Puissance et Certitude [TNT 13]

Maintenant que nous avons posé le décor et mis en avant le rôle de l’information en tant qu’être en devenir, et expliqué le processus général, penchons nous sur ce que sont l’ordre et l’action, et comment ces deux éléments coopèrent avec l’information pour faire naître la connaissance, qui entretient un lien étroit avec la certitude.

L’ordre au service de l’action

Tous les ordres ne se valent pas ; et l’ordre pour l’ordre peut conduire au chaos. On peut tout à fait imposer un ordre qui a pour effet de réduire notre puissance.

Imaginez une société qui déciderait un jour de séparer les garçons et les filles à la naissance et qu’ils ne se voient jamais jusqu’à leur mort. Ce serait une forme d’ordre, mais je ne donne pas cher de sa peau sur le long terme, car cet ordre ne sera pas dirigé vers un but servant la production d’entropie. Ce sera donc un ordre inique dénué de puissance, son assemblage structurel ne sera pas tourné vers le but de production de l’entropie.

Cette erreur résulte de la façon commune de voir l’entropie seulement comme une mesure du désordre. Il faut en fait la voir aussi comme une mesure de l’incertitude. Un système jouit d’une puissance supérieure lorsqu’il est parvenu à générer de l’information, donc à résoudre de l’incertitude. Les organismes les plus puissants sont ceux qui vont le mieux parvenir à réduire l’incertitude en traitant de l’information leur permettant de dissiper l’énergie le plus efficacement possible. Il est donc évident que, chez les humains, les capacités cognitives jouent un rôle fondamental.

Mais leurs capacités cognitives sont en grande partie le fruit de la résolution d’incertitude précédente effectuée sur l’échelle des générations. Leur code génétique est déjà le résultat de la résolution d’incertitude ou, car c’est la même chose, de construction d’information. L’évolution va permettre de faire émerger de meilleurs assemblages permettant d’optimiser le traitement de l’information. Elle est elle-même une méthode d’apprentissage qui va construire l’information et réduire l’incertitude.

Et Gell-Mann conclut : « L’entropie et l’information sont étroitement liées. En fait, l’entropie peut être considérée comme une mesure de l’ignorance. Lorsque nous savons seulement qu’un système est dans un macroétat donné, l’entropie du macroétat mesure le degré d’ignorance à propos du microétat du système, en comptant le nombre de bits d’information additionnelle qui serait nécessaire pour le spécifier, tous les microétats dans le macroétat étant considérés comme également probables ».

Ilya Prigogine, La Fin des certitudes

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L’action comme résolution d’incertitude

« En conséquence, toute identité doit être conçue comme le résultat d’un traitement de l’information ou, si on la rapporte à l’avenir, comme un problème. »

Niklas Luhmann, La société de la société

Lorsqu’un homme et une femme s’accouplent pour donner un nouvel individu en puissance, l’incertitude réside dans la capacité à dissiper l’énergie de cette nouvelle combinaison d’information, qui se crée par la sélection de 50 % des gènes de chaque parent, accompagné de quelques mutations. Cette capacité – ou la puissance de l’individu – devra être mesurée à l’aune de ses actes. La puissance existe en elle-même, mais elle n’a de sens que lorsqu’elle est en acte, accomplie. Être en puissance, c’est ne pas encore avoir atteint sa finalité. En d’autres termes, les actes sont ce qui va réellement permettre de résoudre l’incertitude donc de réduire l’entropie.

De la même façon, l’acquisition de connaissances est une façon d’obtenir de l’information et augmenter sa puissance. Mais ces connaissances doivent permettre de conduire à l’action où cette puissance pourra se révéler en actes. Imaginez un individu qui naîtrait avec les meilleurs gènes possibles, et qui passerait tout son temps dans une bibliothèque afin d’acquérir toutes les connaissances possibles, mais jamais n’agirait. Il aurait sûrement une puissance accrue avec une grande potentialité de dissiper l’énergie sans jamais l’accomplir. Ne pouvant témoigner de sa puissance en acte, l’évolution ne le sélectionnera pas, car l’incertitude de la puissance réelle de son information génétique et de ses connaissances demeure. En théorie, la sélection naturelle devrait conserver ses gènes, mais en pratique elle ne le fera pas, car, en théorie, c’est un être excellent, mais en pratique, personne ne le sait. Être en puissance n’est donc pas une pure absence, mais une possibilité qui appelle à être révélée par les actes.

L’évolution va générer des nouvelles organisations de l’information génétique donnant lieu à de nouveaux agencements phénotypiques et sélectionner ceux dissipant le mieux l’énergie en acte. Elle va alors construire de nouvelles informations afin de faire émerger de nouveaux êtres de plus en plus puissants, permettant de maximiser la production d’entropie en acte. Une fleur sur un pommier est une pomme en puissance qui va pousser, grossir sur la branche, tomber, puis se rabougrir et pourrir. Elle va gagner en complexité et en puissance avant de décliner et mourir. De la même manière, le Soleil est une géante rouge en puissance, qui finira en naine blanche. Il suit un processus intelligent qui cherche à augmenter sa puissance, jusqu’à devenir cette géante rouge qui sera à son apogée avant de disparaître, car la règle dans l’univers, c’est l’entropie. Un humain connaîtra une première partie de sa vie faite de croissance pendant laquelle il construira l’information, avant de décliner inéluctablement à cause de la perte d’information. La vieillesse n’est jamais que la perte d’information due à la multiplication d’erreurs dans la réplication des cellules en lien avec la réduction de la taille de nos télomères. Elle est la dégénérescence du système cybernétique qui ne parvient plus à construire l’information. Les entités organisées ne sont que des exceptions temporaires dont le but est d’augmenter l’entropie à laquelle ils ne peuvent échapper eux-mêmes. Ce que l’on est doit se révéler à cet apogée de la construction de l’information avant son déclin. La flèche du temps est implacable.

Pindare avait tout compris lorsqu’il disait, « Tu dois devenir tel que tu es quand tu l’auras appris ». Nos actes doivent permettre de faire émerger et de révéler une puissance existante. Décortiquons cette phrase. Aussitôt que l’embryon est formé, l’information est sélectionnée et nous sommes déjà, en puissance, l’adulte que nous allons devenir. Comment le devenir ? Par la construction d’information, donc l’apprentissage. Cette construction d’information est en premier lieu biologique avec la réplication des cellules et tous les processus physiologiques sur lesquels nous avons peu de contrôle. Devenir ce que l’on est repose en partie sur l’information génétique dont on a hérité et va se voir limité par l’environnement dans lequel on évolue ; mais il reste une part d’expérience qui relève de nos actions et de nos choix. Ce que nous devons viser par ces choix est l’augmentation de notre puissance que nous révélerons en actes. Nous devons nous montrer à la hauteur de notre rang, devenir ce que nous sommes déjà en puissance.

Exemples

Ordre, Action, Connaissance

Comment cela s’exprime concrètement ? Si notre schéma est correct, et qu’il décrit un processus qui se répète de façon fractale, alors on devrait pouvoir l’appréhender selon des exemples choisis à différentes échelles. Prenons alors les cas d’une particule, de l’évolution darwinienne, d’une culture et d’un humain.

Nous trouverons au début les supports de l’information qui seront respectivement les qubits, les gènes et les mèmes. Le comportement d’une particule subatomique, comme un électron ou un photon, est décrit par la mécanique quantique, qui est une théorie qui permet de décrire le comportement des particules à l’échelle atomique et subatomique. Selon la théorie quantique, une particule subatomique peut se comporter à la fois comme une particule et comme une onde, en fonction de la manière dont elle est observée.

Lorsqu’une particule subatomique est observée ou mesurée, elle se comporte comme une particule, avec une position et une vitesse bien définies. Cependant, lorsqu’elle n’est pas observée, elle se comporte comme une onde, avec une position qui n’est pas déterminée avec précision et une distribution de probabilité pour sa position et sa vitesse. L’essence de la particule est la fonction d’onde, c’est-à-dire ce moment où elle existe potentiellement selon des états superposés. Son état quantique admet différentes valeurs superposées. Une fois arrivée à l’état d’existence, elle est dans la nature à l’état d’onde, elle est à même d’agir dans le monde des phénomènes et donc d’avoir une expérience. Une expérience peut être par exemple l’observation d’un humain. Par cette observation, elle adoptera une valeur déterminée en tant que particule. À l’état d’onde, on dit que cette dernière à une cohérence, puis qu’elle décohère avec l’observation. Ça parait fou, mais c’est le cas, et on l’a observé empiriquement dans ce qu’on nomme la plus belle expérience de la Physique.

Penchons-nous sur l’évolution darwinienne qui repose sur les gènes. Selon moi, elle agit également sur les mèmes, mais concentrons ici sur les gènes. L’évolution va permettre la création de génomes. Si on prend le cas des humains fonctionnant par la reproduction sexuée, lorsque le mâle et la femelle ont un coït, des millions de spermatozoïdes deviennent des candidats à la fécondation. Chaque fécondation potentielle représente une possibilité à l’état d’essence. Cependant, un seul sera sélectionné, et encore seulement dans le meilleur des cas, pour devenir un embryon avec un génotype particulier.

Le génome est l’ensemble complet de l’ADN d’un organisme, qui contient toutes les informations nécessaires pour construire et faire fonctionner cet organisme. Dans ce sens, le génome est commun à tous les individus de la même espèce, car il contient les mêmes gènes et les mêmes séquences d’ADN de base qui codent pour les mêmes protéines et fonctions cellulaires.

Cependant, chaque individu a un génome unique qui lui est propre, en raison des variations génétiques qui existent entre les individus. Ces variations peuvent inclure des différences dans la séquence d’ADN de base, des différences dans le nombre de copies de certains gènes, des réarrangements chromosomiques et d’autres variations génétiques.

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Le génotype d’un individu va être déterminé par son génome unique, et reflète les différences individuelles dans la séquence d’ADN de base, les variations génétiques et les polymorphismes qui peuvent influencer la fonction et l’expression des gènes. Le génome est l’ensemble de l’information génétique contenue dans les cellules d’un organisme, qui vient en premier, tandis que le génotype est une partie du génome qui correspond à l’ensemble des gènes d’un individu.

Par son interaction avec l’environnement, le génotype va donner le phénotype dont on pourra faire l’expérience. Quand vous croisez des gens dans la rue, vous ne voyez pas leur génotype, mais leur phénotype, et c’est seulement la connaissance de l’existence du génotype qui vous permet de l’inférer. De ces expériences entre phénotypes résulteront une connaissance et une nouvelle sélection opérée par l’évolution qui donnera de nouveaux génomes.

Mais observe-t-on quelque chose au sein de l’évolution qui se rapproche du phénomène observé de la fonction d’onde alternant entre chaos et stabilité ? Oui, ce sont les équilibres ponctués. Les extinctions de masse sont régulièrement suivies d’une floraison d’espèces nouvelles. Celles-ci occupent peu à peu les niches écologiques libérées par les espèces éteintes. La compétition entre les espèces est alors très intense. Certaines espèces dites prédatrices se développent aux dépens d’autres qu’elles prennent pour proies. Les proies tendent alors à disparaître. Se retrouvant sans ressources, les prédateurs tendent à disparaître à leur tour, ce qui permet aux proies de se multiplier à nouveau. L’environnement est alors très instable, et les fluctuations de population, importantes. Peu à peu, l’environnement se stabilise. Les populations les mieux adaptées se développent aux dépens des autres et dominent l’évolution. Inévitablement, elles épuisent leurs ressources, ce qui les fragilise. Ayant de plus en plus de difficultés à subsister, elles deviennent les victimes de leur succès. À la moindre variation de leur environnement, elles s’éteignent, entraînant souvent avec elles d’autres extinctions. D’où un nouveau phénomène d’extinction de masse.

L’évolution des espèces n’est donc pas parfaitement continue comme certains biologistes le pensaient autrefois, mais plutôt discontinue. Elle est entrecoupée de phases d’expansion rapide, durant lesquelles une grande variété d’espèces nouvelles apparaît, et de phases de stagnation, dites périodes de stase, interrompues par des extinctions brutales. Ce point de vue, largement confirmé par la paléontologie, a donné naissance à la théorie des équilibres ponctués de Stephen Jay Gould et Niles Eldredge.

Les deux modèles post-darwiniens d'évolution au niveau des espèces: A. Gradualisme phylétique. B. Equilibres intermittents (source Wikipedia).

Nous pouvons alors dresser un parallèle avec le mème. De la même façon que des niches écologiques vont favoriser certains génomes, certaines espèces, des environnements particuliers vont favoriser certaines visions du monde. La vision du monde dominante aujourd’hui et depuis les derniers siècles est l’humanisme. Par humanisme, j’entends la conviction que l’homme est un être à part dans la nature en représentant le sommet. Rompant avec le christianisme pour qui tout devait être évalué à l’aune de Dieu, l’humanisme considère que tout doit être évalué à l’aune de l’homme. Cette vision du monde donna lieu à différentes idéologies qui conservent cependant ce principe fondateur. Le libéralisme et le socialisme formeront les deux idéologies principales de l’humanisme. Le fascisme et le nazisme, bien qu’ils aient fédérés les franges réactionnaires désireuses de maintenir l’ordre ancien, étaient eux aussi des formes d’humanisme reposant toutefois largement sur l’idée du surhomme nietzschéen appelant à dépasser l’homme. Mais l’homme reste la mesure même lorsqu’on appelle à le dépasser dans la continuité de l’homme. Même le transhumanisme est en réalité un humanisme.

Au sein d’une même idéologie, on peut alors trouver différentes doctrines qui vont définir la façon d’interagir et dictent donc les codes de la praxis dont on pourra faire l’expérience. On trouvera chez les libéraux des membres de l’école autrichienne ou de Chicago, et on trouvera chez les communistes des léninistes, des stalinistes et des trotskystes. Ils partagent la même vision du monde, la même idéologie, mais leur façon d’agir va différer. L’expérience, la praxis, sera le grand révélateur de la validité d’une vision du monde, d’une idéologie et de sa doctrine. Les idéologies communistes et nazies se sont cassées les dents sur l’expérience des camps de concentration. De la même façon, mais de façon moins grave, le contournement de la carte scolaire pour éviter la diversité tant louée par les gens de gauches vient invalider leur vision du monde par leur praxis. Une vision du monde peut supporter un certain degré de divergence entre la vision du monde et la praxis qu’on pourrait appeler hypocrisie, mais elle finira par s’effondrer quand cette dernière devient trop importante. Qu’est-ce que veulent dire les conservateurs quand ils disent « Les gens de gauche sont les vrais racistes » ? Ils appuient sur le fait qu’ils partagent la même vision du monde, mais que leur idéologie est plus à même de la respecter, car leur praxis est plus en accord avec l’antiracisme, alors que les gens de gauche le trahissent. Ils ne manqueront pas de faire remarquer combien leur auditoire est bigarré. Néanmoins, ils mettront leurs enfants à la même école. La praxis est le véritable révélateur de la validité d’une vision du monde.

Le libéralisme s’est avéré être, lui, le bon élève de l’humanisme. Cependant, il pourrait bien devenir victime de son succès d’une autre façon. L’émergence de l’intelligence artificielle pourrait naturellement complètement remettre en question la vision du monde reposant sur un homme doué de raison émancipé de la nature. La cohabitation avec de nouvelles formes d’intelligence équivalentes, voire peut-être supérieures, pourrait nous propulser dans une nouvelle vision du monde post-humaniste.

L’intelligence, n’échappe pas à ce schéma. Prenons maintenant un humain. Disons qu’un alpiniste est en train de grimper une montagne et penchons nous sur le prochain mouvement qu’il va effectuer. Il naît évidemment dans un certain contexte qui relève de son expérience précédente. Il est au milieu de la montagne dans une position particulière avec des possibilités de prise particulières. Toutes ces informations constituent des mèmes qu’il va traiter par son cerveau. Il va envisager plusieurs possibilités pour son prochain mouvement, et même peut être penser cela en fonction des mouvements suivants. Il a donc plusieurs idées qui vont former ses possibilités. Il va finalement en sélectionner une qu’il estime meilleure que les autres qui vont conduire à l’existence d’un geste. Il fait ce choix selon une connaissance pratique, a priori. Disons qu’il choisit de bouger son bras droit pour attraper une nouvelle prise. Cela constitue son action. Il va finalement avoir une expérience dans son interaction avec la montagne qui va générer une nouvelle information, une nouvelle connaissance, mais cette fois empirique, a posteriori. Peut-être que finalement la roche était plus poreuse qu’il ne l’imaginait, il dérape et perd prise. Ses possibilités sont maintenant limitées, il subit la chute et s’effondre au sol. Expérience finale, ses possibilités sont maintenant nulles et il perd l’état d’existence.

Il aurait cependant pu faire un geste différent. Ces deux possibilités étaient toutes les deux réelles. Comme le chat de Schrödinger, notre alpiniste, à chaque nouvelle prise, est à la fois mort et vivant jusqu’à ce que l’expérience révèle son état.

Mais pourrait-on observer un fonctionnement du cerveau allant dans le sens de nos dires ? Il semblerait que le cerveau dispose de particularités qui ne sont pas sans rappeler le fonctionnement d’une particule et les équilibres ponctués de l’évolution. Il alterne entre des phases de chaos et de stabilité ont découvert Avniel Ghuman et Maxwell Wang de l’Université de Pittsburgh. Selon Rick Adams, psychiatre et neuroscientifique à l’University College London qui commente leur étude, « C’est un peu comme si l’on secouait une boule de neige – on introduit une variation aléatoire et l’on espère que si l’on passe par un certain nombre de configurations, la configuration optimale émergera d’une manière ou d’une autre. « Il y a des états stables et des transitions imprévisibles et volatiles », explique Hayriye Cagnan, neuroscientifique à l’université d’Oxford.

Il est alors possible de voir des similarités entre l’effondrement de la fonction d’onde en physique quantique et la notion de bifurcation dans l’acte de penser, bien que les deux concepts soient très différents dans leur nature et leur contexte. De façon similaire à l’effondrement de la fonction d’onde, dans le contexte de la pensée humaine, la bifurcation peut être vue comme un point de décision où un individu choisit un chemin parmi plusieurs options possibles. Par exemple, lors de la résolution d’un problème, on peut envisager plusieurs solutions avant de choisir la meilleure ou la plus appropriée. À ce stade, la pensée « bifurque » vers une direction spécifique. Elle choisit l’idée qui sera exprimée dans l’environnement.

Les ondes cérébrales sont des oscillations électriques produites par l’activité synchrone des neurones et peuvent être mesurées à l’aide d’électroencéphalogrammes (EEG). Elles sont généralement classées en fonction de leur fréquence, et différentes fréquences sont associées à différents états cognitifs et émotionnels. Des changements de fréquence dans l’activité cérébrale peuvent être observés lors de certaines bifurcations ou points de décision dans le processus de la pensée.

Il existe cependant une grosse différence entre les entités microscopiques comme les particules et les entités macroscopiques comme les organismes. Ces derniers ne semblent pas décohérer comme le font les particules. Vous n’êtes pas à plusieurs endroits en même temps jusqu’à ce que quelqu’un vous observe. Les humains, comme tout objet macroscopique, sont composés de particules qui sont soumises aux lois de la mécanique quantique. Cependant, en raison de la taille, de la complexité et du nombre de particules qui composent un être humain, les effets quantiques sont généralement négligeables à notre échelle. Les interactions constantes avec notre environnement causent une décohérence rapide des états quantiques, ce qui fait que les humains et les objets macroscopiques en général sont décrits par la physique classique dans la vie quotidienne.

On retrouve ici la pensée aristotélicienne de la psychè (ou l’âme) qui va faire le lien entre la métaphysique et la physique. Selon Aristote, l’âme est l’essence de l’être vivant et elle est responsable de ses mouvements et de son comportement. L’âme est également liée à la métaphysique, car elle est considérée comme la forme ou l’essence de la vie, qui est un aspect fondamental de l’existence.

La question de la connaissance et de la psychè nous amène nécessairement à l’idée de la conscience. Nous accorderons un chapitre entier à ce sujet, mais en guise d’introduction, j’aimerais vous présenter ce que Whitehead en dit. Alfred North Whitehead définit la conscience comme la forme subjective d’un contraste entre ce qui existe dans les faits et ce qui pourrait être.

Ce contraste est ce que l’on a appelé le « contraste affirmation-négation ». C’est le contraste entre l’affirmation d’un fait objectivé dans le sentiment physique, et la simple potentialité, qui est la négation de cette affirmation, dans le sentiment propositionnel. C’est le contraste entre « en fait » et « pourrait être », en ce qui concerne les cas particuliers dans ce monde réel. La forme subjective du sentiment de ce contraste est la conscience.

Alfred North, Process and Reality

Autrement dit, en se référant à notre schéma, la conscience relève de l’essence. Nous observons ce qui existe en fait, mais nous sommes conscients des possibilités de ce qui pourrait être.

La conscience nous amène, elle, à comprendre que la connaissance se laisse découvrir de façon subjective. Elle existe indépendamment de l’observateur, mais ledit observateur va la découvrir petit à petit, grâce à l’expérience, en augmentant son degré de certitude au fur et à mesure. Il va la découvrir via l’observation de sa propre expérience, mais aussi celle d’autrui. Mais alors, cela signifie que la connaissance existe indépendamment de l’observateur qui la découvre. Il y a simplement ce que l’on sait qu’on sait, ce que l’on ne sait pas qu’on sait, ce que l’on sait qu’on ne sait pas et ce que l’on ne sait pas qu’on ne sait pas. Tout est donc une question d’ignorance et de certitude.

Alors, ce que nous avons placé au centre de notre schéma en le qualifiant de puissance, extropie et être, pourrait tout aussi bien se nommer la certitude. Augmenter notre puissance, c’est augmenter notre capacité à prédire des événements futurs, les certitudes qu’on a sur le monde. Quand un boxeur s’entraîne en vue d’un combat, il va gagner en puissance, cette puissance n’est rien d’autre que sa capacité à prédire l’issue du combat qui sera révélée, par l’action, dans le futur. Peut-être utilisera-t-il pour cela des injections de testostérone, car la testostérone augmente la puissance physique en favorisant l’hypertrophie musculaire. Sans surprise, elle a aussi pour effet d’augmenter la confiance en soi et la certitude que l’on porte sur nos croyances.

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Ce qui est subjectif, c’est la certitude, non le savoir. 

Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus

275. Si l’expérience est le fondement de cette certitude qui est nôtre, alors c’est naturellement l’expérience passée.

Et ce n’est pas, dirons-nous, seulement mon expérience, mais encore celle des autres dont je me trouve avoir eu connaissance.

Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus

Par conséquence, si on doit être capable de savoir ce qu’on sait ou ne sait pas, nous avons besoin d’un meta-savoir qui va définir les conditions du savoir. De là né logiquement le besoin de l’épistémologie en tant qu’étude des moyens de production de la connaissance. Elle va questionner notre rapport à ce qu’on tient pour vrai ou faux. On peut tout à fait être certain d’une chose qui est pourtant fausse. Être certain d’une chose nous offre la puissance d’agir. Pourquoi des terroristes islamistes tuent sans y réfléchir à deux fois des mécréants ? Car ils ont la certitude qu’ils seront récompensés pour ce geste. Cela leur confère une puissance relative. Cependant, leur épistémologie est inférieure à la méthode scientifique et ils se feront balayer par une culture disposant de certitudes découlant d’une épistémologie supérieure, qui sera, de facto, plus puissante qu’eux. Avoir une certitude sans adopter une épistémologie adéquate revient à s’exposer à un potentiel apprentissage de la vérité de la façon la plus dure, par l’affrontement. Si la certitude de l’issue d’un conflit existe alors le conflit ne peut avoir lieu. La guerre reste le grand révélateur avec lequel on ne peut tricher. Mais le doute, bien qu’extrêmement nécessaire, ne doit pas conduire au relativisme pour autant. Et c’est pourquoi les zététiciens sont aussi nécessaires qu’horripilants, et ce, depuis les sophistes.

C’est l’époque du scepticisme des sophistes qui posent la question du Comment savons-nous ?

Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale

En ce qui concerne les dieux, je ne suis pas sûr s’ils sont ou ne sont pas, ni quel peut être leur aspect, car bien des choses empêchent la certitude à cet égard, entre autres l’obscurité du sujet et la brièveté de la vie humaine. 

Protagoras, Sur les dieux

Un individu et une société fonctionnelle doivent être capables de trier les informations et les ranger dans les cases respectives et attribuer un degré de certitude. La maïeutique de Socrate n’est jamais que porter à notre connaissance des choses qu’on savait déjà sans encore savoir que nous les savions. Il y a cependant une case pour laquelle cela est impossible, celle contenant ce qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas. Elle est la case contenant encore les secrets cachés de l’univers ou du moins, encore cachés pour nous, mais ils existent déjà évidemment. Nous n’inventons rien, nous ne faisons que découvrir une chose existante, la dévoiler.

Nous parvenons ainsi à la conclusion que l’opinion appartient au monde des sens, tandis que la connaissance provient d’un monde supra-sensible et éternel. Par exemple, l’opinion s’intéressera aux choses particulièrement belles, mais la connaissance s’intéressera à la beauté elle-même.

Bertrand Russell sur Platon, Histoire de la philosophie occidentale

Nous devons nous méfier de nos certitudes. Cela amènera Popper à affirmer que nous pouvons atteindre la vérité, parfois, mais pas la certitude. C’est parce que Popper défend un réalisme critique, qui affirme que nous pouvons avoir une connaissance objective du monde, mais que cette connaissance est toujours conjecturale et susceptible d’être réfutée. En d’autres termes, nous pouvons découvrir des vérités sur le monde, mais nous ne pouvons jamais être certains que ces vérités ne seront pas remises en question à l’avenir par de nouvelles découvertes ou de nouvelles théories.

Mais, in fine, si l’épistémologie constitue un meta-savoir, cela signifie qu’elle relève du meta-système qui impose les conditions d’existence aux parties. Le véritable filtre qui va sélectionner le vrai du faux, c’est le meta-système lui même comme le fait l’évolution darwinienne pour les éléments constituant la biosphère. L’épistémologie, en permettant d’évaluer ses certitudes, doit permettre d’augmenter ses chances d’être sélectionner par le meta-système.

À la manière de la sélection naturelle, la science progresse par la méthode de l’essai et de l’erreur, impliquant la formulation d’hypothèses et leur réfutation. La formulation d’une hypothèse est l’essai, et sa réfutation est l’erreur. Cette approche, connue sous le nom de falsificationnisme, suggère que les théories scientifiques ne peuvent jamais être prouvées de manière définitive, mais peuvent seulement être réfutées. Les hypothèses et les théories sont comme des organismes : ceux qui survivent à la réfutation (la sélection) sont conservés, tandis que ceux qui sont réfutés sont éliminés. Il s’agit d’un processus continu d’adaptation et d’amélioration de notre connaissance du monde.

Mais si Popper pense qu’on peut atteindre la vérité mais jamais la certitude, je crois plutôt de façon inverse qu’on peut souvent atteindre la certitude mais jamais la Vérité. Reconnaître cela, c’est admettre qu’on ne peut jamais juger de ce qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas qu’à l’aune de ce qu’on sait déjà. Il est alors impossible de mesurer notre degré d’ignorance. Reconnaître cela est le signe d’une sagesse que Nicolas de Cues nomme la docte ignorance. La docte ignorance est pour lui la seule attitude possible face à l’être, c’est-à-dire face à Dieu. Dieu représente le niveau suprême de l’être et plus généralement de toute perfection : Dieu est ce qui ne peut être surpassé. Tel que l’a précisé John Duns Scot, Dieu est infini. Cependant, entre l’infini de Dieu et la finitude de l’homme, aucune proportion ne peut exister. Alors, tout puissant et intelligent que l’on puisse être, sachons rester conscients de l’étendu de notre ignorance.

Le plus noble bonheur de l’homme qui pense, c’est d’avoir exploré le concevable et de révérer en paix l’inconnaissable.

Goethe

Méfions-nous de nos certitudes, mais méfions-nous aussi de nos doutes qui pourraient nous faire tomber dans le relativisme. Après tout, si on ne peut jamais être sûr de rien alors pourquoi apprendre des choses en premier lieu ? Nous devons quand même accepter de tenir des choses pour vraies et agir en conséquence, quand bien même nous sommes conscients qu’elles pourraient être réfutées dans l’avenir.

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