Malédiction des Nobels : les cassos ne sont pas les seuls à se tromper

Notre histoire commence au IVe siècle avant notre ère dans les rues d’une cité grecque. Dans son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien nous conte que le très talentueux peintre qu’était Apelle de Cos avait pour habitude d’exposer sur un tréteau ses compositions achevées, se dissimulant derrière dans le but de recueillir le jugement esthétique du tout-venant. Un jour un cordonnier critiqua la sandale d’un personnage, cette dernière ayant une anse de moins que les sandales bien réelles. À la faveur de la nuit, Apelle corrigea cette erreur, mais quel ne fut pas son déplaisir d’entendre le lendemain le même cordonnier, plein d’orgueil d’avoir renvoyé ainsi le maître à son ouvrage, commenter la jambe portant la sandale.

L’artiste indigné surgit alors de sa cachette et prononce cet aphorisme passé à la postérité ; « Cordonnier, pas plus haut que la sandale» qui donna en latin « Sutor, ne supra crepidam », invitant ainsi l’indélicat à ne pas se prononcer sur un objet sortant du cadre de ses compétences.

Chose amusante, plus de 2000 ans après cette anecdote c’est encore autour d’une querelle sur l’art que le proverbe sera à la base d’un néologisme ; « ultracrépidaire », et de là ultracrépidarien, ultracrépidarianisme.

William Hazlitt, connu pour son travail de critique littéraire, lassé des moqueries de William Gifford, lui aussi critique et poète, lui écrivit en 1819 une lettre ouverte salée où il le désigne comme critique ultracrépidaire, car incapable d’écrire une phrase dans une grammaire correcte.

Ainsi, dès l’origine, ce terme pointait du doigt le fameux effet Dunning Kruger, Hazlit dénigrant les connaissances et la prétention de son adversaire. On ne s’étonnera pas que le mot ultracrépidaire naquit dans un siècle de révolution industrielle et à l’occasion d’une querelle littéraire entre deux intellectuels dont les egos étaient aussi inflammables que ceux de leurs comparses dévoués à la science conquérante, unique empire colonial de l’époque à avoir survécu. En effet ses légionnaires et ses polémistes iront en son nom explorer tous les domaines scientifiques et leur trouver des applications pour améliorer la fortune commune sur l’ensemble du globe.

Car oui, la science a fait notre société et elle fera la société de demain. Voilà un fait que nous acceptons et accueillons chez RAGE. Cette science a produit la technologie dans laquelle nous baignons quotidiennement, un atout qui nous permet de dompter un tant soit peu l’impitoyable nature et de rêver d’un avenir où l’Homme continuera son ascension vers les étoiles. Dans notre Occident technophile, le savant est donc particulièrement vénéré, on l’écoute et le consulte avec attention, son prestige social étant l’équivalent des prêtres des temples de jadis. C’est d’autant plus vrai lorsque la fortune sacre des savants en en faisant des prix nobels, dès lors le monde médiatique met en valeur ces derniers. De fait, ces grandes figures, véritables géantes gazeuses aux dimensions jupitériennes, peuvent invisibiliser de par leurs masse la quantité de petits astres anonymes de la science, pour le meilleur et pour le pire.

Car hélas, cette science qui nous portera vers l’accomplissement de notre civilisation peut accoucher de quelques résidus anormaux, former des esprits cabossés, des passagers clandestins de la rationalité. Fruits des probabilités des grands nombres, les universités produisent à la marge une certaine proportion d’excentriques, d’imposteurs, de fous, de rebuts en somme. C’est ainsi que les pseudo-sciences et les pseudo-médecines ont leurs chantres diplômés, docteurs, professeurs et même prix Nobel. Souvent prompts à s’épancher dans les médias ou n’hésitant pas à écrire à destination du grand public, cette minorité bruyante s’assure du soutien populaire à coup de déclarations chocs voir de thèses simplistes. De surcroît leurs figures évoquant la lutte romantique de héros solitaires – thème dont la littérature et le cinéma sont particulièrement friands – ne peuvent que susciter l’adhésion du grand public, lequel habitué à ne demander des comptes qu’à une poignée de figures intellectuelles, économiques et politiques ne saurait admettre l’idée que l’économie, la science et la politique soient des domaines façonnés de manière collégiale – si ce n’est inorganisée – par des milliers d’anonymes.

Mais il s’avère que le domaine d’expertise est tant une bénédiction qu’une malédiction. En effet, nous sommes désormais loin de pouvoir accéder à l’idéal rabelaisien d’une totalité des savoir disponibles maîtrisés par un individu, idéal type de l’éducation promu dans la lettre de Gargantua à Pantagruel. Le champs des connaissances est désormais bien trop vaste pour être arpenté dans sa totalité par un esprit curieux d’où le recours à la division du travail scientifique, analogue à la division du travail chère à Adam Smith, mais aussi à une hyper-spécialisation des champs de recherches, deux phénomènes aux conséquences regrettables. En effet si la division du travail est une garantie de productivité et d’efficacité, son corollaire la spécialisation, l’expertise, peut être source tant d’aveuglement que d’hubris. La tentation est grande en tant que spécialiste d’un domaine donné de se croire capable d’investir d’autres champs de recherches de manière féconde, d’autant plus si une partie du public vous appuie car vous êtes un expert, certes pas du domaine dont vous parlez mais un expert tout de même. Ainsi il n’y a pas que les cassos qui se sentent pousser des ailes.

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La maladie du Nobel et autres délires des porteurs de lauriers

C’est ce que l’on nomme la maladie du Nobel, un cas particulier d’ultracrépidarianisme puisque le phénomène touche une population apparemment rationnelle et consciente du fait que la science est un ensemble de domaines hyper-spécialisés nécessitant un travail de longue haleine pour être maîtrisés.

On recense actuellement une trentaine de lauréats qui furent atteints par ce mal. C’est un chiffre relativement modeste compte tenu du siècle d’existence de la récompense mais le ratio de victimes parmi le panel demeure conséquent. Il serait donc attendu que l’on ne retrouve pas que des prix nobels victimes du « Nobel Disease » comme l’a baptisé le chirurgien, oncologue et professeur David Gorski engagé contre la désinformation.

C’est pourquoi nous mentionnerons aussi dans ce cabinet de curiosités intellectuelles des savants de moindre envergure, car tous peuvent profiter de l’argument de l’autorité auprès du public. En effet, et c’est pourquoi on les écoute, par définition les intellectuels et savants se doivent d’obtenir des réponses aux questionnements de leurs contemporains ainsi qu’aux propres énigmes sur lesquelles leurs esprits se heurtent.

Malheureusement, aucun être humain n’est une bulle séparée du monde hors d’atteinte de ses influences parfois délétères. Aussi l’on ne s’étonnera pas d’apprendre que quelques grands noms de la science ainsi que des professionnels confirmés se laissent abuser par les religions ou croyances qui leur sont contemporaines. Ainsi le neurochirurgien républicain Ben Carson s’appuie sur la genèse pour affirmer avec aplomb que les pyramides furent construites pour servir de grenier à grain à Joseph, il n’est pourtant en aucun cas egyptologue. Nullement plus inspirés, les promoteurs de « l’intelligent design » antidarwinien sont pourtant des scientifiques . Pour n’en citer qu’un, Michael Behe, père de la thèse de la « complexité irréductible » selon laquelle certains systèmes biologiques sont trop complexes pour être liés au hasard et à la sélection naturelle est de son état professeur de biologie moléculaire.

Mais il est encore plus surprenant et désolant de voir que certains savants s’enfoncent avec aplomb dans la pseudo-science voir le paranormal, deviennent des relais du complotisme ou même pire encore des icônes du mysticisme, l’auréole du chercheur se muant en auréole de prophète.

Si les époux Curie furent dupes de la médium Eusapia Palladino, leur errance n’a rien de honteuse face aux élucubrations de Kary Mullis, prix nobel de chimie, lequel affirmait sa croyance en la paraspychologie, en l’hypothèse de la non-viralité du sida et témoigne dans son livre Dancing Naked in the Mind Field du fait qu’il a rencontré un raton laveur luminescent qui lui aurait dit
« bonsoir docteur ».

Et que dire de l’inénarrable Luc Montagnier ? Prix Nobel de physiologie ou médecine, il n’en demeure pas moins un triste exemple de la maladie du Nobel. En effet outre ses opinions antivaccinales, il défend l’idée de la mémoire de l’eau et affirme que l’organisme lutte mieux contre le Sida avec un système immunitaire épaulé par une nutrition antioxydante, entre autres saillies malheureuses.

Les sciences sociales ne sont pas épargnées par ces dérives, à commencer par l’Histoire, sujette au complotisme.

L’une des idées les plus ubuesque est la fameuse « nouvelle chronologie » ou « récentisme », établie par Anatoli Fomenko, un mathématicien. Selon lui une bonne partie des siècles de l’histoire universelle ne seraient qu’inventions des jésuites des XVII° et XVIII°. Il faut préciser ici qu’en tant que patriote russe, il est désappointé de voir que son pays ait émergé si tard aux yeux de la chronologie officielle.

Ces thèses récentistes ne se limitent pas à Anatoli Fomenko, et tous les récentistes ne s’accordent pas sur le nombre d’années à enlever des chronologies officielles ni sur le caractère volontaire de ces « ajouts » à l’histoire du monde. Tous ont en revanche fait preuve de tendances ultracrépidaires. Cependant cela n’empêche pas leur doctrine de séduire des esprits pourtant rodés, tel celui de Garry Kasparov.

Les choses prennent une autre tournure quant à l’expertise (auto)proclamée se joint la volonté d’acquérir une dimension spirituelle. Dans notre pays nous avons un auteur et conférencier très prolifique, Philippe Guillemant, ingénieur de recherche au CNRS, dont les propos dépassent largement le cadre de la science pour verser dans le spiritualisme new-age. Encore de nos jours, la secte du Mandarom, qui n’est plus considérée comme étant dangereuse comme lors du temps de son fondateur Gilles Bourdin, est dirigée par Christine Amory-Mazaudier, chercheuse en géophysique. Ici, pas de doute, il s’agit bien d’une scientifique productive et en activité dont il est aisé d’avoir accès à ses recherches récentes.

Allons au-delà de nos frontières et de notre siècle et partons à la rencontre de Constantin Tsiolkovski (1857-1935), père et théoricien majeur de l’astronautique. Si cet honorable visionnaire a entre autre imaginé l’ascenseur spatial et l’exploration de l’espace par le bais de fusées, il n’en était pas moins adepte des vues du philosophe russe Nikolaï Fiodorov. Ainsi, comme tous ses comparses il croyait en un futur où la science permettrait la résurrection de tous les humains ayant vécus ainsi que la création de corps humains parfaits et où la colonisation spatiale et la réalisation de l’égalité des biens permettraient de faire vivre dignement toute cette masse humaine.

Si le cosmisme était une croyance utopique et gentillette, les vrais diplômes ont parfois aidé de vrais gourous à être écoutés par des gens qui ne sont ni des idiots, ni des incultes. Vous souvenez-vous de l’affaire sordide de l’Ordre du Temple Solaire ? Des suicides collectifs, durant les années 94 et 95, dont le massacre du Vercors, au « trou de l’enfer »… Une hécatombe sur fond de secte millénariste qui avait choqué la France entière. Luc Jouret, ce gourou à l’immense pouvoir attractif était médecin, et bien sûr, homéopathe. Sa qualité de médecin, en plus de sa prestance physique, fut sans doute l’une des grandes raisons de l’emprise qu’il détenait sur ses fidèles, menant la secte jusqu’au mémorable massacre.

Cet inventaire serait bien indigeste s’il se voulait être exhaustif. Si vous cherchez des médecins, des ingénieurs, des biologistes ou des physiciens faisant la promotion de théories toutes plus fantaisistes les unes que les autres, vous en trouverez de nombreux sur le site de la Psiram, qui répertorie les pseudo-sciences, pseudomédecines et autres charlataneries aux dérives sectaires.

Comme vous le voyez, un titre de docteur ou un prix Nobel ne vaccine pas contre l’orgueil ou les dérives des croyances irrationnelles. La sagesse populaire dit que l’erreur est humaine mais que persévérer est diabolique, mais au contraire persévérer dans l’erreur est un comportement très humain.

Une certaine curiosité, une envie de se démarquer, un peu d’égocentrisme, voilà les ingrédients qui peuvent mener d’un simple égarement à une terrible escalade d’engagements qui se termine dans la folie ou un naufrage désolant. Si la science est un outil formidable qui sert notre civilisation dans son aventure prométhéenne, elle est aussi l’outil commode des déviants de toutes sortes qui l’utilisent pour se donner une aura et manipuler les foules de crédules. Méfiez-vous donc des moutons noirs qui invoquent Galilée, des prédicateurs aux langages hermétiques et des solitaires qui promeuvent des solutions trop simples à des problèmes complexes.

Malgré tout cela, et en hommage aux scientifiques besogneux et silencieux : vive la science !

3 comments
  1. Mais quel article débile ! Môssieur Séraphin, que savez-vous de Montagné, des vaccins et du sida ? Ce que vous en a dit BFM ou LCI ou la télé d’État ? Ne croyez-vous pas que vous êtes tombé tête la première dans ce que vous prétendez dénoncer ? Parlez de ce que vous connaissez et non pas de ce que vous ignorez…

  2. Cordonnier, pas plus haut que la sandale» ERREUR ! après dix lignes déjà une inexactitude : Appel avait fait le portrait Alexandre ( en comédien) et les comédiens portaient des cothurnes les sandales étaient réservées a la vie courante : Ce n’est pas joli de pomper wikidica pour faire croire qu’on a un verni de culture en plus d’un papier à fournir

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