Prométhée et Adam et Ève, les mythes fondateurs face à la modernité

Le Grand Renan écrivit un jour dans un livre intitulé Origine du christianisme, la vie de Jésus que “les races sémitique et indo-européenne” furent les “deux grandes races qui ont, en un sens, fait l’humanité”. Nietzsche, non moins grand à mon sens, dira de son côté dans son livre La naissance de la tragédie qu’il pourrait “n’être pas invraisemblable que ce mythe (Prométhée) eût pour la nature aryenne précisément la même signification caractéristique que la légende de la chute de l’homme pour la race sémitique, et qu’il existât entre ces deux mythes un degré de parenté semblable à celui d’un frère et d’une sœur.”

Des mythes fondateurs jumeaux ?

Imaginez une seconde Renan et Nietzsche sur un plateau télé énonçant cela aujourd’hui entre Rokhaya Diallo et Yassine Bellatar… LOL. Bref, pourquoi disent-ils cela ? En quoi ces mythes auraient-ils fait l’humanité ?

Il existe un parallèle évident entre l’esprit Prométhéen et le rôle conféré à l’Homme par Dieu dans l’Ancien Testament. Dans les deux cas, ils sont appelés à s’emparer de leur environnement afin de le dominer. Nietzsche ira jusqu’à y voir un lien de parenté entre les deux, mais ils recèlent d’une différence importante.

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Adam et Ève, la capacité d’action comme transgression coupable

Dans l’Ancien Testament, on le voit dès la genèse, les hommes sont les favoris de Dieu qui crée les choses dans un ordre précis, gardant ces derniers pour la fin. De la même façon, il ne parle pas aux plantes, ni aux animaux, sort qu’il réserve aux Hommes qu’il a fait à son image, capables d’agir comme lui. Il leur donne alors quelques règles de vies, “Soyez féconds” mais surtout “assujettissez les poissons”, les oiseaux et tout animal qui se meut sur Terre.

27 Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme.
28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.”

Bible, Génèse

Par ces mots, Dieu exhorte les Hommes à agir dans un but bien précis, prendre soin de la création, et c’est parce qu’ils ont un rôle bien défini qu’il ne leur offre pas la connaissance, source d’autonomie dont ils n’ont pas besoin. Il faudra attendre que la pauvre Ève soit dupée par le serpent la poussant à manger la pomme, les entraînant Adam et elle vers une chute du jardin d’Eden pour que l’Homme accède à ce précieux sésame. Possédant la connaissance et le libre arbitre, les Hommes disposent à présent de la capacité à s’émanciper de leur devoir, mais cela constitue une transgression. Cette transgression, ces péchés, Jésus viendra les racheter en le payant de sa vie.

Prométhée, la capacité d’action comme don divin dont on est redevable

Pour ce qui est de Prométhée, c’est un peu plus délicat à bien le comprendre. Dans la mythologie grecque, qui n’est pas canonisée comme l’Ancien Testament, il existe plusieurs versions de ce mythe. Cependant, le fond ne change pas et voici les grandes lignes du récit. Épiméthée, le frère de Prométhée avec Atlas complétant cette fratrie, est chargé de donner des caractéristiques aux organismes peuplant la Terre. Il va alors prendre soin de faire en sorte d’aboutir à un tout équilibré, un bon écosystème. Mais dans sa précipitation, il oubliera d’offrir la moindre caractéristique aux Hommes. A priori, c’est une catastrophe pour l’Homme. Il se retrouve nu et sans particularité pour faire face à un monde rempli de dangers. Mais cette déconvenue va se transformer en une chance.

Ne pas avoir de compétences, c’est aussi ne pas avoir de rôle à jouer dans l’écosystème qu’a mis en place Épiméthée, et c’est bien là la différence avec le mythe d’Adam et Ève. Ainsi, sans rôle, l’Homme est condamné à errer sans but. Sans but, mais donc libre. Une liberté potentielle qui se voit cependant limitée par sa capacité d’action, puisque n’ayant aucune compétence. C’est là qu’intervient Prométhée qui va faire le plus beau cadeau aux Hommes.

Prométhée va voler le feu dans le royaume des Dieux afin de l’offrir aux Hommes pour leur conférer la raison et la technique. C’est ainsi que l’Homme va pouvoir rendre effective cette liberté en puissance en lui donnant la capacité d’agir. Il peut désormais régner sur la création grâce à ces deux outils que lui a donné son Dieu bienveillant.

On trouve alors dans les mythes un Homme émancipé de son rôle, ayant acquis une liberté et sa capacité d’agir au prix de la transgression. Une transgression qui lui attirera le courroux des Dieux qui n’auront de cesse de lui imposer des limites et de lui opposer des obstacles dans son ascension. Mais dans un cas, la transgression est effectuée par un Dieu et dans l’autre, par l’Homme lui-même.

Simple parenthèse : il y a aussi une histoire de pomme dans la mythologie grecque avec la pomme de la discorde qui entrainera la Guerre de Troie. Dans le doute, évitez les pommes.

Les parents de l’humanité ?

Je m’appuierai pour la suite de l’article sur le livre brillant de Pierre Manent intitulé Les métamorphoses de la cité dans lequel il met en avant quelques particularités de l’Occident qui fut, que ça nous plaise ou non, influencé par ces deux mythes fondateurs. Pierre Manent nous explique que L’Homme a toujours agi, mais il n’a pas toujours su qu’il avait la capacité d’agir. Il pêche, il chasse, il cueille, il fait la guerre, mais il s’en remet toujours aux Dieux et agit le moins possible en s’entravant de toutes sortes d’interdits, de rites, de limites sacrées. Comme nous l’avons vu plus haut, l’action humaine autonome, émanant de l’humain et non des Dieux, est vue comme une transgression. Lorsque l’Homme obtient le feu et le conserve, il le voit comme une transgression, un vol effectué aux Dieux.

Mais que l’homme pût disposer librement du feu, qu’il ne le reçût pas comme un présent du ciel, éclair qui enflamme ou rayon de soleil qui réchauffe, cela paraissait, à l’âme contemplative de ces hommes primitifs, un sacrilège, un vol fait à la nature divine. Et ainsi le premier problème philosophique établit entre l’homme et le dieu un douloureux et insoluble conflit, et le pousse, comme un bloc de rochers, en travers du seuil de toute civilisation. Ce que l’humanité pouvait acquérir de plus précieux et de plus haut, elle l’obtient par un crime, et il lui faut en accepter désormais les conséquences, c’est-à dire tout le torrent de maux et de tourments dont les immortels courroucés – doivent affliger la race humaine dans sa noble ascension

Nietzsche, Naissance de la tragédie

C’est seulement avec l’apparition de la cité grecque que l’Homme va réellement commencer à prendre son autonomie. La cité est l’endroit où l’action humaine prend vraiment son sens, c’est là qu’il apprend à se gouverner ainsi qu’à y concevoir des projets. C’est par ce biais que nait le politique, domaine de l’action par excellence. Quand Renan dit que les races sémitique et indo-européenne ont fait l’humanité, on pourrait aussi comprendre qu’elles ont porté le projet politique le plus aboutit dans le monde entier, la modernité, qui est, à bien des égards, une forme de christianisme sécularisé porté par les Européens. Le monde s’est occidentalisé.

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L’Occidentalisation du monde ou la naissance de l’humanité

Pierre Manent s’interroge alors de savoir quelles sont les spécificités de l’histoire occidentale. Cette spécificité est pour lui à chercher dans le mouvement, ce phénomène qui permet d’offrir une histoire à la civilisation occidentale, là où toutes les autres n’ont jamais eu que des chroniques. C’est la pression de l’Occident qui les poussera à entrer dans l’histoire.

“Il y a de grandes civilisations hors d’Occident, et il s’y passe beaucoup de choses, mais elles ont ignoré le mouvement, le mouvement historique – elles avaient des chroniques et non pas une histoire –, du moins avant que la pression ou l’agression de l’Occident ne les fasse entrer dans l’histoire. Il y a dans l’Occident un principe singulier de mouvement, et c’est ce qui le caractérise d’abord.”

Pierre Manent, Les métamorphoses de la cité

On tient souvent le christianisme comme l’élément permettant de voir le temps de façon linéaire – là où les païens ne voyaient que les choses cycliquement – condition pour commencer l’histoire. Pierre Manent s’inscrit en faux. Ce sens du mouvement a selon lui commencé dès la cité grecque. Elle est comme l’étincelle qui lance l’histoire de l’Occident qui ne cessera de se réinventer, d’innover, afin de trouver des formes politiques lui permettant de toujours persévérer dans son être et de perfectionner ce qui avait commencé avec la cité.

À la cité grecque lui succèdera l’empire, l’empire occidental différant de l’empire oriental en cela qu’il est justement un prolongement de la cité et non un despotisme. L’empire Romain se bâtit avec une promesse, renoncer à la liberté de la cité contre l’unité et la paix. Une promesse qu’il aura du mal à tenir et ne pourra éviter l’effondrement. Mais l’idée sera reprise sous une autre forme, celle de l’Église catholique, donc universelle, qui promettra de réunir tous les hommes dans “une communion nouvelle, plus étroite que la cité la plus close, plus étendue que l’empire le plus vaste”. Si elle échouera elle aussi à tenir entièrement ses promesses, le christianisme reste la première religion du monde étendue sur toute la surface du globe et, à bien des égards, le christianisme a imprégné la modernité que certains voient comme un christianisme sécularisé.

Les Européens seront dès lors constamment tiraillés entre la cité, l’empire et l’Église, dont les aspirations entreront en conflit régulièrement. Le projet moderne sera de parvenir à sortir de ce conflit. Pour cela, la question des institutions sera évidemment fondamentale mais une autre la surdétermine : quel type d’homme doit-on prendre pour modèle ? Doit-on suivre le modèle d’une vie humble faite de sacrifices comme le Christ ou doit-on mener une vie active et héroïque du citoyen guerrier que l’on retrouve dans les cités grecques et romaines ?

La réponse est dans les mythes fondateurs. Est-ce que notre liberté et notre capacité d’action est une transgression dont nous devons nous sentir coupable comme dans le mythe d’Adam et Ève, ou simplement redevable comme dans le mythe de Prométhée ? Et donc, est-ce qu’on doit se sentir redevable de Prométhée d’avoir payé pour nous le prix de notre capacité d’action ou redevable de Jésus d’avoir payé pour nous le prix nos actions ? Enfin, est-ce qu’on doit respecter la création de Dieu ou d’Épiméthée sous peine de bousculer un ordre fragile ?

Les bio-conservateurs et les écolos percevant l’action humaine comme une transgression choisiront Jésus et Épiméthée, moi, je choisis Prométhée.

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1 comment
  1. Très intéressant. On a tendance à négliger l’impact des mythes sur une société. (C’est précisément ce que j’essaye d’étudier sur mon blog : les liens entre spirituel et société)

    Ça ne change pas le sens de l’article, mais il me semble bien qu’Adam et Eve n’ont pas reçu la “connaissance”, mais la “connaissance du bien et du mal” et qu’ils ont été chassés de l’Eden non pas à cause de la connaissance, mais pour qu’ils ne goûtent pas du fruit du 2ème arbre, celui de l’immortalité et deviennent “semblable à Dieu”. C’est important parce que Jésus qui ressuscite et qui délivre sa promesse, c’est rapport à l’immortalité ; Ça boucle la boucle.
    Cependant, le mythe chrétien est perclus de contradictions et personnellement, je n’ai jamais pu considérer les hommes comme des pécheurs. Ça n’a aucun sens pour moi.
    Ici-bas, la vie n’est pas facile. Il n’y a jamais eu d’Eden, on a toujours dû se battre pour survivre.
    Je ne nie pas l’importance de ce mythe en Occident. Je dis juste qu’il est inepte en ce qui me concerne.

    Vous dites “Les Européens seront dès lors constamment tiraillés entre la cité, l’empire et l’Église”, et je comprends bien que c’est la notion qui découle naturellement de votre développement qui précède.
    Pour ma part, je dirais qu’on est tiraillé entre le marché, l’état et l’église. C’est assez proche de ce que vous dites, mais l’empire étant l’extension de la cité, je trouve que c’est un peu redondant. Un empire, c’est une cité qui a réussie ! lol

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