Progrès contre progressisme, le combat des frères ?

Zeus a remporté la Titanomachie, la guerre contre les Titans. Le monde entre dans une période apaisée, les jours se succèdent toujours et se ressemblent. Et dans ce calme trop parfait, les dieux commencent à s’ennuyer. Plus de guerre ; personne à rendre heureux ni à faire souffrir. Zeus se tourne alors vers son fils Héphaïstos, le Dieu des Forges, et lui demande de fabriquer autre chose que tous ces objets stériles, quelque chose d’exceptionnel, d’unique, quelque chose qui pourrait distraire les dieux.

Celui-ci convoque dans son atelier les 12 grands dieux qui résident sur l’Olympe et leur explique ce qu’il attend d’eux. Mélanger la terre, le feu, ainsi que toutes les substances susceptibles de se combiner. Avec ces éléments primordiaux, ils façonneront les êtres vivants. Certains auront des nageoires, des pattes, des carapaces, on les appellera “les animaux”. D’autres seront exactement à l’image des dieux. On les appellera les hommes. Et il n’y aura que des mâles. Voilà qui peut rompre l’ennui des dieux.

Nous remontons jusqu’à la mythologie grecque, berceau de la civilisation occidentale, pour retrouver la genèse du combat qui oppose le progrès au progressisme. Il me semble important d’identifier la différence entre les deux concepts, afin de rompre la méfiance intériorisée à droite vis-à-vis du progrès. L’homme originel est un jouet, un jouet des Dieux. Cependant, dès à présent, une dualité réside en l’homme : il est à la fois la création des Dieux, mais également à leur image. L’homme serait-il un sous-dieu ?

Il ne reste qu’à décider des qualités qui seront attribuées aux uns et aux autres. Les animaux et les hommes. Zeus charge les deux Titans, Prométhée et Épiméthée d’accomplir cette tâche. Épiméthée, plein d’enthousiasme, supplie son frère de le laisser faire la distribution. Prométhée, pourtant connu pour sa prévoyance, a la faiblesse d’accepter. Épiméthée se met à l’œuvre. Il dote les uns de la force et les autres, de la vitesse. Il offre à certains de longs poils qui les protégeront des intempéries, chausse les suivants de sabots et attribue encore à d’autres un cuir massif.

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Une fois son travail accompli, il se redresse et se frotte les mains. Mais, et les hommes ? Dans son empressement, Épiméthée a complètement oublié les hommes. Il ne lui reste plus aucune ressource. Son frère Prométhée décide alors d’aller trouver Zeus et lui demande une faveur : que l’on donna aux hommes le moyen de survivre. Zeus leur accorda donc le feu.

Épiméthée, celui qui pense après, est le frère de Prométhée, celui qui pense avant. Les deux frères ennemis de l’humanité : la raison qui libère et l’irrationalité qui enferme. L’homme est nu et faible sans l’outil, le feu, qui n’est autre que l’origine de l’altération de la nature par l’homme. Lui-même se modifia génétiquement par son régime de viande cuite, lui donnant un avantage décisif dans le règne animal. Image des Dieux, il acquiert avec le feu leur pouvoir.

Ce fut l’âge d’or. Le travail n’existe pas, pas plus que les saisons ou les maladies. Le blé pousse naturellement, sans qu’il n’y ait besoin de le semer régulièrement ; hommes et dieux se retrouvent pour de somptueux festins. Les hommes sont mêmes quasiment immortels, voyageant seulement sans souffrance jusqu’au Champs Élysées à la « fin de leur vie ». Mais voilà qu’un jour, Zeus en a assez de partager sa vie avec les humains sur un pied d’égalité, de se retrouver assis à la même table qu’eux, de les voir participer. Il veut les remettre à leur place : lui au sommet, les dieux en dessous, les hommes en bas.

Zeus, Roi des Dieux, ne peut supporter que les hommes soient son égal. Il décide de rappeler une certaine hiérarchie, la primauté des Dieux. Cette volonté est-elle légitime ? Nous sommes en droit de le concéder. En effet, Zeus et les Dieux ont mérité leur place, ils sont les vainqueurs de la Titanomachie. Qu’a ici fait l’homme pour mériter sa place ? Rien. Simple jouet, enfant gâté, il est un Dieu sans mérite, sans royaume, sans gloire.

Zeus organise alors un grand banquet et ordonne qu’un grand bœuf soit sacrifié, puis découpé en 2 parts. La plus belle part reviendra évidemment aux dieux, l’autre sera donnée aux hommes. Tous les dieux approuvent la décision de Zeus, sauf Prométhée qui redoute que le feu ne soit retiré aux hommes. Il est cependant chargé de procéder au sacrifice, et constitue les deux parts et, pour se jouer de Zeus, cache les os sous une graisse alléchante et les meilleures parties sous une couche d’abats.

Zeus choisit évidemment la part qui lui semble la plus attrayante. Lorsqu’il découvre la supercherie, il laisse éclater sa fureur. C’est sur les hommes, les protégés de Prométhée, qu’il se venge. Les humains seront donc contraints de travailler pour se nourrir et pour survivre. Pire, il confisque le feu. L’humanité découvre la nuit.

Symboliquement, Zeus souhaite rappeler aux hommes qu’ils mangent à sa table, qu’ils sont ses invités, et qu’ils doivent comprendre que leur existence n’est due qu’à son bon vouloir. Cependant, Prométhée, protecteur des homme, rappelle également au Roi des dieux que les apparences sont parfois trompeuses. Présage-t-il des ressources insoupçonnées de l’humanité eu égard à ses conditions d’existence de départ ?

C’est alors que Prométhée vole le feu.

La réalité, en quelque sorte, rejoint la fiction : c’est de la foudre que les hommes acquirent le feu, mais ils s’en affranchirent : ils produisirent le feu. Fruit du hasard ou cadeau d’un bienfaiteur, les hommes n’eurent plus besoins des dieux pour consumer.

Pandore – John William Waterhouse – 1898

Ce nouveau défi au roi de l’Olympe ne peut rester impuni. Zeus va châtier Prométhée. Il convoquera de nouveau Héphaïstos pour lui ordonner de forger une femme. Elle sera magnifique, mais aura l’esprit menteur, manipulateur, un appétit sexuel et surtout une curiosité jamais rassasiée. Elle s’appellera Pandore, et sera offerte à Épiméthée, celui qui comprend quand il est déjà trop tard.

Éblouie par la beauté de Pandore, le malheureux Épiméthée l’accueille à bras ouverts.
Détail des plus importants, avant que Pandore ne se rende sur terre, Zeus lui a remis une boîte, une magnifique boîte ornée de parure superbe. Dans cette boîte, chaque Dieu a glissé un élément néfaste et pernicieux. Dans cette boîte sont donc concentrés tous les maux de l’univers. La faim, la soif, les maladies, la mort. Il a évidemment été recommandé à Pandore de ne l’ouvrir sous aucun prétexte. C’est exactement ce qu’il faut lui dire pour attiser sa curiosité.

Sous la misogynie latente de cette partie du mythe, nous retrouvons le talon d’Achille de l’humanité : le manque de vision, la défaillance de la raison au profit de la recherche du gain de court terme. Prométhée, qui pense avant, donna aux hommes les moyens de survivre. Épiméthée, qui les en avait privé une première fois, va damner une seconde fois l’humanité. Attaché à la surface, lui, comme Pandore ne voit pas le piège dans lequel il se précipite.
Là où le Progrès s’attache à l’amélioration, la transformation en profondeur, le Progressisme est une doctrine du gain immédiat et du palliatif. Transhumanisme et transidentité se confrontent particulièrement sur ce point : Neuralink veut accroître les capacités humaines à des fins de dépassement, Butler et les théories du genre offrent une fuite en avant à des personnes incapables d’accepter leur réalité.

Si les résultats du transhumanisme (prothèses, organes artificiels, chirurgies, médecine pédiatrique et reproductive) sont une indéniable réussite, il semblerait que la transidentité échoue dans 42% des cas…

Le soir même de ses noces avec d’Épiméthée, ne pouvant plus résister à la terrible tentation de savoir ce que contient la boîte, Pandore se glisse hors du lit et soulève le couvercle. Aussitôt jaillissent tous les malheurs, toutes les misères du monde. Tout ce qui affligera la vie des humains jusqu’à la fin des temps. Épouvantée, Pandore referme aussitôt le couvercle de la boîte, mais c’est trop tard. L’Homme est définitivement séparé des dieux.

Je suis en désaccord avec cette dernière affirmation : la différence fondamentale entre les hommes et les dieux était précisément l’absence de défi à l’humanité, son existence imméritée. Cet état de grâce révolu, l’homme n’est plus une distraction des Dieux, mais un concurrent.

La leçon de Labourage – VINCENT François André – 1746

L’humanité devra ensemencer le ventre de la femme s’il veut se reproduire, comme il devra ensemencer la terre s’il veut se nourrir. Le bien et le mal sont mêlés a jamais. Mais tout n’est pas perdu. Car au fond de la boîte de Pandore, quelque chose est resté enfermé, un souffle qui n’a pas eu le temps de s’enfuir avant que Pandore ne referme le couvercle, ce souffle, Hermès l’avait glissé à l’insu de Zeus et l’avait baptisé espoir.

Ainsi, même dans les pires tragédies, les humains continueront de croire et d’espérer. Zeus a puni les mortels.

Le Progrès est une dynamique de vie. Le combat du jour contre la nuit. Il est une poussée inexorable qui emporte les structures sociales : antiquité, moyen-âge, renaissance, révolution industrielle, etc… Elles ont toujours apporté leur lot de bienfaits et de malheurs. Le progressisme lui est la technologie au service de l’ordre social. Là où le progrès est spontané et provient des individus, le progressisme provient des tenants de la superstructure et leurs complices, qui se servent de la science dans le but de conformer la réalité à leur volonté politique, quitte à la falsifier.

Il reste à punir leur bienfaiteur. Ce sera de la plus cruelle des manières. Zeus veut faire un exemple. Il fait enchaîner Prométhée à un rocher, quelque part sur un sommet du Caucase entre la mer Noire et la mer Caspienne. Il ordonne ensuite à un aigle de lui dévorer le foie. Le foie symbole de ce morceau de choix que Prométhée avait voulu pour les hommes. Chaque jour, l’aigle dévore le foie de Prométhée. Et pour que le supplice soit encore plus terrible chaque nuit, alors que Prométhée agonise, son foie se régénère.

Homo Deus a-t-il courroucé les Dieux ? L’Occident, qui a cru sortir de l’histoire, est-il en fait condamné à se faire dévorer par des rapaces ? Non. La veine prométhéenne de la civilisation occidentale tient toujours, progresse, vers le savoir, vers les étoiles. Quelle place alors pour sa part épiméthéenne ?

Contre toute attente, j’ai l’impression que cette place est centrale. Rationnellement, la survie même de l’humanité peut apparaître comme une erreur, étant donné les atouts naturels dont elle dispose. C’est pourtant cette absence d’atouts (œuvre épiméthéenne) qui a permit la pleine expression de la rationalité humaine, matérialisée par l’outil (œuvre prométhéenne). C’est l’imperfection humaine qui permit l’évolution, le progrès. L’erreur qui libère face à la perfection qui aliène.

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Epiméthéé représente l’erreur, mais aussi l’insouciance, la transgression. Il est l’impulsion du progrès, l’originalité qui a aussi fait la force de l’occident, quand les autres civilisations se perdaient dans le conservatisme et la contemplation de soi. Quelle erreur lorsque Napoléon réagit en disant “Vous feriez avancer un navire contre vents et marée en allumant un brasier sous le pont ? Je n’ai pas de temps à perdre avec de telles inepties !” quand on lui parla du bateau à vapeur en 1800. Le rejet de l’idée parait pourtant rationnel, au premier abord.

Que l’impossible n’ai jamais arrêté l’occident, voilà sa dimension Epiméthéenne.

Progrès, Liberté, Identité

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