Abondance et superflu, vive la société de consommation

Le monde moderne, grâce au capitalisme et au libéralisme, nous a permis de vivre dans un monde d’abondance et c’est une excellence chose car, comme le dit Sylvain Tesson, l’inverse d’une société de consommation, c’est une société de pénurie. Il n’y a que dans les sociétés où il n’y a rien à consommer qu’on ne consomme pas.

J’ai toujours un peu de mal avec la critique un peu facile de la société de consommation car c’est quoi le contraire ? c’est la société de pénurie. Dans une société de consommation, on peut toujours ne pas se sacrifier à l’impératif d’acheter de la nouveauté. On peut très bien s’en retirer. Alors que dans une société de pénurie, les ex-soviétiques vous le disent, on ne peut que subir la pénurie.

Sylvain Tesson, On n’est pas couché 08/10/2011

Il a raison aussi de faire remarquer que ce n’est pas parce qu’on vit dans l’abondance qu’on doit nécessairement se vautrer dedans. Le grand avantage de la modernité est de nous offrir le choix. Mais tous les choix n’ont pas la même valeur. Faire des choix c’est se montrer responsable de ses actes. C’est à nous de choisir notre façon de consommer, choisir de ce qui relève du nécessaire et du superflu, de trier ce qui est à notre disposition selon les valeurs qu’on se donne à nous-même.

J’aimerais aborder cette question des possessions matérielles au travers de quatre jugements de valeurs qui nous sont livrés dans La Grève de Ayn Rand et le Nouveau Testament.

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La dépossession volontaire

Je parle bien ici de possession, non de propriété comme elle sera critiqué par les anarchistes comme Proudhon énonçant le célèbre “La propriété c’est le vol”. Même eux n’étaient pas contre la possession de biens. Mais Jésus va encore plus loin en nous incitant à nous débarrasser de toutes nos possessions comme seule voie vers le Paradis.

Car toutes ces choses, ce sont les païens du monde qui les recherchent. Votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt le royaume de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. Ne crains point, petit troupeau ; car votre Père a trouvé bon de vous donner le royaume. Vendez ce que vous possédez, et donnez-le en aumônes. Faites-vous des bourses qui ne s’usent point, un trésor inépuisable dans les cieux, où le voleur n’approche point, et où la teigne ne détruit point”

Luc 12, Nouveau Testament

Jésus ne parle pas seulement de contrôler votre consommation, de donner votre superflu aux nécessiteux, il appelle à vous débarrasser de tout, même du nécessaire.

“Jésus, s’étant assis vis-à-vis du tronc, regardait comment la foule y mettait de l’argent. Plusieurs riches mettaient beaucoup. Il vint aussi une pauvre veuve, elle y mit deux petites pièces, faisant un quart de sou. Alors Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a donné plus qu’aucun de ceux qui ont mis dans le tronc ; car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre.”

Marc 12, Nouveau Testament

Si la dépossession est ce qu’il existe de plus moral, alors la technique n’est plus d’aucune utilité. La création, le génie humain dont on a fait preuve jusqu’alors serait vain et serait destiné à disparaître, et nous avec. C’est radicalement anti-Prométhéen et ça s’oppose à la nature humaine, mais au moins, Jésus ne prétend pas l’imposer à qui que ce soit par la force.

Les différentes approches dans La Grève

Au contraire, Ayn Rand nous présente dans son livre La Grève, deux scènes marquantes dans lesquelles elle nous livre deux visions différentes de la possession et par lesquelles on peut deviner le regard qu’elle pose elle-même sur les objets matériels et leur possession. La première scène sur laquelle je voudrais revenir est celle où le personnage principal, Dagny Taggart se rend à un événement organisé chez lui par Rearden, un entrepreneur évoluant dans les confections en métal dont les chemins de fers et qui vient de faire une découverte révolutionnaire. La deuxième scène est celle où elle rencontre pour la première fois John Galt.

Ceux qui n’ont pas lu le livre se demanderont peut-être “Qui est John Galt ?” – les autres esquisseront un sourire après cette blague minable. John Galt est un génie qui a inventé un moteur révolutionnaire. Il est très riche et ne supporte plus de vivre dans un monde illibéral où il ne peut jouir de son travail. Il décide alors de mener une grève en se retirant dans une vallée avec les plus grands entrepreneurs et artistes et autres créateurs de son époque.

La frugalité forcée

Cette première vision nous est livrée dans La Grève par Balph Eubank, invité de ce diner mondain chez Rearden. On retrouve dans sa conception quelque chose de chrétien mais pas de christique. Au contraire du Christ, qui ne souhaite rien imposer à qui que ce soit, Eubank fait montre de l’hypocrisie la plus totale que l’on pouvait observer chez certains pontes du Vatican aux jours fastes mais revendiquant un mode de vie frugal pour leurs ouailles, trait que l’on retrouvera chez certains dirigeants communistes. Les hommes se vautreraient dans le confort apporté par la technologie et cela les détournerait des valeurs spirituelles, il serait donc nécessaire de leur apporter des limites, de freiner leur appétit à la consommation.

Absolument. Je suis pour. Notre patrimoine culturel s’enlise dans un matérialisme effréné. L’homme a perdu toutes ses valeurs spirituelles dans sa quête des biens matériels, avec l’esbroufe technologique qui l’accompagne. Les gens ont trop de confort. Ils reviendront à une vie plus noble s’ils apprennent à supporter les privations. Il faut donc mettre des limites à leurs appétits matériels.

Ayn Rand, La Grève

Posséder plus

Lors de ce même diner, Lillian, la femme de Rearden va témoigner une autre approche de sa conception de la possession. Elle apparait parée des plus beaux bijoux, des colliers, des boucles d’oreilles, des bagues, des broches… et un bracelet offert par son mari qu’il a fait fondre lui-même à partir du métal révolutionnaire qu’il a confectionné pour réaliser les nouveaux chemins de fer.

Lillian se tenait au pied des marches, sa silhouette gracieuse mise en valeur par les lignes nobles de sa robe de soirée Empire, couleur citron. Elle avait le port altier d’une femme du monde, parfaitement à l’aise dans son milieu. Il sourit. Il aimait la voir heureuse ; cela suffisait à justifier cette soirée.
Il s’approcha d’elle – et s’immobilisa. Elle avait toujours montré un goût très sûr en matière de bijoux, n’en portant jamais trop. Mais ce soir, c’était un véritable étalage : collier de diamants, boucles d’oreilles, bagues, broches. Par contraste, ses bras paraissaient étrangement nus. Elle ne portait qu’un seul ornement au poignet droit : le bracelet de Rearden Metal. À côté des diamants, étincelants, il faisait toc, le genre de babioles qu’on trouve sur les étals de marché.

Ayn Rand, La Grève

La vision de la possession de Lillian est superficielle. Elle accorde beaucoup d’importance à l’esthétique, ce qui n’est pas un mal, et à la valeur marchande des objets qui vont lui permettre de se mettre en valeur vis-a-vis de ses contemporains. Le bracelet que lui a offert Rearden ne revêtant aucune valeur marchande, elle passera sa soirée à le dénigrer, lui préférant un bracelet en diamants.

Ça ? expliquait Lillian, tendant le bras chargé du bracelet de métal vers deux femmes d’une grande élégance. Mais non, ça ne vient pas d’une quincaillerie. C’est un cadeau de mon mari, un cadeau très spécial. C’est vrai que c’est hideux. Mais vous ne comprenez pas ? Il est censé avoir une immense valeur. Bien entendu je l’échangerais volontiers contre un bracelet en diamants, mais personne ne me ferait l’échange, même si ça a une très, très grande valeur. Pourquoi ? Mais ma chère, c’est le premier objet à avoir jamais été fabriqué en Rearden Metal.

Ayn Rand, La Grève

Posséder mieux

Ça tombe bien, Dagny a justement un bracelet en diamants ce soir-là et va la prendre au mot.

“Dagny perdit la notion de ce qui l’entourait, des gens, du temps, d’elle-même. La musique disparut, cédant la place à un silence pesant dans ses tympans. Elle fixait le bracelet de métal bleu-vert.
Elle eut conscience de faire un mouvement, d’arracher quelque chose de son poignet, elle s’entendit parler d’une voix très calme, une voix venant d’outre-tombe, totalement dénuée d’émotion : « Si vous avez un tant soit peu de courage, ce dont je doute, je vous prends au mot : échangeons.”

Ayn Rand, La Grève

Ayn Rand, nous révèle ici sa propre conception de la possession, son propre rapport aux objets. Que voit Dagny dans ce bracelet qui la pousse à tant le désirer ? Est-ce son amour pour Rearden ? Non, cet amour n’est pas la cause mais la raison est aussi la cause de cet amour. Ce que Dagny voit dans ce bracelet, c’est le génie de Hank Rearden. Elle voit dans ce bout de métal, l’intellect humain duquel il est sorti. Elle y reconnait la création technique d’un de ses semblables et c’est pour cela qu’elle aime ce bracelet et Hank Rearden.

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Dans la deuxième scène c’est encore plus clair. Dagny découvre le bâtiment où elle va rencontrer John Galt dont l’intérieur fut aménagé par Mulligan et elle le décrit en ces termes :

“Dagny remarqua le mobilier de prix, choisi avec soin pour son confort, acheté à une époque où le luxe était encore un art. Il n’y avait pas d’objets superflus, mais elle reconnut une toile d’un grand maître de la Renaissance qui valait une fortune, un tapis d’Orient dont la texture et les couleurs auraient mérité une vitrine dans un musée. Telle était la conception de la richesse selon Mulligan, une richesse de la sélection, non de l’accumulation.”

Ayn Rand, La Grève

Tout est soigneusement choisi, il n’y a pas de superflu. Certes tout est hors de prix mais ce n’est pas ce qui guide la décision d’achat. Si le mobilier est cher, c’est uniquement parce que le génie humain à un prix. L’acte d’achat est motivé par l’acquisition du talent humain. La technique est une extension de l’intellect humain qui va lui permettre de s’exprimer pleinement et de s’incarner dans des meubles revêtant une fonction ou dans des oeuvres d’art qui, bien qu’inutiles, vont trouver leur valeur dans l’expression de ce génie humain.

Si, comme je l’ai exposé dans plusieurs articles maintenant, la vie est régie par deux grands principes connus à ce jour que sont la thermodynamique et l’évolution qui nous poussent tous les deux à s’approprier notre environnement afin de stocker et traiter de l’information dans le but de dissiper l’énergie par la chaleur et le travail mécanique, alors l’activité humaine est sacrée. Le génie humain s’exprimant par la technique est ce qu’il y a de plus moral et il est normal de posséder. En renouant avec une conception grecque de la technique dont l’essence est le dévoilement de la vérité, de l’être, nous pouvons aller encore plus loin et voir dans un objet l’esprit humain au service de l’être, le tout. La possession n’est pas un mal mais il nous revient de savoir percevoir au-delà de l’objet le génie humain qu’il a fallu pour le concevoir et le créer. De même, nous pourrons établir une hiérarchie quant à la fonction qu’il occupe, la technique permettant d’augmenter notre puissance donc d’augmenter notre capacité à dissiper l’énergie via le travail mécanique est sacrée.

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1 comment
  1. Nous sommes finalement dans l’idée de choisir la qualité à la quantité.
    Article intéressant qui pourrait faire songer au minimaliste, un monde épuré où nécessaire et beauté font alliance.

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