contrôle quasiment absolu, à la fois dans le déplacement au sein de l’espace que du temps. Et nul doute que ce savoir, hypothétiquement lié aux dernières avancées liées aux lois de la gravitation ne puisse permettre un meilleur contrôle de l’espace. On peut cependant noter que l’information n’a jamais été aussi rapide, et en perpetuelle évolution comme en témoigne les nouveaux processeurs quantiques. Le numérique a permis la maitrise d’une vitesse de traitement de données et de l’information qui tend de plus en plus à l’instantanéité. L’élément est déjà découvert à l’échelle du monde numérique, ne reste plus qu’à la sortir du virtuel pour l’appliquer à la géographie matérielle.

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La dernière solution énoncée dans le roman Mafarka le Futuriste, soit le premier texte employant le terme « robot » dans le sens auquel nous l’entendons aujourd’hui, c’est tout simplement la fin de l’entropie. Pour ne plus avoir à subir l’entropie, et lutter contre l’effet de dissolution du temps, il faut s’être lavé de tous nos composants biologiques. Ici, Marinetti ne fantasme ni plus ni moins que d’une Post-Humanité composée de robots conscients, capables de se réparer sans discontinuer, prolongeant l’expansion et le déplacement dans l’univers sans jamais avoir à mourir. Après la naissance des enfants robotiques, place aux posts-humains, dans une consciente Anthropologie de la Technique. Le futurisme est donc un accélérationnisme Faustien, travaillant consciemment à l’obsolescence des humains au profit d’une progéniture mécanique qui pourra continuer de s’étendre à travers l’univers, récupérant à leurs compte les ambitions de leurs créateurs déchus.

« Par la connaissance et l’amitié de la matière, dont les savants en peuvent connaître que les réactions physico-chimiques, nous préparons la création de l’homme mécanique aux parties remplaçables. Nous le délivrerons de l’idée de la mort, et partant de la mort elle-même, cette suprême définition de l’intelligence logique. »

Le T-800 de Terminator, vision à peine caricaturale du Surhomme artificiel destiné à supplanter l’Humanité.

La Nouvelle perception de la Beauté

« Admirer un vieux tableau, c’est verser notre sensibilité dans une urne funéraire, au lieu de la lancer en avant par jets violents de création et d’action. Voulez-vous donc gâcher ainsi vos meilleures forces dans une admiration inutile du passé, dont vous sortez forcément épuisés, amoindris, piétinés ? »

N’oublions pas que le futurisme s’est avant tout construit comme un mouvement artistique défendant une esthétique nouvelle auquel se rattachait l’éthique que nous avons exposés précédemment. Il ne saurait donc exister sans vitalisme. C’est la volonté de l’être de persévérer dans son être qui le pousse au mouvement permanent et à la violence. Un individu sain ne saurait se laisser vaincre et se rendre face à la dureté de l’existence. Le Monde apparaît comme un champ de bataille sans limites qu’il convient de conquérir et de soumettre à sa volonté, jusqu’à être soi-même vaincu. Cette logique à rapprocher du darwinisme social limitant l’existence à la lutte sera reprise par le fascisme, considérant que la Guerre est l’état naturel de l’Homme [1], mais également un moyen pour lui de s’illustrer et d’incarner les forces latentes de son être.

Le futurisme détruit la barrière entre l’auteur et la production, refusant l’œuvre immortelle lui survivant pour être transmise de génération en génération. L’art se doit d’être une incarnation du présent et s’y limiter, autant dans les matériaux et les méthodes que dans l’esprit.

« Nous sommes trop bailleurs, nous les futuristes, pour avoir des enfants, nous qui n’aimons que l’instinct héroïque, nous qui voulons qu’un chef d’œuvre soit brûlé avec le cadavre de son auteur, nous qui avons horreur de travailler pour l’immortalité, car ce n’est au fond là qu’un rêve d’âmes usurières. »

Le futurisme annonce l’arrivée de nouveaux critères esthétiques émancipés de l’objet en passant par l’action. Le rapport au monde qu’entretient l’objet a une portée évocatrice d’autant plus puissante qu’elle se vit avec exaltation, bien éloigné de la tranquillité d’esprit propre au processus de la spéculation contemplative, ce qui est clairement énoncé par le point 4 du manifeste de 1908 :

« Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive..une automobile rugissante qui a l’air de courir sur la mitraille est plus belle que la victoire de Samothrace. »

Si nous pouvons noter quelques excentricités telle que la cuisine moléculaire et la pratique innovante des performances de rue, c’est principalement une ontologie qui est développée. L’art ne vise plus le beau mais l’exaltation de la force brute et de la vitesse, se fondant sur la Technique. Toute forme de beauté limitant la contemplation et le rapport à la vie intérieure est combattue, Marinetti allant jusqu’à défendre le laid contre les bibliothèques et les musées, l’art devenant indétachable de critère utilitaire. Se faisant, il annonce la venue de l’art pictural non figuratif. La peinture se détachant de besoin esthétique en se contentant d’exalter le sentiment pur, ce sont les produits manufacturés destinés à la consommation qui se sont appropriés l’esthétisme, au cœur des conflits marketing.

Umberto Boccioni, L’Elasticité, ou le défi de représenter le mouvement sur une toile. Cette ambition est au coeur des arts picturaux futuristes.

Rappelons que l’ère du futurisme est celui du post-humain, soit un post-art se focalisant plus sur la matière que sur l’homme, mettant la focale sur le sujet et non plus sur l’observateur et ses attentes, ni sa perception. La peinture futuriste cherche à reproduire le mouvement, quantifiant les capacités mobiles des sujets et la force brute de ces derniers, jouant sur des contrastes de couleur pour intensifier l’impression de profondeur et de détachement de l’œuvre. Certaines figures en deviennent presque abstraites, difficilement compréhensibles pour l’observateur non aiguillé, le replaçant à sa place d’être humain, soit d’existant imparfait depuis longtemps dépassé par sa propre création. Le prodige de la peinture futuriste est de parvenir à imiter un mouvement établi dans une réalité à 4 dimensions sur une toile, par essence limitée à deux dimensions. Si l’illusion de profondeur est depuis longtemps connue, il paraît que c’est ici l’illusion du temps qui passe et qui s’exerce par les sujets qui transparaît derrière la superposition des différents états successifs des objets peints.

Les lettres futuristes feront l’objet d’un essai à part entière cherchant à révolutionner la syntaxe. Loin d’imiter Homère et ses multiples adverbes ou adjectifs, Marinetti défend la surutilisation d’analogies matérialistes, les ponctuations plus que les phrases à rallonge, et les signes mathématiques comme plus puissant et porteur de sens que les métaphores filées de l’ancien temps. Ce rapport aux signes mathématiques se fait pré-curseur du codage informatique, langage limité à l’utilitaire et à l’efficacité, soit à la réussite. Cet attachement à l’utilitaire conduira à rechercher l’abolition de la psychologie par l’obsession lyrique de la matière, associant aux personnes des conditions purement matérialistes liées à la compression, à la dilatation, à la cohésion, la disgrégation. Le vocabulaire doit d’abord être inhumain pour se destiner à toucher le post-humain. Les facultés de pesanteur, d’odeur et de bruit seront les seules scories humaines conservés par la génération à venir, qui sera capable « d’écouter les moteurs pour reproduire leurs discours », soit une génération ayant supprimée ses traits humains pour les remplacer par des outils cybernétiques permettant une meilleure compréhension des productions artificielles.

Cependant, nous devons nuancer le futurisme vis à vis de l’architecture. Un rapide regard en arrière nous permets d’observer que le progrès technique a toujours été utile pour des ambitions d’esthète lors de prouesses architecturales exceptionnelles. A l’art Capétien se succède l’art Roman, les premières arches apparaissant soutenus par des murs épais. Puis l’apparition d’arcs boutant rendus possibles par des supports externes amène à concevoir des plafonds hauts de pierre, entrecoupés de hauts vitraux laissant passer la lumière dans des bâtiments d’autant plus imposants que leurs structures sont fines. Puis le Baroque qui à son tour, procédera à une multiplication des décors et piliers décorés, le Rococo totalement dépendant des prouesses d’ingénierie de l’époque. Neo-classicisme comme néo-gothique se serviront respectivement des grandes innovations industrielles. Le futurisme à son tour dépeindra la cité parfaite, La Città Nuova composée d’une matière innovante, solide et durable dans des courbes lisses rappelant la mutabilité de la matière sous les processus novateurs de torsion de l’acier comme du verre. Le béton armé, le carton, les fibres textiles et autres composants permettant légèreté et harmonie, la beauté incontestable de la ville dépendant avant tout de la symétrie parfaite des sans fioritures. Cependant, nous pouvons extrapoler en percevant le brutalisme dans sa grandeur brutale, pauvrement décoré mais imposant dans des lignes cassantes indétachables du béton le composant, comme étant une des incarnations post-45 des postures esthétiques du futurisme. La description répétée des hautes cheminées recouvrant la Terre d’un épais nuage noir n’est pas sans rappeler les traditionnelles visions du Diesel Punk.

La Citta Nuova

Quant au cinéma, difficile de ne pas rapprocher le Metropolis de Fritz Lang de ce courant artistique, tant il semble y faire allusion. Entre la Technique triomphante, l’omniprésence de la ville, les androïdes et les robots, ou le sentiment dantesque de révolution esthétique comme morale découlant du progrès, ce film semble égérie du futurisme cinématographique [2]. Nous pouvons aussi considérer que le film Terminator décrit dans le T-800 et l’univers les voyant évoluer une interprétation à peine caricaturale de l’Homme mécanique souhaité par Marinetti.

Le robot, la civilisation hiérarchisée, la Technique triomphante, les cités rampantes sans place pour la Nature: tout y est.

Ainsi, tout esthète que nous sommes, nous devons reconnaître l’utilité de ces processus techniques permettant de varier l’accès au beau. Bâtiments écrasés composés de matériaux innovants, comme dépassant des records de Hauteur comme le fait la Burj Khalifa. Ambition pleine de grandeur tel que dans le récent projet architectural “The Line” [3], la modernité porte de manière inhérente les germes d’un approfondissement de l’esthétisme, temporaire comme touchant à l’éternité. Nul doute que la perception architecturale ait été influencée par la Tour Eiffel, incarnant l’usage des matériaux modernes à des fins de grandeur. Le futurisme a d’ailleurs paradoxalement inspiré l’architecture d’Albert Speer, architecte national-socialiste dans sa recherche de bâtiments de style antique dont les ruines mises à nu après un vieillissement millénaire était calculé pour demeurer beau et glorieux dans ses teintes de squelette de beffroi [4].

Triomphes et Erreurs du futurisme.

Marinetti croyant que la violence chère au futurisme ne pouvait s’exercer sans se mettre au service d’un pouvoir autoritaire, il participa à la création des faisceaux de combats qui furent au fondement des chemises noires mussoliniennes, et donc directement du régime fasciste. Pour autant, on peut noter le paradoxe. Si le fascisme se voulait d’essence révolutionnaire, cherchant une rupture totale d’avec le monde du passé, c’était avant tout une réaction aux apports de la modernité qui était visée.

Ainsi, bien que le fascisme ne choisisse pas Joseph de Maistre [5] comme maître, le rapport permanent aux glorieux héros romains se fera omniprésent, marquant un début de perte d’orthodoxie de la part de Marinetti. Le fondateur du futurisme, mourra d’ailleurs dans son lit, non sans avoir vanté les mérites de la violence et de l’exaltation des groupes structurés en partenariat avec l’État Italien. Se faisant, nous pouvons observer que le futurisme de Marinetti porte en lui-même les termes de l’Archéo-Futurisme de Guillaume Faye [6]. Si la Technique permet un rapport progressiste au monde, et à l’industrie, le rejet des valeurs de gauche étant des produits de la modernité, on ne peut qu’observer que Marinetti se fait inconsciemment chantre des valeurs réactionnaires existants de toute éternité [7]. La Force, l’Autorité, la Hiérarchie, la Beauté : tous ces éléments sont indétachables des ambitions de la Droite, aussi identifiables dans la contre-révolution, les antimodernes que dans les révolutions conservatrices.

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Au niveau technique, s’il est parfois déroutant d’observer que nombre des prédictions se sont révélées exactes, telle que la naissance de la cuisine moléculaire ou l’invention du robot, (mot dont il fut d’ailleurs à l’origine) d’autres furent des échecs cuisants [8].

L’ambition de réduire l’être humain à un mouvement permanent, à l’action totale, à la fin de toute pensée. Une vie de pure expérience sans aucune possibilité de vie intérieure est partiellement actée, mais loin de correspondre à l’esprit guerrier, ils se sont faits serviteurs du confort et de la simple consommation, bien loin des espoirs héroïques défendus. Le rejet du beau naturel comme scorie du passé, mièvre poésie devant s’effacer derrière la fièvre industrielle a également partiellement échoué comme le démontre l’apparition et l’expansion des courants écologistes ou collapsologistes en Occident. Si les sciences n’ont pas cessées d’avancer et trouvent un prolongement dans les États-Unis ou dans la Chine, force est de constater que la tendance à la décroissance, la mort de l’esprit Prométhéen et la tendance à l’écologisme comme ralentissement « hors-réalité » de la production au nom d’une utopie verte, elle-même bien éloignée des postures néo-luddistes [9] prend de l’ampleur.

Dans sa volonté Révolutionnaire, le futurisme a échoué, et dans sa volonté de transcendance par la Technique, il s’est fourvoyé. Les grands soutiens futuristes d’antan ont fini par convertir ce mouvement à la Réaction, mobilisant l’énergie, la vitesse et la gloire de la Technique pour les mettre au service de régimes réactionnaires visant avant tout la résurrection de l’esprit impérial, et avec eux les vertus passées, la Technique étant instrumentalisée pour aborder avec modernité le retour d’une vérité de toute éternité. Ce trait rend compréhensible le passage de Julius Evola des futuristes jusqu’aux réactionnaires, conservant cependant une fascination pour le bellicisme et le rapport triomphant et exalté du conflit comme originaire du réveil de toutes les forces internes et inconscientes de l’Homme, qu’il développera dans son essai « métaphysique de la guerre. » L’on peut d’ailleurs noter que le darwinisme social tant vanté sur les champs de batailles fut également une erreur tant la Première Guerre Mondiale a vu disparaitre d’hommes vigoureux et sains sous des bombardements auxquels il était impossible d’échapper, tandis que ceux derrière les lignes, par essence faible ou malades ont eu accès à un vivier de femmes et de veuves prêtes à les recueillir pour se reproduire.

Le Brutalisme, héritier du futurisme architectural.

De même, Marinetti percevait la question sociale avec mépris comme étant une lutte chronophage et inutile pour la concrétisation du rêve futuriste visant la vitesse et la destruction de l’ancien monde comme fin, là où le socialisme visait la création d’un autre ordre égalitaire. L’objectif de la gauche est bien loin du règne futuriste de la cruauté et de la force, celui de la hiérarchie juste perçue comme condition sine qua non de l’esthétisation du mouvement. Pourtant, les conditions avancées par Marinetti sont plus que jamais concrétisées. Des satellites explorent l’espace, le tour du monde est possible en une dizaine d’heures, l’information circule quasi-instantanément et un objet peut traverser un continent pour être livré jusqu’à un domicile précis en une poignée de jours. Plus que jamais, le monde est rapide, et l’espace écrasé. L’Humanité a abandonné sa vie intérieure au profit d’une vie extérieure limitée au corps, à l’apoplexie fiévreuse de la consommation et des marchés mondiaux dans un perpétuel mouvement inarrêtable, dominant l’ordre naturel se pliant aux nécessités humaines, comme le montre les nouvelles générations de gibiers développant un mode de vie nocturne pour éviter la présence humaine diurne, trop dangereuse pour sa perpétuation.

Pourtant, les humains n’ont jamais été si lâches, si soumis à leurs émotions, si intéressés par les circonstances précises de leurs sexualités, là où le futurisme se voulait créateur de guerriers asexués. Le quotidien vise l’immobilisme de l’existence contre la mobilité des biens et des travailleurs déracinés. La Technique et l’industrie ont transformés les hommes non pas en vecteurs de vitesse et de mouvement mais comme nœuds de consommation autour desquels stagnent les différents flux en jeux. Le métaverse voit naitre un monde virtuel promettant une liberté d’action et de déplacement totale n’étant en réalité qu’une impression illusoire de pouvoir fondée sur l’immobilisme des usagers numériques.

Si le passé a bel et bien été tué par la modernité, ce ne sont pas les valeurs héroïques de conflit permanent qui s’y sont succédées, mais la caricature paroxystique de la vie simple et confortable éloignée de tout trouble. La modernité a créé l’être immobile, tant dans sa vie intérieure que dans sa vie extérieure contre le mouvement, source du risque et de la néguentropie. La seule guerre appréciée se limite à une concurrence toujours plus entravée par un État empiétant sur son marché. On peut d’ailleurs noter que la tertiairisation de l’économie européenne ne permet qu’une évolution technologique minime (telle que la numérisation des métiers juridiques) tandis que le progrès se maintient dans les secteurs nécessaires au régalien, à savoir industrie lourde, armement et production énergétique. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la maitrise de l’atome a permis l’élaboration de l’arme la plus puissante de l’Histoire de l’Humanité, devenant paradoxalement le garant de la paix mondiale par l’équilibre de la Terreur. Plus que jamais, la destruction sert la stabilité, quand la vitesse sert l’immobilité.

La bombe nucléaire, incarnation de la Technique triomphante orientée à des fins de destruction, marquant la définitive domination scientifique de la matière.

Marinetti a échoué, et ce dernier reprenant les ambitions prométhéennes en taisant leurs noms s’est bercé de chimères en percevant une modernité sévère stimulant la volonté de puissance. À l’usine-caserne déchirant le ciel et détruisant la lune d’un fracas intolérable, il n’aura inspiré que la vie simple du consommateur sur son canapé, attendant patiemment sa commande originaire d’un flux de livraison sans fin, organisé presque militairement dans le but de cantonner les post-humains à ce qu’ils sont devenus : des êtres sans héroïsme et lâches cantonnant leur expérience de la réalité à une poignée de bâtiments [10]. Marinetti pensait détruire le monde pour bâtir le surhomme, il a conduit à détruire la vie intérieure et mutiler le monde pour ne créer que le consommateur rationnel fuyant également la vie dangereuse, se limitant à une vie extérieure de brocanteur. Le Marché a procédé a sa propre sélection en cherchant une catégorie d’Hommes sur lequel se construire dans une sortie paradoxale de la Technique en redevenant un être primitif, non pas comme être soumis à ses pulsions bestiales, mais comme individu habitué à ne plus restreindre ses pulsions. Le post-humain n’est pas le cyborg guerrier tout puissant, mais l’Homo-Oeconomicus.

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Notes

[1] Giovanni Gentile et Benito Mussolini, Manifeste fasciste.

[2] D’autant plus que le film a été conçu pour correspondre à la perception de l’économie corporatiste chère au fascisme, lui-même teinté du futurisme italien.

[3] Projet architectural visant à créer une ville futuriste technologique prenant la forme d’une longue ligne traversant l’Arabie Saoudite.

[4]  Formule de Paul Verlaine pour décrire la Tour Eiffel.

[5] Fondateur idéologue de la Contre-Révolution Française.

[6] Doctrine que l’on peut résumer comme la synthèse de la Réaction Morale et du Progrès Technique.

[7]  Par exemple, les partisans de la sophia perrenis défendant un corpus de valeurs atemporelle.

[8] Mention spéciale à son violent blâme orienté contre les pâtes italiennes, dont la portée fut proche du néant.

[9] Comme Théodore Kaczynski et Pentti Linkola.

[10] Du fait que l’expérience du réel de la plupart des individus se limite à un foyer, un établissement destiné au travail, un lieu de subsistance et un dernier pour le divertissement, compressant virtuellement la totalité de l’espace dans une poignée de bâtiments.

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