Né en 1984, Philippe Fabry est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Féru d’histoire romaine, il s’intéresse particulièrement à la théorie du droit naturel, de l’École de Salamanque à l’École autrichienne. Dans ses livres, il développe des parallèles entre l’Antiquité greco-romaine et notre époque, invoquant les “lois de l’histoire” pour étayer ses anticipations. Dans cet entretien, RAGE a fait le choix de recueillir son analyse concernant la Turquie d’Erdogan, étoile montante de l’internationale islamique dont l’hostilité à l’égard de l’Occident est de plus en plus manifeste.
Bonjour monsieur Fabry, pourriez-vous développer pour nos lecteurs faisant votre découverte par le biais de cet interview votre concept d’historionomie?
Le mot signifie tout simplement « lois de l’histoire », comme il y a l’économie ou l’astronomie. En partant, comme dans toutes les sciences naturelles, de l’observation de schémas récurrents, et en procédant par analyse comparative, de rechercher les lois sous-jacentes qui gouvernent l’histoire humaine. Cela à des fins prédictives, certes, mais aussi pour fournir à l’étude de l’Histoire une boîte à outils supplémentaire pour déterminer les chaînes causales, ce qui est en définitive l’un des principaux buts de la recherche historique : déceler pourquoi il s’est passé ceci plutôt que cela, et si telle chose pouvait être évitée ou aurait pu se produire autrement.
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Menaces répétées à l’encontre des troupes américaines stationnées en Syrie l’année dernière, révélation des positions de l’armée française, tentatives d’intimidations à l’intention de la Grèce et d’Israël, rapprochement avec la Russie et l’Iran… Après avoir longtemps joué le rôle de médiateur entre l’Orient et l’Occident, notamment sur la question palestinienne, la Turquie d’Erdogan semble emprunter de plus en plus un virage ”ottomaniste”, avons-nous des raisons de nous en inquiéter? Jugez-vous pertinent d’exclure la Turquie de l’OTAN comme le réclament certains?
Pas seulement « ottomaniste », ou néo-ottoman, mais aussi islamiste. Les deux sont liés, d’ailleurs : Erdogan est nostalgique de la puissance de l’Empire ottoman à la fois par nationalisme turc et par islamisme, et il rêve à une restauration turque du califat par nationalisme.
En fait, l’attitude d’Erdogan est tout à fait similaire à celle de Vladimir Poutine, ceux que j’appelle les impérialistes revanchards : ils ont une référence impériale passée qui les pousse à poursuivre une ambition nationale très supérieure au simple souci de l’intérêt national. Pour cette raison ils sont capables de prendre beaucoup de décision manifestement contraire au second en vue de réaliser la première. C’est une étape naturelle du développement national, tous les grands Etats-nations passent par cette phase. L’ennui c’est que lorsqu’elle touche les plus gros d’entre eux, cela fait généralement beaucoup de dégât : regardez Napoléon, Hitler. Cela se termine normalement par l’écrasement de cet impérialisme revanchard et le repli national dans des frontières plus modestes et définitives.
Tout comme Poutine, Erdogan a passé ses dix premières années au pouvoir, alors qu’il se savait faible sur la scène internationale et fragile sur la scène nationale, à jouer les accommodants, respectueux de l’ordre international – le « zéro problème avec les voisins ». C’est lorsque son contrôle sur son pays en même temps que la puissance propre de celui-ci se sont suffisamment accrus qu’il a commencé à jouer sa vraie partition, celle qui correspond à sa conviction profonde.
Naturellement, contrairement à la Russie de Poutine, Erdogan n’a pas de contrôle d’un gros arsenal nucléaire, et n’a pas le même appareil industriel militaire – même si les Turcs progressent vite en ce sens. La Turquie d’Erdogan est donc moins manifestement dangereuse que la Russie de Poutine, mais elle l’est tout autant, d’une autre manière : d’abord, elle accroît considérablement le danger russe en minant la solidarité au sein de l’OTAN : si un conflit éclatait, par exemple, entre les pays baltes et la Russie, que ferait la Turquie ? Poutine pourrait compter là sur un coin enfoncé dans la capacité de mise en œuvre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord.
Ensuite, si Poutine tente de manipuler les populistes en Europe, il a vraisemblablement perdu de son aura depuis que ceux-ci ont à nouveau de la sympathie pour une Amérique représentée par Trump – je pense que de ce point de vue, l’élection de Trump a été une défaite stratégique pour Poutine, qui s’est trouvé un rival quant à son public favori en Europe.
Erdogan, lui, se construit une cinquième colonne qui pourrait être beaucoup plus fiable que les populistes pour Poutine : la diaspora turque et les musulmans sympathisants du salafisme dans les grands pays d’Europe de l’Ouest. Aujourd’hui, on peut dire qu’Erdogan cherche à devenir pour l’islamisme international ce qu’était Staline, chef du Komintern, pour le communisme. A terme, cela peut lui faire gagner une capacité de nuisance, et donc d’influence, très redoutable sur nos pays.
Faut-il, alors, maintenir la Turquie dans l’OTAN ? La réponse n’est pas évidente. Exclure la Turquie de l’OTAN aurait le mérite de clarifier la situation et serait une mesure saine en ce qu’elle rétablirait la fiabilité de l’alliance. Mais cela signifierait aussi lâcher la bride au fauve, alors que pour l’heure le maintien dans l’OTAN oblige encore Erdogan à ménager la chèvre et le chou : il ne peut pas se permettre des choses qu’il se permettrait sans doute s’il était exclu. A titre personnel, je penche tout de même pour la première option : pour moi maintenir Erdogan dans l’OTAN est trop dangereux dès lors qu’existe aussi la menace russe.
Outre sa tentative apparente de fédérer le monde musulman sous sa bannière en jouant notamment sur une cause palestinienne qu’il a longtemps délaissé, estimez-vous qu’Erdogan poursuit une stratégie d’islamisation de l’Europe à des fins impérialistes?
Absolument. C’est le complément de sa stratégie de constitution d’une internationale islamiste dont la Turquie serait le centre de gravité : il sait la puissance démographique des populations musulmanes en Europe, il sait la peur qu’elles inspirent aux structures de gouvernement – pensez à ce que disait François Hollande sur le risque de partition du territoire, aux déclarations de Gérard Collomb au moment de son départ du ministère de l’Intérieur. Il veut utiliser ces populations comme levier pour refaire l’Empire ottoman ; mais pas seulement le refaire, le refaire en plus grand qu’il n’a jamais été. Comme tous les impérialistes revanchards, il a un rêve eschatologique, millénariste, celui de l’empire final, qui doit être l’apothéose nationale – et religieuse.
Les relations entre la Turquie et la Russie, souvent tendues, se sont nettement améliorées depuis 2017 du fait des tensions entre le régime d’Erdogan et le bloc occidental sur la question kurde. Quel pronostic établissez-vous sur cette question? Assistons-nous à l’émergence d’un Axe Russie-Turquie-Iran? Cette convergence des intérêts peut-elle tenir sur le long terme?
Je ne le crois pas du tout.
Je
pense qu’une certaine alliance entre Russie et Iran est solide
parce qu’elle dure depuis longtemps et s’appuie sur une véritable
convergence d’intérêts sans qu’il y existe de points
d’achoppement majeurs.
Pour ce qui est de la Russie et de la Turquie, nous parlons de deux ennemis pluriséculaires qui ont passé tout le XIXe siècle et le début du XXe à s’affronter, puis ont été opposés dans leurs alliances. On parle d’un pays, la Turquie, qui détient un joyau dont rêve historiquement la Russie : Constantinople, la cité-mère du christianisme orthodoxe, et d’un pays, la Russie, qui a régné durant trois siècles – et règne encore, quoique moins directement – sur tout l’espace turcophone d’Asie centrale. Et puis la dynamique n’est pas la même : l’Iran souffre de l’isolement depuis longtemps maintenant, et a un régime vieillissant – quarante ans pour une dictature comme celle des mollahs, c’est vieux. La Turquie, au contraire, monte en puissance, le régime d’Erdogan est en pleine ascension autoritaire : certes il y a eu un coup d’Etat en 2016, certes il a perdu les élections à Istanbul, qui compte un sixième de la population du pays, mais il faut regarder l’issue de ces revers : un accroissement de son emprise après le coup d’Etat, une annulation de l’élection à Istanbul, qui reviendra probablement à l’AKP. C’est en outre un pays plus dynamique démographiquement : il y a encore plus de deux enfants par femme en Turquie, alors que le taux est de moins de deux par femme en Iran. La Turquie est plus peuplée que l’Iran depuis 2018, une première depuis trente ans.
Le rapprochement Russie-Turquie n’est que ponctuel, et doit permettre de satisfaire des ambitions respectives qui ne sont pas contradictoires, en Syrie en particulier. C’est pourquoi j’ai coutume de rapprocher l’entente russo-turque au Pacte germano-soviétique.
Erdogan est souvent accusé d’entretenir des liens étroits avec les Frères Musulmans. Qu’en est-il vraiment ?
Il en est très proche, idéologiquement, et qu’il considère appartenir à cette mouvance ou non, il a la volonté de s’en servir comme instrument de puissance et d’influence dans le monde musulman et dans les populations musulmanes en Occident. On l’a vu faire le signe caractéristique des Frères Musulmans, la Rabia (quatre doigts dressés et le pouce replié sur la paume) en plein Paris, lorsqu’il est venu à l’occasion des célébrations du 11 novembre l’an dernier.
Il est en outre un solide allié du Qatar, qui est la tirelire des Frères Musulmans et diffuse des contenus tout à fait en accord avec leur doctrine via Al Jazeera.
La nature d’organisation transnationale des Frères musulmans colle parfaitement avec la volonté d’Erdogan de se placer à la tête d’une forme de Komintern islamiste.
Affiche
Occident
L’occident est le fer de lance
du progrès
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Pour finir, quelles sont selon vous les principaux challenges que l’Occident doit relever en ce XXIème siècle? Quelles forces majeures, exogènes mais aussi endogènes, s’opposent à lui?
La Russie de Poutine est un danger immédiat mais qui sera vraisemblablement réglé d’ici une dizaine d’années : il est peu vraisemblable que le système Poutine survive à Poutine, et le principal souci de l’Occident doit être qu’il n’y ait pas de dérapage militaire avec la Russie jusqu’à la mort de Poutine – ce qui malheureusement dépend aussi de la volonté de Poutine.
Il y a aussi la Chine, bien entendu, qui est un danger plus stratégique, mais pour laquelle je pense que la mesure a été prise, tant aux Etats-Unis qu’en Europe – même si celle-ci est toujours plus lente à réagir. Là aussi, cependant, je pense que le problème sera réglé d’ici quinze ans : le scénario qui me paraît le plus probable est une montée en puissance du conflit commercial, l’éclatement vraisemblable d’une guerre dans la proche périphérie chinoise – Taïwan ou la frontière vietnamienne, peut-être la Corée – où les Américains pourraient enliser la Chine jusqu’à effondrement du régime communiste, sur le modèle de l’URSS.
A plus long terme, je pense que les principaux dangers sont :
- d’une part l’islamisme, qui tiendra au XXIe siècle un rôle géopolitique similaire à celui du communisme au XXe siècle, et polluera la vie politique occidentale, et surtout européenne durant les quarante prochaines années comme le communisme le fit au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
- d’autre part une tension, que je vois grandissante, entre l’Europe et les Etats-Unis, avec l’émergence d’ores et déjà d’un nationalisme européen assez puant. Je ne parle pas des nationalismes dans les différents pays d’Europe, celui des populistes. Je parle du nationalisme des européistes : on entend monter depuis quelques mois, probablement depuis l’élection de Donald Trump, une petite musique funeste qui pose une équivalence entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine comme menaces pesant sur l’Europe, phare du progressisme, de l’écologie, etc. Ce discours qui renie le concept de civilisation occidentale à laquelle appartiennent pourtant l’Amérique et l’Europe est extrêmement inquiétant.
- Enfin, il y a le danger qui pèse sur la démocratie américaine : la modification de population liée à l’immigration et au différentiel de croissance démographique entre l’Amérique côtière, très urbaine, multiculturelle et de plus en plus favorable aux idées socialistes, et l’Amérique continentale, blanche et conservatrice, finira vraisemblablement par avoir raison du système constitutionnel américain. Une deuxième guerre civile est fort possible dans les trente prochaines années, dont la Constitution américaine sera la victime.
Vous pouvez retrouver les analyses de Philippe Fabry sur son blog Historionomie
D’apres vous la russophobie n’existe pas et vous prouvez exactement l’inverse avec ce texte diarrheique, qui se perd en efforts grimacants. N’etant d’aucune obedience, mais seulement anime par le souci du devenir de mon pays, vos attaques restent donc sans effets meme celle qui vise a repousser vos detracteurs en dehors du forum. Philippe Fabry fait sur d’autres sites la promotion de ce blog, n’importe quel internaute est en droit de venir s’informer de la nature de l’ideologie qu’il vehicule et eventuellement d’y reagir.