Intelligence et identité [TNT 14]

Aussi dirai-je en passant que, parmi les philosophes, mon antipode direct est Anaxagore. Car il a considéré arbitrairement comme l’élément premier et originel, d’où dérive le reste, un νους, une intelligence, un sujet représentant, et il passe pour avoir le premier établi cette manière de voir.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

Schopenhauer et Nietzsche avaient respectivement mené une réflexion portant sur la volonté et le désir comme des formes primordiales du monde. La volonté et le désir d’un individu ne seraient que l’individuation de la Volonté et du Désir primordiaux. Puisque tout système est en interaction avec d’autres systèmes et forme des méta-systèmes, il est évident que ce qui est valable pour une partie du processus présent dans mon schéma est valable pour les autres. L’intelligence occupant une place aussi importante que la volonté et le désir, il n’est alors pas étonnant de voir qu’on pourra mener la même réflexion pour cette dernière, comme le fera Nick Land.

Reprenons notre schéma et expliquons les trois derniers éléments qui le composent, l’Intelligence, le Désir et la Volonté, em commençant ici par l’intelligence et le lien qu’elle entretient avec l’essence donc l’identité.

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Intelligence primordiale

Comme Nietzsche, Nick Land est un auteur difficile qui s’inscrit dans la tradition de la philosophie continentale. Mais surtout, comme Nietzsche, sa pensée repose sur les connaissances scientifiques de son temps. Il est d’autant plus intéressant que par certains aspects, Nick Land vient affiner la pensée au marteau de l’auteur allemand. Une des idées majeures de Nietzsche est de refuser l’évolution darwinienne dans ce qu’elle a d’utilitariste. La vie est pour lui une sainte affirmation qui dépasse la simple autoconservation. Il critique seulement l’aspect utilitaire de la sélection naturelle darwinienne qui n’envisage que l’adaptation aux conditions extérieures et néglige ce qu’il appelle la volonté de puissance. Il considère que la plasticité que Lamarck a vue dans la vie est un point de vue bien plus pertinent que l’évolutionnisme darwinien. Bref, pour Nietzsche, les darwinistes sont des midwits.

Nietzsche finira par appréhender la vie et le corps comme traversé par deux forces. Il appelle actives les forces dominantes et réactives les forces dominées. L’harmonisation de ces deux forces antagonistes, résulte dans ce que Nietzsche appelle le Grand Style.

Et c’est là, en quelques sortes, qu’on peut rattacher la pensée de Nietzsche et celle de Nick Land, laquelle semble venir la compléter en s’appuyant sur le principe de la cybernétique. Plus qu’une volonté de puissance, il met alors fort logiquement en avant ce qu’il appelle la volonté de penser dans son texte Will-to-think, ou la Volonté de penser. Par une expérience de pensée, il imagine comment réagirait Gandhi si on lui proposait de prendre, dans un premier temps, une pilule qui l’amènerait à tuer des gens, et dans un deuxième temps, une pilule augmentant son intelligence.

La volonté de penser est une orientation du désir. Si elle ne peut pas se faire désirer, elle ne peut pas se faire du tout. […] Le désir de prendre la pilule est la volonté de penser. Le refus de la prendre, fondé sur la crainte qu’elle ne conduise à la subversion des valeurs actuellement suprêmes, est l’alternative. Il s’agit d’un dilemme booléen, fondé sur le problème existentiel suivant : existe-t-il quelque chose en quoi nous ayons plus confiance que l’intelligence (comme guide pour faire « la bonne chose ») ? Le postulat de la volonté de penser est que toute réponse autre que négative à cette question est contradictoire et autodestructrice, et en fait (historiquement) insoutenable.

Nick Land, Will-to-Think

Le postulat est donc que personne ne choisirait de ne pas être plus intelligent. Nick Land dépasse les intuitions de Nietzsche puisqu’il s’attaque directement à l’intelligence et non la vie. Or, la vie n’est jamais qu’un moyen de l’Univers pour dissiper l’énergie, la dissipation d’énergie est équivalente à la dissipation d’information, et l’intelligence n’est jamais que la capacité à traiter l’information. La sélection naturelle favorisant l’organisme qui dissipe le plus vite l’énergie, alors elle tend nécessairement vers une maximisation de l’intelligence.

Il n’y a alors pas de différence fondamentale entre la volonté de puissance et la volonté de penser. Si Nietzsche met l’accent sur la volonté qui a pour but la puissance, Land insiste, lui, sur la réflexion, les deux sont en réalité complémentaires et expose deux facettes d’un même processus. La volonté a pour but l’essence, ou la puissance, mais comme le but final du processus est la connaissance, ce qu’on nomme puissance est intimement lié à cette dernière et nécessite le besoin de penser. La volonté de puissance est une volonté de penser.

Comme Nick Land le comprend dans un court texte intitulé What is intelligence, cela dépasse le simple cadre de la vie pour s’inscrire dans un principe fondamental de l’Univers que l’on retrouve également dans la robotique, au sein de systèmes institutionnels dont le capitalisme fait partie, ainsi que dans tout système qu’on pourrait qualifier, selon les termes de Prigogine, de structure dissipative. Il va donc à l’essence commune que partage la vie avec ces autres systèmes, au principe qui les sous-tend, qui est constitué de forces actives et réactives qui en font un système cybernétique qu’on appelle l’intelligence.

Nietzsche avait compris qu’un humain n’est qu’une expression de principes se répétant à différentes échelles. Si l’univers est conversationnel, alors Nick Land a raison d’insister sur la volonté de penser plutôt que la seule volonté de puissance, et donc sur l’importance de l’intelligence.

En admettant enfin qu’il soit possible d’établir que notre vie instinctive tout entière n’est que le développement et la différenciation d’une seule forme fondamentale de la volonté — je veux dire, conformément à ma thèse, de la volonté de puissance, — en admettant qu’il soit possible de ramener toutes les fonctions organiques à cette volonté de puissance, d’y trouver aussi la solution du problème de la fécondation et de la nutrition — c’est un seul et même problème, — on aurait ainsi acquis le droit de désigner toute force agissante du nom de volonté de puissance. L’univers vu du dedans, l’univers défini et déterminé par son « caractère intelligible », ne serait pas autre chose que la « volonté de puissance ».

Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal 

Le capitalisme, n’a pas de limite extérieure, il a consommé la vie et l’intelligence biologique pour créer une nouvelle vie et un nouveau plan d’intelligence, vaste au-delà de l’anticipation humaine

Nick Land, Critique of Transcendental Miserablism

Le facteur cognitif général (g), mesuré par les tests de QI, quantifie l’intelligence à l’échelle humaine, mais il ne nous dit pas ce qu’elle est. Il faut plutôt partir d’une compréhension pratique de l’intelligence – en tant que capacité à résoudre des problèmes – pour pouvoir la tester.

L’idée d’intelligence, dit de manière plus abstraite, s’applique bien au-delà des tests de QI, à une grande variété de systèmes naturels, techniques et institutionnels, de la biologie à la robotique, en passant par les arrangements écologiques et économiques. Dans chaque cas, l’intelligence résout les problèmes en guidant le comportement de sorte à produire une extropie locale. Elle se manifeste par l’évitement des conséquences probables, ce qui équivaut à la construction de l’information.

La science générale de la production d’extropie (ou dissipation d’entropie) est la cybernétique. Il s’ensuit donc que l’intelligence possède toujours une infrastructure cybernétique, constituée de circuits de rétroaction adaptatifs qui ajustent le contrôle moteur en réponse aux signaux extraits de l’environnement. L’intelligence élabore des mécanismes qui sont intrinsèquement « réalistes », car ils signalent le résultat réel du comportement (plutôt que le résultat escompté), afin de corriger la performance.

Les circuits de rétroaction homéostatique, même rudimentaires, ont évolué. En d’autres termes, les mécanismes cybernétiques qui semblent simplement permettre la préservation du déséquilibre témoignent d’un cadre cybernétique plus général et plus complexe qui a réussi à renforcer le déséquilibre. Le modèle cybernétique de base n’est donc pas conservateur, mais productif.

Les organisations de rétroaction conservatrice (négative) ont elles-mêmes été produites comme solutions à des problèmes thermodynamiques locaux, par des processus intrinsèquement intelligents d’augmentation soutenue de l’extropie, d’assemblage de rétroaction (positive) ou d’amplification. Dans la nature, où rien n’est simplement donné (de sorte que tout doit être construit), l’existence d’une improbabilité auto-entretenue est l’indice d’une déviation plus profonde de la probabilité. C’est cette intensification cybernétique qui constitue l’intelligence, formulé abstraitement.

L’intelligence, telle que nous la connaissons, s’est construite par intensification cybernétique, au sein de l’histoire biologique terrestre. Elle est naturellement appréhendée comme une tendance amplificatrice, soutenue pendant plus de 3 000 000 000 d’années, à la production d’une sensibilité de rétroaction toujours plus poussée, d’une improbabilité extropique, ou d’informations fonctionnellement pertinente. L’augmentation de l’intelligence permet des réponses adaptatives d’une complexité et d’une généralité supérieures, en partie parce que l’augmentation de l’intelligence elle-même devient une réponse adaptative générale.

Nick Land, What is intelligence

Pour expliquer le texte de Nick Land, qui est fondamental, l’intelligence se confond avec la production d’extropie. L’entropie est statistique. Elle est la mesure du nombre de micro-états possibles conduisants aux macro-états. Le nombre de micro-états tendant vers une plus grande désorganisation sont supérieurs. Il est statistiquement plus probable qu’un système tendent vers plus d’entropie lorsque ces états sont choisis au hasard. L’a probabilité pour un système de tendre vers plus d’entropie est supérieure. L’intelligence, dans son essence, déjoue ce hasard pour tendre, au contraire, vers une réduction d’entropie. Elle est ce qui guide le comportement d’un système qui va chercher son extropie.

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Intelligence et incertitude

On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter. 

Emmanuel Kant, Réflexions sur l’éducation

L’intelligence va donc, in fine, permettre la production d’extropie. Mais quel est son rôle particulier au sein de ce processus ? Reprenons notre schéma. L’intellect permet d’identifier les possibilités qui s’offrent à nous. Chacune d’elle représente une projection de notre être futur que l’intelligence va identifier et soumettre au jugement pour les évaluer. Identifier et évaluer implique que, bien souvent, nous ne pouvons considérer l’ensemble des possibilités s’offrant à nous et qu’il est parfois délicat de les évaluer correctement. Nous sommes donc dans une situation d’incertitude. Le but de l’intelligence va être de maximiser le nombre de possibilités afin d’avoir le choix le plus vaste possible et de les évaluer le plus correctement possible afin de les soumettre au désir qui se dirigera vers celle paraissant la plus souhaitable. Chaque possibilité est une incertitude et, comme le dit Kant, on mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter.

En matière de prévision, le jugement est supérieur à l’intelligence. L’intelligence montre toutes les possibilités pouvant se produire. Le jugement discerne parmi ces possibilités celles qui ont le plus de chance de se réaliser.

Gustave le Bon, Hier et demain

Ces possibilités peuvent aller des choix les plus simples aux plus compliqués. Cela peut être simplement décider où manger à midi. Un endroit qu’on connaît déjà pour gagner du temps et limiter l’incertitude ou un nouvel endroit qui demande une recherche, donc une action ? Quels critères prendre en compte ? L’intellect va opérer une sélection en trois temps ; maximisation des possibilités, évaluation, sélection. Mais les choix peuvent aussi être de premier ordre. Vers quelles études dois-je me diriger ? Ces choix auront un impact direct sur notre identité future, comprise comme le résultat de l’information dont on a hérité, nos choix passés qui ont conduit à la situation actuelle, et une projection de ce qu’on peut devenir. L’intelligence doit nous permettre d’en considérer le maximum et de les évaluer le plus correctement possible, afin de construire notre identité efficacement, augmenter notre puissance, notre extropie.

Cependant, celui qui a le dernier mot, reste le désir. Ainsi, l’intelligence et le désir peuvent entrer en conflit. En évaluant la valeur de chaque possibilité, l’intelligence nous permet de nous projeter sur leurs conséquences à long terme, mais une action représentant une conséquence néfaste n’en devient pas indésirable pour autant. Dois-je manger ce chou à la crème à la fin du repas ? Dois-je revoir cette ex qui m’a recontacté alors que j’ai une nouvelle copine ? On peut malheureusement parfois analyser une situation très clairement et continuer à faire des choix idiots.

Ces possibilités font partie de notre essence, laquelle appelle à être révélée par l’expérience selon nos choix existentiels. Vous êtes ce que vous faites. En volant, vous devenez un voleur. En ne volant plus, vous devenez un voleur repenti. La révélation de l’essence par l’expérience est une résolution de l’incertitude d’un potentiel latent. Et certains ont des potentialités de devenir une chose plutôt qu’une autre plus grande. Personne ne naît voleur effectivement. Je suis d’accord avec les gens de gauche sur ce point. Mais ces derniers nieront que certains naissent avec une plus grande probabilité ontologique de le devenir et ils continueront à décorréler l’acte de vol et l’essence du sujet s’y employant, même après sa 50ème conviction. C’est faux. Si vous tapez dans la caisse en tant que Président, ce sera sur votre page Wikipedia et vous serez un voleur pour l’éternité. Vous devenez, ce que vous êtes. Non pas parce que l’être est une chose déterminée à la naissance, mais parce qu’au contraire il est la somme de toute l’information que vous aurez laissée à la fin.

Soyez intelligents. Déjouez les statistiques. Devenez ce que vous êtes.

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