Comprendre et combattre le postmodernisme. Épisode II: les clefs d’un succès sidérant

L’auto-effondrement de l’engeance soviétique aurait dû ouvrir un âge d’or des démocraties occidentales. Notre quotidien est bien différent, nous subissons plus que jamais une crise socio-économique et surtout spirituelle. Les explications avancées à gauche comme à droite, comme l’immigration, la corruption des élites, la globalisation ou l’effondrement des systèmes éducatifs, ne sont que des symptômes d’un mal plus profond.

A la fois philosophie et religion de substitution, le relativisme postmoderne est au cœur de notre auto-dissolution. Nos dirigeants, des intellectuels aux politiciens, ne reconnaissent plus les dimensions identitaires et organiques des sociétés humaines ; les briques fondamentales, bien qu’informelles, des civilisations, comme le décorum, le bien commun, la décence commune et le droit naturel sont niées. Ne subsiste que le droit positif au service du nouveau credo unique et officiel, le vivre-ensemble. Ce concept relativiste à la fois vide et naïf consiste à ériger en unique morale la tolérance, y compris envers des modes de vie fondamentalement incompatibles.

Après avoir décrit dans le premier épisode les principales théories de ses fondateurs, il est temps de dévoiler les clefs du succès du postmodernisme.

La transition ratée vers le méta-récit techno-scientifique

On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter.

Emmanuel Kant

La première clef du succès du postmodernisme est le terrible manque de confiance en soi de notre société technoscientifique. Bien que victorieuse des religions, la science n’est pas parvenue à construire et imposer un méta-récit de substitution. Le blocage se situe à deux niveaux.

Le premier, sauf recours à ingénierie génétique, est insoluble. Le méta-récit scientifique est hors de portée de l’immense majorité des humains. La plupart des humains sont incapables de vivre dans le doute et l’incertitude. Ils ne peuvent appréhender correctement les grands nombres, les proportions et les conséquences collectives de leurs choix. Les raisonnements probabilistes et bayésiens qui jouent un rôle fondamental dans la pensée scientifique leur sont à jamais inaccessibles.

L’apprentissage des sciences, indispensable pour comprendre le techno-monde, requiert patience et discipline. Nous disposons certes d’outils numériques d’auto-éducation scientifiques et techniques d’une puissance sans précédents. Mais ils sont impuissants face aux progrès dantesques du divertissement qui accaparent le temps de cerveau disponible des viewers.

Le second point de blocage est le manque de soutien à la science au sein même de l’élite intellectuelle et politique. La pensée scientifique a perdu l’autorité acquise par ses réalisations concrètes. Si ce scepticisme est aujourd’hui entretenu par des controverses socio-techniques de nature politique généralement sans fondement solide, l’origine du problème est ailleurs.

Ivy Mike, essai de la première bombe à fusion, environ 70 fois plus puissante que la bombe qui a détruit Hiroshima

L’industrialisation de la guerre et le pouvoir de la bombe nucléaire ont mis fin au magisterium de la science. Bien que surestimée, l’arme nucléaire a réintroduit dans l’univers mental des humains sécularisés la crainte de leur disparition en tant qu’espèce. Après nous avoir réduit à l’état de singes insignifiants dans l’univers, la science nous a mis dans les mains le moyen de nous autodétruire instantanément. C’est cette peur qui se manifeste dans les psychoses collectives contre les pesticides, les additifs alimentaires, les ondes etc.

La naïveté du matérialisme face à notre animalité

La seconde clef est elle aussi une conséquence de l’avènement du techno-monde. Les décideurs occidentaux, sous la double influence du matérialisme marxiste et libéral, ont parié que l’abondance matérielle et l’expansion de la liberté dans le droit suffiraient pour ériger une société rationnelle et pacifiée. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils avaient omis (et ignorent toujours) un élément capital.

Le corps social est une entité organique, mû par les lois de la génétique. Son agressivité collective est son système immunitaire civilisationnel. Comme l’éthologue Konrad Lorenz nous l’a appris, l’agressivité naturelle, même collective, doit être canalisée et sublimée pour ne pas devenir autodestructrice.

Rituel de triomphe chez les oies. En reproduisant l’éviction d’un compétiteur le mâle affirme le soi/non soi et renforce le lien avec sa compagne, qui se joint ensuite au rituel. Décrit par Konrad Lorenz.

Comme notre système immunitaire devient fou en l’absence d’antigène, sans étrangers à combattre ni structures de sublimation l’immunité civilisationnelle se retourne contre elle-même. Depuis la chute de l’URSS la civilisation occidentale se croit dépourvue d’adversaires. En refusant de déverser son agressivité vers l’extérieur et en n’imposant pas de structures de sublimation elle s’expose à des réactions auto-inflammatoires et auto-immunitaires à l’origine de sa dissolution.

L’étrange mutation de la gauche

La troisième clef du succès du relativisme est la destruction des structures sociales et spirituelles traditionnelles. Cette situation ouvre toujours la porte à des idéologies extrémistes. Hannah Arendt dans La crise de la culture, décrivit le rôle central des précédentes phases de délitement de la tradition dans les “succès” des “expérimentations” marxistes et nationales socialistes.

Cette fois c’est le postmodernisme, né dans l’ultra-gauche marxiste, qui s’est engouffré dans les rangs des intellectuels de gauche et du centre. En séduisant les progressistes avides de libertés individuelles, les postmodernes purent écarter les réflexions progressistes rationnelles comme la Théorie de la justice de Rawls, inaccessible aux bas QI. Par effet de cliquet ils firent avancer leurs idées jusqu’à imposer le rejet intégral des fondements de la société occidentale, dans une perspective à mi-chemin entre jouisseur égoïste et marxiste revanchard.

Les Lumières face à la peur de la liberté

Les promesses de liberté individuelle en expansion permanente est la dernière clef du succès de la french theory que je traiterai ici. Les électeurs exigent et obtiennent sans cesse de nouvelles libertés sociétales, sans pour autant se sentir plus libres et heureux qu’auparavant. La formule de Michel Clouscard Tout est permis, rien n’est possible est plus que jamais d’actualité. Ce cycle infernal se nomme La peur de la liberté, décrit par le freudo-marxiste Erich Fromm dans Escape from freedom.

Erich Fromm a compris que l’individu ne se réalise qu’en équilibrant deux formes de liberté. La première est l’absence d’entrave par l’état et la société, c’est la liberté négative. Elle s’acquiert par le droit positif et la rétractation des structures sociales et religieuses traditionnelles. La seconde est d’une toute autre nature, la liberté positive est une qualité individuelle. L’individu se libère en surmontant ses passions superficielles pour progresser vers un authentique accomplissement de soi.

Dans une société libre l’individu fait face à deux choix.

Le premier, sain, consiste à prendre ses responsabilités en ajustant son attitude et son comportement par rapport à son environnement. Cette autonomisation ouvre une double perspective. L’individu peut vivre en harmonie avec le monde tel qu’il est, sans s’interdire de lutter pour changer ce qui peut et doit l’être.

Le second, psychopathologique, revient à se comporter comme un enfant gâté. Qu’importe les droits et les tolérances à sa disposition, l’entité non binaire postmoderne sera toujours frustrée, incapable de se réaliser. Elle n’a d’autre choix que la fuite en avant, la revendication incessante et insatiable de nouvelles libertés censées résoudre les problèmes engendrés par les précédentes.

Dans les faits la société occidentale est un espace entièrement dédié à l’inhibition de la liberté positive. Les publicitaires et les médias, acquis aux anti-valeurs postmodernes et sous la pression de la rentabilité, ont tout intérêt à flatter nos pulsions les plus ataviques (Neil Postman, Se distraire à en mourir). Ils usent même des derniers outils des neurosciences pour briser les dernières lignes de résistance cérébrale. La nourriture hyper-palatable, censée libérer de la “corvée” de cuisine, affectent directement notre QI et augmente le risque de dépression. Pire ses effets inflammatoires réduisent directement la maîtrise de soi.

Horreur
Augmentée

Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft

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De la liberté absolue au totalitarisme autodestructeur

Il est temps maintenant d’aborder le lourd bilan de l’idéologie postmoderne. Je ne vais pas rappeler ici l’effet du postmodernisme sur les institutions, mais me focaliser sur ses conséquences pour les individus qu’elle est censée libérer et amener au bonheur parfait.

La religion ultime

L’Impureté doit être notre armure, la Haine doit être notre arme, l’immortalité sera notre récompense. Pas de doute le WOKE est un culte du Chaos

Comparer la pensée postmoderne à une religion peut paraître provocateur, pourtant elles ont en commun leur totale dépendance à l’irrationalité et l’émotivité. Les pères fondateurs de la french theory font l’objet d’adoration de nature religieuse. En sociologie on cite Derrida et on invoque Foucault comme d’autres citent les Évangiles ou invoquent la protection d’Allah. Michel Foucault fut même béatifié par ses successeurs.

A la manière des sectes évangélistes le postmodernisme militant encadre ses adeptes dans un système religieux complet. Les croyants s’opposent aux infidèles, la communication interne est jargonneuse pour exclure l’autre, l’essentialisme de rigueur (mini récits raciaux, de genre et d’orientation sexuelle), le péché originel est omniprésent (esclavage, Shoah et colonisation), les actes du quotidien respectent scrupuleusement l’orthodoxie en vigueur (le bio, le vivre ensemble), face à la contradiction la négation des preuves est systématique, tout problème sera abordé avec un manichéisme sans faille (Greta ou la fin du monde), enfin tout déviant subira l’humiliation publique, voire l’exclusion pure et simple.

Cependant il existe une différence fondamentale entre les religions traditionnelles et la religion woke. Là où les premières imposent un univers mental à leurs fidèles, le postmodernisme propose à chaque catégorie ou individu de se construire un univers mental parfaitement adapté à sa situation et ses aspirations. Le postmodernisme est la religion ultime, capable de séduire n’importe quel mortel, tentative finale de conquête du réel par le royaume du chaos.

L’aliénation et la soumission pour tous

La symbiose entre le capitalisme d’amusement permanent et le relativisme postmoderne prive la plupart des Occidentaux de leur capacité d’auto-émancipation. Ils subissent alors une cascade de réactions décrites par Erich Fromm.

La première est la peur de la liberté positive. Les individus enfermés dans la revendication permanente de nouvelles libertés négatives rejettent le droit de critiquer leur soif insatiable. L’apogée de cette irritabilité est le “triggering“, refus pathologique d’être exposé à des opinions contradictoires. Les individus partageant les mêmes micro-aspiration se regroupent dans des safe spaces pour s’isoler du monde réel.

La seconde est bien évidement la violence politique. Le postmodernisme est indissociable des mouvances d’ultra gauche terroristes “antifas” et “blackblocks”. Le conformisme coercitif est toujours la norme pour des humains incapables de s’auto-discipliner et de tolérer la contradiction. Quand agresser l’autre ne suffit plus, les SJW ont recours à l’auto-mutilation. Tatouage et piercing extrêmes, l’obésité, les scarifications et même stérilisation sont monnaies courantes dans les milieux woke.

Libéré des contraintes sociales, la SJW Daria Marx est libre d’offrir son corps à Nurgle. Gravez cette image malaisante dans votre mémoire, elle illustre parfaitement notre autodestruction.

Une idéologie faussement anticapitaliste

Loin de libérer l’individu des forces hiérarchiques, le tribalisme postmoderne fragmente et affaiblit les structures sociales intermédiaires et informelles. Ne subsiste que l’extrême sommet de la pyramide, les États, les grandes ONG et les multinationales. L’idéologie woke leur offrant toujours plus de pouvoir sur les masses, ils n’ont aucune raison de ne pas la soutenir de toutes leurs forces.

Le même phénomène cataclysmique s’était produit au cours des expériences marxistes du siècle dernier. Une société dépourvue de structures verticales n’est absolument pas libérée. La totalité du pouvoir politique, social et spirituel se concentre dans les mains d’un ou d’une poignée d’individus. Le bilan de ces expériences se chiffre toujours en millions de morts.

Détruire la déconstruction

Les intellectuels et militants postmodernes ne pourront amender leur théologie. Les forces du chaos sont par essence jusqu’au-boutiste. Ils ne lisent ni n’écoutent les penseurs d’autres horizons. C’est un univers mental clos, redondant et tautologique alimenté par l’émotivité pathologique de ses fidèles. Sa terminologie stéréotypée et riche en jargons abscons censés combattre les stéréotypes empêche de penser et de communiquer avec l’autre. La démarche linguistique du woke rappelle celle de la langue du troisième Reich décrite et dénoncé par Victor Klemperer dans l’excellent Lingua Tertii Imperii.

En dehors de l’inflation délirante du droit positif, les réalisations concrètes de la pensée postmoderne sont inexistantes. Agressifs, intolérants, souvent physiquement mutilés, les SJW sont profondément malheureux et veulent entraîner le reste de l’humanité dans leurs descentes aux enfers. Méthode hypercritique opposé à toute forme de société viable, le postmodernisme est doublement stérile, intellectuellement et démographiquement. Sur le terrain, les effets désastreux de la liquidation des structures familiales et spirituelles sur la situation matérielle et sociale des humains sont incontestables.

Doctrine des dieux sombres, le postmodernisme ne peut engendrer que chaos et destruction. La vraie question n’est pas de savoir si le postmodernisme va s’effondrer, il est mort né, mais quel méta-récit doit émerger pour sauver notre civilisation.

3 comments
  1. Très bon article. Clair, synthétique, profond.
    Par contre je reformule une critique que j’avais déjà faite : vous semblez dissocier le post-modernisme de la technologie alors qu’il en es, selon moi, consubstantiel. J’irais même plus loin en affirmant qu’il en est une adaptation. C’est pour ça que si ça peut sembler logique qu’une absurdité pareille finisse par s’effondrer, je n’en suis pas persuadé (ça reste une possibilité néanmoins). Il se pourrait qu’au contraire il ne soit qu’une nouvelle phase dans la lente descende vers la matière (j’emplois ce mot à dessin puisque vous parlez de spiritualité) dont la technologie est le fer de lance.
    Après tout il n’y aurait pas de revendications LGBT s’il n’était pas possible de supplémenter en hormones, de greffer des organes et de faire d’autres bidouillages avec la “médecine” dite moderne. Et on peut répéter ce raisonnement dans de nombreux domaines.

    1. Le rapport entre postmodernisme et technologie est très ambigu. Il ne pourrait émerger sans société d’ultra confort, i.e sans technologie moderne. Toutefois le postmodernisme nie les réalités de la matière, c’est un postmatérialisme. Sa nature chaotique donne à sa praxis une dimension autodestructrice indéniable car sans l’ultra productivité du matérialisme capitaliste les revendications postmodernes seraient écrasés sous les réalités concrètes du quotidien.

      Attention il existe des traditions de transsexualités même sans médicalisation (Māhū de Tahiti, berdache des amérindiens).

      Pour ce qui est de la spiritualité dans le techno monde j’ouvrirai quelques pistes dans l’article de conclusion.

      1. De ce que j’en sais, le cas de Tahiti n’est pas vraiment une “tradition” au sens ou on l’entends. Pour échapper à l’enroulement obligatoire dans l’armée et pour conserver au moins un mâle dans la fratrie les tahitiens ont inventé cette coutume d’élever le petit dernier comme une fille. Coutume qui s’est instituée et qui perdure même si on est passé à une armée de métier maintenant.

        Je ne suis pas certain de la nature du postmodernisme : maladie ou adaptation. Mais au dela de ça, je ne crois pas qu’il nie la matière, pas plus que la technologie ne la nie. Quand on a les moyens techniques de transformer un homme en femme, ou de faire qu’une femme est aussi efficace qu’un homme à la guerre (pour piloter un drône par exemple) – on pourrait multiplier les exemples – alors, il n’y a plus vraiment de “réalité de la matière”, surtout qu’on ne sait pas ou tout ça va s’arrêter. Si on jour on parvient à tuer la mort, n’est-ce pas la négation ultime de la matière ?
        Alors les postmodernistes, dans leur logique à eux, ne me semblent pas (pas forcément du moins) si délirants que ça.

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