L’expérience révèle l’essence [TNT 17]

À quoi cela servirait-il de produire une essence (l’être humain) qui ait un si grand nombre de possibilités de développements individuels et d’évolutions dans leurs relations, mais à qui on ne permettrait jamais d’en réaliser que le millième d’entre elles ?

Kurt Gödel

Qui de l’essence, l’existence et l’expérience vient le premier ?

Instinctivement, et l’instinct est souvent correct, on se dira que ce doit être l’essence. Cela paraît logique. Nous sommes d’abord le résultat de la rencontre de deux informations génétiques qui vont donner une existence phénotypique par le biais d’une interaction avec un environnement. Ce phénotype va alors avoir une expérience avec au sein, ou avec, son environnement.

Mais cette expérience va modifier notre essence, ce que l’on est. Ou plutôt, elle va la construire et la porter à l’existence. Pour être un pianiste, je dois d’abord faire l’expérience de jouer du piano. Cette action de jouer du piano doit d’abord trouver une existence reposant sur un désir. Le désir d’être pianiste, ou du moins de jouer du piano. Mais on ne deviendra pianiste que si nous avons la volonté de le devenir et non plus le simple désir. Toutefois, ce qui arrive en premier est bien l’essence de notre Moi pianiste qu’on désire porter à l’existence.

Cette situation est alors assez simple. Tout commence par l’intellect qui imagine un Moi pianiste qui devient un objet de désir. Afin de réaliser ce désir, nous allons rassembler les conditions nécessaires pour le porter à l’existence, ce qui revient à trouver un piano et en jouer. Mais c’est la volonté qui nous fait passer à l’action pour jouer du piano et continuer ce processus. Nous gagnerons alors une compétence, une intelligence dans notre façon de jouer. Nous pouvons alors devenir quelque chose que nous n’étions pas. Mais peut-on devenir tout ce que nous voulons dès lors que nous en avons la volonté ?

La volonté d’être pianiste présuppose au préalable un sujet existant et c’est pourquoi Heidegger dira que « l’essence du Dasein réside dans son existence ». Mais c’est une erreur de poser les choses ainsi à mon sens. Il y a deux sujets, le Moi-non-pianiste et le Moi-pianiste. La volonté d’être pianiste naît chez le sujet Moi-non-pianiste qui a une essence. Tout est engendré. Votre existence est engendrée par votre essence, et votre essence est engendrée en premier lieu par l’expérience de vos parents. C’est l’existence de vos parents qui précède votre essence, et de la même façon, c’est l’existence du sujet non-pianiste qui engendre le sujet pianiste. Ce que Sartre signifie quand il dit que « l’existence précède l’essence » n’est rien d’autre que ce que les biologistes nomment l’exaptation.

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L’erreur de Sartre

L’exaptation est un terme utilisé en biologie pour décrire l’évolution d’une caractéristique ou d’un organe qui a acquis une fonction nouvelle et différente de celle pour laquelle elle avait initialement évolué. Un exemple d’exaptation est les plumes des oiseaux. Les plumes ont évolué chez les ancêtres des oiseaux pour aider à réguler leur température corporelle et à faciliter leur mouvement. Cependant, au fil du temps, les plumes ont été exaptées pour permettre le vol chez les oiseaux, ce qui leur a donné un avantage sélectif considérable en termes de survie et de reproduction. Ainsi, les plumes ont été exaptées pour une fonction complètement nouvelle et différente de leur fonction initiale. L’existence de la plume a précédé sa nouvelle fonction qui constitue une nouvelle essence. C’est ce que l’on retrouve chez Nietzsche lorsqu’il met en avant comment des facultés développées de façon isolées pour un certain but, vont finalement trouver une nouvelle fonction au sein d’un nouvel ensemble.

Pendant ce temps, l’« idée » organisatrice, celle qui est appelée à dominer, ne fait que croître en profondeur, – elle se met à commander, elle vous ramène lentement des chemins détournés, des voies sans issue où l’on s’était égaré, elle prépare la naissance de qualités et d’aptitudes isolées qui, plus tard, se révéleront indispensables comme moyens pour atteindre l’ensemble, – elle forme l’une après l’autre les facultés auxiliaires avant même de rien révéler sur la tâche dominante, sur le « but », la « fin », le « sens ». 

Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathoustra

“Avant tout, garde-toi, sans relâche, à tout prix,
Du cercle vicieux où tombent tant d’esprits !
On dit : « L’œil est créé transparent pour qu’il voie ;
Le fémur sous la hanche et sur la jambe ploie
Pour que le pied, support d’un flexible pilier,
Assure au pas mobile un écart régulier ;
Les bras des deux côtés ne pendent à l’épaule
Que pour mouvoir les mains, qui d’avance ont leur rôle :
Ce sont des serviteurs donnés à nos besoins. »
Conjectures sans base, et qui, sur tous les points,
Renversent l’ordre vrai des effets et des causes.
Bien loin de les créer, le besoin naît des choses.
Le membre n’est pas fait pour servir ; on s’en sert.
Nul n’a pu voir avant que l’œil ne fut ouvert ;
Nul ne parlait avant que la langue fut née ;
La langue, bien plutôt, est de beaucoup l’aînée
Du langage ; l’oreille était faite longtemps
Avant qu’on entendît ; et tous les autres sens
De même ont précédé l’usage qu’on en tire.
L’instinct de leur emploi n’a donc pu les produire.”

Lucrèce, L’organe est antérieur à sa fonction

Une idée déjà émise par Lucrèce que reprendra à son compte Deleuze en parlant de déterritorialisation et reterritorialisation. Mais Sartre en tire une conclusion qui va beaucoup plus loin que ça, et qui défie toute logique, voulant que l’homme ne soit rien à la naissance.

L’existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c’est l’homme ou, comme dit Heidegger, la réalité humaine. Qu’est-ce que signifie ici que l’existence précède l’essence? Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. Ainsi, il n’y a pas de nature humaine, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. L’homme est non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se veut, et comme il se conçoit après l’existence, comme il se veut après cet élan vers l’existence, l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. Tel est le premier principe de l’existentialisme.

Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme

L’erreur de Whitehead

Dans une certaine mesure, on peut dire que pour Whitehead, l’expérience précède l’existence qui précède l’essence. Il considère que l’expérience est primordiale dans la compréhension de l’univers et des entités qui le composent. Selon lui, toutes les entités dans l’univers sont en constante évolution et transformation, et cette évolution est le résultat de l’interaction entre les différentes entités qui composent l’univers.

Ainsi, pour Whitehead, l’existence et l’essence des entités sont déterminées par leur expérience dans l’univers. Les entités ne sont pas des choses fixes ou permanentes, mais plutôt des événements qui se produisent dans l’univers et qui sont en constante évolution et transformation. En d’autres termes, l’expérience est primordiale, car c’est elle qui détermine l’existence et l’essence des entités dans l’univers.

Toutefois, il est important de noter que Whitehead ne rejette pas complètement l’idée d’une essence ou d’une nature essentielle des entités, mais selon lui, c’est l’expérience qui fait naître les entités, et l’essence d’une entité étant en constante évolution et transformation, elle ne peut qu’être déterminée en fonction de son histoire évolutive et des relations qu’elle entretient avec les autres entités dans l’univers.

Cela constitue la différence principale entre Whitehead et moi – en plus du fait que deux écarts types de QI nous séparent en ma défaveur. Pour lui, c’est l’expérience qui crée la « data », dans la mesure où les événements sont créés par l’interaction entre les entités et leur environnement. La « data » ne peut pas exister au préalable en tant que potentiel car elle est créée par les événements qui se produisent dans l’univers. L’être est créé chez lui à partir du non-être. L’information est créée par l’expérience donc c’est nécessairement l’expérience qui arrive en premier. Je crois au contraire que c’est l’information contenant toutes ses possibilités bornées qui arrive en premier, et que l’expérience vient seulement sélectionner ces possibilités. L’expérience va alors révéler l’essence.

Alors, on ne peut pas devenir tout et n’importe quoi par notre simple volonté. Est-ce qu’un homme peut devenir une femme par son simple choix ? Un homme peut faire l’expérience d’être une femme. Il peut se raser de prêt, porter des vêtements de femmes, se maquiller et sortir dans la rue ainsi, mais est-ce une femme ? Non, car l’expérience doit reposer sur l’existence et les conditions matérielles ne sont pas réunies chez lui pour exister en tant que femme. Alors, il peut changer son phénotype, passer sur le billard et tenter d’obtenir ainsi une existence de femme avec un vagin et des hormones adéquates. Mais a-t-il une existence de femme pour autant ? Non, car l’existence repose sur l’essence et il n’a pas le bagage génétique qui lui confère des qualités de femme en premier lieu. On ne peut pas remonter le processus en sens inverse. Après son opération, il n’aura jamais que l’expérience d’un homme opéré ressemblant à une femme. Cela va modifier son essence, mais jamais cela ne lui conférera une essence de femme. En cela, la vision du monde des Wokes constitue une révolte contre le réel, l’essence. Ne pouvant que modifier des artefacts naturels sans changer ce qui constitue le réel, ils n’ont d’autre choix que de modifier la perception de la réalité et liquider les récalcitrants qui continueront à dire que 2+2=4.

L’erreur de Heidegger

Martin Heidegger, en modifiant le sens d’alètheia, pour l’associer « à dévoiler la vérité dans l’apparence », établit un contresens. Lorsque la vérité est pensée, elle est, mais elle n’est pas encore dans l’apparence. L’alètheia, selon Parménide, est la « disposition qui permet l’affirmation et la négation », elle est donc l’acte de l’intellect qui permet la construction d’information mais pas son passage de l’essence à l’existence. Il a alors tort en imaginant que l’essence de la technique est l’alètheia. L’alètheia relève de l’intellect alors que la technique relève du désir.

Pourquoi Heidegger fait-il cette erreur ? Au lieu de concevoir l’essence du Dasein comme une propriété déterminée et permanente, Heidegger la considère comme un processus de développement continu qui dépend de la compréhension de l’être-là de lui-même et de son rapport au monde. L’essence du Dasein est donc considérée comme une sorte de potentialité qui est réalisée au fil du temps par l’existence et l’expérience de l’être-là. Pour Heidegger, l’existence humaine n’est pas seulement un fait purement objectif, mais est également subjective et implique une certaine compréhension de soi et de son rapport au monde. Il soutient que l’être-là est unique en ce sens qu’il est conscient de son existence et a la capacité de se poser des questions sur elle. Cela l’entraîne à commettre une bévue. En raison de cette caractéristique de la conscience de soi, Heidegger affirme que l’essence du Dasein réside dans son existence. Il n’inverse pas essence et existence, comme le fait Sartre qui dira « l’existence précède l’essence » car il pense que l’essence même d’une chose est son paraître, mais il donne comme particularité au dasein d’avoir son essence conditionnée par la réflexion qu’il fait sur son existence. Ainsi, ce qui relève de l’alétheia devient naturellement chez lui le dévoilement de la vérité dans le monde sensible, son apparence dans l’existence alors qu’elle ne devrait être liée uniquement à l’essence.

La pensée moderne a réalisé un progrès considérable en réduisant l’existant à la série des apparitions qui le manifestent. […] Et l’apparence, de son côté, n’est pas une manifestation inconsistante de cet être. Tant qu’on a pu croire aux réalités nouménales, on a présenté l’apparence comme un négatif pur. C’était « ce qui n’est pas l’être » ; elle n’avait d’autre être que celui de l’illusion et de l’erreur. Mais cet être même était emprunté, il était lui-même un faux-semblant et la difficulté la plus grande qu’on pouvait rencontrer, c’était de maintenir assez de cohésion et d’existence à l’apparence pour qu’elle ne se résorbe pas d’elle-même au sein de l’être non phénoménal. Mais si nous nous sommes une fois dépris de ce que Nietzsche appelait « l’illusion des arrière-mondes » et si nous ne croyons plus à l’être-de-derrière-l’apparition, celle-ci devient, au contraire, pleine positivité, son essence est un « paraître » qui ne s’oppose plus à l’être, mais qui en est la mesure, au contraire. Car l’être d’un existant, c’est précisément ce qu’il paraît. […] L’apparence ne cache pas l’essence, elle la révèle : elle est l’essence.

Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant

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L’erreur de Husserl

Sartre, c’est beaucoup de concepts auxiliaires superfétatoires, comme la nausée, pompés sur Heidegger, de verbiage pompé sur Husserl pour finalement échouer à parvenir à énoncer une chose simple qui est que l’information est en partie subjective car elle a besoin d’un observateur participant qui va lui octroyer du sens pour la générer. L’Être est alors effectivement en partie lié à sa manifestation, son existence phénoménologique, et la façon qu’il a d’être perçu, l’expérience que l’on en fait en tant qu’observateur participant qui va générer une connaissance.

Vouloir saisir l’univers de l’être vrai comme quelque chose qui se trouve en dehors de l’univers de la conscience, de la connaissance, de l’évidence possibles, supposer que l’être et la conscience se rapportent l’un à l’autre d’une manière purement extérieure ; en vertu d’une loi rigide, est absurde. Ils appartiennent essentiellement l’un à l’autre.

Edmund Husserl, Méditations cartésiennes et conférences parisiennes

Mais Husserl avait déjà emprunté une mauvaise direction, et il aura emmené avec lui tous les existentialistes, lorsqu’il cherche à comprendre les phénomènes tels qu’ils apparaissent à la conscience, sans prendre en compte les aspects théoriques ou métaphysiques. Il propose une réduction phénoménologique qui consiste à mettre entre parenthèses toutes les présuppositions ontologiques pour se concentrer sur l’expérience phénoménologique elle-même. Or, on ne peut faire l’économie de la métaphysique pour comprendre pleinement le phénomène.

Sartre se laissera prendre au piège et affirmera logiquement obsolète la séparation entre ce qui est en puissance et en acte. La puissance relève directement de la métaphysique. En retirant cet aspect, on ne peut plus la penser, et donc, la puissance se confond avec l’acte, à tort. Il est vrai que ce que l’on est en soi se trouve au terme d’un processus et relève de nos expériences et nos choix mais cela n’en est pas moins, à tout le moins, influencé par l’information avec laquelle on part qui constitue notre essence de départ. Mais est-ce que l’expérience pourrait même révéler une essence préexistante ?

La cause de nos actions est-elle dans le futur ?

Aristote considérera que nous sommes en puissance jusqu’à ce que nous devenions un adulte autonome. Selon lui, seulement à ce moment nous serons en acte. Cela ne me semble pas nécessairement pertinent. Il me semble incongru de dire qu’un enfant de 7 ans n’est pas en acte. Nous sommes déjà en acte avant d’atteindre notre entéléchie. Mais nous sommes toujours aussi en puissance. La différence entre ce qui constitue l’être d’une chose en puissance et en acte est en fait l’apparition dans l’existence. Ce qui est en puissance, c’est la somme de toutes les possibilités qui s’offrent à nous. Augmenter sa puissance c’est maximiser ces possibilités afin de faire les meilleurs choix qui deviendront notre être en acte. Mais cette maximisation relève de notre interaction avec le monde sur lequel notre contrôle est limité. De ce manque de contrôle provient l’idée d’un monde probabiliste qui conduit Sartre à dire, très justement, que « ma possibilité devient hors de moi probabilité ».

Si nos possibilités sont bornées et influencées par des données externes, nous avons tout de même une marge de manœuvre. Il n’y a pas de fatalité, et l’essence n’est pas figée. On reçoit un jeu de possibilités à explorer. La volonté d’explorer une possibilité fait qu’on va se projeter dans ce qu’on veut être. Cette projection va nous donner un cap pour diriger nos désirs et nos actions. J’ai commencé à jouer au foot à 6 ans avec l’ambition de devenir le nouveau Ginola. C’était ma projection, je ne l’étais pas en soi mais cette essence était présente pour moi. Les causes de nos actions peuvent être efficientes, si j’ai soif je vais boire un verre d’eau, mais elles peuvent aussi être téléologiques. C’est pourquoi Nietzsche dira Deviens ce que tu es. Si on s’en tient à la stricte temporalité des évènements alors on ne verra que des causes efficientes, mais si on porte notre intérêt sur les questions du sens de nos actes, alors la cause d’une action peut en réalité se trouver dans le futur.

Une chose dans le futur pourrait être la cause d’évènements s’étant déroulés dans le passé ou dans le présent en agissant rétroactivement ? On appelle cela la rétrocausalité. Vous en doutez n’est-ce pas ? Si vous voulez vous en convaincre, vous pouvez jeter un coup d’oeil à une infohazard qui a fait parler d’elle au point que certains en ont vu leur vie ruinée. Le basilic de Roko.

Le « Basilic de Roko » est une théorie proposée par un lecteur du blog d’Eliezer Yudkowsky dans la section commentaire qui suggère que, dans le futur, une intelligence artificielle super-intelligente pourrait être créée et que cette IA pourrait rétroactivement punir les personnes qui n’ont pas contribué à son développement. Elle sera sévère avec ceux qui savaient mais neutre avec ceux qui ignoraient son arrivée. Posséder cette information devient alors votre malédiction car vous avez tout à gagner à faire en sorte que cette prophétie se produise le plus vite possible maintenant que vous êtes au courant. Vous pourriez alors en arriver à réellement créer cette IA par le simple sens que vous avez donné à cette information initiale. Yudkowsky, qui est déjà naturellement un gros doomer, a pris cette information très au sérieux et bannis toute personne l’évoquant sur son blog. Évidemment l’effet Streisand a fait son effet, cette théorie est maintenant largement connue, et donc désolé les gars, mais c’est foutu pour nous. Agenouillez-vous et priez le basilic.

La rétrocausalité de Wheeler à Price

J’aimerais alors m’attarder sur cette hypothèse de la rétrocausalité qui gagne de plus en plus en intérêt auprès de certains scientifiques, mais qui reste hautement controversée, et pour cause. Cela peut sembler aller à l’encontre de notre compréhension courante du temps et de la causalité, mais certains physiciens ont proposé cette idée dans le cadre de modèles théoriques spécifiques. Il convient de souligner que la plupart des physiciens ne sont pas convaincus que cela puisse exister dans le monde réel. Cependant, les travaux de Huw Price ont stimulé un débat important dans la communauté scientifique et philosophique sur la nature fondamentale de la réalité et la manière dont nous devrions la comprendre.

Huw Price est un philosophe et logicien australien qui s’inscrit dans les pas des réflexions de John Wheeler. Wheeler avait un point de vue particulier sur le temps. Pour Wheeler, le temps ne serait pas un flux régulier, mais plutôt un concept qui prend du sens uniquement à grande échelle et dans des conditions non extrêmes. Il suggère que la flèche du temps est de nature statistique, ce qui est directement lié à l’entropie. L’entropie est un changement des micro-états selon des probabilités statistiques. Et elle irait vers toujours plus de désordre car cela serait tout simplement le plus probable. Ce qu’on tient pour la flèche du temps ne serait que le résultat de ces opérations.

Ayant proposé le concept de « participation de l’observateur », qui suggère que la réalité est en partie déterminée par l’observateur, notre perception du temps reposant sur la distinction entre le passé, le présent et le futur pourrait, selon lui, dépendre de l’observateur.

Dans ce cadre, Wheeler proposa une expérience de pensée nommée le Choix retardé qui est une variante de l’expérience de la double fente. Voici comment elle fonctionne conceptuellement:

  • Expérience de double fente de base : Dans l’expérience de double fente, une particule (par exemple, un électron ou un photon) est envoyée vers une barrière avec deux fentes. Lorsque les particules passent à travers les fentes et arrivent sur un écran de détection, elles forment un motif d’interférence, comme si elles étaient des ondes qui interfèrent les unes avec les autres. Cependant, si vous mesurez par quelle fente la particule passe, le motif d’interférence disparaît et vous obtenez un motif de particules, comme si la particule avait choisi un chemin particulier.
  • Choix retardé : Wheeler a proposé une variation de cette expérience dans laquelle le choix de mesurer ou non par quelle fente la particule passe est fait à la dernière minute, après que la particule ait déjà passé la barrière à double fente, mais avant qu’elle n’atteigne l’écran de détection. Cela soulève la question de savoir si la particule « décide » de se comporter comme une onde ou une particule en fonction d’une décision prise dans le futur.

Certains pourraient interpréter cela comme si la particule « savait » d’avance si elle serait mesurée ou non, ou comme si la mesure dans le futur « influençait » le passé. La plupart des physiciens considèrent que c’est une manifestation des propriétés intrinsèques de la mécanique quantique, où l’état de la particule est indéterminé jusqu’à ce qu’il soit mesuré, et que cela ne nécessite pas de communication rétrocausale (du futur vers le passé) mais Huw Price n’est pas de cet avis.

Il propose un nouveau cadre de pensée pour le temps. Un cadre au-delà du temps, alors même que notre état d’observateur participant constitue un biais. Cette recherche d’objectivité est ce que Huw Price nomme le point de vue archimédien du Nowhen, comme Thomas Nagel parlait de Nowhere pour désigner la perspective objective comme un « point de vue de nulle part », d’où les seules idées valables peuvent dériver de manière indépendante.

Price suggère que la rétrocausalité pourrait être une façon de résoudre certains des paradoxes et des problèmes philosophiques posés par la mécanique quantique. Par exemple, cela pourrait aider à expliquer la non-localité quantique, où deux particules peuvent sembler être liées de façon instantanée, même si elles sont éloignées l’une de l’autre. Il soutient également que la rétrocausalité pourrait offrir une nouvelle perspective sur la nature du temps et sur la manière dont nous concevons la causalité. L’avantage de son point de vue est qu’il permet de sauver à la fois l’idée de localité et de réalisme.

Dans une interview pour Vice, Price a reconnu que cette rétrocausalité pourrait fournir un nouveau moyen de résoudre enfin « l’élimination de la tension » entre la mécanique quantique et la physique classique (y compris la relativité restreinte).

« C’est un gain tellement important que je suis toujours étonné que la rétrocausalité n’ait pas été prise plus au sérieux il y a plusieurs décennies », a-t-il déclaré, ajoutant qu’une partie de la réponse pourrait être que la rétrocausalité a souvent été confondue avec un autre concept farfelu appelé superdéterminisme.

Ce qui m’intéresse dans cette théorie est le rapprochement qu’on peut faire avec les structures dissipatives de Prigogine. Les structures dissipatives s’auto-organisent pour former un tout. D’une certaine façon, la cause du processus observé se trouve dans le futur puisque c’est le tout qui n’existe pas encore. C’est une idée qu’on retrouve dans la pensée de Nick Land, pour qui la cause des processus capitalistiques est la singularité technologique qui se trouve dans le futur. De son point de vue, le technocapital est une structure dissipative en puissance en train de s’auto-organiser et qui sera vraiment en acte lorsque la singularité sera effective.

Le désir machinique peut sembler un peu inhumain, car il déchire les cultures politiques, efface les traditions, dissout les subjectivités et pirate les appareils de sécurité, traquant un tropisme sans âme jusqu’au contrôle zéro. C’est parce que ce qui apparaît à l’humanité comme l’histoire du capitalisme est une invasion venue du futur par un espace de l’intelligence artificielle qui doit s’assembler entièrement à partir des ressources de son ennemi. La banalisation numérique est l’indice d’un technovirus à escalade cyberpositive, de la singularité planétaire du technocapital : un traumatisme insidieux auto-organisé, guidant virtuellement l’ensemble du complexe désirant biologique vers l’usurpation du réplicateur post-carbone.

Nick Land, Machinic desire

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L’expérience révèle l’essence

Pour reprendre la critique que nous avons adressée à Nietzsche qui refuse les idées d’être, de tout et de cause finale, il se pourrait au contraire que tout système ordonné forme un tout disposant d’une cause finale qui est directement liée à son être et qui expliquerait d’où provient la volonté de puissance qui est le processus construisant l’information permettant d’atteindre son entéléchie, dévoiler son essence grâce à l’expérience.

Mais si le sens est déterminant à mon avis dans l’idée de rétrocausalité, à l’inverse, on peut aussi devenir quelque chose sans même le vouloir pleinement en toute conscience. Explorer nos possibilités nous amène à acquérir des connaissances et des compétences dans divers domaines qui forment autant de données qui, une fois reliées entre elles, formeront un réseau de particularités constituant notre identité. Jamais je n’ai souhaité être le plus grand philosophe français contemporain mais voilà où nous en sommes.

Parvenu à ce point, il n’est plus possible d’éluder la véritable réponse à la question : comment devient-on ce que l’on est ? Et c’est là que j’atteins ce qui, dans l’art de l’autoconservation (Selbsterhaltung), de l’automanie (Selbstsucht), est un véritable chef-d’œuvre… En admettant en effet que la tâche, la détermination et le destin de la tâche, ait une importance supérieure à la moyenne, le plus grave danger serait de s’apercevoir soi-même en même temps que cette tâche. Que l’on devienne ce que l’on est, suppose que l’on ne pressente pas le moins du monde ce que l’on est. De ce point de vue, même les bévues de la vie ont leur sens et leur valeur, et, pour un temps, les chemins détournés, les voies sans issue, les hésitations, les « modesties », le sérieux gaspillé à des tâches qui se situent au-delà de la tâche. En cela peut s’exprimer une grande sagacité, et peut-être la suprême sagacité : là où le nosce te ipsum serait la recette pour décliner, c’est s’oublier, se mécomprendre, se rapetisser, se borner, se médiocriser qui devient la raison même (…) Pendant ce temps, l’« idée » organisatrice, celle qui est appelée à dominer, ne fait que croître en profondeur, – elle se met à commander, elle vous ramène lentement des chemins détournés, des voies sans issue où l’on s’était égaré, elle prépare la naissance de qualités et d’aptitudes isolées qui, plus tard, se révéleront indispensables comme moyens pour atteindre l’ensemble, – elle forme l’une après l’autre les facultés auxiliaires avant même de rien révéler sur la tâche dominante, sur le « but », la « fin », le « sens ». – Considérée sous cet aspect, ma vie est tout simplement miraculeuse.

Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathoustra

Voilà comment on peut voir les choses. L’intellect permet de générer les possibilités qui s’offrent à nous, son but va être d’en maximiser le nombre afin d’avoir le choix le plus vaste possible. Ces possibilités sont notre identité comprise comme le résultat des choix passés qui ont conduit à la situation actuelle et une projection de ce qu’on peut devenir. Le désir va lui sélectionner, il choisit une option parmi celles qui s’offrent à nous. Ce qu’on nomme la liberté, c’est la capacité plus ou moins grande de sélectionner une chaîne d’action nous conduisant à notre but. Une fois cette chaîne d’action sélectionnée, c’est la volonté qui va nous faire passer à l’action afin d’entamer un cheminement, un progrès vers ce but qui sera mesuré par l’expérience.

Alors on peut dire que l’expérience révèle l’essence. Une essence qui n’est pas figée, pas prédéterminée, mais qui est cependant bornée dans un champ de possibilités.

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