Lettre ouverte aux darwinistes [TNT 7]

Il y a des vérités qui sont mieux reconnues par les esprits médiocres, parce qu’elles leur sont mieux adaptées, il y a des vérités qui ne possèdent de charmes et de pouvoir de séduction que pour les esprits médiocres : – on est poussé à cette conclusion probablement désagréable, maintenant que l’influence d’Anglais respectables mais médiocres – je peux citer Darwin, John Stuart Mill et Herbert Spencer – commence à prendre l’ascendant dans les goûts de la classe moyenne européenne.

Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal

Il est courant chez les darwinistes (et pas darwiniens), comme Pinker ou Dawkins, pour qui j’ai pourtant du respect, de refuser de penser une téléologie à l’évolution. Observant la vie dans ce qui nous parait de plus injuste, ils se verront incapables d’imaginer que cela pourrait être justifié d’une manière ou d’une autre par une finalité.

“ Dans un univers de forces physiques aveugles et de réplication génétique, certaines personnes souffriront, d’autres auront de la chance, et vous ne trouverez ni rime ni raison à tout cela, ni aucune justice. L’Univers que nous observons a exactement les propriétés auxquelles on peut s’attendre s’il n’y a, à l’origine, ni plan, ni finalité, ni mal, ni bien, rien que de l’indifférence aveugle et sans pitié. ”

Richard Dawkins, River out of Eden : A darwinian view of life

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Les zététiciens se cassent les dents là-dessus en refusant d’imaginer que l’évolution puissent avoir un but ou qu’on puisse simplement parler d’ordre dans le cosmos. Même les plus hérétiques, qui toutefois concèderont que l’évolution pourrait avoir un sens avec l’avènement du transhumanisme mais que, pour l’instant, le plus raisonnable est de dire qu’elle n’en a pas ou à tout le moins diront qu’on ne sait pas. Et c’est vrai qu’à ce stade, on ne peut pleinement l’affirmer, mais on ne pas non plus infirmer l’existence d’une téléologie.

Ainsi, Bronze Age Pervert, dans son ouvrage Bronze Age Mindset a raison de se moquer des darwinistes. Cependant, il le fait pour les mauvaises raisons puisqu’il affirme que la physique et la chimie ne poursuivent aucun but. C’est précisément l’idée inverse que je voudrais présenter dans cet article. Il semblerait que l’évolution fonctionne selon le principe de moindre action visant à maximiser une valeur.

Mais nous autres, nous voulons devenir ceux que nous sommes, – les hommes uniques, incomparables, ceux qui se donnent leurs propres lois, ceux qui se créent eux-mêmes ! Et, dans ce but, il faut que nous soyons de ceux qui apprennent et découvrent le mieux tout ce qui est loi et nécessité dans le monde : il faut que nous soyons physiciens, pour pouvoir être, en ce sens-là, des créateurs, – tandis que toute évaluation et tout idéal, jusqu’à ce jour, se fondaient sur une méconnaissance de la physique, en contradiction avec elle. C’est pourquoi : vive la physique ! Et vive davantage encore ce qui nous contraint vers elle – notre probité !

Nietzsche, Le gai savoir

Trop occupés à se plonger dans le monde de l’infiniment petit, l’obsession du gène des darwinistes les empêchent de voir la totalité du processus à l’œuvre et les amène à chercher la définition de la vie en se concentrant sur un point de vue causal et non téléologique. Ils définissent ainsi la vie comme un système moléculaire auto-reproducteur disposant de qualités que sont la capacité à métaboliser, se reproduire et évoluer ; ou en d’autres termes, un système chimique auto-entretenu capable d’évolution darwinienne. Ce qui n’est pas faux, et il faut bien saluer leur capacité à, au moins, le penser comme un système, donc comme un tout, mais pour eux, ce système ne répondrait à aucun but précis. Ce qui est moins certain.

La vie ne serait en rien guidée par autre chose que la nécessité utilitariste de s’adapter à son environnement. Elle serait un simple effet mécanique visant à reproduire les gènes. L’évolution sélectionnerait les organismes disposant des gènes les plus adaptés à l’environnement afin qu’ils puissent passer leurs gènes les plus adaptés à la génération suivante. Le but d’un organisme serait alors uniquement de survivre en métabolisant son environnement dans le but unique et définitif de créer un nouvel organisme par la reproduction.

Les organismes vivants s’adaptent à leur environnement grâce à la sélection naturelle.

Charles Darwin, 1859

Tout l’intérêt d’un cerveau est de réaliser des objectifs, et l’environnement n’a aucune idée de ce que sont ces objectifs

Steven Pinker, Comprendre la nature humaine

Mais y a-t-il quelque chose qui doit être vrai de toute vie, où qu’elle se trouve, et quelle que soit la base de sa chimie ? S’il existe des formes de vie dont la chimie est basée sur le silicium plutôt que sur le carbone, ou sur l’ammoniac plutôt que sur l’eau, si l’on découvre des créatures qui meurent par ébullition à -100 degrés centigrades, si l’on découvre une forme de vie qui n’est pas du tout basée sur la chimie mais sur des circuits électroniques réverbérants, y aura-t-il encore un principe général qui soit vrai pour toute la vie ? Je ne le sais évidemment pas mais, si je devais parier, je miserais sur un principe fondamental. Il s’agit de la loi selon laquelle toute vie évolue par la survie différentielle d’entités répliquantes.

Richard Dawkins, The selfish gene

Un principe fondamental dit Dawkins ? C’est intéressant. Mais pour lui ce devrait être lié à la réplication… dommage. À la fameuse question “Est-ce qu’un œuf est un moyen de faire une poule ou une poule un moyen de faire un œuf” ? Il répondrait alors en choisissant une vision impliquant qu’une poule est simplement un moyen de faire un œuf. Dans ces conditions, on peut comprendre que certains en arrivent à questionner l’intérêt de perpétrer un tel phénomène qui tient sa légitimité de ce phénomène lui-même et qui semble bien vain.

Mais pourquoi pensent-ils cela ? Parce qu’on observe à raison le rôle du hasard dans l’apparition de mutations, lesquelles vont parfois conférer un avantage à leur porteur, mais plus souvent s’avérer être des tares voire inutiles. On note aussi que l’évolution ne va pas toujours vers une augmentation de la complexité des organismes, certains vers ou insectes se sont “simplifiés” au cours de l’évolution. Il n’y aurait donc pas de progrès, car elle suit un chemin discontinu.

Mais pourquoi affirment-ils cela sans même laisser la moindre place au doute ? En grande partie pour s’opposer aux religieux en tout genre et aux tenants de la théorie du “Design intelligent” qui ont effectivement tort. “Rien de nouveau sous le soleil”. Ce discours des darwinistes rappelle certains passages de la Bible dans l’Écclésiaste où on trouve des versets complètement résignés sur la futilité de la vie, son absence de sens et l’inanité de toute action humaine

2 Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
3 Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ?
4 Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours.
5 Le soleil se lève, le soleil se couche ; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau.

Ecclésiaste 1

Effectivement, il n’existe pas de force guidant méticuleusement l’évolution et choisissant les mutations à faire apparaître. Il y a bien un processus d’essais-erreurs. Je pense cependant qu’il existe une autre façon de voir les choses, intégralement en accord avec les principes darwiniens, mais n’excluant pas que l’évolution ait un sens. L’œuf servirait à faire une poule, le plus important serait les organismes et non les gènes, et si vous avez lu mes derniers articles vous savez déjà probablement ce que je vais mettre en avant ici.

Qu’on soit bien clair, je ne parle pas ici de remplacer la théorie de l’évolution, ni même de proposer une théorie complémentaire qui serait plus prédictive pour ce qui est des comportements humains qui seront toujours expliqués plus granuleusement par la théorie de l’évolution et la génétique puisqu’elles les touchent plus directement. Je propose ici de questionner le sens de la vie d’un point de vue téléologique et de voir si on peut la penser différemment que cette approche darwiniste la voyant comme une molécule douée des propriétés évoqués plus haut. Pourrait-elle être une propriété collective de systèmes de molécules en interaction ? La vie, dans cette optique, ne serait pas à chercher dans ses parties, mais dans les propriétés collectives émergentes du tout qu’elles créent.

Je ne suis pas le premier à m’intéresser à cette question, – sans compter les mystiques qui ne nous seront d’aucune aide ici – par chance, des scientifiques plus compétents que moi se prêtent au jeu et je n’ai plus qu’à reprendre leurs idées.

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Pourquoi le physicien James Lovelock a-t-il dit “Pour trouver de la vie, cherchez des réductions d’entropie” ? Parce qu’il existe une autre façon de penser la vie qui lui confère un but. Cette façon, fruit de recherche de nombreux scientifiques, sera formulé de façon élégante par Stuart Bartlett qui proposera une version générique de la vie qu’il appelle “lyfe” – la distinguant de “life”, qualifiant uniquement le phénomène de la vie qu’on observe sur Terre – comme une structure dissipative capable d’auto-catalyse – signifiant qu’elle peut se maintenir et croître – , d’homéostasie – se référant à la capacité de s’autoréguler des organismes vivants – et d’apprentissage – la sélection naturelle, le système nerveux, le cerveau ou encore l’ordinateur n’étant jamais que des moyens d’acquérir et de mémoriser des données sur l’environnement afin d’améliorer sa survie.

Dissipative ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle dissipe ? Comme Ilya Prigogine le mettra en avant, la vie peut être comprise comme une structure dissipative. Elle dissipe de l’énergie afin de générer de l’entropie tel que nous l’explique la seconde loi de la thermodynamique. De la même façon que, lorsqu’il y a un écart de température trop élevé entre deux masses d’air, un ouragan va se former afin de retrouver un système homogène, la vie pourrait faire partie de ces systèmes dissipatifs et être un phénomène chimique émergent. Elle n’appellerait alors pas à être considéré dans ses parties mais comme un tout.

En présence d’un flux permanent d’énergie, les structures (dites dissipatives) s’auto-organisent pour dissiper l’énergie.

Ilya Prigogine, 1961

Dès lors, comme le dira Ludwig Boltzmann, la lutte pour la survie est une lutte pour la dissipation d’énergie ou la production d’entropie ; et comme l’imaginera Alfred Lotka, la sélection naturelle favorise l’organisme qui dissipe le plus vite l’énergie. L’évolution aurait alors bien un but, une valeur qu’elle tendrait à maximiser, qui est la dissipation d’énergie. Comment y parvient-elle ?

Il existe un lien direct entre la dissipation d’énergie et l’information. En travaillant sur la théorie de l’information, Claude Shannon a mis en avant que la dissipation d’énergie est liée à la destruction d’information. La dissipation d’énergie et la perte d’information sont rigoureusement la même chose. L’entropie existe lorsque l’information est perdue. Un oeuf explosé ne peut pas se reconstituer. Il existe une irréversibilité de l’action et l’information est perdue. Il est d’ailleurs bon de noter que des ordinateurs quantiques sont capables d’utiliser la technique de l’agorithmic cooling qui, en effectuant des calculs réversibles, leur permet d’éviter la perte d’information donc la dissipation d’énergie dans un dégagement de chaleur. On peut alors voir l’évolution comme un système cybernétique qui construit l’information dans le but de maximiser la production d’entropie en suivant le principe de moindre action. L’évolution va globalement tendre vers la sélection des organismes de plus en plus complexes afin de maximiser la capacité à mémoriser et traiter l’information collectivement. Cela signifie parfois en symbiose entre différentes espèces, ce qui implique que certaines espèces peuvent devenir moins complexes si cela permet de maximiser la production d’entropie via d’autres espèces. Les mutations sont les boucles positives qui vont explorer de nouvelles possibilités alors que la sélection naturelle va jouer le rôle de boucle de rétroaction négative assurant la stabilité du système. Le tout formant un système apprenant visant à maximiser la production d’entropie.

Qu’est-ce que cela signifie pour les gènes ? Comme notre cerveau, ils sont un moyen de stocker de l’information. Une information qui sera utilisée pour générer les phénotypes d’organismes dissipant le mieux l’énergie. Un individu comme une société sont des structures dissipatives. L’évolution va alors sélectionner les gènes offrant les traits phénotypiques qui permettent le mieux de dissiper l’énergie. L’œuf est un moyen de faire une poule et pas l’inverse. L’intelligence pouvant être comprise comme ce qui guide le comportement afin de maximiser la dissipation d’énergie, l’évolution va naturellement favoriser les organismes disposant de meilleures capacités cognitives qui leurs permettront de mieux capturer et traiter l’information.

Alors, en admettant que cette voie ne soit seulement possible, qu’est-ce qui permet à qui que ce soit aujourd’hui d’affirmer que l’évolution ne poursuit aucun but ? Comment l’objectif aurait-il pu passer de la dissipation à la réplication alors que les lois de la physique sont restées les mêmes ? La réponse est que l’objectif fondamental (la dissipation) n’aurait pas changé, mais qu’il a conduit à un objectif instrumental différent, c’est-à-dire un sous-objectif qui aide à atteindre l’objectif fondamental.

Ainsi, quand bien même on se refuserait à attribuer un but à l’évolution, il me parait dans le même temps impossible d’affirmer qu’elle n’en aurait tout simplement pas. Cela ne veut pas dire qu’elle ait nécessairement un rôle capital à jouer pour l’univers entier, mais on pourrait au moins imaginer un but à l’échelle locale comme sa participation à l’équilibre de la biosphère. Mais quoi qu’il arrive, parce que je vous aime bien mes darwinistes, je trouve bon de préciser que quel que soit le but qu’on puisse imaginer, il ne saurait s’inscrire en opposition aux principes darwiniens. Mieux encore, je suis entièrement conscient que le fait qu’on observe une augmentation de la dissipation d’énergie ne signifie pas forcément que l’évolution est expliquée mais qu’elle pourrait simplement être dirigée par cette dernière.

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“Ce qui émerge aujourd’hui est donc une description médiane, située entre deux représentations aliénantes, celle d’un monde déterministe et celle d’un monde arbitraire soumis au seul hasard. Les lois ne gouvernent pas le monde, mais celui-ci n’est pas non plus régi par le hasard. Les lois physiques correspondent à une nouvelle forme d’intelligibilité qu’expriment les représentations probabilistes irréductibles. Elles sont associées à l’instabilité et, que ce soit au niveau microscopique ou macroscopique, elles décrivent les événements en tant que possibles, sans les réduire à des conséquences déductibles et prévisibles de lois déterministes. Peut-être cette distinction entre ce qui peut être prévu et contrôlé et ce qui ne peut pas l’être aurait-elle satisfait la quête d’intelligibilité de la nature au cœur de l’œuvre d’Einstein ?Dans ce processus de construction d’une voie étroite entre lois aveugles et événements arbitraires, nous découvrons qu’une grande partie du monde alentour avait jusqu’alors « glissé entre les mailles du filet scientifique », pour reprendre une expression de Whitehead. Nous discernons de nouveaux horizons, de nouvelles questions, de nouveaux risques. Nous vivons un moment privilégié de l’histoire des sciences. l’espère avoir communiqué cette conviction à mes lecteurs.”

Ilya Prigogine, La Fin des certitudes

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