L’archipel des îles Hawaï, et tous les sites qui lui sont associés, Honolulu, Waikiki, Lahaina, Maui, etc., véhiculent dans le monde une image de véritable paradis sur Terre, proche de celle d’autres archipels au nom magique, comme Tahiti.
Situé juste au sud du tropique du Cancer, isolé dans les immensités maritimes du Pacifique nord, les îles Hawaï sont certainement l’ensemble insulaire important le plus éloigné de toute masse continentale et de toute autre grande terre insulaire.
Cet éloignement explique l’endémisme de la flore et de la faune, et a modelé l’histoire, puisque Hawaï est le point ultime de l’expansion polynésienne et le dernier des grands archipels du Pacifique découvert par les Européens. Aujourd’hui, cet isolement est bien relatif, car ces îles sont devenues une grande plaque tournante du trafic aérien dans le Pacifique et une destination touristique majeure.
La (re)découverte de l’archipel par James Cook a provoqué d’importants changements, avec une remise en cause des fondements même de la civilisation indigène. Nul autre archipel du Pacifique n’a connu des transformations aussi complètes, puisqu’en à peine plus de 200 ans, il est passé du niveau technique de la pierre polie, à une véritable vitrine de la civilisation post-industrielle américaine.
Les îles Hawaï sont un cas particulièrement intéressant dans l’histoire, car l’archipel n’a pas été colonisé contrairement à la grande majorité des autres îles d’Océanie. Pourtant, c’est sous la gouvernance de la monarchie hawaïenne qu’eut lieu un véritable « Grand remplacement » de la population indigène par des migrants originaires d’Europe, des États-Unis et surtout d’Asie. Les nouveaux arrivants, et leurs descendants, furent finalement les principaux responsables de la fin de l’indépendance hawaïenne et du rattachement du territoire aux États-Unis.
C’est une fable précoce illustrant très bien la mondialisation, les mouvements de population dictés par les besoins du grand capital, l’impact des évolutions techniques sur la culture et le mode de vie.
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Une société très stable, hiérarchisée et cohérente
Lorsque James Cook débarque à Hawaï en 1778, il découvre une société polynésienne extrêmement homogène ethniquement et culturellement. Des navigateurs provenant des Marquises auraient débarquer à Hawaï vers 500 ap. J-C. Des relations épisodiques ont pu ensuite se maintenir jusqu’aux XII – XIVe siècle, dont le souvenir fut conservé dans la tradition orale. Par la suite, l’archipel a vécu pendant environ quatre siècles en vase clos, permettant le développement d’une culture originale au sein de la civilisation polynésienne.
Comme dans les autres archipels, les indigènes associaient une civilisation matérielle très modeste : pas de métaux, de poterie, d’écriture, de roue ni d’animaux de trait ; à une organisation politique, sociale, religieuse élaborée et cohérente.
Deux traits majeurs ont beaucoup frappé les premiers visiteurs européens : l’omniprésence de la religion et en lien avec elle, la forte hiérarchisation de la société.
Il existait un culte au niveau familial vénérant les ancêtres (aumakua) qui veillaient à leur tour sur les membres de leur famille ; et un culte public des dieux (akua) exigeant des temples (heiau) et des prêtres (kahuna).
Cette religion soumettait les hommes à une gamme variée de rites, de prescriptions, mais surtout d’interdictions (kapu, variante du « tabou ») qui permettaient de bonnes relations avec les puissances invisibles. Le système des kapu a beaucoup frappé les premiers voyageurs du fait de sa rigueur et de ses conséquences importantes sur l’activité des habitants au quotidien. Ils étaient destinés à protéger ce qui était lié au divin et d’éloigner ce qui était corrompu. Par exemple, les femmes ne pouvaient manger avec les hommes, ni même cuire leur nourriture avec les leur.
Les kapu assuraient en même temps la stabilité d’une hiérarchie sociale strictement partagée en quatre castes. Au sommet se plaçait l’aristocratie des chefs (alii) qui détenaient le pouvoir de droit divin puisque ils étaient censés descendre des dieux. À côté des chefs se trouvaient les prêtres (kahuna), assez nombreux puisque chaque grand dieu avait son propre clergé. Venait ensuite la masse du peuple, les maka’aina’na, « les gens de la terre ». Ils étaient soumis à l’autorité absolue des chefs. La dernière catégorie était les kauwaà, tout en bas de l’échelle. Ils étaient les plus corvéables et ils n’avaient pas le droit de se mélanger aux autres.
L’archipel est divisé en plusieurs petits royaumes et ces derniers sont subdivisés en plusieurs sections gouvernées par des vassaux du roi. Il n’y avait pas de propriétés privées des terres : le chef disposait souverainement du foncier, mais de fait, les tenanciers restaient souvent sur la terre qui leur avait été attribuée, génération après génération. Le travail aux champs n’étant pas trop astreignant, les Hawaïens ont pu développer un ensemble de loisirs fondés sur les sports (comme le surf), les jeux, la danse.
La question du nombre d’habitants à l’arrivée de J. Cook est difficile à obtenir, mais importante, dans la mesure où cette évaluation est le point de départ d’une courbe démographique qui va affecter l’histoire de l’archipel pendant tout le XIXe siècle. L’historien des Hawaï, R. C. Schmittopte, opte pour une fourchette entre 200 000 et 250 000 habitants en 1778.
1778 : point de départ de l’occidentalisation d’Hawaï
Le 18 janvier 1778, James Cook débarque à Hawaï. Pris pour le dieu Lono, son expédition séjourne deux fois à Hawaï en 1778 et 1779. À cause de tensions avec les indigènes, J. Cook est assassiné le 14 février 1779.
Dans les années qui suivirent, d’autres expéditions maritimes visitèrent l’archipel permettant aux Hawaïens de comprendre que les Européens étaient des hommes comme eux.
Unification et christianisation
Le jeune chef Kamehameha de l’île d’Hawaï, sut le mieux capter à son profit la puissance des armes et des techniques militaires occidentales et s’assurer des meilleurs conseillers étrangers. Il mit vingt ans à réaliser l’unité de l’archipel sous son autorité suite à des guerres sanglantes entre 1790 et 1810. Ainsi naît le royaume hawaïen.
À sa mort en 1819, c’est son fils aîné qui accède au trône. Il prit rapidement une décision révolutionnaire, encouragé en cela par sa mère et d’autres femmes de la cour : l’abandon des kapu et de la religion traditionnelle.
En effet, depuis l’arrivée de J. Cook, certains chefs ne cessaient de s’interroger sur la valeur du carcan des tabous, constamment ignorés et ouvertement méprisés par les Européens, et donc sur le pouvoir réel de leurs dieux. Ces doutes s’exprimaient à travers des manquements de plus en plus fréquents aux règles rigoureuses qui régissaient la vie, et qui touchaient plus particulièrement celle des femmes.
Contrairement à ce qui s’était passé à Tahiti, peu de temps auparavant, le roi avait supprimé les tabous sans l’influence de missionnaires chrétiens. Les femmes hawaïennes, venaient, sans le savoir, de mettre fin à la culture hawaïenne originelle comme si les dieux s’étaient finalement vengés de cet abandon en provoquant le lent déclin du peuple hawaïen.
Les missionnaires chrétiens arrivent justement quelques mois plus tard en avril 1820. Ce sont des protestants américains de Nouvelle-Angleterre rassemblés au sein de l’American Board of Commissioners for Foreign Missions (l’ABCFM). Ils créent très vite des écoles missionnaires qui, pendant longtemps, seront les seuls centres d’enseignement dans l’archipel, avec la bénédiction de l’élite indigène qui se convertit rapidement au nouveau dogme. Les puritains américains veulent également changer les habitudes de vie des locaux et luttent contre toutes les pratiques traditionnelles qui leur paraissent mener au péché. Les chefs et le roi promulguèrent des lois civiles à base religieuse.
Par la suite, des missionnaires d’autres religions chrétiennes débarquèrent et, malgré des tensions, provoquant même l’intervention de la France de Louis-Philippe, purent convertir à leur tour dans les îles.
Américanisation du fonctionnement de l’État
Les missionnaires protestants, et en particulier le révérend William Richards, incitèrent le roi, qui disposait alors d’un pouvoir absolu, à « américaniser » le fonctionnement de son royaume. Une déclaration des droits et un code de lois civiles furent composés en 1839 qui vinrent compléter un premier petit code pénal rédigé en 1835, puis une première constitution en 1840, inspirée du modèle américain. La déclaration des droits introduisait des notions fondamentales, comme la primauté de la loi sur la volonté personnelle du roi ou des chefs, l’assurance de la protection des personnes et des biens dans le cadre de la loi. Le pouvoir législatif est partagé entre deux chambres : le Conseil des chefs, aussi appelé Chambre des nobles ; et une Chambre des représentants élue par le peuple. Dans le domaine judiciaire, sont créés une cour suprême et des tribunaux.
Trois actes organiques furent ensuite votés en 1845-1847 visant à réorganiser le pouvoir exécutif, l’organisation de l’administration et le fonctionnement de la Justice. Une nouvelle constitution fut promulguée en conséquence en juin 1852.
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Intégration à l’économie mondiale
Suite aux découvertes de J. Cook qui révéla la richesse en faune de la côte pacifique nord-américaine, le commerce des fourrures se développa entre l’Amérique du Nord et l’Asie où la demande était forte. Les navires faisaient escale à Hawaï. Dans le même temps, se développe le commerce de bois de santal. Ce bois est lui aussi très prisé sur le marché chinois pour l’ébénisterie, la parfumerie et dans la pharmacopée. Ce commerce était si juteux que le roi Kamehameha Ier se réserva le monopole de ce commerce et la protection des boisements. La décision de libéraliser ce commerce par Kamehameha II eut de mauvaises conséquences : les chefs se lancèrent dans une course à l’abattage, ce qui baissa les prix et mit en péril le renouvellement de la ressource.
Le déclin presque simultané du commerce des fourrures et de celui du santal eut des conséquences limitées pour l’économie d’Hawaï car se développait au même moment la chasse à la baleine dans le Pacifique. Les premiers baleiniers américains apparurent dans les eaux hawaïennes en 1819. Leur nombre s’accrut ensuite très rapidement : 60 en 1822, 198 en 1832 et en moyenne 425 arrivées par an entre 1843 et 1860 avec un record de 596 en 1846.
Le développement de l’agriculture pour fournir aux baleiniers des vivres favorisa l’arrivée de négociants qui importèrent également des produits manufacturés depuis les États-Unis. C’est ainsi que commencèrent quelques-unes des grandes fortunes locales qui donnèrent ensuite les « Big five », les cinq grandes sociétés qui dominèrent l’économie du royaume.
De leur côté, les Occidentaux qui ont fait souche à Hawaï et que l’on appelle haole, et en particulier, des enfants de missionnaires, avaient le projet de développer une culture d’exportation. Après plusieurs essais, c’est la canne à sucre qui est retenue. Les débuts sont modestes. Il y avait en 1838, vingt moulins de canne à traction animale et deux moulins à force hydraulique. La première grosse plantation fut créée sur des terres louées, par trois jeunes Américains (la future Lads & Co) proches de la mission protestante et ayant le soutien du roi.
Mais tant qu’il était impossible d’obtenir des terres en pleine propriété, les investisseurs étaient rares. De même, la main-d’œuvre agricole fiable était difficile à obtenir.
1850 : Hawaï rentre dans une nouvelle ère.
Le roi, traditionnellement, dispose des terres à son plaisir et les distribue à ses vassaux. Les étrangers, en particulier les missionnaires, souhaitaient l’instauration d’une réglementation sur la propriété semblable à celle ayant cours en Occident, censée permettre la création d’une petite paysannerie locale. Mais le roi et les chefs étaient hostiles à l’idée de changer le système des kuleana, où les terres étaient occupés par des tenanciers révocables en échange de corvées et de biens, et ces derniers s’en satisfaisaient.
Le « Grand Mahele »
Les bases du système foncier évoluèrent finalement avec les réformes de la monarchie des années 1840 : l’hérédité des kuleana fut reconnue et les étrangers pouvait aisément obtenir des baux de longues durées.
En 1845, le médecin missionnaire, Gerrit P. Judd initia l’idée de créer une commission chargée de déterminer les droits de chaque Hawaïen et de leur délivrer des titres de pleine propriété. Le travail de ce Board of Commissionners to Quiet Land Titles constitué de cinq membres nommés par le roi, devait durer deux ans et dura finalement dix. Le partage s’effectua entre le roi, les chefs et le peuple : on l’appela le « Grand Mahele ».
Le roi et chacun des 245 chefs fixèrent les limites de leurs terres respectives. Ils devaient néanmoins payer pour obtenir la pleine propriété des terres fixées. Le roi décida par la suite de diviser les terres qu’on lui avait attribuées en deux parties : la plus petite pour son usage personnel, comme propriété de la couronne et le reste comme terres du gouvernement, placées sous le contrôle du corps législatif, qui peut décider de les louer ou de les vendre. Pour le peuple, le partage est un peu plus tardif à cause de la méfiance des tenanciers qui craignaient que ce soit un motif pour payer un nouvel impôt, mais il fut également mené à bien.
Ce partage fut très inégalitaire : 393 000 hectares pour la Couronne, 598 000 au gouvernement, 647 000 aux 245 chefs, 11 200 seulement pour le peuple. Il faut néanmoins ajouter que les terres des chefs et du roi correspondaient souvent à des terres non cultivées.
Les étrangers parvinrent à se faire reconnaître comme propriétaire des terres dont ils disposaient déjà, à titre gratuit, à condition qu’ils ne puissent les revendre qu’à des Hawaïens. Ainsi ils obtinrent 20 000 hectares, dont le quart était aux mains des missionnaires de l’ABCFM. Mais le gouvernement hawaïen adopta rapidement, sous l’initiative du jeune juge William Little Lee, et en désaccord avec G. P. Judd, le droit aux étrangers d’acquérir en pleine propriété des terres dans le royaume, le 10 juillet 1850. Cette réforme provoqua un véritable bouleversement.
Le gouvernement, toujours à court d’argent, vendit à bas prix entre 1850 et 1874 environ 207 850 hectares pour une valeur de 211 965 dollars (en moyenne 1,02 dollars l’hectare). En 1864, la famille Robinson acheta même à bas prix toute l’île de Niihau (364 km²) pour en faire un ranch employant les quelque 200 indigènes qui y vivaient. Paradoxalement, cela permit de conserver bien mieux qu’ailleurs la culture traditionnelle hawaïenne. Même lorsque les terres de la Couronne furent déclarées inaliénables en 1865 pour éviter une hémorragie trop forte, le roi et la famille royale contournèrent la mesure en octroyant des baux longue durée.
Les Hawaïens comprenaient mal ce qu’impliquait réellement la pleine propriété, or, il était tentant de la vendre pour obtenir une belle somme d’argent immédiatement profitable. C’est à cette date que la situation hawaïenne a totalement divergé par rapport aux autres archipels du Pacifique, colonisés par les puissances occidentales où les indigènes disposaient de terres réservées et inaliénables. Même en Nouvelle-Calédonie ou aux Fidji, où les colons disposèrent de nombreuses terres, une partie de la ressource foncière était réservée exclusivement aux locaux. Aux îles Hawaï par contre, la majeure partie des terres passèrent au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, entre les mains des planteurs haoles.
Le traité de libre-échange avec les États-Unis : une grande victoire pour les planteurs haoles
Les droits de douane élevés freinaient le développement de l’activité malgré des négociations régulières à ce sujet. C’est finalement en décembre 1875 que le royaume hawaïen et les États-Unis signent un traité de réciprocité. Rarement un simple traité de commerce a joué un rôle aussi important dans la transformation économique mais aussi démographique, sociale et à terme politique, d’un pays.
Le traité prévoyait la libre entrée sur le marché américain du sucre, du riz et de quelques autres productions de l’archipel, en échange de la suppression de tout droit de douane aux Hawaï sur une très longue liste de produits américains. Il était conclu pour sept ans. Le traité fut appliqué en permanence jusqu’à l’annexion américaine. En 1887, il fut ajouté au traité, la cession du port de Pearl Habor, ce à quoi le roi s’était toujours opposé. Le traité était favorable aux planteurs hawaïens qui bénéficiaient d’un accès privilégié au marché américain sans avoir à suivre la législation américaine, en particulier concernant le droit du travail.
Si en 1875, le sucre hawaïen ne représentait qu’1 % du sucre consommé aux États-Unis ; en 1898, c’est 10%. Les planteurs haoles furent réputés à raison pour être à la pointe du progrès en matière de production de sucre. En 1900, ils disposent de la meilleure productivité du monde avec 10,6 tonnes/ha, devançant Java (8,1 t/ha), La Louisiane (4,5 t/ha) et Cuba (3,8 t/ha). Cette réussite fut rapide : avant 1876, les plantations étaient de taille modeste (en 1872, il y avait 38 plantations) par contre dans les années 1880, on atteint 90 plantations dont 51 disposant d’un moulin. Par la suite, une concentration s’effectue au profit des plantations les plus solides. Ainsi en 1895, il n’y a plus que 56 entreprises sucrières.
Après la signature du traité, le mouvement de transfert de la propriété des terres des indigènes aux haoles s’accélère avec 38 744 hectares vendus par la monarchie entre 1875 et 1893 pour une valeur de 746 259 dollars (19,30 dollars par hectare). L’aristocratie suit le mouvement, notamment parce qu’ils ne peuvent plus bénéficier des corvées des paysans. Enfin les petits propriétaires de kuleana ont eux aussi vendu une partie de leurs biens ou les ont hypothéquées, sans bien comprendre à quoi ils s’engageaient. S’il s’agissait de surfaces beaucoup plus restreintes que celles vendus par la monarchie ou les aristocrates, elles étaient fertiles et bien situées.
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L’immigration pour fournir une main d’œuvre corvéable
Les épidémies qui touchèrent cruellement une population peu immunisée, l’alcoolisme et une fécondité moribonde ont provoqué une baisse continue et brutale de la population hawaïenne, alors que, dans le même temps, le nombre d’immigrants ne cessa d’augmenter. On passe ainsi de 200 000 ou 300 000 habitants en 1778 à 84 165 en 1850, 73 138 en 1853, dont 2 119 non-hawaïens d’origine (2,8%), 51 531 en 1872 dont 5 366 non-hawaïens (9,4 % de la population), 39 656 en 1900 sans compter les étrangers.
Pour les planteurs, la culture de la canne à sucre nécessite des bras et il n’est pas question d’amener des esclaves. Les Hawaïens étaient aussi considérés comme peu fiable en tant qu’ouvrier agricole.
En premier lieu, il importait d’avoir un cadre juridique permettant de gérer les futurs contrats de travail. Dans un premier temps, les planteurs pouvaient se servir de l’Act for the Gouvernment of Masters and Servants promulgué en 1850. Les contrats de travail signés à l’étranger ne devaient pas dépasser cinq ans et les manquements sévèrement punis.
Pour influer sur la politique migratoire, les planteurs créèrent en avril 1864, la Planters Society. Leur influence permit la création d’un Bureau de l’Immigration au sein du gouvernement en décembre 1864 composé du ministre de l’Intérieur et de cinq membres choisis par le roi au sein du Conseil privé. Le roi voulait ainsi garder la main sur la politique migratoire et favoriser la venue de populations jugées proches comme les autres peuples polynésiens, les Micronésiens ou même les Japonais, qui pourraient « revitaliser » la race indigène. Les planteurs blancs cherchaient par contre surtout des travailleurs dociles et les moins chers possible.
En 1872, sur les 3 921 travailleurs employés dans 49 plantations, on compte environ 3 300 ouvriers de souche indigène, soit 84,1 % contre 526 Chinois et 96 aux origines diverses. Entre 1850-1875, la plupart des migrants venait de Chine, soit 2 994 travailleurs, surtout des hommes (87,6 % des migrants) suivi de quelques Japonais et autres polynésiens.
Le traité de réciprocité provoqua l’augmentation brutale du nombre de migrants. Entre 1876 et 1899, environ 120 000 personnes migrèrent dans l’archipel, la plupart pour travailler comme ouvrier agricole (10 243 travailleurs dans ce domaine en 1884, 35 987 en 1899). Les plantations avaient en permanence besoin de nouveaux migrants parce que, dès que possible, à l’expiration de leur contrat surtout, les ouvriers abandonnaient la plantation pour rentrer chez eux, pour travailler dans une autre activité sur place ou migrer vers la Californie.
La plupart de ces migrants vinrent de Chine et du Japon. Ceux-ci étaient recrutés soit par contrat par l’office de l’Immigration, soit introduits à l’initiative des planteurs. L’importance de l’immigration asiatique en inquiétait plus d’un. Au recensement de 1878, les Hawaï comptaient 5 916 Chinois sur 57 985 hab (10,2%) ; en 1884, ils étaient 17 933 sur 80 578 hab (22,2%). Inquiet, le gouvernement mit progressivement fin aux arrivées de Chinois à partir de 1884.
Les liens entre Hawaï et le Japon étant bon, le gouvernement japonais accepta de favoriser l’émigration japonaise, d’autant plus que l’élite hawaïenne croyait en l’apparenté des deux peuples. Cette bonne entente permit aux deux pays de signer en janvier 1886 une convention d’immigration. Dès lors, l’immigration japonaise augmenta fortement. Début 1886, les ouvriers agricoles étaient à 40,7 % chinois et seulement à 14,1 % japonais. Six ans plus tard, les 20 536 travailleurs des 64 plantations étaient Japonais à 63,4 %.
D’autres migrants en plus faible nombre arrivèrent du Portugal (11 600 entre 1878 et 1886), de Norvège et d’Allemagne (1 500 entre 1881 et 1897).
Une monarchie en crise
Une rupture progressive
Kamehameha V souhaitant restaurer l’autorité royale lors de son accès au pouvoir en 1863, promulgua une nouvelle constitution en 1864 qui limitait le suffrage universel et donnait davantage de pouvoir au roi. C’est le début du divorce entre les haoles et l’élite indigène.
La monarchie est néanmoins confrontée à des problèmes récurrents de succession : ses rois meurent jeunes et n’ont pas d’enfants. Lorsque le chef Kalākaua, lointain cousin de son prédécesseur, devient roi en 1874, celui-ci tente de consolider et de mettre en valeur le souverain et l’institution monarchique. Il construit un nouveau palais royal et entreprend une tournée triomphale autour du monde en 1880-1881. À son retour une grande fête avec chants et danses traditionnels est organisée. Il rêve de rassembler toutes les îles du Pacifique sous une seule fédération.
Méfiant vis-à-vis de ses conseillers haoles, il se lie à des aventuriers comme l’américano-italien Celso Caesar Moreno ou à l’Anglo-américain Walter M. Gibson. Seul le richissime entrepreneur et planteur américano-allemand Claus Speckels soutient le roi jusqu’à leur rupture en 1886.
Les Haoles profitent de la faiblesse structurelle de l’État hawaïen pour noyauter des corps militaires de l’État. Ainsi la Honolulu Riffles Company (HRC), créée en 1884 devint rapidement une véritable milice solidement organisée sous la direction d’un ancien militaire canadien, Volney V. Ashford. L’organisation représentait de fait la seule force militaire réelle en plus des cinq compagnies de volontaires hawaïens et métis et des soldats de la garde royale, de faible valeur combattante.
Début 1887, naît également une organisation secrète, l’Hawaiian League (HL), qui réunit jusqu’à 400 membres, uniquement des haoles sous la direction d’un « comité des 13 » mené par Lorrin A. Thurston, petit-fils de missionnaire. Leur objectif était de changer la nature du régime par tous les moyens. Très vite, l’HL se rapproche de la HRC.
En juin 1887, profitant de polémiques relatives à la politique du gouvernement, les HCR renversent ce dernier et imposent au roi ses ministres. Ceux-ci se lancent dans la rédaction d’une nouvelle constitution qui retire au roi de nombreuses de ses prérogatives et facilite considérablement l’acquisition du droit de vote pour les étrangers, tout en restreignant l’accès au vote en imposant une qualification censitaire élevée. Le roi se vit contraint d’accepter ces changements. En conséquence, et pour la première fois dans l’histoire du royaume, les élections au congrès en septembre 1887 virent la victoire du parti pro-américain de la « réforme » (Reform Party) sur le parti national pro-monarchie.
La petite élite d’origine autochtone ou métis commença petit à petit à comprendre le danger de la situation. Un homme s’élève particulièrement : Robert W. Wilcox, un métis proche du roi qui avait étudié en Italie. Il tenta un coup d’état le 30 juillet 1889, lequel fut réprimé par les HCR. Les élections de 1890 étant plus favorables au roi, il put revenir sur certaines réformes imposées par les Haoles. Le roi Kalākaua meurt l’année suivante sans descendants.
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La fin du royaume
C’est la sœur du défunt roi, Liliuokalani qui lui succéda. Elle est la dernière souveraine d’Hawaï. Les gouvernements sont instables et l’atmosphère est électrique. En janvier 1893, suite à un nouveau renversement d’un gouvernement minoritaire, les haoles d’Honolulu s’agitent et constituent un « Comité de salut public » dans lequel on retrouve L. A. Thurston. Des affrontements ont lieu entre partisans et opposants à la monarchie. Un navire de guerre américain débarque alors le 16 janvier pour rétablir l’ordre mais surtout pour soutenir le Comité qui nomme un gouvernement transitoire dirigé par un autre descendant de missionnaire, Sanford B. Dole.
À Washington, le nouveau président démocrate, Stephen G. Cleveland, exprime son mécontentement face à cette révolution. Il envoie son représentant, James H. Blunt, qui, aussitôt arrivé en mars 1893, ordonne aux soldats américains de lever l’ancre. Mais les haoles refusent de rendre le pouvoir à la reine et les négociations entre les différentes parties capotent. Le gouvernement provisoire réunit le 15 mars 1894 une convention de 37 membres chargés d’élaborer la constitution de la République d’Hawaï. Celle-ci est calquée sur le modèle américain. Les conditions de vote sont draconiennes, ce qui empêche la grande majorité des autochtones et aucun Asiatique de voter ou de se présenter. La République est solennellement proclamée le 4 juillet 1894.
Nombre d’Hawaïens sont très hostiles à ce nouveau régime et une insurrection est préparée sous la direction de R. W. Wilcox pour le 6 janvier 1895. Le complot fut finalement éventé et les rebelles durent se replier. Le 16 janvier, la reine fut arrêtée pour haute trahison et contrainte le 24 janvier à renoncer solennellement au trône. Les tribunaux furent néanmoins cléments, et la reine, comme la plupart des rebelles, furent rapidement libérés.
Les négociations d’intégration aux États-Unis purent reprendre en 1898 avec la victoire de William McKinley dans un contexte très favorable de guerre contre l’Espagne à Cuba et aux Philippines. Mais ce n’est finalement qu’en avril 1900 que le Congrès américain vota l’acte organique qui mettait en place le gouvernement territorial des Hawaï suivant des normes qui devaient rester valables jusqu’à l’accession des îles au rang de 50e État des États-Unis le 21 août 1959.
Un peuple et une culture avalés par la civilisation occidentale
En 2020, sur les 1 455 000 d’habitants de l’archipel, 20 % sont Blancs, 37 % sont Asiatiques, 10 % sont Polynésiens (dont beaucoup sont en réalité très métissés) et 25 % déclarent être multiraciale. On estime qu’environ un peu plus de 1 000 Hawaïens seulement ont la langue hawaïenne comme langue maternelle avec l’anglais. Beaucoup d’autres ne le maîtrisent qu’approximativement ou privilégient une version simplifiée fortement imprégnée d’anglais, désignée par le nom de « pidgin hawaïen ».
La culture hawaïenne est désormais avant tout un folklore que les Hawaïens de souche tentent tant bien que mal de faire (re)vivre afin d’éviter qu’elle ne soit plus qu’un divertissement pour les nombreux touristes venus du monde entier.
Le cas hawaïen est un cas bien particulier, mais on peut aussi le voir comme un présage des effets de la mondialisation sur les cultures nationales. Ce cas questionne aussi les spécificités de la civilisation occidentale et sa capacité à engendrer des sociétés que l’on peut qualifier de « créolisé ».
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