Le vin. La Terre. L’Occident.

Pourquoi les vins français jouissent d’une telle réputation ? Car siècle après siècle, parcelle par parcelle, l’occidental a su isoler une terre précise. La mettre en valeur. Cultiver les meilleurs ceps qui subliment ce terroir. La notion de terroir n’est pas exclusive à la France d’ailleurs. On trouve dans toute l’Europe d’excellents vins qui tiennent la dragée haute aux français, du tokaj hongrois pour les liquoreux, en passant par le Sassicaia toscan en rouge ou encore le Vega Sicilia espagnol. D’ailleurs, l’Europe n’a plus l’apanage des vins d’exceptions : la Napa Valley en Californie ou Penfold’s Grange en Australie affolent les amateurs.

Des terroirs et des hommes

Tant de facteurs à prendre en compte à l’élaboration d’un grand vin. Il y a 2 grandes écoles dans le milieu. La première consiste à lier la haute qualité d’un vin à son terroir. En Bourgogne par exemple, terre d’excellence où le pinot noir règne en maître, chaque parcelle, chaque lopin de terre est isolé, catégorisé, hiérarchisé. Ici, il n’est point question d’égalité. Les meilleures parcelles possèdent l’appellation Grand Cru, puis viennent les 1er crus, les appellations villages et enfin les génériques. Sur le papier, cette hiérarchie est immuable. Un Chambertin Grand Cru sera toujours meilleur qu’un Gevrey-Chambertin 1er cru Clos de Saint Jacques. A Bordeaux, le classement de 1855 fait la loi en catégorisant les Grands Crus Classés par ordre d’importance.

Or, ce n’est pas aussi facile, à mon sens, car cela fait fi du savoir faire de l’homme. C’est la seconde école. Certains domaines, emmenés par des vignerons de génie, ont su tirer la quintessence de leurs terroirs respectifs, de sorte que, un village d’un domaine phare battra à l’aveugle un cru plus huppé d’un domaine plus ordinaire. Prenons le cas du domaine Coche-Dury à Meursault. Ce domaine est mondialement connu, la spéculation qui entoure les bouteilles du domaine est ahurissante. Il faut en effet débourser en seconde main, à savoir via un allocataire du domaine, environ 400€ pour un simple Meursault village. Sauf que cette bouteille pulvérisera sans forcer n’importe quel grand cru de Meursault provenant du négoce. Qu’est ce que le négoce ? Ce sont des grandes structures qui achètent des vins à des vignerons qui ne font que cultiver la vigne. Bien loin de la culture de l’excellence des domaines phares. Notons cependant que certaines maisons de négoce ont bonne réputation.

Les choses ne sont pas si limpides et ne se résument pas à un classement. Certes il faut avoir un bon outil de travail, mais encore faut-il savoir s’en servir et le façonner pour en tirer la quintessence.

Des terroirs, on peut en trouver partout. La différence, elle sera faite par la main de l’homme. Les chinois tentent à leur tour de faire du vin. Mais sans génie. Ils reproduisent en faisant venir des ceps de la région bordelaise, en faisant venir les meilleurs vinificateurs mais rien n’y fait, ils n’arrivent qu’à faire des ersatz pour le moment. Tant qu’ils ne respecteront pas l’identité de leur sol, tant qu’ils n’essayeront pas de comprendre, d’apprivoiser, d’innover au lieu de reproduire, ils seront condamnés à sortir des vins moyens. A contrario, la Napa Valley en Californie a réussi a révéler un terroir magnifique en quelques décennies. A force de travail, de moyens conséquents, de sélection et de patience…

Certains d’ailleurs, comme en Bourgogne, ont décidé de défier la notion de terroir. C’est le cas d’un belge, Bernard Van Berg, qui a décidé de prouver “que l’on peut faire un grand vin à partir d’un champ de patates”. Personnellement, je pense qu’il faille tout de même une certaine base histoire d’établir un équilibre entre génie de l’homme et richesse du terroir. Néanmoins, Van Berg qui fut raillé à ses débuts, tient bon et sa marge de progression est palpable même si ses vins sont prohibitifs.

Travailler un terroir : une vision

Travailler un terroir, cultiver une vigne, c’est avant-tout avoir une vision sur le long terme. C’est avoir en tête que la décision que le vigneron prendra aujourd’hui n’aura un impact que dans 10 ans, au mieux, et c’est un travail ingrat. Rien que pour planter les ceps, il faudra attendre 20 ans pour que les raisins donnent une “concentration”, c’est à dire un jus, suffisamment qualitatif. La vigne devra puiser sur plusieurs mètres de profondeur ce qui donnera les caractéristiques du vin au travers de la sédimentation des sols. En conséquence, il est essentiel de ne pas trop tasser les sols, ce qui interdit de facto le passage d’engins agricoles. La plupart des interventions humaines doivent donc se faire à la main, ou alors en hélicoptère concernant les épandages. On peut toujours faire croire à l’image d’Epinal du vigneron avec ses chevaux de trait, mais en Bourgogne comme ailleurs, la technologie a pris le pas sur le reste. Grâce aux images satellites, on sait avec précision l’endroit à traiter par les airs.

Depuis un bon moment, la tendance est à la biodynamie. Si des excès liés à l’agriculture conventionnel sont avérés, il convient tout de même de garder un équilibre. On arrivera à rien avec de “l’eau dynamisée” ou avec des boues d’orties que l’on épand durant les phases de pleines lunes. C’est ridicule. La vigne, c’est un équilibre. Et ici le bio masque parfois la paresse. On ne désherbe pas car c’est bio. On ne traite pas contre les parasites car c’est bio. Le résultat est parfois catastrophique, non pas pour le propriétaire en bio, mais pour le voisin qui voit ses parcelles contaminées malgré un travail minutieux. La vigne, c’est aussi une responsabilité. Notons également qu’ici aussi, l’orthodoxie du tout bio a mené parfois à la catastrophe : l’usage non raisonné du cuivre en grande quantité, produit mis en avant pour un passage en “bio” a fini par polluer les sols voire même les nappes phréatiques. Non pas le glyphosate, mais bien un produit dit “bio”. Il en va de même pour le souffre qui a impacté la santé de beaucoup de vignerons. Ce que l’on remarque ici, c’est que le passage brutal du conventionnel au bio a mené parfois au désastre, avec une explosion d’insectes nuisibles qui sont allés jusqu’à ravager les parcelles voisines. Les vignerons les plus responsables ici n’ont pas attendu de réglementations administratives pour se raisonner et en tirer les conséquences. Oui l’usage de produits phytosanitaires est parfois nécessaire en curatif, ce n’est pas un gros mot. Ainsi est né l’agriculture dite “raisonnée” qui s’affranchit des ayatollahs et des lobbys, qu’ils soient écologiques ou industriels. Les vignerons eux-mêmes savent ce qui est bon.

Il y a par contre un facteur qu’on ne pourra jamais changer : le climat. La météo peut ruiner une récolte en 10 minutes avec de la grêle au mauvais moment. On ne peut pas rattraper un été trop pluvieux. A contrario, les canicules sont plus ou moins gérables avec l’expérience. Peut on parler de réchauffement climatique ? Je ne suis pas climatologue. Je constate juste que 1976 fut une année dite de canicule. 1990 fut un millésime très chaud. 2003 aussi. Le climat influe également sur la quantité récoltée.

Et au chai ?

Si sans l’intervention de l’homme à la vigne il n’y a pas de raisin, c’est encore plus vrai au chai. Les cuveries high-tech de Bordeaux côtoient les caves humides des paysans bourguignons. Avant de presser le vin, il faut trier les grappes minutieusement. Chaque domaine a ses propres pratiques. Plus vous triez le raisin, moins vous avez de quantité, logique. Par contre, en gardant le meilleur, vous vous assurez d’une maturité, d’une concentration en bouche incomparable, c’est un calcul à faire. Selon les régions et les méthodes, les vins vieilliront plus ou moins longtemps dans des fûts en bois, ou dans des cuves inox pour les vins plus “modestes”. Modeste ici n’est point un gros mot. Je ne rentrerais pas dans un verbiage de technique de vinification. Disons que l’absence de fût de chêne dans la vinification, garantit un fruit éclatant pour des vins appelés à être bus jeunes. Ils sont faciles d’approche, gouleyants, accessibles. Ce que l’on appel un vin de soif, que l’on boit entre amis avec plaisir. Une certaine mode veut que l’on impose l’usage du fût de chêne, gage de qualité et de “tradition”. C’est stupide. Le fût de chêne, neuf, sert à donner un grain au vin, avec des arômes boisés, qui développent à terme des arômes de tabac, mentholés voire viandés. Sauf que l’élevage sous bois doit être réservé à une minorité de vins, à des terroirs d’exception qui ont besoin d’une garde longue pour se révéler, sinon il n’a aucun intérêt.

Cette mode du bois puise son origine chez des “goûteurs” influents. Parker, pour ne citer que lui, est le plus emblématique. Le goûteur américain a propulsé Bordeaux au pinacle du vin mondial. Une belle note de lui, et c’est l’assurance de vendre des dizaines de milliers de bouteilles à l’international. Le revers de la médaille a voulu que beaucoup de domaines ont standardisé leur vin pour coller au plus près au palais du fumeur de cigare américain, avec un élevage lourd en bois neuf, que l’on qualifie pudiquement de “luxueux”. Ce nivellement qui fait fi du terroir, du millésime et du cépage a fait beaucoup de mal avant que la situation ne s’équilibre. Désormais, Parker a pris sa retraite, et quelques spécialistes se partagent le marché par région de prédilection.

Le vin industriel existe. Et ce n’est pas un gros mot. Il est au Chili, où des centaines d’hectares sont automatisés. Mais un vin d’excellence, tel qu’il s’en produit tant en France, c’est un produit vivant. Une année n’est pas l’autre. Et encore une fois, tout le talent de l’occidental a consisté à dompter la nature pour sortir des vins corrects même pendant des années calamiteuses.

Au-delà de 3 grosses régions vinicoles emblématiques que sont Bordeaux, Rhône et la Bourgogne, Il existe bien d’autres régions qui produisent d’excellents vins à prix plus sages : la Loire offre de très beaux vins en blanc comme en rouge. Le Beaujolais, exception faite du Bojo nouveau, produit d’excellents vins fruités. Les vins corses offrent des rosés magnifiques. Un beau Rioja chaleureux. Un toscan opulent. Et osez les vins du nouveau monde, californiens ou australiens des vins souvent plus riches et denses avec une personnalité unique et propre.

Il est tout de même dommage qu’en France, ces domaines familiaux, qui sont des outils de travail et non de spéculation, doivent faire face à des frais de successions ahurissants, sans parler du foncier, qui les rendent vulnérables à la prédation étrangère. Aujourd’hui, si la Bourgogne reste paysanne malgré quelques rachats retentissants (comme le château de Pommard), Bordeaux a succombé depuis longtemps aux sirènes des grands groupes et des investisseurs étrangers. La plupart des Grands Crus Classés font partis de grands groupes tel qu’Axa ou LVMH pour ceux qui sont encore sous pavillons français.

De la spéculation

Il y a 10 ans, une frénésie s’était emparée du marché des vins de Bordeaux. Les asiatiques raffolaient notamment des vins de Lafite Rothschild, les prix aux enchères atteignaient des prix astronomiques. Cette spéculation se concentrait sur une vingtaine de grands domaines classés en Grand Cru depuis 1855, et beaucoup de ces domaines en ont profité pour augmenter leurs prix. Néanmoins, ils ont considérablement occulté un problème inhérent au marché asiatique : la contrefaçon. Le phénomène a atteint un tel niveau qu’il s’est avéré qu’il y avait plus de bouteilles de Lafite d’un millésime donné circulant sur le marché que ce qui a été produit initialement par le domaine ! La confiance étant rompue, le marché s’est effondré. Ajoutez à cela le cas Kurniawan, jeune asiatique qui a berné les plus belles maisons de vente en vendant des faux élaborés, il croupit désormais en prison après avoir écoulé pour 20$ millions de faux.
Si la situation s’est stabilisée à Bordeaux, la flambée a atteint la Bourgogne. L’année dernière, en un an, les plus belles signatures bourguignonnes ont pris 30% de valeur sur le marché des enchères, de quoi attirer les investisseurs du monde entier friands de telles performances, surtout en temps de morosité boursière. En quelques années, le prix de beaux flacons a triplé voire quadruplé, la demande mondiale étant amplifiée par les petites quantités produites. Pour ma part, même si cela m’impacte négativement en tant que collectionneur de Bourgogne, je me félicite néanmoins que l’excellence de nos vignerons soit reconnue mondialement. Il y a 30 ans, ces mêmes familles qui peinaient à vendre l’intégralité de leur production sont maintenant considérées comme des génies respectés, qui agissent telles des locomotives d’un domaine se hissant au second rang des exportations françaises derrière l’aéronautique.

Alors arrêtez avec vos coteaux de Provence ou le cubi de supermarché. Allez chez le caviste, il existe de très beaux vins de pays pour quelques euros qui ne demandent pas des connaissances œnologiques poussées. Prenez un vin du Ventoux ou un beau Morgon du Beaujolais : appropriez vous ce qui est à vous, l’excellence de l’Occident, il coule dans nos veines.

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