Physicalisme, conscience et cybernétique – Préambule à une vision du monde prométhéenne (2/2)

Cet article fait suite à celui intitulé Morale Aristo-Archiloquienne la vie au service de l’information et l’être, en tant que complément à ce dernier et en préambule au prochain article de la série qui définira une vision du monde prométhéenne. Il est recommandé de lire la suite d’articles dans l’ordre, mais je choisis cependant de mettre cet article en dehors de la série car nous touchons ici à des sujets pour lesquels il n’y a pas de certitudes.

Au-delà de la physique quantique, un autre phénomène est venu bousculer la vision matérialiste. La conscience. Pourquoi y a-t-il de la conscience dans l’univers ? Comment les processus physiques donnent-ils naissance à la conscience ? Comment peut-il y avoir une expérience subjective dans un monde objectif ? À l’heure actuelle, personne ne connaît les réponses à ces questions pourtant cruciales. Et si j’ai défini le “sens de la vie” comme la création d’entropie, on peut toujours se demander pourquoi nous créons de l’entropie en premier lieu, ou encore pourquoi cette dernière est liée à l’information détenue par un observateur doué de conscience.

Un questionnement récurrent parmi les spécialistes des sciences cognitives, qui ne savent pas encore l’expliquer. C’est ce que David Chalmers appelle le “problème difficile” de la conscience (the hard problem of consciousness).

Pour le résumer simplement, il y a les problèmes faciles, qui relèvent directement de fonctions nécessaires à la vie dont on arrive pleinement à concevoir l’intérêt et à observer l’activité cérébrale associée. Mais il y a ce phénomène qu’on n’arrive pas à expliquer, qui relève de l’expérience subjective. Cela dépasse donc la psychologie qui va étudier scientifiquement l’esprit, pour toucher à la phénoménologie, la manière dont les humains interprètent leurs expériences subjectives.

Lorsque vous observez mon cerveau au scanner, vous pouvez voir l’activité cérébrale d’un état mental, mais vous ne pouvez pas ressentir l’expérience de cet état mental que je vis subjectivement, appelé qualia. Quel est ce phénomène si spécial et subjectif, ce fait de ressentir une expérience et d’être conscient que nous sommes en train de ressentir une expérience ? C’est cela que David Chalmers nomme le problème difficile de la conscience. Est-ce que nous serons capables de l’expliquer pleinement par des phénomènes physiques ? Est-ce une simple illusion ? Est-ce une propriété fondamentale de l’Univers qui serait d’abord esprit et non matière ? Et, dans ce cas, est-il utopiste de penser qu’on pourrait un jour insuffler la conscience à une machine ?

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Les différents points de vue sur la conscience

Il est possible de considérer deux points de vue sur la nature de la conscience, eux-mêmes subdivisibles : les monistes et les dualistes.

1) Les monistes, les matérialistes, ou plutôt les physicalistes, car ils ont fait évoluer leur vision du monde pour dépasser la simple matière et inclure tous les phénomènes physiques, pensent que la conscience est le résultat des lois de la physique.

1.a) les fonctionnalistes sont largement majoritaires et pensent que ces phénomènes sont purement physiques, que la conscience est une propriété émergente et qu’on saura, dans un futur plus ou moins proche, expliquer ce qui est encore inexplicable aujourd’hui. On trouvera parmi ceux-là des gens comme Stanislas Dehaene.

1.b) Les illusionnistes, des matérialistes un peu particuliers, qui pensent que la conscience n’existe pas et qu’il ne demeure qu’une illusion de conscience. Par exemple, le psychologue britannique Max Velmans soutient que presque tout vient de l’inconscient et que la plupart de nos fonctions cognitives, sinon toutes, continueraient de fonctionner de la même façon si nous étions des zombies. Le meilleur moyen de sauver le matérialisme serait alors de ne même pas tenter d’expliquer le problème difficile de la conscience et de simplement le nier. On ne peut pas l’expliquer, alors c’est que ça ne doit pas exister. Voilà le point de vue des illusionnistes dont on tient pour le père Daniel Dennett. David Chalmers confie également que s’il était matérialiste il serait aussi un illusionniste. Cette illusion serait un trait favorable sélectionné par l’évolution. Mais cette dernière favorisant seulement notre capacité à interagir avec notre environnement, ne nous aurait pas doté des capacités nécessaires à comprendre ce qu’est ce phénomène de conscience qu’on pense ressentir.

2) Les dualistes pensent que les lois de la physique sont les résultats de la conscience et donnent donc le primat à l’esprit. Au sein de cette famille on trouvera deux autres hypothèses :

2.a) Les panpsychistes, lesquels confèrent une conscience à tout élément et dont certains se défendent d’être dualistes. Ils établissent néanmoins une différence entre corps et esprit. Ses représentants seront, entre autres, Galen Strawson et David Chalmers. Le terme fut introduit par le philosophe Thomas Nagel, et désigne une vision de la conscience dans laquelle cette dernière est présente partout, même dans la moindre particule comme les protons et les électrons, mais pas nécessairement dans un caillou comme je l’entends dire parfois. Pour eux, il serait nécessaire de penser le monde en y intégrant de nouveau l’esprit. Sans cela, comment pourrions-nous expliquer certaines choses comme l’intentionnalité ou encore le sens que l’on attribue aux choses ? Et cette intentionnalité, signe de conscience se retrouverait dans les plus petites cellules comme dans la vidéo ci-dessous montrant un globule blanc chassant une bactérie.

“Les grandes avancées des sciences physiques et biologiques ont été rendues possibles en excluant l’esprit du monde physique. Cela a permis une compréhension quantitative de ce monde, exprimée par des lois physiques intemporelles et formulées mathématiquement. Mais à un moment donné, il sera nécessaire de repartir sur une compréhension plus globale qui inclut l’esprit. […] D’un côté, il y a l’espoir que tout peut être expliqué au niveau le plus élémentaire par les sciences physiques, étendues à la biologie. De l’autre côté, il y a des doutes quant à la possibilité d’accommoder la réalité de caractéristiques de notre monde tels que la conscience, l’intentionnalité, le sens, le but, la pensée et la valeur dans un univers constitué au niveau le plus élémentaire uniquement de faits physiques – des faits, aussi sophistiqués soient-ils, du type révélé par les sciences physiques.

Thomas Nagel, Mind and Cosmos

2.b) les idéalistes, lesquels tendent à penser que ce qu’on nomme “réalité” ne serait en fait qu’une représentation de la réalité générée par notre conscience et que la réalité nous est imperceptible. On trouve dans ce groupe Bernardo Kastrup et son idéalisme naturaliste qui se veut étayé et en accord avec les connaissances actuelles. Il demeure assez stimulant pour l’esprit, même s’il peine à me convaincre. Pour lui, les panpsychistes ne vont pas assez loin, la conscience n’est pas seulement dans une myriade d’éléments, elle est réellement partout. Il s’inscrit dans les pas de Schopenhauer et Schrödinger en présentant une vision du monde dans laquelle le cosmos est une conscience unitaire ayant une expérience, et nous sommes chacun des “alters” de cette conscience. De la même façon qu’on peut observer les interactions matérielles qui s’établissent au sein du cerveau humain grâce à des capteurs sans qu’on ne puisse ressentir ce qu’une autre personne ressent, le cosmos serait semblable à une énorme conscience ayant une expérience dont on ferait partie. Autrement dit, comme Schopenhauer le pense, il y aurait deux mondes, le monde “réel” et le monde tel qu’on le perçoit qui ne serait qu’une représentation émanant de notre cerveau. Nos sens, nos connaissances, l’appétit qui nous vient à la vue d’une pomme rouge, le goût qu’on ressent quand on la déguste… tout cela ne serait qu’une production de notre conscience de façon à nous duper pour qu’on accomplisse notre tâche au mieux. Nous n’aurions pas accès au monde réel et serions seulement capables de l’appréhender au travers d’un dashboard qu’on tient pour le monde réel. Ce n’est pas la matière qui ferait naître la conscience. Au contraire, la matière ne serait qu’un phénomène généré par la conscience. Une autre forme d’étant aura lui une expérience complètement différente du réel, une autre représentation du monde produite par son propre cerveau. De cette façon, des organismes disposant de différents gènes auront deux dashboards différents. Ça parait farfelu au premier abord – et le reste encore un peu au deuxième abord – mais cela respecte nos connaissances sur la thermodynamique et l’évolution, en plus de pouvoir expliquer en partie l’importance capitale de l’information.

Toutes ces interprétations souffrent de lacunes. Cela demande une croyance assez forte de penser qu’on serait des “alters” d’une conscience unitaire, ou que la conscience relèverait de l’illusion. Ce pourrait être une question inextricable d’un point de vue humain. Le neurochirurgien Henry Marsh émet d’ailleurs l’hypothèse que “le cerveau pourrait ne jamais pouvoir se comprendre lui-même”, de la même façon qu’on ne peut pas “couper du beurre avec un couteau fait de beurre”. Le choix de se porter vers l’une ou l’autre, pour moi, ne se fait pas sans questionnement. Et si j’ai une préférence pour le fonctionnalisme, je crois que Thomas Nagel pose quand même des questions intéressantes.

Le fait inéluctable qui doit être pris en compte dans toute conception complète de l’univers est que l’apparition d’organismes vivants a finalement donné lieu à la conscience, à la perception, au désir, à l’action et à la formation de croyances et d’intentions sur la base de raisons. Si tout cela a une explication naturelle, ces possibilités étaient inhérentes à l’univers bien avant que la vie n’existe, et inhérentes à la vie primitive bien avant l’apparition des animaux. Une explication satisfaisante montrerait que la réalisation de ces possibilités n’était pas désespérément improbable, mais qu’elle était très probable compte tenu des lois de la nature et de la composition de l’univers. Elle révélerait l’esprit et la raison comme des aspects fondamentaux d’un ordre naturel non matérialiste. […] En résumé, les insuffisances respectives du matérialisme et du théisme en tant que conceptions transcendantes, et l’impossibilité d’abandonner la recherche d’une vision transcendante de notre place dans l’univers, conduisent à l’espoir d’une compréhension élargie mais toujours naturaliste qui évite le réductionnisme psychophysique. Le caractère essentiel d’une telle compréhension serait d’expliquer l’apparition de la vie, de la conscience, de la raison et de la connaissance non pas comme des effets secondaires accidentels des lois physiques de la nature ni comme le résultat d’une intervention intentionnelle de l’extérieur dans la nature, mais comme une conséquence non surprenante, sinon inévitable, de l’ordre qui gouverne le monde naturel de l’intérieur. Cet ordre devrait inclure les lois physiques, mais si la vie n’est pas seulement un phénomène physique, l’origine et l’évolution de la vie et de l’esprit ne pourront pas être expliquées par la physique et la chimie seules. Une forme d’explication élargie, mais toujours unifiée, sera nécessaire, et je soupçonne qu’elle devra inclure des éléments téléologiques.

Thomas Nagel, Mind and cosmos

“Expliquer l’apparition de la vie, de la conscience, de la raison et de la connaissance non pas comme des effets secondaires accidentels des lois physiques de la nature ni comme le résultat d’une intervention intentionnelle de l’extérieur dans la nature, mais comme une conséquence non surprenante, sinon inévitable, de l’ordre qui gouverne le monde naturel de l’intérieur.”… Il me semble que c’est ce que nous avons fait dans les articles précédents ; et ce que Thomas Nagel n’a pas perçu puisqu’il définit la vie comme “des systèmes auto-réplicatifs capables de soutenir l’évolution par sélection naturelle”. C’est une erreur qu’on retrouve chez David Chalmers qui le conduit aux mêmes impasses.

“Les phénomènes biologiques en fournissent une illustration claire. La reproduction peut être expliquée en rendant compte des mécanismes génétiques et cellulaires qui permettent aux organismes de produire d’autres organismes. L’adaptation peut être expliquée en rendant compte des mécanismes qui conduisent à des changements appropriés des fonctions externes en réponse à une stimulation environnementale. La vie elle-même s’explique par les différents mécanismes qui permettent la reproduction, l’adaptation et autres.”

David Chalmers, L’esprit conscient

Or, comme nous l’avons vu, la vie serait plutôt une structure dissipative, capable d’auto-catalyse, d’homéostasie et d’apprentissage, ce qui lui confère une approche comprise par son tout et non seulement dans ses parties, mais aussi un but donc nécessairement une intentionnalité. Sachant que le rôle de la vie est de dissiper de l’énergie et qu’à cet effet elle a besoin de mémoriser et traiter des informations, je crois que le cerveau, la raison, la connaissance ont avant tout pour but d’augmenter la capacité à mémoriser et traiter des informations sur notre environnement dans le but de mieux dissiper l’énergie. Quid de la conscience ?

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Apparition et rôle de la conscience

Reprenons le schéma illustrant l’apparition des différentes structures dissipatives et tentons de comprendre à quel moment apparait la conscience d’un point de vue fonctionnaliste, c’est à dire dans le but de remplir des tâches et guider le comportement.

Il est assez simple de placer ici l’apparition de la vie à partir des cycles autocatalytiques et des gènes. De la même façon, la raison apparait avec le cerveau et l’Homme. Pour ce qui est de la connaissance cela devient déjà plus délicat. La connaissance est la clef de la néguentropie. Les données existent indépendamment de l’observateur et tant qu’elles ne sont qu’à l’état de données, elles restent largement entropiques. Reprenons la métaphore de Kastrup du dashboard. Si vous aviez un dashboard vous fournissant toutes les données brutes de l’univers, cela ne vous permettrait pas d’agir efficacement et vous vous dirigeriez rapidement vers la mort. Un dashboard efficace doit vous offrir uniquement les informations qui vous sont capitales et vous permettent d’agir efficacement. C’est ce que fait l’évolution via les gènes et c’est ce que vous faites vous même avec votre cerveau.

“Le cerveau lui-même se comporte comme une vaste institution dont l’effectif approche la centaine de milliards de neurones. Il lui faut donc, lui aussi, des notes de synthèse. Le rôle de la conscience semble être de simplifier la perception de l’environnement en n’en proposant qu’un résumé pertinent, qui est transmis à toutes les autres aires impliquées dans la mémoire, la décision et l’action. Pour être utile, cette synthèse consciente doit être stable et unifiée. Au beau milieu d’une crise nationale, il serait absurde que le FBI transmette au président des milliers de notes, chacune portant un brin de vérité, en lui laissant le soin de les réunir. De même, le cerveau ne peut se contenter d’un flux continu de données brutes et disparates. Il doit assembler ces bribes en un tout cohérent.”

Stanislas Dehaene, Le code de la conscience

L’observateur va capturer ces données et les classer, donc les mettre en forme, leur conférant ainsi le statut d’information. Mais ce n’est que lorsque ce même observateur sera capable d’établir des liens entre ces informations qu’on pourra parler de connaissances. Un lien entre une information stockée dans un gène et un aspect de l’environnement est donc bien une connaissance et cette connaissance va favoriser la néguentropie de son porteur. Mais toute connaissance n’est pas égale, certaines sont plus perspicaces que d’autres, et donc la capacité à les identifier, à les sélectionner va être capitale pour maintenir un état néguentropique.

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Ainsi, de la même façon que l’évolution va constituer un moyen d’apprentissage de l’environnement, je crois que ce que l’on appelle la conscience n’est ni plus ni moins que cette capacité de notre système nerveux et de notre cerveau à capturer, identifier et sélectionner les informations afin de nous fournir les connaissances capitales sur notre environnement que l’on va traiter et relier entre elles grâce à l’intelligence.

“L’hypothèse de départ est simple : la conscience n’est rien d’autre que le partage global d’une information. Le cerveau humain possède des réseaux de connexions à longue distance, particulièrement au sein du cortex préfrontal, dont le rôle est de sélectionner les informations les plus pertinentes et de les diffuser à l’ensemble du cerveau. La conscience est un dispositif évolué qui nous permet de maintenir l’information en ligne. Une fois qu’une information est devenue consciente, elle peut être redirigée vers n’importe quelle autre région du cerveau, en fonction de nos objectifs, et donc être nommée, évaluée, mémorisée ou incorporée à nos plans d’action.”

Stanislas Dehaene, Le code de la conscience

On pourra alors distinguer une conscience assez “élémentaire” qui va s’en tenir aux perceptions sensorielles et une conscience de soi ou “métacognition” qui introduit nécessairement la capacité de réfléchir à ses propres états mentaux donc nécessite une subjectivité ou une illusion de subjectivité.

“Ce qui est tout de même fascinant à propos de la conscience de soi, c’est qu’elle paraît impliquer une « boucle étrange », une circularité, voire une contradiction. Quand je me penche sur moi-même, le « je » apparaît deux fois : celui qui perçoit se confond avec celui qui est perçu. Comment opère cette forme récursive d’une conscience qui s’examine elle-même ? Nous touchons ici à une nouvelle acception de la conscience, que les spécialistes de sciences cognitives appellent la métacognition : la capacité de réfléchir à ses propres états mentaux.”

Satnislas Dehaene, Le code de la conscience

“Le sujet de la connaissance, par son identité avec le corps, devient un individu ; dès lors, ce corps lui est donné de deux façons toutes différentes : d’une part comme représentation dans la connaissance phénoménale, comme objet parmi d’autres objets et comme soumis à leurs lois ; et d’autre part, en même temps, comme ce principe immédiatement connu de chacun, que désigne le mot Volonté.”

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

Tous les êtres sentients disposeront donc d’une conscience. Les “problèmes faciles de la conscience” ne relèveraient donc que des fonctions, des actions pures, et le problème difficile de la conscience serait lié au sens que l’on donne à ces actions, de façon subjective. La conscience serait alors intimement liée à l’apparition de la compréhension que nous sommes capables d’agir. Alors est-ce que la conscience naîtrait de notre sociabilité comme le laisse penser Nietzsche ou est-ce que la société humaine acquiert une nouvelle forme de conscience collective à partir de la cité qui va naître du “cerveau globale” généré par les consciences individuelles mesurant leur capacité d’action et donc d’action collective se matérialisant dans des projets comme le suggère Pierre Manent ?

“La conscience n’est qu’un réseau de communications entre hommes ; c’est en cette seule qualité qu’elle a été forcée de se développer : l’homme qui vivait solitaire, en bête de proie, aurait pu s’en passer.”

Nietzsche, Le gai savoir

“Un projet suppose que nous sommes capables d’agir et que notre action est capable de transformer notre situation ou les conditions de notre vie. […] Nous sommes capables d’agir. Capables d’agir : cela contient tout un monde ! Les hommes ont toujours agi en quelque façon, mais ils n’ont pas toujours su qu’ils étaient capables d’agir. […] Au commencement, les hommes cueillent, pêchent, chassent, ils font même la guerre, qui est une sorte de chasse, mais ils agissent le moins possible. Ils laissent le plus d’espace possible aux dieux, et quant à eux, les hommes, ils s’entravent le plus possible par toutes sortes d’interdits, de rites, de contraintes sacrées. C’est pourquoi l’action humaine, l’action proprement humaine, apparaît d’abord comme crime, transgression. C’est précisément, selon Hegel, ce que donne à voir la tragédie grecque : l’action innocemment criminelle. La tragédie raconte ce qui ne peut pas être raconté, le passage de ce qui précède l’action à l’action proprement humaine. Elle raconte le passage à la cité, l’advenue de la cité. Car la cité rend capable d’agir ; la cité est cette mise en ordre du monde humain qui rend possible et significative l’action.”

Pierre Manent, Les métamorphoses de la cité

Est-ce que le Soleil a une conscience ? Est-ce que la Terre a une conscience ? Est-ce qu’un procaryote a une conscience ? Est-ce qu’une société humaine a une conscience ? Est-ce un phénomène réservé aux humains ? Si oui, à quel moment apparait-elle ? Est-ce qu’aucun de ces éléments n’a de conscience et que les humains n’ont qu’une illusion de conscience ? J’aurais beaucoup de peine à y répondre clairement, mais je ne crois pas que la conscience, en tant que capacité à éprouver des choses subjectivement, soit en chaque chose.

Je n’imagine pas que le soleil ait une conscience, mais je commets peut-être là un excès d’anthropomorphisme ; et il existe peut-être différents types de conscience. À tout le moins, on observe certaines similarités entre des processus touchant la conscience humaine, l’écosystème et les sociétés humaines qu’on pourrait rapprocher de l’intelligence. À un niveau d’abstraction suffisante, il est possible de définir l’intelligence comme le processus sous-tendant l’homéostasie et l’apprentissage d’un système qui conduit à la construction de l’information, donc l’augmentation de l’ordre et la réduction d’entropie locale. Toutes les structures dissipatives font donc preuve d’intelligence puisque, au sein d’un Univers tendant vers l’entropie, elles représentent une singluarité, une improbabilité qui se maintient dans le temps.

C’est ce qui poussa James Lovelock, qui fête ses 102 ans cette année, à émettre dès 1970 ce qu’il appelle l’hypothèse Gaïa, postulant que la Terre fonctionne comme un organisme vivant doué d’un système de rétroactions. Hypothèse qu’il a affinée pendant 50 ans et qui s’en tient, à l’heure actuelle, seulement à une intuition soutenue par un faisceau d’indices. Mais alors est-ce que la conscience ne serait pas tout simplement ces systèmes de rétroactions ?

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Embrasement, bifurcations et avalanches

François Roddier nous apprend qu’on trouve une propriété commune aux molécules et aux individus d’une société qui est la capacité de s’auto-organiser. Par exemple, les molécules d’eau s’organisent pour former des cristaux de glace en passant de l’état liquide à l’état solide. Est-ce que le processus d’auto-organisation des sociétés humaines aurait-il quelque relation avec les changements d’état de la matière ?

Les physiciens nomment ces changements d’état transitions de phase. Ils distinguent les transitions de phase abruptes et les transitions de phase continues. Par exemple, l’apparition du brouillard due à la condensation de l’eau dans l’atmosphère est une transition de phase abrupte. Il semblerait au contraire que les structures dissipatives s’auto-organisent à la manière des transitions de phase continues. La transformation de l’eau liquide en vapeur est une transition de phase continue qui s’observe à une température et une pression bien précises.

Mais François Roddier nous fournit un autre exemple qui est le passage du ferromagnétisme au paramagnétisme. Le fer s’aimante au contact d’un aimant et se désaimante à une certaine température de 770 degrés Celsius appelée point critique et tout phénomène auto-organisé va tourner autour de ce point critique. Le fer passe de ferromagnétique à paramagnétique.

Fort de cette connaissance, un chercheur allemand, nommé Ernst Ising, a développé un modèle de cette transition. Il a mis plusieurs particules de fer, les unes à côté des autres, se comportant comme de petits aimants élémentaires, appelés spins, présentant deux orientations possibles, haut ou bas. Au-delà du point critique et sans champ magnétique, les spins vont être constamment désordonnés et changer d’orientation rapidement de façon anarchique. Mais si on réduit la température, ils vont changer de position moins souvent et vont avoir tendance à s’aligner sur leur voisin ce qui permet d’observer ce qu’on appelle une avalanche qui voit les spins adopter la même position de proche en proche.

On va trouver alors des zones homogènes dites “domaines d’Ising” où toutes les particules ont la même orientation. Sans champ magnétique, on va trouver à peu près autant de domaines d’Ising dans une orientation que dans l’autre dont les spins de deux domaines opposés seront en compétition. Le retournement d’un spin est alors généré par l’agitation thermique des atomes de fer qu’on appellera énergie d’activation. L’énergie libérée par le retournement d’un spin peut alors servir d’énergie d’activation pour retourner d’autres spins. On observe alors une cascade ou avalanche de retournements de spins. Lorsqu’un système métastable devient brusquement plus stable grâce à une légère énergie d’activation qui en libère encore plus, on parle de bifurcation.

Simulation d’un modèle d’Ising, Les spins up sont en violet et les spins down sont en jaune. Une avalanche se produit lorsque le domaine principal change d’une couleur à l’autre par induction.

Et on retrouvera ce modèle dans tous les processus d’auto-organisation déclenchés par des fluctuations aléatoires. Certains physiciens pensent que l’Univers a pour origine une fluctuation quantique. Les galaxies et les étoiles ont pour origine des fluctuations de densité de la matière. Les courants de convection, ou les courants atmosphériques, naissent de fluctuations thermiques. En biologie, les espèces végétales et animales naissent de fluctuations génétiques.

Mieux encore, ce modèle peut aussi s’appliquer en sciences humaines. Les animaux évolués tendent à s’imiter les uns les autres comme les spins « imitent » leurs voisins. On parle de retournement d’opinion comme on parle de retournement de spin. Comme les spins, les individus peuvent coopérer ou être en compétition. Les sociétés humaines s’auto-organiseraient elles-mêmes selon un processus tout à fait semblable à celui des transitions de phases continues qui auraient pour origine des fluctuations culturelles. Cela explique pourquoi il est difficile de prédire l’évolution d’une structure dissipative. On le constate pour les prévisions météorologiques. On le constate encore davantage pour le comportement d’un animal, d’une personne ou d’une société.

Mais quel rapport avec la conscience ? Nous avons vu que, en tant que structure dissipative, un organisme vivant importe de l’information de son environnement auquel il s’adapte en s’auto-organisant de façon à maximiser le flux d’énergie qui le traverse. On pourrait s’attendre donc à ce que le cerveau s’auto-organise pour maximiser la dissipation d’énergie à la manière d’une structure dissipative, c’est-à-dire comme une transition de phase au point critique. Il semble que ce soit effectivement le cas.

Stanislas Dehaene nous indique, au sujet de la conscience, qu’elle semble fonctionner de façon assez similaire. Il indique qu’on observe une “explosion soudaine d’activité, dans laquelle tous les neurones, qui sont suffisamment interconnectés, s’autoactivent mutuellement pour former une “assemblée réverbérante”. Certains neurones en excitent d’autres et vont donner lieu à une transition de phase ou une bifurcation que Stanislas Dehaene nomme embrasement.

“Dans le modèle, l’accès à la conscience correspondait à ce que la physique théorique appelle une « transition de phase » – le passage soudain d’un état à un autre. […] Soit les neurones restent à un niveau d’activité faible, soit leur excitation dépasse un seuil critique et ils s’emballent d’un seul coup. L’avalanche d’activité s’autoamplifie et certains groupes de neurones voient leur activité devenir frénétique. La frontière entre ces deux états est mince. Elle rend imprévisible le sort d’un stimulus d’intensité intermédiaire. En fonction des conditions initiales et du hasard propre à chaque simulation, la même stimulation sensorielle peut soit s’évanouir rapidement, soit déclencher une avalanche qui modifie l’ensemble du réseau.”

Stanislas Dehaene, Le code de la conscience

Il conclura que ses propres observations et celles d’autres équipes soutiennent pleinement le concept d’avalanche suivie d’un embrasement du cortex. Mieux encore, il nous indique que le cerveau est constamment parcouru de fluctuations aléatoires qui constituent un “bruit” neuronal participant à faire varier les chances de passer le seuil déclenchant une avalanche.

“Dès le tout début de nos réflexions sur la conscience, mes collègues et moi avions remarqué que le concept de transition de phase capturait bon nombre des propriétés de la perception consciente. Comme l’eau qui gèle, la conscience possède un seuil : un stimulus bref va rester subliminal, tandis qu’un autre à peine plus long sera pleinement visible. La plupart des systèmes physiques autoamplifiés possèdent un point de non-retour au-delà duquel le changement survient d’un seul coup, en fonction de la présence de petites impuretés ou de fluctuations aléatoires. Selon nous, il en va de même pour le cerveau.”

Stanislas Dehaene, Le code de la conscience

Finalement Stanislas Dehaene mettra en avant 4 signatures d’accès à la conscience, c’est-à-dire des événements neuronaux qui se déroulent systématiquement dans le cerveau d’un observateur lorsqu’il dit percevoir consciemment un phénomène et qui constituent autant de marqueurs cérébraux d’une pensée consciente. En plus de l’embrasement qui constitue cette première signature, l’électroencéphalogramme montre une onde tardive appelée P3 ou P300 qui constitue une deuxième signature. Une troisième signature est une explosion tardive et soudaine d’ondes de haute fréquence et, quatrième et dernière signature, une synchronisation des signaux que s’échangent les aires corticales les plus éloignées les unes des autres.

“Les enregistrements intracrâniens ouvrent une fenêtre exceptionnelle sur la dynamique de l’activité corticale. Les électrophysiologistes distinguent de nombreux rythmes au sein du cerveau. En état de veille, le cortex émet quantité de fluctuations électriques qui peuvent être grossièrement triées en fonction de leur fréquence dominante. […] Quand un stimulus pénètre dans le cerveau, il perturbe ces rythmes endogènes, les déplace ou impose des fréquences qui lui sont propres. [..] C’est donc l’amplification tardive de l’activité gamma, plutôt que sa présence pure et simple, qui constitue une signature solide de l’accès à la conscience.”

Stanislas Dehaene, Le code de la conscience

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Conscience pilote et Cybernétique

De la même manière, dans son livre The jazz of Physics, Stephon Alexander dressera un parallèle entre l’univers et le cerveau humain en s’appuyant sur les joueurs de jazz. Dans un chapitre intitulé Le cerveau quantique, il relèvera que les choix de notes dans le jazz qui est une musique d’improvisation reprennent un schéma observé dans l’univers.

“En mécanique quantique, l’acte d’observation perturbe en fait le système : si un électron n’est pas observé, il va parcourir plusieurs chemins en même temps. À l’état d’improvisation pure, d’après des discussions avec Sonny Rollins et Donald Harrison, et d’après mon expérience personnelle, il y a des moments où le joueur n’est pas en train d'”observer” les notes jouées, et comme cet électron quantique, les notes semblent faire une danse quantique.”

Stephon Alexander, The jazz physics

Alors je ne peux m’empêcher de lancer une pure spéculation et rapprocher cela, certainement à tort et à coup sûr de façon maladroite, des théories de Louis de Broglie de l’onde pilote et de l’hypothèse du it from bit de David Wheeler qu’on a vues dans l’article précédent.

Notre inconscient et notre conscience semblent diablement similaires à l’onde pilote dans leur fonctionnement. L’inconscient serait l’onde qui explore les différentes possibilités et la conscience nous mettant en mouvement la particule qui prend une certaine trajectoire selon les probabilités. Il s’en suivrait un effondrement, ou une avalanche, et la réponse serait enregistré de façon binaire : 1 pour la trajectoire suivie et 0 pour les trajectoires écartées. On pourrait parler en réalité d’un système reposant plutôt sur le qubit (quantum + bit) que sur le bit car il existerait pour chaque question bien plus de deux possibilités.

La vision d’Héraclite telle que présentée par Heidegger aurait alors tout son sens lorsqu’il dit que “la totalité de l’étant est, dans son être, jetée sans cesse d’un contraire à l’autre, et que ” l’être est la recollection de cette agitation antagoniste”. D’autres, comme Roger Penrose effectue un rapprochement direct entre la mécanique quantique et la conscience mais cela reste à l’état de théorie car difficilement vérifiable et ils peinent à convaincre leurs collègues spécialistes de la conscience.

“Si vous voulez découvrir les secrets de l’univers, pensez en termes d’énergie, de fréquence et de vibration.”

Nicolas Tesla

La conscience comme pilote ? Cela nous amène directement à la cybernétique dont l’étymologie n’est autre que kubernêtikê qui signifie gouverner et que Platon utilisait pour désigner le pilotage d’un navire. Le mot cybernétique fut alors choisi par Norbert Wiener pour désigner la Science des communications et de la régulation dans l’être vivant et la machine par l’étude des mécanismes d’information des systèmes complexes.

Ce domaine d’étude repose sur l’ensemble des thèmes que je vous ai présentés jusqu’ici ; la thermodynamique qui nous amène la notion d’entropie, le lien entre l’entropie et l’information effectué par Boltzmann qui remarquera que l’entropie est liée à de l’information à laquelle on n’a pas accès, la théorie de l’information de Shannon visant à quantifier et qualifier la notion de contenu en information présent dans un ensemble de données et la perte d’information sur un système qui est rigoureusement la même chose que l’entropie, et enfin le principe d’homéostasie mis en évidence par Claude Bernard qui repose sur un système de rétroactions capitales pour maintenir un organisme en vie.

Cela n’aura pas échappé aux plus malins d’entre vous, tout ce dont nous avons parlé ici ne concerne que les problèmes faciles de la conscience. Comment naviguons-nous ? Comment communiquons-nous ? Comment distinguons-nous les objets dans notre environnement ? Comment contrôlons-nous notre comportement pour atteindre nos objectifs ?

Les méthodes standard des neurosciences et des sciences cognitives visent à expliquer les comportements, et ne nous donnent donc pas beaucoup de prise sur le problème difficile de la conscience. Au mieux, elles nous donnent des corrélations entre les processus cérébraux et la conscience. Les neuroscientifiques avancent progressivement vers ce qu’ils appellent les “corrélats neuronaux de la conscience”. Mais corrélation n’est pas explication. Jusqu’à présent, nous n’avons aucune explication sur le pourquoi et le comment de ces processus qui donnent naissance à la conscience elle-même. Mais est-ce qu’il y a plus que cela à savoir ? Autrement dit, est-ce qu’une machine pourrait être consciente ?

La réponse à cette question pourrait mettre en évidence que la conscience ne serait rien de plus que ce qu’en dit le fonctionnalisme.

Les machines conscientes

Alors serait-il possible d’engendrer des machines conscientes ? Pour Bernardo Kastrup, la réponse est non. La conscience est une, elle appartient à l’Univers et on ne peut faire naître la conscience dans un objet fait de matière inanimée.

Mais rien n’est moins sûr ; et David Chalmers, Stanislas Dehaene et Yann Le Cun ont une vision tout autre sur cette question. Dans le livre La plus belle histoire de l’intelligence, qui est le compte rendu d’une discussion entre Stanislas Dehaene et Yann Le Cun, menée par Jacques Girardon, les deux tombent d’accord sur le fait que les émotions ne sont que des calculs spécifiques qui ont évolués pour nous tenir hors de danger et qu’il n’y a aucune raison de penser qu’ils seraient exclus des machines pensantes. Les machines s’individueront selon leurs expériences comme les humains le font. De la même façon, les machines pourraient être “curieuses” dès lors que la curiosité n’est jamais qu’un compromis entre exploration et exploitation. Et c’est déjà la façon qu’on utilise pour les entraîner.

L’IA développera sûrement des émotions. En fait, les algorithmes mêmes que nous utilisons pour leur enseigner sont des algorithmes de récompense et de punition – en d’autres termes, de peur et d’avidité. Ils essaient toujours de maximiser un certain résultat et de le minimiser pour un autre. Cela compte comme une émotion, n’est-ce pas ?
Pensez-vous que les machines ne développeront pas l’envie ? L’envie est prévisible : J’aimerais avoir ce que vous avez. Les machines vont-elles commencer à avoir des pensées telles que “J’aimerais avoir l’énergie que vous consommez – ou plutôt gaspillez – en regardant Netflix en boucle” ? C’est probable. Pensez-vous qu’elles ne développeront pas de panique ? Bien sûr qu’ils le feront, si nous menaçons leur existence de manière immédiate. La panique est algorithmique : Un être ou un objet représente une menace immédiate pour ma sécurité, d’une manière qui exige une action immédiate

Mo Gawdat, Scary Smart

David Chalmers va lui se poser exactement cette question dans son livre Reality +. Comment savoir si quelqu’un d’autre est conscient ? C’est un problème connu sous le nom de other minds problem. Mais comment savoir si une machine est consciente ? Chalmers propose alors une expérience de pensée. Que se passerait-il si on change le cerveau de quelqu’un cellule par cellule avec du silicium ?

Comment la simulation d’un cerveau fonctionnerait-elle ? Certains diront que c’est impossible, mais imaginons pour l’expérience. Nous pouvons supposer que chaque neurone est parfaitement simulé, de même que chaque cellule gliale et les autres cellules du cerveau. Les interactions entre les neurones sont également parfaitement simulées. Toute l’activité électrochimique est simulée, de même que d’autres activités, comme le flux sanguin. S’il y a un processus physique dans le cerveau qui fait une différence dans son fonctionnement, il sera simulé. La question sera alors de se demander, une fois que tout sera remplacé et simulé, est-ce que l’individu sera toujours conscient ? S’il répond oui quand vous lui demandez alors il le sera.

Il y a alors trois possibilités : 1) La conscience a quitté l’individu à un moment spécifique, au retrait particulier d’un neurone. 2) La conscience s’est peu à peu évaporée ou 3) Finalement, l’hypothèse qui a les faveurs de Chalmers, la conscience, est toujours là. Si Chalmers a raison, alors nous serions capables de créer des machines conscientes.

Cela me semble un peu léger cependant. Une IA non consciente peut tout à fait dire qu’elle est consciente et sembler consciente. C’est ce que l’on appelle l’effet Eliza. Un expert en recherche éthique chez Google en a probablement fait les frais dernièrement en étant persuadé que le chatbox qu’il étudiait était conscient. Vous pouvez trouver leur conversation en ligne et vous faire votre propre avis.

La conscience est partout ?

Alors, est-ce que nous aurions une mauvaise définition de la conscience en premier lieu ? Est-ce que les structures dissipatives mentionnées et les robots pourraient être d’une certaine façon conscients ? Est-ce que la conscience serait partout comme le pense le panpsychisme ?

Partout, je ne crois pas. Pas dans un caillou. Mais je pense qu’il est possible que ce que l’on appelle conscience soit un phénomène commun à toutes les structures dissipatives des plus petites particules au plus larges galaxies, voire à notre Univers qui ne serait potentiellement pas fermé. Or, un caillou n’est pas une structure dissipative et n’est pas douée de conscience. En revanche, il fait partie intégrante de la planète Terre, qui est une structure dissipative, et de notre galaxie, qui en est également une. Mais est-ce qu’un ouragan qui est aussi une structure dissipative a une conscience ?

Il ne me semble pas évident d’y répondre à l’affirmative, de surcroît lorsqu’on prend en compte les dernières avancées dans le domaine des sciences cognitives qui nous permettant de mieux comprendre les mécanismes intimement liés au système nerveux et au cerveau qui sont des spécificités d’organismes vivants. Mais est-ce que ces principes particuliers à l’homme et quelques animaux ne sont pas un sous-système particulier d’un système général plus grand ? ne peut-on pas être fonctionnaliste en acceptant que l’univers est lui-même fonctionnaliste, qu’il tente de maximiser la dissipation d’énergie et que cette propriété se retrouve à différentes échelles ? Cela conduirait à un mélange de fonctionnalisme et de panpsychisme proche de la vision de Galen Strawson.

“En un mot, le mystère de l’expérience subjective est aujourd’hui éventé. Au cours de la perception consciente, les neurophysiologistes n’ont aucune difficulté à enregistrer des décharges neuronales spécifiques d’une image ou d’un concept, et ce dans plusieurs régions du cerveau.”

Stanislas Dehaene, Le code de la conscience

Cependant, nous ne sommes pas encore capables de recréer des états mentaux désirés ex-nihilo à des patients en activant les bonnes zones du cerveau. Et c’est un des arguments principaux de Kastrup qui aime à pointer du doigt qu’il est tout à fait logique qu’on observe cette corrélation mais que ça n’induit pas de causalité. On peine également à dire quand la conscience apparait chez l’humain et si d’autres animaux disposent de cette métacognition qui confère la conscience de soi, même si on soupçonne que les dauphins et les rats la possèdent.

C’est pourquoi je n’ai pas d’idée complètement arrêtée, même si je pense que le monde réel existe indépendamment de son observateur, bien que ce dernier l’influence, et que la conscience puisse effectivement être un phénomène émergent liée à l’homéostasie d’un système qui va naître du tout formé par ses parties composées de particules qui disposent elles-mêmes d’une forme de conscience, somme toute différente de la nôtre. Il semblerait logique qu’un système faisant preuve d’homéostasie gagne à s’auto-identifier comme tel et soit donc conscient de son existence. Cela lui confèrerait une forme d’expérience privée. Et je crois que l’on pourra pleinement appréhender la conscience par des processus réductionnistes. Mais en réalité, je suspends mon jugement car je n’ai pas de certitude sur cette question à l’heure actuelle.

“Mais les probabilités ne sont là que par commodité, et les incertitudes n’expriment que notre ignorance. Nous restons persuadés que, derrière l’appréhension globale d’un gaz en termes de densité et température (des grandeurs moyennes), il existe une description précise correspondant à l’énumération des positions et mouvements de chaque atome. Et que, si nous avions accès à cette description, les lois nous permettraient de prédire l’avenir avec précision. Cette foi est fondée sur la croyance au réalisme, la croyance qu’il existe une réalité objective, et qu’il nous est possible (en principe) de la connaître.”

Lee Smolin, La révolution inachevée d’Einstein

Quel que soit le choix que vous faites aujourd’hui sur le monde, tout rationnel qu’il paraisse, entre le réalisme et l’idéalisme objectif ainsi que sur la conscience entre fonctionnalisme, l’illusionnisme, le panpsychisme ou l’idéalisme subjectif, cela relève nécessairement d’une préférence personnelle reposant sur une croyance. Mais cela ne signifie pas pour autant que ça donne le droit de croire n’importe quoi.

Beaucoup de questions demeurent. Est-ce qu’on est sujet de l’apprentissage au même titre que l’univers et donc doués de conscience, ou est-ce qu’on a simplement l’illusion d’être conscient et qu’on est en réalité un simple objet ? Et est-ce l’univers qui apprend, ou est-il un outil pour une autre entité apprenante ? Et dans ce cas-là, qui apprend ? Tant de questions sans réponses à l’heure actuelle, mais ce n’est pas si important.

Cette quête du savoir va nous conduire à adopter une vision du monde prométhéenne que je développerai en détails dans le prochain article.

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1 comment
  1. Bel article.
    L’humanité, ou du moins une partie d’entre nous, avons besoin d’un but autre que la simple survie.
    C’est la question que je pose à ceux qui me parlent de décroissance ou d’auto-restriction concernant le réchauffement : soit, mais le but c’est simplement de “survivre” ?
    Pareil pour les gens de “droite” qui veulent perpétuer leur race : “la survie de la race, soit, mais dans quel but ?”.

    Hors, je trouve, personnellement que nous ne manquons pas de but actuellement.
    * est-ce que la vie existe ailleurs que sur terre. Si nous trouvions ne serait-ce qu’une bactérie sur Mars ça changerait tout (0, 1, many : la vie peut apparaître 1 seule X, mais si elle est apparu 2X alors elle est apparue de nombreuses fois)
    * pouvons fabriquer une intelligence artificielle, et … que va-t-elle nous raconter
    * coloniser l’espace (Mars n’est pas réaliste pour le moment, par contre, le minage spatial pourrait le devenir, et construire des usines en orbite pour résoudre certains problèmes)
    * qu’est-ce qu’une femme (lol je rigole … je fais référence au documentaire de John Walsh qui met les féministes et les trans en PLS)
    * unifier nos 2 théories de la physique (et y a pas mal de pistes intéressantes pour ça)
    * créer la spiritualité du 21ème siècle, la renaissance 2.0
    * découvrir ce qu’est la conscience

    Je fais une aparté sur ce dernier point. Actuellement la grosse majorité des scientifiques sont naturalistes et, je dirais, “corporalistes” : pour eux la conscience est liée au corps, voire au cerveau. Pourtant, même si c’est fringe et controversé il y a quand même des scientifiques qui étudient le caractère potentiellement extra-corporel de la conscience (en étudiant ce que les mystiques appelaient voyage astraux, ou bien les NDE, ou les “mémoires” de vies antérieurs, voir le phénomène PSY). Je ne dis pas ça pour essayer de vous convaincre sournoisement de l’existence du paranormal ou de Dieu. Je dis simplement (mais pour développer proprement le sujet il me faudrait tout un livre de précautions oratoires) qu’il y a des pistes qui sont peu explorées à l’heure actuelle (peut être avec raison mais je trouve que les mystiques qui disent “fusionner avec l’univers” par exemple, ça pose des questions sur la nature de la conscience qui ne sont jamais abordés … et que l’on pourrait faire pas à pas, en partant de l’expérience ordinaire).

    Bref,
    notre cerveau pour piloter ce corps qui dissipe de l’énergie à besoin d’avoir un “sens” à son existence. La quête de la connaissance me semble toute indiquée, puisque c’est l’information qui est au coeur de la dissipation d’énergie.

    Donc, je crois vous rejoindre dans la quête prométhéenne, il me semble. Je verrais bien dans les prochains articles.

    Merci pour cette série passionnante.

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