Lettre ouverte aux objectivistes, libéraux et libertariens

J’aime beaucoup les penseurs libéraux et libertariens, et, souvent, je m’appuie sur leurs écrits qui se veulent brillants à plus d’un titre. J’ai grand plaisir à lire des auteurs comme Tocqueville, Bastiat, Hayek ou encore Mises. Je suis en général d’accord avec la quasi-intégralité de ce qu’ils disent, mais le problème avec eux réside plus souvent dans ce qu’ils ne disent pas ou plutôt dans leur incapacité à conclure quand ils mettent en avant des choses importantes.

Quelle que soit mon admiration sincère pour les admirables lois de l’économie sociale, quelque temps de ma vie que j’aie consacré à étudier cette science, quelque confiance que m’inspirent ses solutions, je ne suis pas de ceux qui croient qu’elle embrasse toute la destinée humaine. Production, distribution, circulation, consommation des richesses, ce n’est pas tout pour l’homme. Il n’est rien, dans la nature, qui n’ait sa cause finale ; et l’homme aussi doit avoir une autre fin que celle de pourvoir à son existence matérielle. Tout nous le dit. D’où lui viennent et la délicatesse de ses sentiments, et l’ardeur de ses aspirations ; sa puissance d’admirer et de s’extasier ? D’où vient qu’il trouve dans la moindre fleur un sujet de contemplation ? que ses organes saisissent avec tant de vivacité et rapportent à l’âme, comme les abeilles à la ruche, tous les trésors de beauté et d’harmonie que la nature et l’art ont répandus autour de lui ? D’où vient que des larmes mouillent ses yeux au moindre trait de dévouement qu’il entend raconter ? D’où viennent ces flux et des reflux d’affection que son cœur élabore comme il élabore le sang et la vie ? D’où lui viennent son amour de l’humanité et ses élans vers l’infini ? Ce sont là les indices d’une noble destination qui n’est pas circonscrite dans l’étroit domaine de la production industrielle. L’homme a donc une fin. Quelle est-elle ? Ce n’est pas ici le lieu de soulever cette question.

Frédéric Bastiat, Lettre à Pierre-Joseph Proudhon

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Premier tome de l’oeuvre
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« Ce n’est pas ici le lieu de soulever cette question » dit Bastiat ; Tocqueville, lui, confiera à Gobineau dans une correspondance : « Plus je vis et moins j’aperçois que les peuples puissent se passer d’une religion positive ; cela me rend moins sévère que vous sur les inconvénients que présentent toutes les religions, même la meilleure », mais cette question n’est jamais soulevée chez eux en profondeur, tant est si bien qu’une personne se définissant en tout et pour tout comme seulement libéral ne peut pas être une personne qui a saisi la vie dans sa globalité. C’est pourquoi il est logique de voir des gens se dire libéral-conservateur quand il s’agit de définir une politique car le libéralisme est simplement un système juridique qui ne dit rien sur la façon de gérer la société sous d’autres aspects. Une figure du libéralisme sort du lot cependant, car elle a proposé un système de pensée dépassant le simple libéralisme : Ayn Rand, avec ce qu’elle nomma l’objectivisme. J’aime beaucoup Ayn Rand, et ça m’embête de le dire, mais par certains aspects elle est une hippie de droite pour reprendre les termes qu’elle usa elle-même à destination des libertariens.

L’homme est né avec un mécanisme émotionnel, tout comme il est né avec un mécanisme cognitif ; mais, à la naissance, les deux sont « tabula rasa ». C’est la faculté cognitive de l’homme, son esprit, qui détermine le contenu de ces deux mécanismes. Le mécanisme émotionnel de l’homme est comme un ordinateur que son esprit doit programmer; et le contenu du programme sont les valeurs choisies par son esprit. […] Puisque les hommes sont nés tabula rasa, tant cognitivement que moralement, un homme rationnel considère ceux qui lui sont étrangers comme innocents jusqu’à preuve du contraire, et présume au départ qu’ils sont bienveillants au nom de leur potentiel humain.

Ayn Rand, La vertu de l’égoïsme

Elle énonce dans la vertu de l’égoïsme toutes les caricatures qu’on peut entendre sur les libéraux. Seul l’individu compte, on ne doit pas avoir de préjugé, car un individu ne doit être jugé que par la nature de son caractère et non sa couleur de peau, la société comme super-organisme n’existe pas car le tout n’est pas supérieur à la somme de ses parties et « L’internationalisme a toujours été l’un des dogmes fondamentaux des « libéraux » ». Elle évoque ailleurs dans Hymnes, en mettant les mots dans la bouche de son personnage principal que « pour être libre, un homme doit être libéré de ses frères ».

Mais, elle ne fait qu’exprimer une tournure d’esprit partagée par beaucoup de libéraux et libertariens qui font émerger une sorte de tradition libérale positiviste, qui devient auto-référentielle et rejette toute vision déviante, quand bien même elle s’appuierait sur des connaissances scientifiques nouvelles. Alors, j’aimerais m’adresser ici aux objectivistes, libéraux et libertariens suffisamment ouverts d’esprit qui sont prêts à réviser leurs préceptes, en premier lieu des gens comme Olivier Babeau ou David Lisnard, lequel n’a pas hésité à faire une référence explicite à Ayn Rand dans une France socialiste.

Dans l’état théologique, l’esprit humain dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui le frappent, en un mot, vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l’intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l’univers.

Dans l’état métaphysique, qui n’est au fond qu’une simple modification générale du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers êtres du monde, et conçues comme capables d’engendrer par elles-mêmes tous les phénomènes observés, dont l’explication consiste alors à assigner pour chacun l’entité correspondante.

Enfin, dans l’état positif, l’esprit humain reconnaissant l’impossibilité d’obtenir des notions absolues, renonce à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude.

Auguste Comte, Cours de philosophie positive

Pourquoi le libéralisme a si bien marché ? Pour trois raisons principales. La première relève de son fait en cela qu’il respecte une tendance naturelle de l’individu qui est sa recherche égoïste d’échange d’une situation actuelle pour une situation future meilleure. La deuxième est qu’il s’appuie sur le marché libre qui repose intrinsèquement sur les mêmes principes que la sélection naturelle. La dernière est fortuite puisqu’il est né au sein de nations homogènes, avec une psychologie particulière, liées par un esprit religieux fort, ce qui facilitait la création d’un espace harmonisé normativement qui favorise les échanges inter-individuels. Cependant, parce que ce contexte préexistait, les libéraux n’ont peut-être pas suffisamment insisté sur son importance et, petit à petit, on s’est imaginé que des principes libéraux pourraient fonctionner au sein d’une société multiethnique et multiculturelle de la même manière qu’elle fonctionna dans ces sociétés homogènes initiales. Pourquoi ? Car pour les libéraux, nous sommes tous des individus.

Est-ce que l’individu est la seule entité viable à appréhender ? Est-ce que seule la raison guide nos comportements ? La liberté doit-elle être la mesure morale d’une action ? Les libéraux vous rétorqueront toujours que le libéralisme n’a jamais que pour but de définir un cadre juridique et non de considérer tous les aspects de la vie d’un homme. Cependant, les libéraux franchiront souvent un pas de plus pour refuser qu’on puisse seulement penser comment gérer ces autres aspects collectivement, voyant ici une entrave au libéralisme.

Individu fantasmé

À mesure que les hommes se ressemblent davantage, le dogme de l’égalité des intelligences s’insinue peu à peu dans leurs croyances, et il devient plus difficile à un novateur, quel qu’il soit, d’acquérir et d’exercer un grand pouvoir sur l’esprit d’un peuple.

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique

Le libéralisme repose sur l’individualisme. Il suppose, comme le dit Olivier Babeau, un individu ayant les « mêmes capacités, doté d’esprit critique, d’autonomie, de culture et épris de liberté », qui va chercher son bonheur rationnellement en s’associant librement. Le problème est, d’une part, que les individus sont extrêmement différents, et, d’autre part, qu’il faut penser les qualités des individus en termes de dynamique sur l’échelle des générations. Afin de bien penser ces différences et leur dynamique, il faut comprendre quelle en est l’origine en premier lieu, et, ce que nous comprenons de plus en plus, c’est que ces différences reposent en grande partie sur les gènes, et qu’elles sont donc largement héréditaires.

Je me dois de noter que tous les auteurs libéraux ne font pas cette erreur, Ludwig Von Mises ou encore Hoppe par exemple. Mais de façon générale, les libéraux ont cette tendance à penser des systèmes adaptés au type de personne qu’ils sont eux-mêmes, des gens aux capacités cognitives supérieures, en imaginant qu’ils seraient adéquats pour tous. Or, si vous pensez un système adapté à des personnes aux capacités cognitives supérieures, mais que ce dernier est sur le déclin, il produira de moins en moins de ces personnes et finira par péricliter.

Le premier tort des libéraux est de ne pas complètement prendre en compte l’importance des différences de capacités cognitives et leur héritabilité. Cela les amène à penser un système reposant sur le type d’homme leur ressemblant comme s’il était adéquat pour toute société. Un tel état d’esprit amènera nécessairement à avoir une préférence pour la démocratie où chacun peut faire entendre sa voix dans les affaires de la cité à égale mesure. C’est un idéal assez noble, mais encore faut-il s’assurer de favoriser un système qui permette de faire émerger ce type d’hommes ; et il n’est pas certain que la démocratie le permette.

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La démocratie contre la méritocratie

Sous la morne inondation démocratique d’aujourd’hui, qui submerge misérablement tant de choses belles et rares, cette classe spéciale de l’ancienne noblesse italienne dans laquelle, de génération en génération, une certaine tradition familiale d’élite culturelle, d’élégance et d’art a été maintenue vivante, est également en train de disparaître peu à peu.
C’est à cette classe, que je qualifierais d’arcadienne parce qu’elle a connu sa plus grande splendeur dans la douceur de vivre du XVIIIe siècle, qu’appartenait la famille Sperelli. L’urbanité, l’élégance de l’écriture, l’amour de la délicatesse, la prédilection pour les études inhabituelles, la manie de l’archéologie, la galanterie raffinée, sont autant de qualités héréditaires de la maison Sperelli. 

Gabriele d’Annunzio, Il Piacere

Le QI est en chute libre en Occident et si les raisons sont multifactorielles, il ne serait pas inintéressant de se pencher sur le fonctionnement même de la démocratie qui tend à le favoriser. Comment imaginer qu’un système offrant le même poids à des gens aux capacités différentes serait une bonne idée ? Les capacités cognitives étant distribuées selon une courbe en cloche, la médiocrité est la norme. Loin de faire émerger le type d’homme qui peut s’épanouir dans un système libéral, la démocratie permet au contraire de donner plus de poids à la médiocrité, qui finira par tuer la méritocratie, car la coalition des médiocres tirera les meilleurs vers le bas.

Si, comme je le crois, et comme je l’ai exposé précédemment dans un article, le devoir du politique est de créer les conditions environnementales permettant de faire émerger des individus de meilleure qualité, plus intelligents, alors nous sommes en train d’échouer. Et c’est bien normal car, comme je le dis dans le même article, le rôle de ces individus est d’être des observateurs-participants qui doivent créer l’information nécessaire – qui se doit d’être vraie – qui sera exploitée par l’industrie afin d’augmenter la puissance du politique. Il se créera alors un cercle vertueux. Cela demande donc nécessairement que les personnes en charge du politique comprennent l’importance et le but de leur rôle et se gardent de toute démagogie. Or, la démocratie va naturellement de pair avec la démagogie pour les raisons évoquées plus haut. Il est assez facile de caresser dans le sens du poil des individus moins bien pourvus en capacités cognitives afin d’obtenir le pouvoir. Alors la démocratie tendra inéluctablement vers toujours plus de médiocrité.

Le deuxième tort des libéraux est de sacraliser la démocratie et d’empêcher la discussion ouverte remettant en question un système qui empêche l’apparition du type d’homme supérieur qu’ils appellent de leurs voeux via la méritocratie. Ils rêvent de voir des petites communautés entrer en résistance face à la technostructure et se mettre spontanément à apprendre le latin et le grec mais c’est seulement en revendiquant l’importance de l’identité que nous pourrons retrouver la capacité de voir éclore des individus désireux d’apprendre le latin et le grec ancien. Cela peut se faire malgré la démocratie mais elle joue contre cette aspiration qui, en elle-même, relève d’un goût aristocratique et non-démocratique. Pourtant, ne pas être démocrate vous fera sortir du champ acceptable de toute discussion. La démocratie est pour eux une source d’ordre que la majorité choisira quand nous iront trop en avant dans le chaos. Mais y aura-t-il encore quelqu’un capable de nous en sortir ?

Parce que c’est bien beau de critiquer les réseaux sociaux et d’y voir la raison de la destruction de la démocratie, mais ils ne sont jamais que le catalyseur de ce qu’est une démocratie, et, plus précisément, le suffrage universel. Ils permettent comme jamais auparavant à des gens un peu malins de manipuler des gogos, parfois politiquement. Ils révèlent l’essence de la démocratie plus qu’ils ne la détruisent.

Une démocratie qu’ils participent à détruire

Si j’ai pu mettre en avant certains travers de la démocratie plus haut, ce que je critique est avant tout l’incapacité des libéraux à engager une discussion dépassionnée sur le bien-fondé de la démocratie. La démocratie a cependant des côtés positifs. En quoi s’avère-t-elle utile ?

Pourquoi les sociétés humaines ne convergent pas naturellement vers cet état d’égalité et de mélange maximal ? Parce que les sociétés sont des structures dissipatives, donc systèmes thermodynamiques ouverts. Cela signifie qu’elles vont maximiser le flux d’énergie qui les traverse afin de maintenir leur homéostasie et s’éloigner de ce point d’entropie maximum. Alors que les probabilités voudraient que tout système tende vers cet état d’égalité maximale, elles constituent au contraire une improbabilité qui se maintient dans le temps. À l’image de la vie… tout système nécessite une différentiation, une individuation des choses pour fonctionner. Il faut une différence de température pour qu’un cycle de Carnot fonctionne et fournisse du travail. Il faut une différence de potentiel pour qu’un courant circule. Il faut une différence de hauteur pour qu’une cascade fasse tourner une turbine. De la même façon, pour se maintenir dans le temps, les sociétés humaines ont besoin d’individuation, de différentiation et donc de hiérarchie et d’inégalités. En présence d’un flux d’énergie, des inégalités de richesses apparaissent qui vont permettre l’auto-organisation du système.

La démocratie favorisant l’égalité, elle va venir s’opposer à la capacité de production du système, ce qui n’est pas idéal. Cependant, ce n’est pas nécessairement un mal, car elle va constituer une boucle de rétroaction négative qui va aussi stabiliser le système tendant à toujours augmenter les inégalités. Ce qui le conduirait aussi à sa perte à terme. C’est pourquoi on observe logiquement que la sélection naturelle va favoriser à la fois les individus les plus égoïstes et les groupes les plus altruistes. La démocratie peut alors aider à trouver ce compromis. Mais, là aussi, nous ne sommes pas disposés à partager avec n’importe qui. Dans son livre La haine orpheline, Peggy Sastre nous renseigne sur certains traits favorisant l’échange et la démocratie.

Les sociétés les plus ethniquement homogènes sont aussi les plus à même d’être dotées de généreux systèmes de prestations sociales : accepter une redistribution de ses revenus pour aider les gens dans le besoin est cognitivement plus facile lorsqu’ils nous ressemblent, car notre « module de détection des tricheurs » nous susurre à l’oreille que les risques d’escroquerie sont peu élevés. […] les démocraties les plus stables semblent avoir plus de chances d’émerger dans des pays riches et ethniquement homogènes, ce qui laisse entendre que les individus se plient d’autant plus volontiers à l’autorité qu’ils estiment que « les leurs » pourront en tirer profit.

Peggy Sastre, La haine orpheline

Mais, pour être tout à fait honnête, je ne suis pas certain que la démocratie soit le moyen idéal pour servir de boucle de rétroaction négative réduisant les inégalités. Je pense qu’on pourrait trouver de meilleures solutions, mais je comprends son rôle donc, à défaut, je pense qu’il est bon de mettre en place les solutions tendant à la conserver à l’échelle de la nation, sans pour autant en faire un totem est être prêt à tenter autre chose.

Le troisième tort des libéraux est de vanter les mérites de la démocratie libérale tout en favorisant ce qui la détruit. Ils vont, dans le même temps, se plaindre de la destruction de la démocratie et s’opposer à ceux qui veulent maintenir les conditions de son existence, tout en accusant le socialisme. Mais le socialisme est autant une cause qu’une conséquence. S’il y a de plus en plus de redistribution c’est parce qu’il y a de plus en plus de médiocres à bercer de doux rêves ; et l’immigration, notamment, nous amène des individus aux capacités cognitives plus basses en moyenne, mais vous faites en sorte de maintenir cette situation en gardant ces immigrés au nom des libertés individuelles. Alors, vous faites le lit du socialisme qui fait le lit du césarisme à venir. Vous pouvez bien chouiner sur la destruction de la démocratie, mais vous ne faites pas en sorte qu’elle puisse prospérer, car vous refusez de voir qu’une société humaine constitue un tout holistique régi par des principes qu’on serait pourtant bien avisé de prendre en compte pour le bien de toutes les nations.

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L’anti-collectivisme primaire

L’échange produit à cet égard une illusion dont ne savent pas se préserver les esprits de la meilleure trempe, et j’affirme que l’économie politique aura atteint son but et rempli sa mission quand elle aura définitivement démontré ceci : Ce qui est vrai de l’homme est vrai de la société. L’homme isolé est à la fois producteur et consommateur, inventeur et entrepreneur, capitaliste et ouvrier ; tous les phénomènes économiques s’accomplissent en lui, et il est comme un résumé de la société. De même l’humanité, vue dans son ensemble, est un homme immense, collectif, multiple, auquel s’appliquent exactement les vérités observées sur l’individualité même.

Frédéric Bastiat, Harmonies économiques

Bastiat l’avait compris, si les individus représentent des unités, il semblerait que les groupes qu’ils forment ensemble disposent des mêmes caractéristiques, humanité inclue. On retrouve cette idée de façon encore plus claire chez les utilitaristes via la plume de John Stuart Mill qui va mettre en avant que l’homme « ne peut jamais se concevoir autrement que comme membre d’un corps ». Cela ne fait pas des utilitaristes des penseurs plus clairvoyants pour autant. J’ai d’ailleurs exprimé par le passé pourquoi je suis en désaccord avec la pensée hédoniste et, indirectement, l’utilitarisme. Si l’homme est bien membre d’un corps, ce qu’il convient de mesurer et de maximiser n’est pas le bonheur des membres de ce corps mais la réduction d’entropie. Je n’ai rien contre le bonheur en lui-même, aussi longtemps qu’on admet que le bonheur n’est rien d’autre que la puissance et non les seuls « plaisir et absence de souffrance » comme le fait Mill.

Par bonheur, il faut entendre le plaisir et l’absence de souffrance et par malheur il faut entendre la souffrance et l’absence de plaisir.

John Stuart Mill, L’utilitarisme

L’état social est si naturel, si nécessaire et si habituel à l’homme que, en dehors de circonstances peu ordinaires ou d’un effort volontaire d’abstraction, il ne peut jamais se concevoir autrement que comme membre d’un corps.

John Stuart Mill, L’utilitarisme

Je ne m’étendrai pas sur la critique de l’utilitarisme, car pour moi, il est, comme la démocratie, un début de socialisme ou un socialisme mou et cet article n’a pas pour but de dénoncer les individus qui usurpent le nom de libéral alors qu’ils sont des sociaux-démocrates. Lorsque Bentham affirme que nous devrions « compter chacun pour un et personne pour plus d’un », il veut dire que chaque individu doit être considéré comme ayant la même valeur et les mêmes droits que n’importe quel autre individu, ce qui rejoint la critique que j’ai adressé à la démocratie. Je sais bien que l’utilitarisme vient du libéralisme, Mill a écrit De la liberté dans lequel il tient des propos pas inintéressants sur la liberté individuelle et la nature humaine, mais il me semble paver la voie vers le socialisme et il n’y a guère que des demi-habiles comme MacAskill pour en reprendre le flambeau avec l’effective altruism ou des même-pas-demi pour carrément faire de John Stuart Mill leur maître à penser ou encore répéter à qui veut l’entendre que « tout ce qui importe c’est d’améliorer le bien-être de tous ici, maintenant et pour les générations futures ».

J’ai l’affreuse sensation de me répéter et je suis convaincu que ce doit être lassant pour mes lecteurs réguliers mais malheureusement – pour eux – beaucoup ne lisent pas tous mes articles alors je vais expliquer encore une fois en accéléré.

La vie est une structure dissipative autocatalytique capable d’homéostasie et d’apprentissage. Traduction, le rôle de la vie, et donc d’un humain, est de dissiper l’énergie le plus rapidement possible. Un être humain fonctionne alors à la manière d’un système cybernétique qui va chercher à optimiser la dissipation d’énergie et, pour ce faire, il existe un système de récompense dans notre cerveau. Ce système de récompense repose sur le striatum, la partie intérieure du cerveau qui régule notamment la motivation et les impulsions, notamment via la dopamine. Un humain va chercher à maximiser ses décharges de dopamine selon le principe de moindre action. Et c’est pourquoi on va naturellement obtenir ces pics de dopamines en mangeant, en ayant une activité sexuelle, en capturant de l’information pour laquelle on produit le moins d’énergie possible et en dominant ses semblables.

Quand on dit qu’un être humain va chercher à améliorer sa situation, on ne dit alors rien d’autre qu’augmenter sa néguentropie, qui passe par la maximisation de la dissipation d’énergie. L’être humain doit alors pour cela être actif, et c’est pourquoi les principes dépeints par Ludwig Von Mises dans son livre « L’action humaine » tapent juste. Au sein d’un système capitaliste reposant sur le marché libre et le droit de propriété, la seule façon pour un individu d’augmenter sa néguentropie est de participer à la création de biens et services qui vont augmenter celle des autres. Il va alors se former un ordre spontané et une hiérarchie naturelle à partir des échanges inter-individuels, et tout va bien dans le meilleur des mondes.

Ce système, reposant sur le marché libre qui se crée, est une nouvelle structure dissipative, autocatalytique, car elle croît naturellement, capable d’homéostasie, car elle se maintient dans le temps et d’apprentissage. Contrairement à ce que pense Mises, il est donc possible d’appréhender ce nouveau système de façon holiste. Ce dernier suit, lui aussi, des principes cybernétiques avec des boucles positives d’expansion et des boucles de contrôle rétroactives qu’on appelle les crises. Quand en 1776, Adam Smith invoquait l’intervention quasi-surnaturelle d’une « main invisible » pour expliquer un processus d’auto-optimisation de l’économie, il ne disait rien d’autre. Mais cette main invisible organisait de facto la nation, car la première caractéristique d’une structure dissipative s’auto-organisant, c’est de posséder des contours, sinon il n’y a tout simplement pas d’objet à organiser.

Le quatrième tort des libéraux est de refuser de voir que l’ordre spontané vient organiser un objet qui doit être défini au préalable, et former un tout supérieur à l’addition de ses parties. Seul l’individu compterait, alors ils s’attachent à n’observer ce système que dans la plus petite unité qui le compose. Cela reviendrait à dire qu’un cyclone, qui est aussi une structure dissipative, n’existe pas. Seuls les atomes en mouvement qui le constituent existeraient et que, bien qu’on observe un certain ordre, le cyclone n’existerait pas réellement. Fort bien, mais ces atomes ne bougent pas n’importe comment, ils s’auto-organisent en deux courants d’airs chaud et froid de manière à former un cyclone qui prend alors forme et existe car cet ordre lui confère son identité de cyclone.

Une cécité sur la cohésion ethnique

Il suffit qu’une sorte d’égalité soit obtenue pour que surgisse une nouvelle revendication. L’égalité juridique n’est rien sans l’égalité économico-sociale. Or celle-ci demeure impossible, même en une société ethniquement homogène.

Raymond Aron, Les désillusions du progrès

Comment former des États dits nationaux, c’est-à-dire avec une population plus ou moins ethniquement homogène, en Europe centrale et orientale ?

Raymond Aron, Les désillusions du progrès

Pourquoi Raymond Aron précise-t-il que l’égalité est impossible même dans une société ethniquement homogène ? Laisserait-il entendre qu’il serait possible qu’il existe des différences entre groupes ethniques ? Que deux groupes cohabitant puissent être une source de tension ? En-tout-cas, il n’y a pas de doute que dans son esprit, une nation est synonyme d’homogénéité ethnique.

Le système capitaliste est la structure dissipative la plus aboutie, mais elle n’est pas sortie de nulle part. Avec l’invention de l’agriculture, les humains ont inventé la première structure dissipative reposant sur une société humaine. Ils vivaient déjà ensemble auparavant au sein de tribus de chasseurs-cueilleurs, mais chacun avait plus ou moins le même rôle. Les plus forts s’accaparaient des richesses en plus par la force, mais ils ne formaient pas un système ordonné et organisé. C’est vraiment avec l’invention de l’agriculture et la division du travail qui en découle que nous avons commencé à nous organiser en système. Les humains ont toujours agi, mais ils prennent conscience de leur capacité d’agir et s’organisent dans ce but, ce qui donnera la cité. Et ça aussi, Mises l’avait bien perçu.

Chaque pas par lequel un individu substitue l’action concertée à l’action isolée entraîne une amélioration immédiate et reconnaissable de sa situation. Les avantages tirés de la coopération pacifique et de la division du travail sont universels. Ils profitent immédiatement à toute génération, et pas seulement plus tard aux descendants. Pour ce qu’il sacrifie en faveur de la société, l’individu est amplement récompensé par des avantages supérieurs. Son sacrifice est seulement apparent et momentané ; il renonce à un gain mineur en vue d’en recueillir un plus grand ensuite. Aucun être raisonnable ne peut manquer de voir ce fait évident. Lorsque la coopération sociale est intensifiée par l’extension du domaine de la division du travail, lorsque la protection juridique et la sauvegarde de la paix sont renforcées, le moteur est le désir de tous les intéressés d’améliorer leur situation propre. En s’efforçant dans le sens de ses propres intérêts – bien compris – l’individu travaille pour l’intensification de la coopération sociale et de rapports pacifiques. La société est un produit de l’agir humain, c’est-à-dire de l’impulsion résolue de l’homme vers l’élimination de ce qui le gêne, autant que cela lui est possible.

Ludwig von Mises, L’action humaine

Les cités vont alors s’auto-organiser afin de travailler « pour l’intensification de la coopération sociale et de rapports pacifiques ». Je rigole, bien sûr que non. Les cités vont se faire la guerre et se piller et les citoyens auront le devoir de défendre leur cité. Chaque cité va représenter une structure dissipative en compétition avec les autres, échangeant des biens et services via le commerce. Les plus efficaces dans l’art du commerce ou de la guerre auront une tendance naturelle à l’expansion qui donnera lieu aux empires. Ces empires finiront toujours par se fragmenter en des structures plus petites et plus facilement dirigeables. Là aussi, c’est exactement ce qu’on attendrait d’un système cybernétique qui va trop loin dans une boucle d’accélération positive et qui subit le contre-coup d’une boucle négative trop tardive cherchant la stabilité.

Plus une structure dissipative va être grande, plus elle va être intelligente. L’intelligence est à comprendre ici comme la mémorisation et la circulation d’information ou l’augmentation de l’ordre, la néguentropie. L’information va être stockée dans les gènes et dans le cerveau. Plus la structure dissipative est petite, plus les gènes vont primer. À commencer par l’individu qui veut transmettre ses gènes. La plus petite structure dissipative après l’individu est la famille où le rôle des gènes est central. Puis, plus la structure dissipative va être grande, et plus elle va reposer sur le mème, qui est la plus petite unité d’information culturelle.

Le capitalisme ne pouvait pas naître ailleurs qu’en Europe. Max Weber mettra en avant comment l’éthique protestante y est intimement liée et Joseph Henrich insistera sur la façon par laquelle le protestantisme, en poussant à la lecture, a reconfiguré les connexions biologiques de notre cerveau. Cela aboutira à une psychologie particulière qu’il nomme WEIRD (West, Educated, Industrialized, Rich, Democratic). Cette psychologie est assez noble et c’est un trait souhaitable. Elle permet d’améliorer la collaboration avec les individus extérieurs à nos cercles directs. Mais il faut être conscient que cela représente une particularité occidentale. C’est alors tout un paradoxe. Alors même que notre psychologie tend plus vers l’ouverture et que c’est une bonne chose, elle en devient dangereuse si elle s’applique à des gens ne la partageant pas. Et à en croire l’étude ci-dessous effectuée aux USA, les Blancs sont les seuls à noter tous les groupes raciaux de façon égale et à ne pas témoigner d’une préférence raciale marquée. C’est pourquoi j’avais écrit cet article où je disais que l’universalisme est un idéal, mais que le communautarisme est inéluctablement la réalité, car cet esprit d’universalité est en réalité une disposition particulière des Européens de l’Ouest. Je ne doute pas que ces quelques lignes vous mettront mal à l’aise car notre particularité est de ne pas être conscients de notre particularité.

Comment les groupes raciaux se notent entre eux aux USA

Résumons les trois principaux points de ce chapitre.
1) Les schémas que nous avons observés en Europe correspondent à ceux que nous avons vus au niveau mondial dans le dernier chapitre. Plus une population a été exposée longtemps à l’Église occidentale, plus ses familles sont faibles et plus ses schémas psychologiques sont WEIRD aujourd’hui. Sauf qu’aujourd’hui, nos comparaisons au sein des pays européens laissent beaucoup moins de place à d’autres explications. Ces schémas ne peuvent s’expliquer par le colonialisme, les « gènes européens », les institutions démocratiques, la prospérité économique ou les différences individuelles de revenu, de richesse, d’éducation, de confession religieuse ou de religiosité.
2) L’effet des institutions fondées sur la parenté sur la psychologie des gens est culturellement persistant. Les enfants d’immigrés, qui grandissent entièrement en Europe, manifestent encore les calibrages psychologiques associés aux institutions basées sur la parenté et liées aux pays d’origine ou aux groupes ethnolinguistiques de leurs parents.
3) Des modèles similaires de variation psychologique peuvent également être détectés dans d’autres grandes régions, notamment en Chine et en Inde. Si ces variations psychologiques sont probablement liées à des différences régionales dans l’intensité des liens de parenté, leurs causes sous-jacentes ne sont pas liées à l’Église, mais à des facteurs écologiques et climatiques qui ont rendu l’irrigation et la riziculture particulièrement productives au cours de l’histoire de la population.

Joseph Henrich, The Weirdest people in the world (traduction personnelle de l’anglais)

Être ouvert et coopérant avec les étrangers fait partie de notre culture et on en oublie que cela nous est propre et appelle à être protégé. Nous sommes dans un dilemme face à l’immigration. La rejeter et avoir la sensation de perdre notre identité ou l’accepter et, de facto, perdre notre identité. Partager une culture reste important. Au sein de la structure dissipative la plus large qu’est le technocapital, même la culture des individus est appelée à être gommée au profit d’une nouvelle culture d’entreprise. Mais malgré cela, une étude de 2012 sur la diversité ethnique au travail aboutit à la conclusion que plus la diversité ethnique est grande, plus la productivité de l’entreprise diminue. Et c’est fort logique.

Un humain va dissiper l’énergie via son système cognitif selon le principe de moindre action. Il aura pour effet, avec le temps, de créer des canaux. De la même manière, l’eau qui s’écoule sur un terrain accidenté emprunte le chemin lui opposant le moins de résistance. L’effet au fil du temps de l’eau qui s’écoule par certains chemins crée de nouveaux ruisseaux et de nouvelles rivières plus profonds et plus larges que ceux qui existent déjà. Dans un organisme, le développement de tels canaux établit un courant par lequel d’autres stimuli similaires sont canalisés. Cela a pour effet de diminuer l’importance des informations récurrentes traitées au point qu’elles peuvent être ignorées puisque les stimuli qu’elles présentent n’ont pas d’impact différenciateur sur le milieu cognitif. Cela signifie que nous avons appris quelque chose sur le monde. Le but de l’inconscient sera alors la capacité à mémoriser, et traiter des informations afin de guider le comportement le plus efficacement possible notre système cognitif repose en grande partie sur ce dernier.

Au contraire, un événement inattendu sera porté à votre conscience. Alors trust me dude, car je n’ai pas de source, mais il me semble fort probable que vivre avec des gens partageant le même fond ethnoculturel permet de laisser une large part à l’inconscient. Ce que Bernard Stiegler appelle la « mémoire ethnique » qui « assure la reproduction des comportements dans les sociétés humaines ». Au contraire, je ne serais pas étonné de voir que vivre avec des gens issus de milieux ethnoculturels différents, demande de porter à la conscience beaucoup plus d’informations. « Est-ce qu’il a les codes ? », « Est-ce qu’on s’est compris ? », « Que signifie Allah Ouakbar ? » , « Est-ce qu’il va m’égorger ? ». Ce qui est sûr, c’est que les recommandations de l’entreprise Vente Privée, installée à Saint-Denis, à destination de ses employées devant se déplacer, illustrent une réalité de la mobilité locale plus proche du parcours du combattant que du parcours de santé.

Hayek ne dit d’ailleurs rien d’autre que moi. Non seulement, il met en avant qu’il est plus facile d’anticiper le comportement des personnes qui sont « du même genre que nos proches » mais en plus, il met en avant qu’un peuple comme les Anglais possède une particularité, un libéralisme naturel. Alors le libéralisme serait plus naturel pour des individus issus de certains peuples plutôt que d’autres ?

Croire en un but et en un intérêt commun à tous les hommes serait admettre une ressemblance dans la formation et dans la mentalité qui ne saurait exister entre êtres humains. Sans connaître personnellement tous les autres membres de notre propre groupe, nous savons qu’ils sont du même genre que nos proches, qu’ils parlent et pensent de la même façon et traitent à peu près des mêmes sujets : c’est pour cela que nous pouvons nous identifier avec eux.

Friedrich Hayek, La route de la servitude

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Les Anglais ne se rendent pas compte combien ils sont différents de tous les autres peuples par le fait qu’ils tiennent tous, plus ou moins indépendamment de toutes nuances de partis, aux idées qui, sous leur forme la plus explicite, portent le nom de libéralisme. En comparaison avec d’autres peuples, presque tous les Anglais étaient, il y a seulement vingt ans, des libéraux, quelle que fût leur position à l’égard du parti libéral.

Friedrich Hayek, La route de la servitude

Le cinquième et dernier tort des libéraux est de refuser de voir que les individus ne sont pas des monades cherchant leur intérêt personnel et celui des autres de façon équivalente. Si le but de la liberté est bien de chercher l’ordre spontané, il convient de définir en premier lieu quel objet elle est censée ordonner. Et cet objet, c’est la nation.

Bien que les gènes jouent un rôle de moins en moins important avec la réduction de la taille de la structure dissipative, il n’en reste pas moins que ce rôle existe. Il en va de même pour la culture. Une société comme une entreprise formée de gens partageant des gènes et une culture proche seront plus efficaces, car le traitement et l’échange d’informations y seront optimaux. De la même façon qu’on ne peut pas greffer n’importe quel organe sur n’importe qui au risque de faire un rejet, on ne peut pas inclure n’importe qui à n’importe quelle société et entreprise. Les greffes fonctionnent mieux entre frères et sœurs. D’ailleurs, on dit de la nation qu’elle est la « famille des familles » et beaucoup de compagnies aiment à se présenter comme une grande famille, mais elles ne seront jamais plus efficaces qu’une vraie famille.

Alors les libéraux diront, « il suffit d’avoir la même culture, peu importe d’où on vient ». Oui, mais ça ne se décide pas aussi simplement. Les individus ont hérité de gènes et d’une culture. Ils font déjà partie d’une famille, d’une nation, d’une religion alors comment faire en sorte d’avoir une culture commune ? En décrétant qu’il faille « vivre ensemble » ? Ce n’est pas une culture. En l’imposant par l’éducation, ce qu’on appelle l’assimilation ? Ce n’est pas très libéral, mais quand bien même vous le feriez, cette culture imposée entrera en conflit avec la culture héritée faisant référence à un système cybernétique différent.

Le marché libre est une structure dissipative qui s’auto-organise, et si vous le laissez livré à lui-même, il détruira nécessairement la nation et donc la démocratie. Pourquoi cela serait préjudiciable à la démocratie ? Car comme je l’ai expliqué plus haut, un système thermodynamique ouvert tend naturellement à augmenter les inégalités. Si ce système est le monde entier sous l’égide du marché libre, nous allons observer des inégalités accrues entre pays et les ressortissants des pays moins bien lotis tendront naturellement à venir s’installer dans les pays les mieux lotis et, faute de pouvoir accéder à leur but via la méritocratie, ils tenteront de le faire via la démocratie. De là, naîtra naturellement le communautarisme qui tuera la nation en premier lieu, et la démocratie dans un second temps. Si vous ajoutez à cela des mœurs qui imposent de taire les différences de capacités cognitives interethniques, alors vous n’aurez que des minables en politique car ceux capables de redresser la barre seront traités de racistes, y compris par vous les libéraux.

Dans les années qui viennent, il vous sera nécessaire de faire un choix entre vos principes libéraux abstraits ou rétablir les conditions qui ont permis leur naissance en premier lieu. Le libéralisme-identitaire, c’est souhaiter rétablir et maintenir les conditions favorisant un libéralisme fonctionnel. L’identité n’est pas un gros mot, elle complète ce que le libéralisme ne se donne pas pour but de traiter. Le libéralisme est seulement un cadre juridique. Je suis entièrement d’accord. Mais alors se définir comme libéral n’est pas suffisant dès lors qu’on prétend se positionner politiquement sur le bon fonctionnement de la société.

Pour le dire simplement, et à la manière de Kant, un humain et une nation ont besoin d’avoir ce qu’il nomme une identité numérique. Il fait la différence entre le Moi qui change dans le monde phénoménologique et le Moi transcendantal qui représente la permanence du Moi dans le changement. Le libéralisme s’occupe uniquement du monde phénoménologique et il favorise le changement des conditions matérielles pour le mieux. Mais il ne doit pas négliger le Moi transcendental, notre identité, ce qui fait que nous sommes nous au-delà de ces changements.

L’identité est nécessairement individuelle et collective. Elle est le fruit d’une coévolution gènes-culture et elle est en constante évolution, mais elle doit être stable. Elle n’est pas une chose figée à protéger à tout prix, mais elle permet de satisfaire un besoin de stabilité. Tout organisme doit résoudre un compromis entre la malléabilité, lui offrant une plus grande adaptabilité, et une stabilité, lui permettant de se maintenir dans le temps. L’identité est cette stabilité nécessaire à un système tendant trop vers la malléabilité à l’heure actuelle. Si vous ne vous souciez pas de l’identité, vous entraînerez les systèmes cybernétiques qui régissent la structure dissipative nommée France vers la dégénérescence, et vous y perdrez aussi la liberté et le progrès. Le libéralisme-identitaire est une union des droites de Ayn Rand à Ernst Jünger – ou de Bastiat à Saint-Exupéry pour rester français – et elle est nécessaire. Elle n’est pas seulement nécessaire sur un plan comptable pour gagner des voix dans un contexte démocratique, elle est nécessaire d’un point de vue philosophique, car c’est sur cette combinaison que repose la civilisation, fille du progrès. Mais en réalité, au fond de vous, vous le savez déjà.

Il y a fort à parier que le bon fonctionnement d’une société repose sur la résolution de compromis entre les trois domaines mis en avant ici dans le schéma ; Liberté / Solidarité, Innovation / Conservation, Universel / Identité. Dans la France d’aujourd’hui, où la spoliation étatique atteint des records, il est une évidence que nous avons besoin de plus de liberté et de libéralisme. On est ensemble là-dessus. Mais je vous demanderais de questionner vos positionnement sur les autres parties. Doit-on aller vers encore plus d’universalisme contre « l’identitarisme des wokes » ou la question de l’identité n’est-elle pas capitale aujourd’hui ? Si vous vous réclamez du progressisme, quel genre de progrès défendez-vous, et est-ce vraiment du progrès ou de simples innovations ayant des effets neutres dans le meilleur des cas, ou délétères dans le pire ? Si au contraire vous vous dîtes conservateurs, que tentez-vous de conserver ? Si je peux vous aider dans cette réflexion, j’ai pour ma part proposé des éléments de réponses sur ces questions en évoquant l’individuationnisme, comme compromis entre la nécessité d’identité au sein d’un environnement soumis à des lois universelles, et l’archéoprogressisme, redéfinissant le progrès comme l’innovation permettant de réduire l’entropie, donc soumise à une sélection conservatrice.

BONUS : Petit message à destination de Ferghane qui a pris la décision de bloquer le compte de Rage sur Twitter lorsque nous avons, pour aller dans son sens, dit qu’il fallait effectivement questionner pourquoi la Corée du Sud exporte des réacteurs nucléaires aujourd’hui et pas l’Afrique. Il se trouve que Henrich a une piste de réponse là aussi mais Ferghane ne semblait pas prêt à l’entendre.

“Cependant, reconnaître l’impact culturel et psychologique créé par une longue histoire de complexité sociétale nous aide à comprendre pourquoi certaines sociétés, comme le Japon, la Corée du Sud et la Chine, ont été capables de s’adapter relativement rapidement aux configurations économiques et aux opportunités mondiales créées par les sociétés WEIRD. Deux facteurs sont probablement importants. Premièrement, ces sociétés ont toutes connu une longue histoire d’agriculture et de gouvernements d’État qui ont favorisé l’évolution des valeurs culturelles, des coutumes et des normes encourageant l’éducation formelle, l’ardeur au travail et la volonté de différer la gratification. Il s’agit, en quelque sorte, d’adaptations culturelles préexistantes qui se sont avérées s’accorder parfaitement avec les nouvelles institutions issues des sociétés WEIRD. Deuxièmement, leurs orientations descendantes plus puissantes ont permis à ces sociétés d’adopter et de mettre en œuvre rapidement des institutions clés basées sur la parenté et copiées des sociétés WEIRD. Le Japon, par exemple, a commencé à copier les institutions civiles des sociétés WEIRD dans les années 1880, pendant la restauration Meiji, notamment en interdisant les mariages polygynes. De même, comme nous l’avons vu plus haut, le gouvernement communiste chinois a lancé dans les années 1950 un programme visant à abolir les clans, la polygynie, les mariages arrangés, les unions entre proches parents et l’héritage purement patrilinéaire (c’est-à-dire que les filles devaient recevoir un héritage égal à celui des garçons). En Corée du Sud, le gouvernement a adopté en 1957 un code civil de style occidental “qui exigeait le consentement des futurs mariés et des futures mariées, interdisait les mariages polygynes et interdisait les mariages avec des parents jusqu’à des cousins au troisième degré, que ce soit par le sang ou par le mariage”. Depuis lors, divers amendements ont éloigné la société sud-coréenne de la parenté patriarcale intensive. En 1991, l’héritage est enfin devenu bilatéral, de sorte que les fils et les filles héritent désormais à parts égales. Dans ces trois sociétés asiatiques, le modèle de mariage européen qui avait dominé l’Europe médiévale sous l’égide de l’Église catholique a été rapidement mis en œuvre du haut vers le bas6.
La grande différence, par rapport à l’Europe préindustrielle, est que ces sociétés asiatiques des XIXe et XXe siècles pouvaient également copier et adapter des versions fonctionnelles de gouvernements représentatifs, de codes juridiques occidentaux, d’universités, de programmes de recherche scientifique et d’organisations commerciales modernes, de manière à pouvoir se brancher directement sur l’économie mondiale. Les institutions formelles modernes sont désormais, dans une certaine mesure, disponibles “sur étagère”, bien que leur performance dépende de la psychologie culturelle de la population”.

Joseph Henrich, The WEIRDest people in the world (traduction personnelle de l’anglais)

Les élites politiques africaines ne peuvent pas tout mettre sur le dos de l’histoire pour dissimuler leur corruption et tu ne peux pas tout mettre sur le dos de la corruption pour dissimuler des potentielles différences de psychologies au sein des populations… Ne tire pas sur le messager Ferghane.

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