Ce qui serait passé pour une blague il y a quelques années devient redoutablement sérieux sous les auspices inclusifs de l’an 2019.
Vous souvenez-vous d’une certaine Morwen, dans la trilogie Le Seigneur des Anneaux, sortie par Peter Jackson en 2001 ? Non, probablement pas, et il y a une raison à cela. Il s’agit d’un personnage mineur dont on n’apprend même pas le nom à l’écran, tellement son importance est discutable. Il faut croire que son stock d’humilité équivaut son stock d’intelligence, puisqu’elle nous a gratifié il y a quelques temps de la déclaration suivante :
« Ces vieilles légendes, ces vieilles histoires mystiques, elles prennent place dans un paysage patriarcal. Pourquoi ne pas regarder la magie d’un monde matrilinéaire où les puissances magiques sont des femmes ? » et de conclure que « Gandalf devrait être interprété par une femme », y allant même de son petit casting perso :
On notera à quel point les connaissances de cette actrice oubliée de tous nommée Robyn Malcolm s’étendent jusqu’aux horizons de l’univers de fantasy (non) : si elle cherche un « monde matrilinéaire où les puissances magiques sont des femmes », on peut lui recommander de lire La Roue du Temps, ou encore le mythique Dune. On peut aussi lui recommander de prendre son stylo bic quatre couleurs, un cahier à spirales format A4, et de pondre un univers à son image aussi profond que celui développé par le génialissime Tolkien. Ça lui occupera l’esprit (et accessoirement nous libérera les oreilles).
Cette charmante Robyn Malcolm prend même les devants face à la bête immonde que nous savons être les aigris, racisto-misogyno-méchants, et déclare en somme que puisque c’est un monde imaginaire, quelle importance cela a-t-il qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme ? (sic)
Sur ce sujet, laissons un connaisseur répondre. Peter Jackson s’exprime ainsi dans le Hors-Série de Lire consacré à Tolkien (p.10) :
» Le Seigneur des Anneaux se déroule dans un monde à la fois chimérique et crédible « .
C’est toute la force d’une œuvre de fantasy, ce que Vincent Ferré, commissaire de l’exposition Tolkien à la Bibliothèque François Mitterrand et professeur de littérature comparé, signale :
« [Tolkien] a choisi de privilégier la cohérence […], il n’a pas écrit des récits merveilleux par simple divertissement, mais parce qu’il pense qu’il s’agit de la forme la plus adaptée, au XXème siècle, pour révéler le réel aux lecteurs, accéder à une forme de vérité. »
L’univers doit être cohérent et fonctionner en lui-même pour que le pacte de fiction perdure et que l’on puisse se plonger dans un tel univers.
Arda, monde de femmes puissantes
Non seulement elle ignore tout du genre littéraire de la fantasy ou de la SF, mais en plus elle fait preuve d’une inculture crasse concernant l’univers même dans lequel elle prétend, à la force de ses petits bras, importer des figures féminines fortes. En réalité, une lecture même superficielle de l’œuvre de Tolkien nous apprend qu’il existe de très nombreuses femmes dans Ëa (nom de l’univers dans lequel se déroule le Seigneur des Anneaux) , disposant d’un pouvoir allant bien au-delà de celui de Gandalf : Eowyn, Galadriel, Nenya, Tinuviel, Melian… Il n’y a donc pas nécessité de transformer Gandalf en femme si le but est bien d’avoir des modèles de femmes fortes à l’écran.
Et quand bien même le but serait d’avoir des femmes libres et indépendantes en Terre du milieu (quoi que ça veuille dire), définir la validité d’une œuvre par la place donnée aux chromosomes X est largement douteux. S’agit-il de donner des figures d’attachement à des jeunes filles ? Ou bien plutôt de casser le mâle blanc cisgenre, qui à lui seul est responsable de l’oppression systémique, du temps pourri qu’on a eu en juillet, et du ticket de métro à 2.10e pièce ?
« Culturellement daté », ou la nouvelle étiquette bienpensante
Mais en réalité, les modèles féminins auxquels sont exposées nos chèr.e.s petites têtes multicolores n’est pas l’objet de préoccupation réel de cette sortie. Il s’agit de changer l’histoire pour remplir le cahier des charges strict et inclusif de la bienpensance en 2019.
L’histoire est déjà écrite, mais mal écrite, et il faudrait bien la réécrire à l’aune de ce que l’on pense actuellement, pour plaire aux grands pontes qui tiennent l’industrie de l’entertainement. Cette relecture du passé culturel est poussée jusqu’au dernier degré récemment : Disney, sur sa plateforme de streaming Disney + à venir en France en mars 2020, en vient même à mettre un petit logo d’avertissement pour nos pupilles délicates stipulant, non pas la violence ou les propos grossiers, mais bien ce qui est « culturellement daté ».
Ou en clair, qui vous vaudrait un procès de Moscou médiatique si vous sortiez un objet culturel aussi choquant que « les Aristochats » aujourd’hui.
Et maintenant ?
Les réactions des médias ultra enthousiasmés par une si lumineuse et Ô ! Combien originale idée ne se sont pas faites attendre. Après tout, ce n’est pas parce que l’on a changé le sexe d’un personnage dans Terminator, Ghostbuster, Ocean 8, James Bond, Batman, etc., que ça deviendrait une habitude, tout de même ?
Ces récriminations aussi incessantes que risibles développent une culture de la chouine : dès qu’on se soupçonne opprimé – à cause d’abus de substances ou de temps libre dans la majorité des cas – , on peut pirater, parasiter des œuvres majeures pour les remodeler à son image comme une vulgaire fanfiction, ou comme une J.K. Rowling en manque de Laudate par une foule transie.
Ce n’est pas la première sortie pour le moins déroutante autour de cette série si attendue. Amazon Prime compte s’en servir comme de fer de lance de sa plateforme Prime Video (on parle d’un marché de 3 milliards de dollars uniquement pour les recettes en salle du dernier opus de la trilogie), et ne souhaite pas se planter sur des détails aussi idiots et anecdotiques que le respect de l’œuvre ou la cohérence de l’univers : il faudra donc mettre de la diversité, ont-ils déclaré, plein de diversité, et à Sauron les puristes ! Les fans ont de quoi se faire du souci devant un conformisme aussi empressé.
On soufflera gentiment à ces Inquisiteurs de la Team Progrès le fameux adage maintes fois vérifié : « get w0ke, go broke ».
Pour finir, je vous laisse sur cette parole de sagesse que le principal intéressé nous a délivrée :
Franchement, rendre la Roue du Temps plus féministe, il fallait oser, je me demande quel sera le résultat qu’Amazon va nous proposer, parce que là j’ai du mal à m’en rendre compte.