La volonté ? Elle n’est point un concept, mais un nom, un mot primaire comme Dieu, le signe d’une chose dont nous avons intérieurement une conscience immédiate, sans jamais pouvoir la décrire.
Oswald Spengler, Le déclin de l’Occident
La volonté paraît supérieure : car le bien et la fin sont les objets de la volonté. Or la fin est la première et la plus élevée des causes. La volonté est donc la première et la plus élevée des puissances.
Saint Thomas d’Aquin, La somme théologique
Qui arrive en premier entre l’intelligence, le désir et la volonté dans l’univers ? Il n’est pas impossible que l’univers soit une énorme structure dissipative. Le plus grand système auquel appartiennent tous les sous-systèmes. Auquel cas, il se pourrait qu’il dispose de sa propre volonté, son propre désir, son propre intellect et que tout cela soit au service d’une connaissance globale qui s’enrichit constamment. Si l’information est fondamentale et la première chose dans l’univers à apparaître, alors c’est l’intelligence qui est primordiale comme l’a proposé Anaxagore, puisque nous associons l’information à l’intellect sur notre schéma.
On peut donc accorder que, s’il nous était possible de pénétrer si profondément la façon de penser d’un homme, telle qu’elle se manifeste par des actions internes aussi bien qu’externes, de sorte que chacun des ressorts de ces actions, même le moindre, nous fût connu, en même temps que toutes les circonstances extérieures produisant des effets sur eux, on pourrait calculer la conduite à venir de cet homme avec autant de certitude qu’une éclipse de lune ou de soleil, et affirmer pourtant avec cela que l’homme est libre. En effet, si nous étions encore capables d’une vue autre (mais qui ne nous est manifestement pas du tout accordée, et à la place de laquelle nous n’avons que le concept rationnel), à savoir d’une intuition intellectuelle de ce même sujet, nous verrions que toute cette chaîne de phénomènes, relativement à ce qui ne peut toujours toucher que la loi morale, dépend de la spontanéité du sujet comme chose en elle-même, spontanéité de la détermination dont on ne peut donner aucune explication physique.
Kant, Critique de la raison pure
Toute volonté est la volonté de quelque chose ; elle a un objet, un but de son effort : qu’est-ce donc que veut cette volonté qu’on nous donne comme l’essence du monde en soi, et à quoi tend-elle ? — Cette question, comme beaucoup d’autres, repose sur la confusion de l’être en soi et du phénomène : le phénomène est soumis au principe de raison, dont la loi de causalité est une forme ; il n’en est pas de même de l’être en soi. Il n’y a que les phénomènes, comme tels, et que les choses isolées dont on puisse toujours donner une raison : la volonté s’en passe, ainsi que l’idée où elle s’objective d’une manière adéquate.
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
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Libre arbitre et volonté
Si notre liberté est dépendante de la liberté du système auquel nous appartenons, alors est-ce que cela signifie que le libre arbitre est une illusion ? Si ma liberté sert l’auto-organisation d’un système selon ses besoins, est-ce que cette influence annihile mon libre arbitre qui ne serait qu’une illusion ?
Il ne nous reste aujourd’hui plus aucune espèce de compassion avec l’idée du « libre arbitre » : nous savons trop bien ce que c’est — le tour de force théologique le plus mal famé qu’il y ait, pour rendre l’humanité « responsable », à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l’humanité dépendante des théologiens… Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à vouloir rendre responsable. — Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de punir et de juger qui est à l’œuvre.
Nietzsche, Crépuscule des idoles
Pour Kant, trois choses sont au-delà de l’entendement, Dieu, l’âme et la liberté, mais nous devons agir comme s’ils étaient effectifs. Le libre arbitre relève de la question de la volonté qui chez Leibniz constitue ce qui va permettre aux monades de choisir une direction. Chez Spinoza, la volonté se confond avec l’intellect, et le libre arbitre est une illusion.
Commençons par nous demander si le libre arbitre pourrait être apodictique, et donc être une vérité de premier ordre validée a priori. Si j’énonce “Je suis libre”, soit je peux le dire car je suis effectivement libre, soit je suis déterminé à le dire, car je ne pourrais pas dire une chose non déterminée à l’avance dans un système entièrement déterministe. En revanche, si nous sommes déterminés, alors dire “Je suis libre” revient à dire que je suis déterminé à affirmer que je suis libre. Or, je peux tout aussi bien énoncer “Je ne suis pas libre” donc il ne semble pas que nous soyons déterminés à affirmer la liberté.
Que je sois effectivement libre ou non, il semble que j’ai au moins le choix d’affirmer que je le suis ou non. Affirmer que je ne suis pas libre est une expression de mon libre-arbitre cherchant à valider ou non l’idée de libre-arbitre après avoir identifié deux options possibles et évaluer leur valeur respective. Le simple fait de m’engager dans ce processus valide en lui-même le libre-arbitre. “Je dispose du libre-arbitre” est donc apodictique car toute personne affirmant le contraire serait nécessairement amenée à faire un choix entre deux possibilités. “Je dispose du libre arbitre” est donc vrai par ses seuls termes car sa réfutation valide aussi la proposition initiale. Elle est apodictique. Mais est-ce une particularité humaine ?
Schopenhauer révolutionnera l’approche de la volonté pour en faire quelque chose aussi bien intrinsèque aux individus qu’une force venant de l’extérieur, présente dans tout l’univers. Elle est la chose en soi dont parle Kant, elle est une et constitue même pour lui la force primordiale de l’univers, plutôt que l’intelligence comme le pensait Anaxagore, que Schopenhauer voit comme son antipode. Elle est pour lui supérieure à la simple faculté de faire des choix. Il inverse la façon de procéder. On ne dirige pas notre action vers une chose que notre volonté a identifiée comme bonne, on veut d’abord une chose et on la considère de facto comme bonne.
La volonté, comme chose en soi, est, ainsi que nous l’avons dit, en dehors du domaine du principe de raison, sous toutes ses formes ; elle est, par conséquent, sans raison (grundlos), bien que chacun de ses phénomènes soit complètement soumis au principe de raison ; elle est complètement indépendante de la pluralité, bien que ses manifestations dans le temps et dans l’espace soient infinies. Elle est une, non pas à la façon d’un objet, dont l’unité n’est reconnue que par opposition avec la pluralité possible ; pas davantage à la façon d’un concept d’unité, qui n’existe que par abstraction de la pluralité. Mais elle est une comme quelque chose qui est en dehors de l’espace et du temps, en dehors du principe d’individuation, c’est-à-dire de toute possibilité de pluralité.
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
La croyance en une liberté empirique de la volonté, en une liberté d’indifférence, tient de fort près à la théorie qui fait résider l’essence de l’homme dans une âme, celle-ci étant avant tout, un être capable de connaissance, bien plus, de pensée abstraite, et ensuite seulement et par suite, capable de volonté : en
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
sorte qu’on relègue la volonté à un rang secondaire, rang qui devrait être réservé à la connaissance.
Même si on réduit la volonté à un acte intellectuel, on l’identifie avec le jugement : c’est ce qui arrive chez Descartes et chez Spinoza. Ce serait donc par la vertu de son intelligence que chaque homme deviendrait ce qu’il est : il arriverait en ce monde à l’état de zéro moral, se mettrait à connaître les choses, et là-dessus se déciderait à tourner dételle ou telle façon, à agir dans un sens ou dans l’autre ; et de même dans la suite, grâce à une information nouvelle, il pourrait adopter une nouvelle conduite, devenir un autre homme. Mis en présence d’une chose, il commencerait par la reconnaître pour bonne, en suite de quoi il la voudrait ; tandis qu’en fait, il la veut d’abord, et alors la déclare bonne.
Ce n’est, certes, pas le moindre charme d’une théorie que d’être réfutable. Par là, elle attire précisément les cerveaux plus sensibles. Je crois que la théorie cent fois réfutée du « libre arbitre » ne doit plus sa durée qu’à cet attrait. Il se trouve sans cesse quelqu’un qui se sent assez fort pour cette réfutation.
Nietzsche, Par-delà bien et mal
En troisième lieu, la volonté n’est pas seulement un complexus de sensations et de pensées, mais encore un penchant, un penchant au commandement. Ce que l’on appelle « libre arbitre » est essentiellement la conscience de la supériorité vis-à-vis de celui qui doit obéir. « Je suis libre, il doit obéir »
Nietzsche, Par-delà bien et mal
Si la volonté est une force primordiale qui dirige notre action vers ce qu’on estimera a priori ou a posteriori bon, alors nous devrions l’observer à toutes les échelles de l’univers de la même façon qu’on retrouve le désir et l’intelligence. Je ne doute pas qu’on essuiera des accusations d’antropomorphisme en effectuant une telle chose, mais si c’est une chose qu’on retrouve dans toute structure dissipative, il serait bien normal qu’elle soit aussi chez les humains, tout simplement.
Si la volonté est présente en tout, elle sera nécessairement au service de l’extropie, ou de la puissance comme l’avait relevé Nietzsche. Elle va donc permettre aux entités de persévérer dans leur être et même de se développer. Pourrait-elle être dans une chose aussi minuscule qu’un photon auquel on n’attribue pas de conscience ? Tournons-nous une nouvelle fois vers les écrits d’Howard Bloom, qui s’appuie sur les déclarations de physiciens de premier plan. Freeman Dyson par exemple, du Princeton Institute for Advanced Study, fera la déclaration étonnante suivante : « Les atomes disposent d’une certaine liberté pour se déplacer, et ils semblent choisir de leur propre chef, sans aucune contribution de l’extérieur ».
Stuart Kauffman de son côté, bien qu’il admette qu’il n’y a aucune preuve du libre arbitre, affirme que cela fait parti même de la mécanique quantique. Le libre arbitre signifie simplement que nous aurions pu faire les choses différemment et elles auraient mené à une réalité différente. Alors, si la mesure quantique est réelle et indéterminée, c’est cette dernière qui crée l’électron une fois mesuré en tant que spin up ou spin down, donc le présent aurait pu être différent selon que nous le mesurions ou non.
L’interprétation de Bohm de la mécanique quantique exclut ce qui précède, mais pas les mondes multiples, ni von Neumann, ni la non-localité. Je ne peux trouver AUCUNE preuve directe du libre arbitre, mais l’énigme quantique l’exige et c’est possible.
Stuart Kauffman
Horreur
Augmentée
Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft
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Zero HP Lovecraft
Avec toute la prudence possible, Kaufman confirme les propos de Dyson. Les particules élémentaires ont une forme de volition. Pourquoi dit-il que les électrons « décident » de leur état lors de la mesure ? Il s’appuie sur « le théorème du libre arbitre » de John Conway et de Simon Kochen, mathématicien de Princeton et collègue de Conway. Le problème de ce théorème est qu’il repose sur un raisonnement circulaire. À la question « avons-nous le libre arbitre ? » les auteurs répondent : « nous ne le savons pas, mais nous prouverons dans cet article que s’il existe effectivement des expérimentateurs dotés d’un minimum de libre arbitre, alors les particules élémentaires doivent avoir leur propre part de ce bien précieux ». Ils posent comme condition le libre arbitre des observateurs en premier lieu.
Kauffman croit que l’univers est indéterminé à de nombreux niveaux, et que cela inclut la nature de la conscience et de la volonté. Il pense que l’évolution des systèmes complexes, tels que les organismes vivants, est imprévisible et que les choix que nous faisons ne sont pas entièrement déterminés par les lois physiques. Cependant, Kauffman reconnaît également que les choix que nous faisons sont influencés par un certain nombre de facteurs, tels que notre environnement, notre éducation et notre bagage génétique. Il ne croit pas que le libre arbitre soit une chose absolue et inconditionnelle, mais plutôt un concept qui doit être compris en tenant compte de la complexité et de l’interdépendance de nombreux facteurs. Mais s’il existe bien une part d’indéterminé et que les choses pourraient être différentes alors il y a bien une volonté intervenant à une échelle ou à une autre.
Si une particule est un électron, elle peut tourner dans deux directions différentes : vers le haut ou vers le bas. Un neutron peut, lui, faire deux choix : se regrouper avec un proton et conserver son identité ou rester seul et se désintégrer. L’électron et le neutron existent dans l’un ou l’autre de ces états. Des états capturés par la « fonction d’onde » de l’équation de Schrödinger décrivant simultanément des états opposés. Ce n’est que lorsqu’elles entreront en contact avec quelque chose qui les « observe » qu’elles « choisiront » une option et abandonneront l’autre via l’effondrement de la fonction d’onde. On dit qu’elles décohèrent. Qu’est-ce qui fait qu’elles « choisissent » un état plutôt que l’autre sous l’effet de l’observation ? Il est fort probable que cela soit directement lié au « sens ».
Univers conversationnel
Des physiciens comme Ignazio Licata et Ammar Sakaji, rédacteur en chef et coéditeur de l’Electronic Journal of Theoretical Physics, sans oublier Kohsuke Yagi de l’université d’Urawa, Tetsuo Hatsuda de l’université de Tokyo et Yasuo Miake de l’université de Tsukuba, coauteurs de Quark-Gluon Plasma, font partie des nombreux physiciens théoriciens et cosmologistes qui sont certains que ce cosmos embryonnaire était dans plusieurs états simultanément. Yagi, Hatsuda et Miake exposent des chaînes de raisonnement fondées sur la mécanique quantique et la théorie de l’information pour prouver que le cosmos tout entier a dû faire un choix. Il a dû faire une décohérence. Cette « décision » primordiale nous a donné « un univers classique » — celui que vous et moi imaginons lorsque nous nous représentons la soupe de plasma et le choc des protons qui ricochent après l’explosion inflationniste. C’était le premier Grand Choix. Et une tour de choix s’est élevée à partir de là, jusqu’à ce que les protons, neutrons et électrons décisionnels se rassemblent en vous et moi. Nous, les humains, avons alors rendu le libre arbitre beaucoup plus élaboré, beaucoup plus orné et sophistiqué qu’il ne l’était dans les premières secondes primitives du big bang.
Howard Bloom, Howard Bloom retourne la science
C’est la signification du dialogue avec la nature que nous identifions à la connaissance scientifique. Au cours de ce dialogue, nous transformons ce qui apparaît d’abord comme un obstacle en structures conceptuelles qui confèrent une nouvelle signification à la relation entre celui qui connaît et ce qui est connu.
Ilya Prigogine, La Fin des certitudes
Nous vivons dans un univers participatif, comme le souligne John Wheeler. La nature du cosmos est conversationnelle. C’est peut-être même la raison pour laquelle Wheeler considère qu’au fond, nous sommes dans un « univers construit sur la question et la réponse ». Résultat ? « Toutes les choses physiques sont issues de la théorie de l’information » ou, comme le dit Lee Smolin, toutes les choses physiques sont « relationnelles ». Les théoriciens de l’information ont raison sur un point : au fond, nous sommes dans un univers informationnel. Un cosmos conversationnel. Un cosmos de communication constante. Un cosmos dans lequel le sens est tout. Le sens est là depuis la première secousse du cosmos. D’un point de vue cybernétique et comme Luhmann le définit, le sens peut être compris comme « le résultat visible pour le système lui-même des conséquences d’une re-entry ».
La re-entry, telle que Luhmann l’a conceptualisée, met en évidence l’interaction entre un système et son environnement, ainsi que la façon dont ces interactions peuvent modifier la structure et le fonctionnement du système. Elle peut être considérée comme un processus d’entrée-sortie (input-output) dans lequel les effets d’un système sur son environnement (output) sont réintroduits dans le système lui-même (input). Cette boucle de rétroaction (feedback loop) permet au système de s’adapter et de se modifier en réponse aux changements de son environnement. En d’autres termes, les conséquences de l’interaction entre le système et son environnement sont intégrées dans le système, ce qui modifie sa structure et son fonctionnement. Il a également utilisé le concept de re-entry pour expliquer la façon dont les systèmes sociaux se reproduisent et se maintiennent. Selon lui, les systèmes sociaux se reproduisent en utilisant les expériences passées pour créer de nouvelles expériences, ce qui leur permet de s’adapter et de se développer en réponse à leur environnement en constante évolution.
Dans la mesure où comprendre et explicitation forment la constitution existentiale de l’être du Là, le sens doit être conçu comme la structure formelle-existentiale de l’ouverture qui appartient au comprendre. Le sens est un existential du Dasein, non pas une propriété qui s’attache à l’étant, est « derrière » lui ou flotte quelque part comme « règne intermédiaire ».
Heidegger, Être et temps
Schopenhauer a tort sur un point. La volonté ne découle pas d’une privation. Elle est permanente car elle est le moyen d’un apprentissage constant. Et si elle est le moyen de l’apprentissage, alors la connaissance est son but.
Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus, le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée.
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère
jusqu’à demain. — Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos.
Ce qui constitue le fondement de votre existence, la rencontre des deux gamètes menant à votre être, est le fruit du désir et, dans le meilleur des cas, de la volonté de vos parents, mais le principe qui a vu l’information être sélectionnée jusqu’à donner la combinaison aboutissant à votre être n’en est pas moins un processus intelligent. Vos actes servent ce processus. La volonté est au service de l’intelligence.
La volonté fixe la destination. On ne devient pas ce que l’on est par hasard. Afin de devenir un virtuose du piano, il faut au préalable que Beethoven veuille le devenir. C’est la volonté qui lance un processus intelligent permettant d’arriver au but fixé. Le reste relève de l’improvisation probabiliste.
Un musicien de jazz considère toutes les notes d’une gamme avant de décider quelle note jouer dans un solo improvisé. Certains joueurs de jazz comme Donald Harrison confient qu’ils s’entrainent en se donnant seulement la note de départ, la note de fin et le temps imparti. Ils vont alors considérer toutes les possibilités au fur et à mesure pour finalement arriver à cette note. Cette dernière note est extrêmement importante dans la composition finale. Elle va l’influencer, sans la dicter complètement.
De la même façon, Richard Feynman, un physicien américain, mit en avant l’improvisation en mécanique quantique. Dans la physique newtonienne classique, une particule commence à un certain moment initial et se déplace dans l’espace pour finir au repos à un moment ultérieur, traçant une trajectoire unidimensionnelle déterministe et continue. Feynman s’est rendu compte que lorsqu’une particule quantique se déplace entre deux points, tous les chemins entre ces deux points sont considérés, tous les chemins sont une possibilité mécanique quantique, même s’ils ne sont pas tous également probables.
Alors la rétrocausalité proposée par Huw Price prend ici tout son sens. La cause du choix des particules serait en réalité dans le futur car dirigé vers un but, donc mue par une volonté servant un processus intelligent. Une réflexion pertinente qu’on retrouve, une fois n’est pas coutume, chez Sartre, pour qui l’existence humaine est caractérisée par l’angoisse et la liberté. Les êtres humains sont libres de choisir leur propre destin.
Dans ce contexte, Sartre affirme que les actes humains ne sont pas déterminés par le passé ou le présent, mais plutôt par le futur. Cela signifie que les individus ne sont pas simplement influencés par les événements passés ou les circonstances présentes, mais qu’ils sont plutôt motivés par leur projection de ce qui pourrait être dans l’avenir.
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Ainsi, tout acte est compris comme un retour du futur vers le présent, car c’est à travers une anticipation du futur que l’individu comprend et interprète le monde qui l’entoure. Cette compréhension est donc intrinsèquement liée à la liberté et à l’angoisse qui caractérisent l’existence humaine, et elle est toujours en devenir puisque le futur est toujours incertain et indéterminé.
Ainsi tout mon passé est là, pressant, urgent, impérieux, mais je choisis son sens et les ordres qu’il me donne par le projet même de ma fin. Sans doute ces engagements pris pèsent sur moi, sans doute le lien conjugal autrefois assumé, la maison achetée et meublée l’an dernier limitent mes possibilités et me dictent ma conduite : mais c’est précisément parce que mes projets sont tels que je ré-assume le lien conjugal, c’est-à-dire précisément parce que je ne projette pas le rejet du lien conjugal, parce que je n’en fais pas un « lien conjugal passé, dépassé, mort », mais que, au contraire, mes projets, impliquant la fidélité aux engagements pris ou la décision d’avoir une « vie honorable » de mari et de père, etc., viennent nécessairement éclairer le serment conjugal passé et lui conférer sa valeur toujours actuelle. Ainsi l’urgence du passé vient du futur.
Jean-Paul Sartre, L’être et le néant
Mais tout acte est surtout toujours orienté vers un but, une projection de soi sélectionnée par le désir. La volonté est alors ce qui va permettre l’action permettant de devenir cette projection qu’on souhaite faire partie de notre identité. Tout devenir est alors un progrès vers un but qui sera mesuré par l’expérience. L’expérience va résoudre l’incertitude.
On touche ici avec les termes intelligence, désir et volonté à la frontière du langage et au problème que Wittgenstein met en avant dans son ouvrage Tractacus Logico-Philosophicus. Selon lui, de nombreux problèmes philosophiques sont de simples problèmes de langage résultant d’une mauvaise compréhension de la manière dont les mots et les propositions fonctionnent pour représenter la réalité. J’utilise les mots intellect, désir et volonté par convention mais rien ne prouve qu’ils ont véritablement un sens pour décrire le processus observé. Existe-t-il seulement une volonté ? Wittgenstein répondrait que non. Pour lui, vouloir est faire. Le vouloir se confond avec l’action et je prends conscience de la volonté seulement dans les moments où elle est entravée. Par exemple je pourrais me dire suite à un accident « Je voulais lever mon bras mais il était cassé ». En temps normal, la volonté ne précède pas l’action. Mon bras se lève tout simplement et je n’ai pas conscience de la volonté.
On ne désire pas un choix rationnel, on rationalise un désir afin de le rendre acceptable à la volonté qui est simplement le passage à l’acte. On ne se rend compte de la volonté que lorsque le désir est entravé. Faire preuve de volonté se confond souvent avec entraver son désir de son propre chef. C’est ainsi que naissent les vertus de l’ascétisme. Et c’est en cela que le christianisme ou le bouddhisme chercheront à user de la volonté pour faire taire les désirs. L’erreur serait alors de penser que tout désir doive être réprimé.