Le problème des milliardaires revient régulièrement en surface par l’intermédiaire des sempiternelles gauchistes français. Ces derniers arrivent à mêler avec une certaine originalité cette forme d’arrogance nombriliste bien française dans l’esprit – tout ce qui se passe en France s’applique ailleurs – et cette forme d’illettrisme économique crasseux au point de ne même pas voir certains problèmes dont la nature pourrait pourtant les intéresser. C’est ce que nous allons voir à travers ce problème, mille fois jeté en pâture et très mal abordé à chaque fois, des milliardaires français.
L’analyse gauchiste : un tunnel de cherry picking digne d’une taupe
Les gauchistes parlent souvent du problème du décalage entre les prélèvements théoriques faramineux en France et les prélèvements réels des milliardaires ou encore de cette énième disquette qui confond les flux et les stocks en matière de capitalisation boursière (quand la bourse chute, Oxfam est aux abonnés absents bizarrement).
Mais je vais plutôt me focaliser sur un thread récent qui est emblématique de l’incompréhension du problème des milliardaires. Pour cela, il se base sur l’affirmation d’un économiste spécialiste de la question fiscale Gabriel Zucman (véritable frère jumeau militant de Thomas Piketty) comme quoi les milliardaires français ne payeraient que 2% d’impôts. Par conséquent, la France serait un véritable « paradis fiscal » pour les riches. Ensuite, selon une étude d’UBS, le patrimoine des milliardaires français a bondi de + 439% entre 2009 et 2022 contre seulement par exemple + 170% aux Etats-Unis. La France serait donc la « championne du monde des milliardaires » avec ces chiffres imparables. Cerise sur le gâteau, 80% des milliardaires français sont des héritiers selon Forbes.
Il y a absolument tout pour satisfaire le récit du ressentiment paranoïaque du gauchiste français : le milliardaire est un éternel héritier, particulièrement en France, terre de l’ultralibéralisme triomphant (ah bon ce n’est plus les Etats-Unis ?). Bill Gates et son plan insidieux d’euthanasier toute l’Afrique par sa fondation privée ou les puces RFID d’Elon Musk à inoculer dans le cerveau pour nous contrôler n’ont qu’à bien se tenir face aux Giga-Chad milliardaires du Royaume de France.
Seulement, si certains chiffres ici ne sont pas faux, c’est ne pas comprendre le fond du problème.
Être milliardaire en France et aux Etats-Unis : deux mondes parallèles
Déjà, revenons sur ce chiffre ridicule du 2% d’impôts qui n’a en réalité aucun sens. Ce chiffre s’appuie sur un document mis en ligne, mais apparemment provisoire, par des chercheurs de l’Institut des politiques publiques (IPP). Comme le rappelle François Ecalle, Ancien membre de la Cour des comptes et rapporteur général du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques :
Un autre graphique du document précité met en évidence un taux d’environ 2 % pour les 1/100 000 des ménages les plus riches, sans toutefois expliquer comment on passe d’un taux de 40 à 50 % sur le revenu fiscal à un taux de 2 % sur un revenu élargi environ dix fois plus important. C’est ce taux de 2 % qui a été cité.
Les chercheurs de l’IPP rappellent cependant que ces bénéfices non distribués sont soumis à l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Or ils montrent que celui-ci représente 20 à 30 % du revenu élargi de ces 370 ménages. C’est ce taux de taxation de 20 à 30 % qui est pertinent.
Traité
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Il a certainement diminué depuis 2016 du fait de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, de 33 à 25 %, mais il n’est sûrement pas tombé à 2 %. Il est incohérent de calculer un taux de taxation sur un revenu élargi intégrant les bénéfices non distribués des sociétés sans tenir compte de l’impôt sur ces bénéfices. Le taux de 2 % n’a donc pas de sens.
Nous sommes donc loin de cette histoire des milliardaires quasi exonérés d’impôts (même si cela reste plus faible que le niveau de prélèvement moyen français). De plus, d’autres chiffres de Forbes montrent qu’au niveau mondial, on est en 2021 à plus de 70 % de milliardaires qui ne sont pas des héritiers (chiffre moyen similaire aux Etats-Unis). Ensuite, si on regarde le nombre de milliardaires dans le monde, rapporté à la population, on a, en gros, 3 fois plus de milliardaires aux Etats-Unis qu’en France. Il y a ici quelque chose d’incohérent : Comment peut-on prétendre que la France est la terre des milliardaires s’il y en a si peu (ci-dessous on peut le voir sur la richesse des milliardaires sur ce graphe tiré de l’étude UBS) ? Et les chiffres de Forbes réfutent totalement l’idée que les milliardaires ne seraient que des gros bonnets d’héritiers.
On voit donc que le problème de fond est plutôt la nature des milliardaires français et leurs secteurs d’activité. Bernard Arnault, par exemple, est dans l’industrie du luxe et des cosmétiques, pas un secteur des plus nouveaux… À l’inverse, qui voit-on comme milliardaires, de l’autre côté de l’Atlantique, qui ont débarqué il y a à peine 10-15 ans et nous taille des croupières dans un secteur tout nouveau comme la Tech ? Eh bien les GAFAs américains par exemple (Jeff Bezos, Bill Gates, Mark Zukerberg, etc.) et ne parlons pas de la levrette claquée que se prend l’industrie spatiale européenne avec l’entreprise Space X de Musk (milliardaire qui n’existait pas il y a 20 ans de cela). La France, et l’Europe de manière générale, est restée enfoncée dans la deuxième révolution industrielle, elle n’a jusqu’ici pas su faire sa transition dans la nouvelle économie de la Tech (cette question sera davantage abordée dans un autre article). On peut d’ailleurs le voir ci-dessous sur ce graphe de l’étude UBS sur le profil des milliardaires dans différents secteurs économiques.
Il y a aussi ce chiffre de + 437 % qui se base sur le développement du patrimoine (ce terme à son importance) des milliardaires. Depuis la dernière crise économique de 2008, les politiques monétaires d’assouplissement quantitatif ont permis de considérablement augmenter les prix immobiliers. Cela s’est fait au bénéfice des plus riches (et notamment ceux de la génération boomer), dotés souvent des plus gros patrimoines et qui ont acheté leurs biens à une période nettement moins inflationniste niveau immobilier.
Cette hausse a été particulièrement inégalitaire du point de vue générationnel en France. L’économiste Maxime Sbaihi parle qu’en France le patrimoine est devenu soumis à la règle des « 3 x 60 » : Les plus de 60 ans détiennent 60 % du patrimoine non financier et 60 % du patrimoine financier de France. Ce n’est finalement guère étonnant que cela se voit sur l’augmentation du patrimoine des milliardaires. Au-delà de la conjoncture structurelle d’augmentation mécanique du patrimoine par l’inflation monétaire, un aspect juridique fondamental en France pousse à une concentration excessive du capital autour des mêmes mains.
L’archaïsme juridique français de l’héritage se heurte aux nouvelles réalités démographiques
La France, comme beaucoup de pays d’Europe continentale d’ailleurs en matière d’héritage, est soumise à la logique de la réserve héréditaire. Il s’agit d’une vieille relique naturaliste du Code Civil napoléonien où l’Etat se retrouve à se mettre à la place du défunt pour répartir égalitairement et obligatoirement son patrimoine entre ses enfants. Même les donations ou legs consentis avant la mort à des tiers peuvent être annulés a posteriori pour être réintégrés dans les calculs de la réserve héréditaire. En somme, le patrimoine se retrouve finalement contraint par la loi et artificiellement concentré entre quelques mains familiales, ce qui rigidifie considérablement la circulation du capital. Cette logique s’oppose totalement à la liberté testamentaire anglo-saxonne, elle explique la possibilité d’un Bill Gates et d’autres aux Etats-Unis de pouvoir ne quasi rien léguer à ses descendants et consacrer leur héritage à d’autres choses.
La réserve héréditaire n’était pas un problème lorsque l’espérance de vie (par exemple au XIXème siècle où on héritait en moyenne vers 25 ans) était nettement plus faible qu’aujourd’hui. Elle l’est considérablement plus maintenant, avec la transition démographique et l’augmentation importante de l’espérance de vie, où on hérite plus vers la fin de sa carrière (là où en a le moins besoin tant au niveau projet d’entreprises qu’investissement dans son éducation).
Imaginons un Bill Gates français, avant même qu’il ait le début d’une idée de quoi faire de son héritage, l’Etat le sommera de céder les 3/4 de son héritage à ses enfants (car Bill Gates a trois enfants). Vous pouvez ajouter à cela l’inégalité structurelle de l’éducation en France du fait d’une centralisation historique autour de « grands pôles » (Paris par exemple). De plus, selon l’économiste Guillaume Bazot, la France a une mobilité sociale descendante particulièrement faible, c’est important car pour évoluer socialement il faut aussi que les « perdants d’en haut » puissent rétrograder.
Tous ces facteurs cumulés expliquent en grande partie la nature particulièrement héréditaire de nos milliardaires et de la manière comment se structurent les patrimoines en France. Donc, plutôt que faire une fixette sur la tête du marteau à écraser sur les pieds des milliardaires (augmenter indéfiniment les impôts sur le revenu des plus riches qui peuvent toujours trouver des trous juridiques dans la raquette), les gauchistes feraient mieux de s’intéresser un peu plus au biais finalement naturaliste et héréditaire de la juridiction de l’héritage et du patrimoine en général. Mais pour cela malheureusement, il faudrait qu’ils sortent de leur ressentiment égalitariste et qu’ils savent reconnaître des alliés de circonstance sur cette question (Bill Gates ou Warren Buffet par exemple, même Jeff Bezos a eu la même idée).
Malheureusement, comme le milliardaire est pour eux intrinsèquement maléfique (et héritier évidemment) même avec la bonne volonté d’un Bill Gates, les gauchistes sont fondamentalement incapables de résoudre ce problème en France.
Conclusion
Si ce n’est pas l’unique solution, je propose dans mon livre que passer de la réserve héréditaire à la liberté testamentaire apporterait une fluidité dans la circulation du capital (et par l’intermédiaire de la « circulation des élites » chère à Vilfredo Pareto) considérable. Elle permettrait à des vieillards aisés de pouvoir « sauter plusieurs générations » pour transférer directement une partie de leur héritage à leurs arrière-petits-enfants plutôt qu’à leurs enfants déjà grabataires de 70 ans. Pour cela, une possibilité serait, selon Maxime Sbaihi de créer un compte personnel de réceptions patrimoniales pour chacun des Français. L’idée serait de transférer les taxes non plus sur le donateur (celui qui dispose de l’héritage) mais sur les donataires (celui qui recevra l’héritage). Le donateur aura alors la liberté totale de son patrimoine à pouvoir le céder à qui il veut, l’utiliser comme il veut sans charges. Une taxe progressive sur les donataires serait là avant tout pour éviter le phénomène de concentration excessive de l’héritage dans les mains d’un petit groupe.