Pour Kant, l’espace et le temps ne sont pas des réalités fondamentales ou objectives en soi, mais plutôt des structures subjectives de notre perception de la réalité. Il considère l’espace et le temps comme des formes a priori de l’entendement, qui précèdent toute expérience et qui sont nécessaires pour structurer notre compréhension du monde mais qui ne seraient pas fondamentales.
Si nous faisons abstraction de la façon dont nous nous intuitionnons nous-mêmes intérieurement et, par l’intermédiaire de cette intuition, saisissons aussi dans la faculté de représentation toutes les intuitions externes, et si par conséquent nous prenons les objets tels qu’ils peuvent être en eux-mêmes, le temps n’est rien. […] Il n’est rien que la forme de notre intuition interne. Si l’on soustrait de lui la condition particulière de notre sensibilité, le concept de temps disparaît lui aussi ; et il n’est pas attaché aux objets eux-mêmes, mais seulement au sujet qui les intuitionne. […] Tous les phénomènes sont dans le temps, et c’est en lui seul, comme substrat (comme forme permanente de l’intuition interne), qu’aussi bien la simultanéité que la succession se peuvent représenter. Le temps donc, où doit être pensé tout changement des phénomènes, demeure et ne change pas, parce qu’il est ce en quoi la successivité ou la simultanéité ne peuvent être représentées que comme en constituant des déterminations. Or, le temps ne peut pas être perçu en lui-même. Par conséquent, c’est dans les objets de la perception, c’est-à-dire dans les phénomènes, que l’on doit trouver le substrat qui représente le temps en général et dans lequel tout changement ou toute simultanéité, à travers le rapport que les phénomènes entretiennent avec lui, peuvent être perçus dans l’appréhension. Or, le substrat de tout le réel, c’est-à-dire de tout ce qui appartient à l’existence des choses, est la substance, dans laquelle tout ce qui appartient à l’existence ne peut être pensé que comme détermination. Par conséquent, l’élément permanent, en relation avec lequel seulement tous les rapports temporels des phénomènes peuvent être déterminés, est la substance dans le phénomène, c’est-à-dire le réel présent en lui, qui, comme substrat de tout changement, demeure toujours le même. Étant donné que cette substance ne peut donc changer dans l’existence, son quantum dans la nature ne peut ni augmenter ni diminuer.
Kant, Critique de la raison pure
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
Je rappelle que ce que je mets en avant ici fait l’objet de débats et de recherches en physique et en philosophie, et qu’il n’y a pas encore de consensus sur la nature fondamentale de l’espace et du temps. Toutefois, les arguments avancés pour soutenir que l’espace et le temps ne sont pas fondamentaux découlent généralement de la nature probabiliste de la physique quantique et de la façon dont elle semble contredire certaines des prédictions de la relativité restreinte d’Albert Einstein.
S’il est impossible de connaître avec précision la position et la vitesse d’une particule à un instant donné, ce qui signifie que l’on ne peut pas décrire avec précision l’emplacement d’une particule dans l’espace à un instant donné. Cela suggère que l’espace et le temps ne sont pas des réalités indépendantes et objectives, mais plutôt des constructions humaines utilisées pour décrire et comprendre le monde qui nous entoure.
De plus, en physique quantique, il est possible d’avoir des effets à distance, comme l’effet EPR (Einstein-Podolsky-Rosen), qui semblent contredire les prédictions de la relativité restreinte selon lesquelles aucun signal ne peut voyager plus vite que la vitesse de la lumière. Cela suggère que l’espace et le temps peuvent être liés de manière différente de ce que la relativité restreinte suggère et que l’espace et le temps ne sont peut-être pas fondamentaux. On retrouvera parmi les tenants de cette position John Wheeler que j’ai déjà présenté et des psychologues cognitifs comme Donald Hoffman qui en tirent les conséquences et affirment que l’évolution nous a doté de sens qui cachent la vérité et, en reprenant la métaphore du casque de réalité virtuelle, affichent les simples icônes dont nous avons besoin.
Donald Hoffman est un psychologue et philosophe de l’université de Californie, à Irvine, qui a proposé l’idée selon laquelle l’espace et le temps ne sont pas des réalités objectives et indépendantes, mais plutôt des constructions de l’esprit humain utilisées pour décrire et comprendre le monde qui nous entoure. Selon Hoffman et à la manière de Kant, l’espace et le temps ne sont pas des aspects de la réalité physique indépendants, mais plutôt des propriétés émergentes de la conscience qui nous permettent de naviguer et d’interagir avec notre environnement.
Hoffman s’appuie sur des arguments en faveur de la subjectivité de la perception et sur les difficultés rencontrées pour concilier la physique quantique et la relativité restreinte pour soutenir sa théorie selon laquelle l’espace et le temps ne sont pas fondamentaux. L’espace, tel que vous le percevez lorsque vous regardez autour de vous, ne serait qu’une interface – un desktop en 3D. Ces icônes sont utiles, en partie, parce qu’elles cachent la vérité complexe de la réalité objective. Vos sens ont évolué pour vous donner ce dont vous avez besoin. Vous pouvez vouloir la vérité, mais vous n’en avez pas besoin. Percevoir la vérité entraînerait l’extinction de notre espèce. Vous avez besoin d’icônes simples qui vous montrent comment agir pour rester en vie. La perception n’est pas une fenêtre sur la réalité objective. C’est une interface qui cache la réalité objective derrière un voile d’icônes utiles.
La science, jusqu’à présent, n’a étudié que le contenu et le format de notre casque mais on ne sait pas ce qu’il y a au-delà. On a cependant déjà quelques aperçus d’une potentielle existence de quelque chose au-delà de l’espace temps. Par exemple, Nima Arkani-Hamed a découvert en 2013 un objet géométrique remarquable, l’« amplituèdre » qui semble au-delà de l’espace-temps et de la théorie quantique. Un objet qui renverrait les principes de localité dans l’espace-temps et l’unitarité quantique au rang de propriétés émergentes d’une structure sous-jacente qui, elle, serait fondamentale.
Mais comment l’amplituèdre est-il au-delà de l’espace-temps ? Et comment un tel objet peut-il avoir un volume ? D’après Donald Hoffman l’idée est simple mais j’ai pour ma part du mal à la saisir pleinement même si j’en comprends les conséquences. L’amplituèdre est un objet géométique qui, utilisé correctement, permet un calcul simplifié des interactions entre particules dans certaines théories quantiques des champs. L’espace-temps a 4 dimensions, 3 d’espace et 1 de temps. Dans certaines théories des cordes, il peut avoir jusqu’à 11 dimensions. Mais l’amplituèdre est un objet géométrique qui peut avoir des trillions de dimensions et plus, et ces dimensions ne concernent pas l’espace et le temps, mais quelque chose d’autre que les physiciens n’ont pas encore compris.
L’amplituèdre est un monolithe au-delà de l’espace-temps. Comme le monolithe de 2001 : L’Odyssée de l’espace, l’amplituèdre est imposant, muet, mais chargé de sens. Et comme les singes dans le film de Kubrick, nous semblons incapables de déchiffrer son message. L’amplituèdre est statique. Les physiciens adorent les théories dynamiques, mais il n’y a pas de dynamique évidente dans l’amplituèdre. Il code la dynamique des particules dans l’espace-temps, mais il est lui-même une forme platonicienne immobile. D’où sortirait cet amplituèdre ? Comment contrôlerait-t-il l’espace-temps ? Qui le commanderait ?
Vivons nous dans une simulation ?
L’hypothèse du it from bit mène naturellement à l’idée que nous vivions dans une simulation où toute chose dans son essence est constituée de bits, ou peut-être même de trits ou, comme David Deutsch l’a exploré, de qubits. Mais cette vision des choses peut se marier avec une certaine forme de réalisme car dans tous ces cas, la nature existerait indépendamment de nous et on pourrait en comprendre les rouages et prédire les actions puisque cela reviendrait à déchiffrer l’algorithme qui la sous-tend. C’est une position que défend David Chalmers dans son ouvrage Reality + où il donne 5 critères prévalents pour définir si nous vivons dans la réalité. Afin de décider si le monde qui nous entoure est la réalité, nous devons pouvoir répondre oui à ces 5 questions :
Est-ce que les objets qu’on perçoit dans cette simulation sont réels ? Oui, l’arbre que je vois existe réellement. À un certain niveau, c’est un objet numérique, ancré dans des processus numériques dans un ordinateur, mais il n’est pas moins réel pour autant.
Les objets que nous percevons ont-ils un pouvoir de causalité ? Oui, l’arbre produit des feuilles, il accueille des oiseaux (qui sont aussi des objets numériques) et il fait naître des expériences chez ceux qui le regardent.
Est-ce que ces objets sont indépendants de notre esprit ? Oui, l’arbre est un objet numérique, fait de bits, qui ne dépend pas de l’existence d’observateur pour exister.
Les objets sont-ils tels qu’ils semblent être ? Oui, ce sont des vraies fleurs qui fleurissent et je viens de France. Ce sont des objets numériques mais les fleurs fleurissent bien et je suis bien de France.
Est-ce que les objets dont je fais l’expérience sont des vraies fleurs, vrais livres, vraies personnes… ? Oui, si j’ai vécu dans cette simulation toute ma vie, tout cela est réel car c’est la réalité à laquelle j’appartiens.
Si l’hypothèse du it-from-bit est correcte, il y a toujours des quarks, des chats et des chaises. C’est juste que les chats et les chaises sont faits d’atomes qui sont faits de quarks qui sont faits de bits.
David Chalmers
En cela, l’hypothèse de la simulation pourrait être réaliste mais pas de façon naïve comme le souhaiterait Lee Smolin. Autre corollaire, si nous vivons dans une simulation, alors qui a créé cette dernière et dans quel but ?
Horreur
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Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft
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Dieu est-il un hacker ?
Je me suis toujours considéré comme athée, aussi loin que je me souvienne. Ma famille n’était pas religieuse, et les rituels religieux m’ont toujours semblé un peu désuets. Je ne voyais pas beaucoup de preuves de l’existence d’un dieu. Dieu semblait surnaturel, alors que j’étais attiré par le monde naturel de la science. Pourtant, l’hypothèse de la simulation m’a fait prendre l’existence d’un dieu plus au sérieux que je ne l’avais jamais fait auparavant.
David Chalmers, Reality +
Si nous vivons dans une simulation alors cette simulation fut nécessairement générée par un démiurge. Pas un Dieu qui règne sur tout le cosmos mais un démiurge qui a créé le programme, qui l’a lancé et qui a le contrôle dessus. Un créateur, tout puissant, omniscient, que David Chalmers va jusqu’à qualifier de « bon » mais je ne vois pas nécessairement ce qui le permet. Ce démiurge ne m’apparaîtrait plutôt ni bienveillant ni malveillant.
Mais alors Platon pourrait aussi avoir raison avec son idée de démiurge. Il y aurait même d’une certaine façon une migration des âmes en tant que transfert d’information. Et si on vit dans une simulation alors elle est constituée d’algorithmes qui pourraient être autant de Dieux. En tous les cas, ni Platon ni le Christ n’auraient pour autant raison de dévaloriser le corps et l’action au profit du seul intellect et de la pensée.
Alors on pourrait réconcilier les chrétiens et les païens avec un Dieu unique en dehors de la création et des Dieux qui interviennent directement dans le monde « réel ». Et s’il y avait effectivement un démiurge tout puissant il pourrait faire flamber un buisson sans qu’il brûle simplement pour se marrer en observant la réaction du pauvre bougre à qui il joue ce tour… Et c’est ce qui me dérange un peu dans cette idée. On pourrait être prêt à croire un peu n’importe quoi. Et je crois que nous devons être vigilants avec cela. Même si notre capacité à comprendre le monde qui nous entoure était limitée, je crois comme David Chalmers que la réalité existe, que la vérité compte et « qu’il existe des vérités sur la réalité ».
Le plus important : La réalité existe, indépendamment de nous. La vérité compte. Il y a des vérités sur la réalité, et nous pouvons essayer de les trouver. Même à l’ère des réalités multiples, je crois toujours à la réalité objective.
David Chalmers, Reality +
Mais cela ne répond toujours pas au pourquoi. Dans quel but une telle simulation serait créée ? Impossible à dire mais ce serait sûrement pour explorer toutes les possibilités d’un univers. Alors si seuls les univers multiples peuvent encore sauver le réalisme, est-ce qu’ils ne seraient pas tout simplement la raison de la création d’une telle chose dans une version antiréaliste ? C’est en tout cas ce que laisse penser Gödel, que Robert Oppenheimer et John Von Neumann tenez pour le plus grand logicien depuis Aristote.
Le monde n’est pas chaotique et arbitraire mais, comme le montre la science, la plus grande régularité et le plus grand ordre règnent partout. L’ordre est une forme de rationalité. La science moderne montre que notre monde, avec toutes ses étoiles et ses planètes, a eu un commencement et aura très probablement une fin. Pourquoi alors ne devrait-il y avoir que cet unique monde ici ? Puisqu’un jour, nous sommes apparus dans ce monde sans savoir ni comment, ni d’où, la même chose peut se produire à nouveau dans un autre monde de la même manière. Si le monde est arrangé de manière rationnelle et a une signification, alors il doit y avoir une autre vie. À quoi cela servirait-il de produire une essence (l’être humain) qui ait un si grand nombre de possibilités de développements individuels et d’évolutions dans leurs relations, mais à qui on ne permettrait jamais d’en réaliser que le millième d’entre elles ? Ce serait comme établir les fondations d’une maison en se donnant beaucoup de mal, puis laisser le tout se détruire.
Kurt Gödel
On reviendra plus en détails sur ses réflexions logiques en temps voulu. Si ce qu’il dit ici est vrai, cela donnerait un nouvel éclairage à l’idée de perfection. Leibniz aurait tort. On ne vivrait pas dans le meilleur des mondes possibles mais dans un des mondes possibles. Certains mondes pourraient s’approcher davantage que le notre perfection. Nietzsche aussi aurait tort en imaginant un éternel retour avec les mêmes causes engendrant mécaniquement les mêmes effets. Le même monde pourrait être relancé à l’infini en modifiant quelques paramètres augmentant sa perfection. Cela créerait une vaste majorité de mondes auxquels nous ne faisons pas parti et d’autres où nos choix sont radicalement différents.
Les Lumières ont choisi de mettre ces questions de côté, mais ce sont ces mêmes Lumières qui ont conduit aujourd’hui à les remettre sur la table. Il faut bien comprendre que se poser ces questions n’est pas se positionner contre les Lumières mais s’inscrire dans leur prolongement car ce sont elles qui font légitimement revenir ces questions, lavées de la fausseté qu’elles comportaient.
Obscure
Accélération
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de Nick Land, offert à nos tipeurs
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L’univers apprenant
Vous l’aurez compris, ce qui m’intéresse dans la version de Smolin, celle de Wheeler ou encore la simulation de Chalmers et la rétrocausalité de Price c’est leur compatibilité avec la thermodynamique, l’évolution, la théorie de l’information de Claude Shannon et la cybernétique de Norbert Wiener. Elles convergent toutes vers l’idée d’un Univers apprenant qui pourrait donner toute son importance à l’information dès lors qu’il existe une valeur à maximiser.
Fondamentale, en cybernétique, est l’identification de la nature de l’information – qui est le logarithme négatif d’une probabilité – au négatif de l’entropie. Cette relation n’est pas simplement formelle, puisque, comme l’a montré Szilard, le démon de Maxwell nous donne un moyen de transformer l’information en perte d’entropie.
Norbert Wiener, La cybernétique
Une partie de moi aimerait croire que la conscience n’est pas un sous-produit accidentel du monde physique, mais qu’elle est en quelque sorte le but premier de la réalité. Sans nous pour y réfléchir, l’univers n’a aucun sens ; pire, il est ennuyeux. Mais la partie la plus dure de mon esprit voit des idées comme le it from bit comme une forme de mysticisme flou que la science est censée nous aider à surmonter.
Quoi qu’il en soit, même si nous vivions dans une simulation et que l’information était la seule chose fondamentale de l’univers cela ne changerait rien quant à notre façon d’agir dans ce que nous tenons pour le monde réel et l’importance de l’action elle même. L’action vaut plus que l’inaction et toute action ne se vaut pas. L’action augmentant notre puissance vaut plus que celle la diminuant. Laissons de côté la question de Dieu pour le moment. Nous y reviendrons plus tard. Revenons à notre schéma, qui reste valable quelque soit la nature de l’information et de l’espace-temps, et tentons de comprendre comment servir la puissance en tant qu’individus faisant parti d’une culture le mieux possible.
On peut voir la civilisation comme la perfection d’une culture et on peut voir une culture comme une structure dissipative cherchant son extropie ou, pour le dire en terme Leibnizien, une monade cherchant sa perfection. Elle repose sur les même processus cybernétique que nous avons mis en avant dans le schéma précédent.
A propos de la phrase “Une partie de moi aimerait croire que la conscience n’est pas un sous-produit accidentel du monde physique, mais qu’elle est en quelque sorte le but premier de la réalité”, on peut renvoyer à la notion de principe anthropique fort ( https://en.wikipedia.org/wiki/Anthropic_principle ), voire au très original texte de David Madore “Towards Enlightenment”, dont je ne me suis toujours pas vraiment remis 23 ans après sa publication.