Vangelis, artiste des Champs-Elysées prométhéens

Parler d’un artiste qui en a tant inspiré d’autres est toujours difficile. Je ne vais pas ici faire une historiographie fidèle de toute la carrière artistique de ce grec prolifique. Déjà, parce que je ne la connais pas totalement, mais aussi parce que connaître un artiste, lorsqu’on parle de musique, c’est surtout écouter ses créations et voir ce qu’elles nous inspirent. Je vais donc essayer, à travers ce que je connais, pourquoi Vangelis (sans doute, l’avez-vous peut être écouté sans le savoir ? Qui sait…) est un must-have pour tout prométhéen qui se respecte.

Jeunesse et voyage dans l’expérimentation électronique

Né en 1943 en Grèce, le petit Vangelis était déjà prolifique et passionné par la musique. Il commença le piano à l’âge de quatre ans, et, tel Mozart, donna même sa première représentation publique à l’âge de six ans avec ses propres compositions. Précisons aussi que Vangelis n’avait aucune notion de solfège, il était entièrement autodidacte.

Dans les années 70, il se frotta à la manipulation des premiers synthétiseurs analogiques, il fit partie, avec d’autres comme Kraftwerk ou Tangerine Dream, de cette vague d’artistes qui expérimenta longuement et assidûment ce qu’on appellera la musique électronique occidentale par la manipulation du synthétiseur.

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Vangelis avait un style bien à lui, une approche qui voulait nous faire voir au-delà des cieux. Vangelis était passionné par l’espace, il avait une vision mystique de la musique, il considérait que «  la musique domine l’Univers, il est la forme primordiale, il a donné forme à l’espace ». Il expérimentait déjà enfant des formes de synesthésie. Certains ont parlé dans le cas de Vangelis d’ « électronique symphonique », c’est tout à fait vrai, quand on compare à ses collègues du même courant. Parlons par exemple de son album Heaven and Hell en 1975, qui est en quelque sorte l’album qui m’a fait découvrir l’artiste :

Heaven and Hell (1975) : Cliquez sur l’image pour accéder à l’écoute

Ce qui marque d’entrée de jeu, c’est l’ambition de l’album, constitué de seulement deux pistes avoisinant toutes deux les 20 minutes, divisées chacune en mouvements comme on ferait en composition de musique classique. Sauf qu’ici, il y a la présence du synthétiseur autour des chœurs et des multiples instruments. Rétrospectivement, on voit immédiatement que Vangelis n’aura pas l’intention au cours de sa carrière d’en rester à quelques vagues sons planants, il veut être l’archange qui vient tutoyer les cieux célestes par – entre autres – la technique scientifique de manipulation des sons.

Dans les titres éponymes de ses albums Albedo 0.39 et Spiral, Vangelis nous montre cette capacité à donner une grand amplitude épique à ses compositions (on retrouve cela dans le style orchestral) et à rendre hommage à la Science par cette ambiance spatiale.

Albedo 0.39 (1976) : Cliquez sur l’image pour écouter le titre
Spiral (1977) : Cliquez sur l’image pour écouter la piste

Pour l’anecdote, le titre Albedo 0.39 fait référence à la mesure physique de l’albedo où le score 0.39 est celui de l’albédo de la Terre (à l’époque). Durant ce morceau, on entend l’ingénieur son de l’album « psalmodier » en quelque sorte tout un tas de mesures physiques faisant référence à la Terre, comme une forme de culte de la Physique :

Maximum distance from the sun: 94 Million 537 thousand miles
Minimum distance from the sun: 91 million 377 thousand miles
Mean distance from the sun: 92 million 957 thousand and 200 miles
Mean orbital velocity: 66000 miles per hour
0rbital eccentricity: 0.017
Obliquity of the ecliptic: 23 degrees 27 minutes 8.26 seconds
Length of the tropical year: equinox equinox 365.24 days
Lenght of the sidereal year: fixed star fixed star 365.26 days
Length of the mean solar day:
24 hours and 3 minutes and 56.5555 seconds at mean solar time
Length of the mean sidereal day:
23 hours and 56 minutes and 4.091 seconds at mean sederial time
Mass: 6600 milion milion milion tons
Equatorial diameter: 7927 miles
Polar diameter: 7900 miles
Oblateness: one 298th
Density: 5.41
Mean surface gravitational acceleration of the
Rotating earth: 32.174 feet per second per second
Escape velocity: 7 miles per second

Certains de ses titres (notamment des albums Albedo 0.39 et Heaven and Hell ) des années 70 furent repris par la série télé américaine de l’époque Cosmos: A Personal Voyage. Cette série parlait de sujets scientifiques, de l’origine de la Vie et de notre place dans l’Univers. Cela lui permit sans doute d’acquérir une plus large audience et de commencer à intéresser certaines personnes dans le milieu du cinéma.

Consécration au cinéma

Son premier coup d’éclat viendra de ses compositions musicales pour le film Les Chariots de Feu, film à petit budget qui traita librement de l’histoire de deux athlètes britanniques concourant aux Jeux Olympiques d’été de 1924, Harold Abrahams et Eric Liddel. Le directeur du film Hugh Hudson voulait apporter une touche plus moderne à la musique, il avait été particulièrement impressionné par l’album de 1979 de Vangelis Opéra Sauvage. Plus particulièrement, la piste L’Enfant lui avait tapé dans l’oreille, il la voulait pour accompagner la fameuse scène du film culte où on voit des coureurs sur une plage. Cependant, Vangelis insista qu’il pouvait faire mieux et finit par convaincre le directeur avec le vrai morceau thématique des Chariots de Feu.

Thème les Chariots de Feu (1981) : Cliquez sur l’image pour écouter la piste
L’Enfant, piste tiré de l’album Opéra Sauvage (1979) : Cliquez sur l’image pour écouter la piste

Cette musique ne vous rappelle rien ? Si vous regardez régulièrement au moins les Jeux olympiques, vous l’avez sans doute déjà entendu au moins une fois, lors d’exploits sportifs ou de moments de gloire. Les Jeux Olympiques de Londres de 2012 ont rendu d’ailleurs hommage à ce film et son titre éponyme (avec l’indétrônable Mr Bean). C’est LA musique qu’on utilise pour la réussite d’un exploit. À noter que Vangelis composera plusieurs morceaux inédits plus tard pour plusieurs Jeux Olympiques.

L’album soundtrack de ce film fut n°1 du BillBoard 200 durant quatre semaines et s’écoula en un million de copies pour les Etats-Unis, et Vangelis remporta en 1982 l’oscar de la Meilleure Musique de Film avec les Chariots de Feu.

Coup de chance ? A peine remis de cela, il enfonça le clou lorsqu’il s’occupa de la musique du célèbre film de cyberpunk Blade Runner réalisé par Ridley Scott la même année. Pour l’anecdote, la première fois que j’ai regardé Blade Runner (c’était, peut-être, il y a à peine 10 ans), je ne savais pas que Vangelis était surtout connu pour en avoir composé la bande originale. J’avais très rapidement reconnu la « patte » de Vangelis, dès les premières touches de synthé, je m’étais dit qu’il était impossible que ce ne soit pas lui qui l’ait composé. Ce qui marque de nouveau, c’est la forte identité musicale de Vangelis malgré le changement d’atmosphère qu’impliquait la thématique du film. La bande son fut nominée pour un nouvel Oscar et un Golden Globe.

Blade Runner (1982) : cliquez sur l’image pour écouter un échantillon

Début des années 90, Vangelis collabora de nouveau avec Ridley Scott pour le film 1492: Conquest Of Paradise (où on retrouve notamment Gérard Depardieu pour interpréter Christophe Colomb). La BO fut également nominée pour un Oscar.

1492: Conquest of Paradise (1992), cliquez sur l’image pour écouter le thème

Vous sentez ce frisson qui vous enjoint à repousser les limites de la conquête et de l’exploration ? Ce souffle épique avec les chœurs (qui n’ont jamais été aussi présents dans sa musique) ? Une nouvelle fois, c’est le type de morceau qu’on utilise quand on a réalisé un grand projet. Bon, on se dit peut être qu’avec l’âge, Vangelis va se ramollir et perdre le feu prométhéen ? Absolument pas, il suffit d’écouter la BO du film d’Oliver Stone Alexander en 2004.

Alexander (2004) : Cliquez sur l’image pour écouter un échantillon

On remarque d’ailleurs que l’aspect orchestral est de plus en plus prégnant, mais nous allons voir tout de suite que c’est pour mieux perfectionner la symbiose organique/inorganique (orchestre/synthétiseur) de sa musique. Par ailleurs, je vous avais dit qu’une des passions de Vangelis c’était l’espace, que devient-elle parmi ces films aux thématiques certes passionnantes mais pas très « techno-futuriste » ?

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Le vaisseau Vangelis à l’assaut de la NASA et de l’ESA

« La mythologie, la science et l’exploration spatiale sont des sujets qui m’ont fasciné depuis mon enfance. Ils ont toujours été connectés de quelques façons avec la musique que j’écris »

Vangelis, lors de la mission Rosetta de l’ESA

En 2001, Vangelis composa Mythodea, une chorale symphonique qui servira de thème musical pour le projet spatial américain 2001 Mars Odyssey. L’objectif de ce dernier était de mettre une sonde spatiale en orbite de Mars pour faire de la cartographie et détecter la présence éventuelle d’eau.

Pour l’occasion, Vangelis en fit une performance live en Grèce, au pied du temple de Zeus, accompagné notamment de l’orchestre métropolitain de Londres, des chœurs de l’Opéra National de Grèce et de deux sopranos américaines. La production fut dirigée par une société du nom de Artistic Sciences Inc., nous en reparlerons un peu plus tard.

Mythodea (2001) : Cliquez sur l’image pour écouter un échantillon

C’est sans doute son projet qui se rapproche le plus d’un orchestre classique. En 2004, il reçut la Public Service Medal des mains de la NASA, plus haute distinction que l’on peut obtenir pour un individu qui n’est pas impliqué par le gouvernement américain.

En 2014, c’est au tour de l’ESA (agence spatiale européenne) de s’offrir les services du mage cosmique Vangelis pour leur mission Rosetta (lancée depuis 2004), chargée d’étudier la composition d’une comète (67P) et son comportement à l’approche du Soleil. En 2014, l’ESA avait lancé un atterrisseur nommé Philae pour se poser sur la surface de la comète et analyser son sol. Cela se concrétisa avec l’album Rosetta de 2016 qui fit davantage la part belle aux synthétiseurs.

Rosetta (2016) : Cliquez sur l’image pour accéder à un trailer étendu (15 minutes)

En 2018, Vangelis rendit un hommage musical particulier au feu physicien britannique Stephen Hawking, théoricien, entre autres, des trous noirs. Pendant que les cendres de ce dernier étaient déposées dans l’abbaye de Westminter, la musique de Vangelis comportant les mots de Hawking fut envoyée via une antenne parabolique de l’ESA vers le trou noir détecté le plus proche de la Terre (1A 06200-00, environ 3500 années-lumière).

Hommage à Stephen Hawking (2018) : Cliquez sur l’image pour écouter la musique

Enfin, il récidiva avec la NASA avec son album sorti en 2021 Juno to Jupiter, pour l’occasion de la mission Juno. Il dédia cet album à son frère musicien Nikos, mort d’un accident vasculaire cérébral en 2014. On trouve ici un album peut être plus ambient où il s’offre aussi les services d’une soprano sur quelques pistes, petit aperçu avec l’explicite piste Zeus almighty :

Zeus Almighty, piste tiré de Juno to Jupiter (2021) : Cliquez sur l’image pour écouter

Cependant, grec rime souvent avec « tragédie » et malheureusement Vangelis ne fit pas exception à la règle.

Vangelis s’effondre subitement tel Icare, mais en silence…

Vangelis mourut « discrètement » le 17 mai 2022 à l’âge de 79 ans d’une insuffisance cardiaque (liée, selon les médias grecs, au Covid-19). La cérémonie d’obsèques et sa crémation se déroulèrent au cimetière du Père-Lachaise, Paris 13ème. Cependant, un certain artiste lyonnais et autre « Grand maître de la Musique Electronique » décida de briser le silence sur Twitter :

«  Cher Vangelis, nous nous souviendrons tous à jamais de ta touche unique et de tes mélodies émouvantes. Toi et moi avons toujours partagé la même passion pour les synthétiseurs et la musique électronique depuis si longtemps… Puisses-tu reposer en paix »

Au-delà de ses proches aux obsèques, on trouvait présent un certain astrophysicien de la NASA nommé Scott Bolton. Qui est-il ? Une petite parenthèse sur ce personnage en vaut la peine.

Scott J. Bolton

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Au-delà de ses nombreuses implications dans des projets de la NASA (Galileo, Juno, Cassini, etc..), Bolton était très impliqué dans des programmes éducatifs pour développer la science, les mathématiques et l’Art pour les enfants de l’école élémentaire à l’Université en lien avec les sujets de l’espace. Il a notamment développé sa propre entreprise Artistic Sciences Inc. pour développer des documentaires, des concerts, de l’Art, etc.. afin de motiver et de donner goût aux enfants pour les études académiques et les sciences dures. En lisant cette publication de Scott Bolton, on comprend aisément pourquoi il était présent à la mort de l’archange prométhéen.

Cependant, Vangelis a déjà fait son office grâce à toutes les œuvres qu’il a créé, il sut insuffler le souffle prométhéen et scientifique dans toutes ses œuvres musicales, et ce, jusqu’au bout de sa vie. C’est maintenant à nous autres de tenir la flamme vers des horizons plus lointains. Repose-toi aux Champs-Elysées cosmiques Vangelis, ou, devrais-je dire, Evángelos Odysséas Papathanassíou (Ευάγγελος Οδυσσέας Παπαθανασίου) tu y as mérité ta place.

Pour nous, les Grecs, cela signifie qu’il a commencé son grand voyage sur les Chariots de feu. De là, il nous enverra toujours ses notes (référence au deuxième prénom « Ulysse » de Vangelis)

Kyriákos Mitsotákis, Premier Ministre de la Grèce, président de Nouvelle Démocratie, principal parti de droite en Grèce

Si vous voulez lui rendre un dernier hommage, il se trouve que sa dernière œuvre musicale est présente dans un nouveau documentaire pro-nucléaire du réalisateur Oliver Stone qui devrait sortir cette année 2023, Nuclear Now.

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