Pourquoi les Européens ne font plus d’enfants ? (2/3) la morale

Nous avons vu dans l’article précédent comment l’évolution peut être appréhendée comme deux algorithmes interdépendants influençant les actes des organismes vivants et donc des humains. Nous avons vu que la culture, et la morale y étant associée peuvent jouer un rôle également qui va avoir un impact positif ou négatif sur l’alignement des objectifs de ces algorithmes. Dans cet article, nous nous attacherons à voir quels sont les éléments culturels et la morale actuelle qui peuvent avoir un impact négatif sur le nombre d’enfants naissant chaque année en Occident et en France.

“Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. Voici comment finissent les contes de fées. Une vie satisfaisante va de paire avec avoir beaucoup d’enfants. Mais est-ce vraiment le cas ? Il est coutume de voir en Mai 68 une révolution culturelle qui a terminé un affrontement contre le christianisme et ses valeurs morales commencées deux siècles auparavant par la Révolution Française. Elle a ouvert une ère voulant “jouir sans entrave”. Optimiser le plaisir, bridé par le Christianisme, donc satisfaire le Mesa-optimiser (algorithme cherchant le plaisir), sans en subir les potentielles conséquences néfastes. Cela entraînera naturellement la liberté sexuelle. Beaucoup de critiques furent écrites à l’encontre de Mai 68. D’une part des conservateurs y voyant un dévoiement des mœurs mais aussi des communistes comme Clouscard accusant le mouvement et sa soif de liberté de profiter au capitalisme alors que les acteurs étaient plutôt des anticapitalistes. Le capitalisme et le libéralisme allant de pair avec l’innovation, il était évident que l’industrie pourrait proposer rapidement des produits comme le “Coca-light” permettant de goûter au plaisir sans grossir ou, pour revenir au sujet qui nous intéresse, de s’adonner au sexe en disposant d’un plus grand contrôle sur ses conséquences que sont les grossesses et les maladies sexuellement transmissibles.

Pourtant, le seul vrai tort de Mai 68 et de la morale hédoniste qui l’accompagne, est de ne pas servir la vie. Autrement dit, d’optimiser le plaisir tel que le commande le Mesa-optimiser ,cherchant le plaisir, mais en dupant le deuxième, le Base optimiser cherchant à créer le plus de copies de nos gènes. Si on place la jouissance comme objectif personnel d’une vie alors il vaut mieux ne pas avoir d’enfants car ces derniers constituent une entrave au plaisir. Les études sont claires là-dessus. Les seules personnes plus heureuses avec des enfants que sans sont celles vivant dans un pays développé, qui ont plus de 30 ans et qui font partie des classes supérieures mais, dans le même temps en France, 20% des femmes de 35 ans voulant avoir un enfant n’y parviendront plus. Pour les autres, on observe que les couples avec des enfants sont plus heureux que ceux sans enfants seulement une fois que les enfants sont partis de la maison. Les enfants seraient donc un investissement sur le long terme, un bienfait si on adopte une morale eudémoniste et qu’on est prêt à endurer 25 ans de sacrifices. On voit alors un mouvement se dessiner, se nommant eux même les childfree qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Leurs motivations sont multiples mais abordons les principales.

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Motivations pour ne pas avoir d’enfants

Dans son ouvrage Travail, genre et société, Anne Gotman identifie les motivations des personnes faisant le choix délibéré de ne pas avoir d’enfants. Parmi elles, il semble que la liberté tient une grande place, les couples voyant leur relation entre partenaires possiblement compromise par l’enfant. « Notre couple nous suffit, la question ne s’est pas posée », déclarait un auditeur de France Inter qui semble faire écho à ce que Anthony Giddens [1992] nomme « relation pure », une relation qui ne s’inscrit pas dans les lignées mais dans l’horizontalité d’un duo exclusif. Des couples qui placent “l’authenticité, la réalisation de soi et la quête identitaire” au cœur de leurs attentes et pour qui l’enfant n’est pas une étape nécessaire et inévitable de leur parcours. Une quête identitaire dévoyée donc car comme nous l’avons vu cette dernière passe nécessairement par la lignée.

Il y a aussi des couples qui repoussent la venue d’un enfant parce qu’ils souhaitent vivre un temps sans enfant pensant que l’union en soi a une valeur supérieure à la procréation et qui, in fine, « se retrouvent » sans enfant – on les appelle les « postponers ». Ils repoussent puis ré-estiment ce qu’exige la présence d’enfant, pèsent le pour et le contre puis acceptent finalement leur situation comme permanente [Den Bandt, 1980]. Pour tous ces couples, l’enfant peut avoir un impact négatif sur l’union, alors que l’absence d’enfant aurait, a contrario, un effet positif sur la stabilité du ménage.

Des motivations qui devancent la volonté de se consacrer à sa carrière, qui n’a pas un impact majeur sur le phénomène mais qui revêt quand même une des raisons mineures comme le montre Helen Peterson. Dans la société suédoise plus ouverte à l’égalité de genre et à l’absence volontaire d’enfant, les femmes déclarent ouvertement que l’enfant nuit à la carrière et lient très explicitement leur choix de ne pas en avoir à leurs aspirations professionnelles. Un phénomène corroboré par une enquête sur le cas français de Charlotte Debest qui met en avant la relation entre absence d’enfant et carrière professionnelle, où le choix de rester sans enfant précèderait une forme de précarité professionnelle, elle aussi choisie, qui « pousse à leur paroxysme les normes professionnelles actuelles de mobilité, de flexibilité, d’indépendance, de liberté d’accepter ou de refuser un contrat ». Libérés de toute charge familiale, ces individus peuvent mettre à profit les contraintes professionnelles de manière à en tirer le maximum de souplesse et de liberté.

La recherche du bonheur poussent les individus et les couples à se poser la question de savoir si il est préférable ou non d’avoir un enfant. Une question légitime car il semble effectivement que les enfants sont un poids pour la vie de couple. S’ils réduisent le nombre de divorces, ils réduisent aussi la satisfaction générale des couples et particulièrement la vie sexuelle. Les couples commencent à être plus distants et agir plus comme des partenaires professionnels.

Mais laissez moi vous dire une chose, la sensation de tenir son enfant dans les bras à la maternité la toute première fois est unique. Il n’y a rien d’autre qui pourra vous procurer une sensation aussi intense. Et cette sensation, elle vaut toutes les difficultés qui suivent.

https://twitter.com/xBlancheNeige/status/1377014331200667654

La morale découle des conditions matérielles

Mais comment est-on passé d’une société cherchant le salut à une société cherchant le bonheur individuel ? Notre système de valeurs est avant tout influencé par les conditions matérielles dans lesquelles nous nous trouvons. Le capitalisme a si bien marché qu’ils nous a permis de produire des biens matériels en abondance nous offrant un confort inégalé. Tous les pays ayant rejoint le marché libre ont vu le confort de leurs ressortissants augmenter. Adam Smith avait raison et c’est une excellente chose en soi.

Cependant, la mentalité du commerce a alors commencé à prendre le pas sur tout autre système de valeurs devenant petit à petit la seule et unique. Une mentalité d’épicier, qui calcule le coût et le bénéfice de chaque situation. Les produits vendus n’ont que deux fonctionnalités, l’utilité et le plaisir. On va chercher le nouveau gadget qui nous permettra d’effectuer une tâche plus rapidement, plus efficacement, un painkiller. Il nous libèrera du temps pour nous consacrer à un autre produit qui vient titiller notre dopamine, une vitamin. Le confort et le plaisir, sont alors devenus peu à peu la quête d’une vie bonne et il semble que les gens avec un seul enfant bénéficiant du soutien de la famille ou de l’état sont les plus heureux. Avec un enfant, on peut choisir la voiture qu’on veut, on peut ne prendre qu’une chambre d’hotel, on peut conserver du temps pour soi quand l’autre parent s’en occupe, on s’épargne les disputes entre frères et soeurs qui se battent pour votre attention tel que leurs gènes le commande… on est libre !! Mais moins libre que sans enfants. Mais sans enfants on est toujours moins libre que sans partenaire. Les femmes célibataires sont plus heureuses, en meilleure santé et vivent plus longtemps. “Les marqueurs traditionnels du succès n’ont plus cours” nous dit Paul Dolan. Avant d’ajouter que “si vous êtes un homme, vous devriez probablement vous marier mais si vous êtes une femme ne vous embêtez pas avec ça” sans même comprendre l’ineptie d’une telle phrase car si nous suivons tous ceci à la lettre il n’y aura plus ni d’hommes ni de femmes.

« Une ère de bonheur est tout à fait impossible parce que les hommes se contentent de la souhaiter sans la vouloir vraiment et que tout individu, quand lui échoient des jours heureux, apprend littéralement à appeler sur lui l’inquiétude et la misère. » 

NietzscheHumain, trop humain

Mais alors, le capitalisme est mauvais ? C’est ce que pensent certains écologistes qui vont encore plus loin en voulant non seulement réduire le plaisir mais également la reproduction pour finalement détruire le système capitaliste. La génération Z, la plus cajolée de toute, baignant dans le confort et le plaisir, est celle qui est la plus déprimée, la plus connectée et pourtant celle qui se sent le plus isolée, la plus en détresse mentale. Overdose de plaisir, ils veulent en finir avec la vie.

Le plaisir doit être pleinement accepté tant qu’il ne nous détourne pas de buts plus nobles de la vie mais la vraie liberté et le bonheur résident dans le combat. Un combat à mener en premier lieu contre soi même. Ceux qui fuit la difficulté n’ont rien compris ni à la liberté ni à la vie. Et le bonheur, compris comme une vie faite du minimum de souffrance et du maximum de plaisir, ne peut pas être un de ces objectifs plus grand car chercher à l’optimiser, c’est trahir la vie.

Redonner un souffle à l’Occident

Au contraire, je suis pour ma part capitaliste et je pense qu’il est de l’ordre des individus de se doter d’une morale vitaliste qui va chercher à assurer une optimisation des deux algorithmes et un alignement entre ces derniers en célébrant le corps et la vie, la liberté et la procréation. L’accumulation de biens matériels doit servir à augmenter nos capacités de survie mais nous ne devons pas perdre de vue qu’il existe un objectif plus grand, la vie, et que cela passe par faire des enfants. Le capitalisme étant le meilleur système de production de biens et services, il est tout à fait indiqué pour remplir ce rôle mais il ne doit pas être un horizon indépassable.

Vouloir le bonheur de manière pérenne équivaut à vouloir éprouver constamment un orgasme, à être tout le temps rassasié. C’est une quête insensée et vouée à l’échec. Un peu comme tous ces millionnaires ayant consacré leur vie à amasser de l’argent, à concevoir l’argent comme une fin et non comme un fuel, et qui une fois riches se trouvent obligés d’acquérir des yachts de plus en plus gros et dorés pour maintenir leur boost endorphinique, et tenir à distance la terreur existentielle.

Hazukashi

On aurait bien tort de penser comme les conservateurs que s’opposer à l’avortement et aux moyens de contraception serait une piste viable pour atteindre ces buts. Je ne pense pas que la répression du plaisir soit la bonne solution non plus. Cette morale doit célébrer la vie toute entière, ne pas rejeter le plaisir dans un dolorisme malsain mais ne pas en faire le but de toute une vie et même être prêt à en sacrifier une partie afin d’élever des enfants, tâche difficile s’il en est mais ô combien importante pour la vie. Pour adopter une morale vitaliste, l’objectif d’une vie ne doit pas être le plaisir mais la liberté, qui s’obtient soit l’accomplissement productif, soit par la retraite intérieure, et avoir la descendance la plus grande possible qui s’obtient par la reproduction. Les sacrifices à effectuer doivent l’être dans le but d’atteindre ces deux objectifs quand dans le même temps on doit pouvoir explorer toutes les formes de plaisir matériel ne les entravant pas. Le bonheur entendu de la sorte se rapproche ainsi de la façon dont il était perçu par les stoïciens qui ne désiraient rien d’extérieur au monde, rien même de différent de ce qui est. Ils ne veulent pas autre chose que l’ordre du monde tel qu’il est, dans sa cohérence profonde et son harmonie intelligente. Car, à la base du stoïcisme, se tient la conviction que le cosmos est ordonné, que tout s’y enchaîne et qu’il appartient à chacun d’y jouer sa partition. La vertu n’est rien d’autre, et elle émane de nos instincts, si nous savons les comprendre. Et nos instincts nous commandent de faire des enfants. Cette morale est alors une morale néostoïciste qui appelle à trouver le bonheur dans le plaisir comme dans la souffrance, à être inconditionnellement heureux de servir la vie en faisant des enfants et en acceptant la dureté de cette tâche. Malgré tous nos efforts, le bonheur ne peut être atteint par une circonstance extérieure. Nous ne contrôlons absolument que notre volonté pensante. C’est donc elle seule qui doit pouvoir nous permettre d’être heureux, dans toutes les situations, même les pires. Il faut discerner clairement entre les faits et nos représentations. L’essentiel ne se joue pas dans les circonstances, mais dans ce que nous en pensons. J’ai deux enfants – voilà un fait, je n’y peux plus rien. En revanche, vivre cette épreuve comme une catastrophe déprimante ou comme un défi stimulant, cela ne dépend que de moi.

Car, qu’est-ce que la liberté ? C’est avoir la volonté de répondre de soi. C’est maintenir les distances qui nous séparent. C’est être indifférent aux chagrins, aux duretés, aux privations, à la vie même. C’est être prêt à sacrifier les hommes à sa cause, sans faire exception de soi-même. Liberté signifie que les instincts virils, les instincts joyeux de guerre et de victoire, prédominent sur tous les autres instincts, par exemple sur ceux du « bonheur ». L’homme devenu libre, combien plus encore l’esprit devenu libre, foule aux pieds cette sorte de bien-être méprisable dont rêvent les épiciers, les chrétiens, les vaches, les femmes, les Anglais et d’autres démocrates. L’homme libre est guerrier. — À quoi se mesure la liberté chez les individus comme chez les peuples ? À la résistance qu’il faut surmonter, à la peine qu’il en coûte pour arriver en haut. Le type le plus élevé de l’homme libre doit être cherché là, où constamment la plus forte résistance doit être vaincue

Nietzsche, Le crépuscule des idoles

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L’enfant est une expression de soi, un acte artistique et héroïque à la fois. Les personnes refusant d’avoir un enfant y voyant une injonction extérieure de la société ou de la religion et pensant que leur choix relève d’une recherche de liberté n’ont pas encore compris ce qu’est la liberté. Puis il y a ceux dont le corps les appelle à faire un enfant de plus mais au final leur raison reprend le dessus, ils se disent que Non décidemment, ce n’est pas raisonnable en pensant à toutes les contraintes “Parce qu’un gosse c’est pénible alors 2 …”. Et je peux le comprendre, oui élever un gosse c’est dur, mais notre civilisation tient à ces petits renoncements que chacun fait individuellement car, à deux enfants par couple, le nombre d’individus par génération est maintenu ; à 1, il est divisé par deux à chaque génération. Écoutez votre corps, s’il vous crie de faire un enfant à la vue de ceux des autres alors ne vous en privez pas. Ne laissez pas votre raison prendre le dessus en faisant des petits calculs d’épiciers.

Des êtres exceptionnels par leurs actions peuvent servir beaucoup la vie du collectif, leur famille, leur nation, leur continent et ainsi favoriser la reproduction de leurs gènes sans même faire des enfants eux même. Il est normal que ces êtres exceptionnels choisissent la liberté plutôt que la procréation et l’éducation qui est une contrainte les détournant des tâches plus importantes pour le collectif. Mais la liberté se gagne. C’est justement parce qu’ils parviennent à réaliser les grandes œuvres qu’ils se sont fixées qu’ils ont acquis cette liberté et la méritent. Mais ces personnes sont des exceptions, je parle ici de règle. Si vous ne pouvez pas la gagner, alors servez la vie. Dans l’idéal, une fois de plus, soyez des Elon Musk et faites les deux à la fois.

Dans le prochain article nous nous pencherons sur nos institutions et tenterons d’imaginer comment de nouvelles institutions pourraient servir aux mieux les objectifs de la morale vitaliste qui sont la liberté et la reproduction.

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