Eugénisme

“L’eugénisme est la science qui traite de toutes les influences visant à améliorer les qualités innées d’une race ; ainsi que de celles qui les développent au maximum. L’amélioration des qualités innées, ou du « stock », d’une population humaine spécifique sera ici seule abordée.

Que signifie l’amélioration ? Que signifie la syllabe Eu dans eugénisme, dont l’équivalent anglais est good (bon en français) ? Il existe une différence considérable entre la bonté des diverses qualités et celle du caractère pris dans son ensemble. Le caractère dépend largement de la proportion entre des qualités dont l’équilibre peut être fortement influencé par l’éducation. Nous devons donc laisser de côté la morale autant que possible, pour éviter de nous enliser dans les difficultés presque insolubles qu’elle soulève quant à savoir si un caractère dans son ensemble est bon ou mauvais. De plus, la bonté ou la malveillance d’un caractère n’est pas absolue, mais relative à la forme actuelle de la civilisation.

Une fable explique bien ce qui est voulu. Imaginons la scène dans le jardin zoologique, tard dans la nuit, supposant que, comme dans les vieilles fables, les animaux puissent parler, et qu’une créature très sage, ayant accès à toutes les cages, comme un moineau ou un rat philosophe, était engagée à recueillir les opinions de toutes sortes d’animaux en vue d’élaborer un système de moralité absolue. Inutile d’élargir sur les contradictions des idéaux entre les bêtes qui chassent et celles qui sont chassées, entre celles qui travaillent dur pour se nourrir et les parasites sédentaires qui s’accrochent à leurs hôtes pour sucer leur sang, etc.

Un grand nombre de suffrages en faveur de l’affection maternelle serait obtenu, mais la plupart des espèces de poissons la rejetteraient, tandis que parmi les oiseaux, la protestation musicale du coucou se ferait entendre. Bien qu’un accord ne puisse être trouvé sur une moralité absolue, les éléments essentiels de l’eugénisme peuvent être définis facilement. Toutes les créatures conviendraient qu’il vaut mieux être en bonne santé qu’en mauvaise santé, vigoureux que faible, bien adapté à son rôle plutôt que mal adapté.

En résumé, il est préférable d’être un bon spécimen plutôt qu’un mauvais, quel que soit le type. Il en va de même pour les humains. Il existe un grand nombre d’idéaux conflictuels pour des personnages alternatifs, des civilisations incompatibles ; mais tous cherchent à donner plénitude et intérêt à la vie. La société serait très ennuyeuse si chaque homme ressemblait au très estimable Marcus Aurélius ou à Adam Bede.

L’objectif de l’eugénisme est de représenter chaque classe ou secte par ses meilleurs spécimens ; une fois cela fait, de les laisser développer leur civilisation commune à leur manière.”

Extrait de “Essays in Eugenics” de Sir Francis Galton, 1909.

Lorsque j’étais étudiant en licence de biologie, je découvrais les cours de génétique des populations et comment les fréquences alléliques des différents gènes pouvaient changer au sein d’un territoire. La génétique des populations est une discipline scientifique fondée notamment par deux eugénistes : Sir Ronald Aylmer Fisher et J.B.S. Haldane. Pour cause, ce sont tous deux des mathématiciens et des biologistes comme le fut le père de l’eugénisme, Sir Francis Galton, qui débuta sa vie avec des études de médecine puis de mathématiques. La génétique des populations est l’étude statistique de la distribution génotypique, elle analyse ses modifications selon la pression de sélection en vigueur, les migrations des individus et l’interfécondité de ces derniers.

Les allèles sont différents variants d’un gène, ainsi, s’il existe pour un critère choisi un meilleur et un moins bon, alors la mobilité des fréquences alléliques d’un côté ou d’un autre, en fonction d’un environnement donné, est nécessairement préférable ou détestable. Cette pensée virale m’a infecté alors que je tapais frénétiquement sur le clavier de mon ordinateur au milieu de cet amphithéâtre où une sélection avait déjà débuté. En effet, en première année de licence, on comptait pas loin de 1000 étudiants, en troisième année, il n’y en avait plus que 200, nous n’étions que 20 à faire une thèse de science. Un professeur de biologie de l’évolution nous demanda un jour, s’il était préférable de sélectionner le meilleur quintile de la promotion ou d’éliminer le dernier quintile. La seconde réponse était certainement plus consensuelle, mais mon intuition me poussait vers la première.

De Darwin à Plomin : 

En 1871, Charles Darwin publiait la “filiation de l’Homme et la sélection liée au sexe” dans lequel il appliquait sa théorie de l’évolution à l’histoire évolutive de l’Homme et citait son cousin Francis Galton. Ces deux biologistes théorisaient déjà que si la pression de sélection avait façonné notre espèce notamment sur le critère de l’intelligence, l’industrialisation qui en était née devait très probablement permettre aux plus idiots de survivre et de se reproduire.

“La sélection naturelle considérée au point de vue de son action sur les nations civilisées. – Je ne me suis occupé jusqu’à présent que des progrès qu’a dû réaliser l’homme pour passer de sa condition primitive semi-humaine à un état analogue à celui des sauvages actuels. Je crois devoir ajouter ici quelques remarques relatives à l’action de la sélection naturelle sur les nations civilisées. M. W. R. Greg 293, et antérieurement MM. Wallace et Galton 294, ont admirablement discuté ce sujet ; j’emprunterai donc la plupart de mes remarques à ces trois auteurs. Chez les sauvages, les individus faibles de corps ou d’esprit sont promptement éliminés, et les survivants se font ordinairement remarquer par leur vigoureux état de santé. Quant à nous, hommes civilisés, nous faisons, au contraire, tous nos efforts pour arrêter la marche de l’élimination ; nous construisons des hôpitaux pour les idiots, les infirmes et les malades ; nous faisons des lois pour venir en aide aux indigents ; nos médecins déploient toute leur science pour prolonger autant que possible la vie de chacun. On a raison de croire que la vaccine a préservé des milliers d’individus qui, faibles de constitution, auraient autrefois succombé à la variole. Les membres débiles des sociétés civilisées peuvent donc se reproduire indéfiniment. Or, quiconque s’est occupé de la reproduction des animaux domestiques sait, à n’en pas douter, combien cette perpétuation des êtres débiles doit être nuisible à la race humaine. On est tout surpris de voir combien le manque de soins, ou même des soins mal dirigés, amènent rapidement la dégénérescence d’une race domestique ; en conséquence, à l’exception de l’homme lui-même, personne n’est assez ignorant ni assez maladroit pour permettre aux animaux débiles de reproduire.”

“La sélection lui permettrait cependant de faire quelque chose de favorable non seulement pour la constitution physique de ses enfants, mais pour leurs qualités intellectuelles et morales. Les deux sexes devraient s’interdire le mariage lorsqu’ils se trouvent dans un état trop marqué d’infériorité de corps ou d’esprit; mais, exprimer de pareilles espérances, c’est exprimer une utopie, car ces espérances ne se réaliseront même pas en partie, tant que les lois de l’hérédité ne seront pas complètement connues. Tous ceux qui peuvent contribuer à amener cet état de choses rendent service à l’humanité. Lorsqu’on aura mieux compris les principes de la reproduction et de l’hérédité, nous n’entendrons plus des législateurs ignorants repousser avec dédain un plan destiné à vérifier, par une méthode facile, si les mariages consanguins sont oui ou non nuisibles à l’homme.

L’amélioration du bien-être de l’humanité est un problème des plus complexes. Tous ceux qui ne peuvent éviter une abjecte pauvreté pour leurs enfants devraient éviter de se marier, car la pauvreté est non seulement un grand mal, mais elle tend à s’accroître en entraînant à l’insouciance dans le mariage. D’autre part, comme l’a fait remarquer M. Galton, si les gens prudents évitent le mariage, pendant que les insouciants se marient, les individus inférieurs de la société tendent à supplanter les individus supérieurs. Comme tous les autres animaux, l’homme est certainement arrivé à son haut degré de développement actuel par la lutte pour l’existence qui est la conséquence de sa multiplication rapide ; et, pour arriver plus haut encore, il faut qu’il continue à être soumis à une lutte rigoureuse. Autrement il tomberait dans un état d’indolence, où les mieux doués ne réussiraient pas mieux dans le combat de la vie que les moins bien doués. Il ne faut donc employer aucun moyen pour diminuer de beaucoup la proportion naturelle dans laquelle s’augmente l’espèce humaine, bien que cette augmentation entraîne de nombreuses souffrances. Il devrait y avoir concurrence ouverte pour tous les hommes, et on devrait faire disparaître toutes les lois et toutes les coutumes qui empêchent les plus capables de réussir et d’élever le plus grand nombre d’enfants.”

Extraits de la Filiation de l’Homme, Charles Darwin, 1871.

Dans Hereditary Genius et Englishmen of Science, Francis Galton observait que statistiquement, les notables de l’empire britannique (scientifiques, ingénieurs, dirigeants politiques, capitaines d’industrie, officiers de l’armée etc…) étaient concentrés au sein des mêmes familles et que plus on s’éloignait dans l’arbre généalogique moins il était probable d’y trouver de grands Hommes. On lui rétorqua très justement que l’influence de l’environnement pouvait expliquer ce phénomène de reproduction sociale. Afin d’estimer l’influence de l’inné et de l’acquis, Francis Galton réalisa la toute première étude des jumeaux. Si on attribue l’étude de la reproduction sociale à la sociologie et notamment en France à Pierre Bourdieu, en réalité elle était largement analysée par des eugénistes 100 ans plus tôt au sein des meilleurs laboratoires de statistiques appliquées du monde.

Francis Galton ouvrit un vaste champ de recherche qui continue encore aujourd’hui avec les publications de généticiens, comme Robert Plomin, qui étudient les jumeaux monozygotes séparés à la naissance ou éduqués ensemble en comparaison avec des jumeaux hétérozygotes, nous permettant ainsi d’estimer l’influence de la génétique et celle de l’environnement notamment sur l’intelligence.

Il est aujourd’hui connu que l’héritabilité de l’intelligence, donc la part de la variance de l’intelligence au sein d’une population (à savoir, la disparité en terme d’intelligence) expliquée par la génétique varie entre 50 et 80% selon les études. Notre patrimoine génétique est constitué de 3 milliards de paires de bases, les études actuelles tentent de séquencer le plus d’individus possibles et d’obtenir bon nombre d’informations à leur sujet (taille, tabagisme, diabète, niveau d’éducation, niveau socio-économique et bien sûr quotient intellectuel). Ainsi, une gigantesque base de données comme la UK Biobank permet de réaliser des analyses statistiques afin d’étudier une éventuelle association de certains variants génétiques avec des traits phénotypiques. Des centaines de milliers de variants ont ainsi été identifiées et il est maintenant possible de séquencer un individu, de comparer son patrimoine génétique à la base de données pour tenter d’estimer les probabilités d’obtenir un phénotype X ou Y, c’est ce qu’on appelle un score polygénique. Il existe aujourd’hui des scores polygéniques pour différents cancers, pour la taille, pour le diabète de type 2 et diverses maladies cardiovasculaires. https://www.nature.com/articles/s41591-024-02796-z

Cela signifie également qu’une police scientifique compétente qui retrouverait de l’ADN d’un suspect sur les lieux d’un crime pourrait estimer sa taille, connaître son sexe, son groupe ethnique etc… Il est néanmoins important de préciser que la fiabilité de ces scores polygéniques dépendent de la taille de la base de données et de la nature de cette base de données. En effet, la UK Biobank et d’autres banques de données en Occident sont constituées à environ 90% de génomes d’individus d’ancestralité européenne. Ainsi, cette médecine personnalisée et de précision n’est réellement efficace que pour un Européen, les résultats donnés pour un Étiopien seraient sans valeur. Il semble alors que les outils statistiques et d’intelligence artificielle ne soient pas en accord avec la ridicule idée que les groupes humains seraient génétiquement indifférenciables.

La sélection des naissances : 

Si les eugénistes du XIXe et XXe siècles étaient tentés par des méthodes liberticides inhumaines comme la stérilisation d’individus dont la descendance fut qualifiée d’indésirable ou l’encouragement de l’accouplement de personnes valorisées, des travaux ont très rapidement apporté beaucoup de nuances au sein de cette vision aristocratique victorienne.

Dans The Groundwork of Eugenics, Karl Pearson, l’étudiant en thèse de Francis Galton, avait estimé qu’environ 25% de la population britannique produisait 50% de la prochaine génération, et qu’elle était majoritairement faite par les tranches les plus bêtes de la société. Ainsi, les eugénistes redoutaient qu’en l’absence de sélection au sein d’une société thermo-industrielle moderne l’intelligence et la bonne santé diminueraient de génération en génération.

Néanmoins Karl Pearson étudia le résultat de 10000 familles et réalisa l’observation suivante : 

“Les hommes et les femmes ne s’accouplent pas au hasard ; nos mesures et observations montrent que, pour pratiquement tous les caractères, il existe un accouplement sélectif, où les semblables ont tendance, dans une certaine mesure raisonnable, à s’accoupler avec des semblables. Supposons que cet “accouplement associatif” existe ; qualifions d’exceptionnel l’homme ou la femme qui possède davantage d’un caractère donné que dix-neuf personnes sur vingt. Ainsi, l’homme le plus grand dans un groupe aléatoire de vingt individus sera qualifié d’exceptionnellement grand ; le meilleur dans une classe aléatoire de vingt étudiants sera considéré comme exceptionnellement intelligent.

Ce n’est rien de plus qu’une définition de ce que nous appellerons temporairement “exceptionnel”. Maintenant, j’ai découvert, à partir de notre étude sur l’héritage des caractères humains, que cinquante-deux mariages sur 10 000 sont composés d’un homme et d’une femme exceptionnels, tandis que 9948 sont des couples dont aucun ou seulement un des membres est exceptionnel.

Dans les cinquante-deux mariages exceptionnels, les enfants sont produits dans un rapport d’environ 26 enfants exceptionnels pour 26 non exceptionnels, soit environ la moitié des enfants qui sont exceptionnels.

Sur les 9948 couples non exceptionnels, le rapport sera de 474 enfants exceptionnels contre 9474 enfants non exceptionnels, ou plutôt moins d’un vingtième des enfants seront exceptionnels.

Ainsi, bien que 18 fois plus d’enfants exceptionnels naissent de parents ordinaires que d’exceptionnels, les couples ordinaires ne produisent des enfants exceptionnels qu’à un dixième du taux des parents exceptionnels. Le fait que de grands hommes naissent souvent de parents ordinaires n’est qu’un paradoxe si nous oublions que les couples ordinaires sont 200 fois plus fréquents que les couples exceptionnels. Ainsi, la faible probabilité qu’un fils exceptionnel naisse d’un couple ordinaire est compensée par le nombre bien plus élevé de tels couples.

Comprenons pleinement ceci : une minorité dans la communauté produit en profusion les caractéristiques souhaitables, tandis qu’une majorité les produit très rarement, et les caractéristiques indésirables de manière excessive. Il faut également comprendre que les mesures sociales et politiques ont réduit, et continueront à réduire, la sévérité du taux de mortalité sélectif entre ces deux classes. Dans l’état actuel de l’opinion sociale, nous n’avons qu’une seule ressource pour remédier à cela : le taux de naissance sélectif.”

Extrait de The Groundwork of Eugenics, Karl Pearson, 1909.

À eux seuls, ces résultats expliquent pourquoi la massification de l’instruction primaire a permis l’émergence de beaucoup de génies. Car si les élites ont de grandes probabilités d’offrir des enfants intelligents, en réalité, du fait de l’immense taille de la plèbe, la majorité des génies sont issus de familles ordinaires qui ont pourtant individuellement de faibles chances de produire des êtres exceptionnels.

Le problème soulevé par Karl Pearson est que cette masse d’individus ordinaires est également le plus grand générateur de caractères indésirables, alors comment filtrer le bon grain de l’ivraie ?

Un siècle après ces travaux, nous sommes en mesure de réaliser cette sélection de façon précise, efficace, et humaine. La mesure de la clarté nucale du fœtus par échographie permet de dépister les hautes probabilités d’un syndrome de Down (atteint de trisomie 21) et de proposer une interruption volontaire de grossesse. Or, bien que légalement, l’eugénisme soit considéré comme un crime contre l’humanité puni par l’Article L 214-1 : « Le fait de mettre en œuvre une pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est puni de trente ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 euros d’amende », 96% des femmes dont le fœtus est estimé à haut risque de trisomie 21 réalisent un avortement.

Il s’agit ici d’eugénisme négatif visant à éliminer des individus (les foetus porteurs d’une trisomie 21), mais la médecine de reproduction ouvre largement la voie de l’eugénisme positif (qui favorise la naissance d’individus porteurs de caractères désirés).

Certaines entreprises américaines comme Genomic prediction proposent aux couples qui le désirent de récupérer leurs gamètes respectifs, de réaliser des fécondations in vitro, de séquencer les différents embryons produits, de calculer les scores polygéniques pour différentes pathologies et d’implanter l’embryon avec le score le plus intéressant. Le processus a un coût, mais il faut en soustraire l’économie sur le traitement de maladies évitées car il n’y a pas de dépense de santé s’il n’y a pas de futurs malades qui naissent.

La technologie est néanmoins limitée par le nombre d’embryons produits qui est lui-même limité par le nombre d’ovocytes récupérés chez la future mère. Plus il y a d’embryons, plus les probabilités d’y trouver un individu avec un score polygénique très intéressant sont grandes. Or, jusqu’ici, une FIV reste un parcours médical lourd qui ne donne qu’entre 5 et 8 embryons par couple.

Il y a donc deux questions en suspens : Est-ce que cette technologie est suffisamment efficace malgré le coût économique et humain ? Est-ce que la sélection d’embryons sera un jour socialement acceptée ?

En 2013, Nick Bostrom publia un article dans lequel il tente de répondre à ces deux questions. https://nickbostrom.com/papers/embryo.pdf

Tout d’abord, les enquêtes d’opinions réalisées aux Etats-Unis montrent l’évolution de la perception de la fécondation in vitro de 1969 à 2003 (pour rappel, la première FIV en France fut réalisée par Jacques Testart qui donna naissance à Amandine en 1983). Vous pouvez facilement deviner que l’utilisation personnelle de la FIV pour remédier un problème de fertilité était d’abord largement désapprouvée (à 76%), mais 10 ans ont suffi pour que la majorité des sondés approuvent son utilisation. Si en 2004, la majorité des américains approuvait déjà l’utilisation de la sélection embryonnaire pour éviter des maladies infantiles graves, seuls 28% approuvaient la sélection embryonnaire pour la force ou l’intelligence. Néanmoins, tout comme l’utilisation de la FIV, on peut raisonnablement penser que l’opinion changera de nouveau très rapidement.

Quant aux limites de la technologie notamment du fait du faible nombre d’ovocytes disponibles, Nick Bostrom spécule la possibilité future d’utiliser les cellules-souches embryonnaires pour les différencier en gamètes : 

Après la fécondation de l’ovocyte par le spermatozoïde, l’embryon débute ses premières divisions cellulaires. Ces premières cellules sont des cellules-souches embryonnaires pluripotentes, elles sont capables de s’auto-renouveler et de se différencier en tout type cellulaire (neurone, cellule musculaire, cellule épithéliale, cellule sanguine etc…). La suggestion de Bostrom est de réaliser une première fécondation in vitro, de récupérer les cellules-souches de l’embryon produit, de différencier ces cellules en milliers de gamètes puis de réaliser massivement des FIV à partir de ces gamètes. Ainsi, nous ne serions plus limités par le nombre d’ovocytes, mais surtout, nous aurions une capacité d’accélération de ce processus eugéniste : 

Si nous pouvions produire, pour un même couple, des milliers d’embryons pour les séquencer et calculer des scores polygéniques. Il serait potentiellement possible de sélectionner les meilleurs embryons, d’en dissocier les cellules-souches pour refabriquer de nouveau des gamètes à partir de ces embryons sélectionnés et refaire des FIV.

Ce processus de sélection qui devrait prendre plusieurs générations dans la vraie vie, serait réalisé en quelques mois au sein d’un laboratoire et il est absolument impossible d’en estimer les limites.

Les hypothèses de Bostrom sont encore incertaines, mais une étude publiée dans Cell en 2019 a déjà tenté d’estimer l’impact hypothétique de l’utilisation massive de la sélection embryonnaire : https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(19)31210-3?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS0092867419312103%3Fshowall%3Dtrue

Avec les banques de données actuelles et le nombre limité d’embryons que nous pourrions produire, on estime que l’on pourrait gagner en moyenne 2,5 points de QI par génération. La publication met également en lumière, que nous avions davantage d’embryons disponibles par couple, nous serions en mesure d’accroître le gain entre 4 et 5 points de QI moyen. De plus, si les bases de données n’étaient pas limitées à quelques centaines de milliers de génomes séquencés, mais à des centaines de millions, nous pourrions aller jusqu’à un gain de 7 points de QI moyen.

Les limites actuelles de l’ingénierie génétique : 

La culture populaire et le prix Nobel de chimie obtenu par Emmanuelle Charpentier et Jennifier Doudna pour la découverte CRISPR/Cas9 : le ciseau moléculaire, a beaucoup fait miroiter la mode du “Biohacking” selon laquelle nous serons en mesure de nous modifier génétiquement. Un influenceur américain comme Josiah Zayner a d’ailleurs beaucoup vendu de rêves pour promouvoir son business de matériel scientifique fait maison. Dans une célèbre vidéo, Zayner s’injecte dans les veines le fameux ciseau génétique pour impressionner son audience, spoiler : insérer une endonucléase dans les veines n’a aucun impact, elle ne rentrera pas dans les cellules et sera dégradée très rapidement, mais cela fait vendre et nourrit son branding de scientifique qui repousse les limites.

L’édition génétique d’embryons a néanmoins déjà été réalisée dans de nombreux laboratoires de recherche fondamentale avec la règle d’acier de ne jamais implanter les embryons. En 2018, pour la première fois à un congrès de génétique humaine à Hong Kong, un chercheur chinois nommé He Jiankui présente ses travaux sur l’édition génétique de deux jumelles dont les embryons ont été implantés chez une mère. He Jiankui a réalisé la délétion de 32 paires de bases sur le gène CCR5 qui code pour un co-récepteur de CD4 qui est la porte d’entrée du virus du VIH dans les lymphocytes. Le chercheur de Shenzen affirmait avoir réalisé cela afin de permettre à un couple séropositif d’avoir des enfants immunisés contre le VIH. Mais son protocole semble incohérent : tout d’abord, il existe aujourd’hui une prise en charge médicamenteuse très efficace pour contrôler la charge virale des parents et protéger les foetus durant toute la gestation jusqu’à l’accouchement. De plus, si la modification de CCR5 a un effet protecteur sur les fœtus, elle n’immunise en aucun cas totalement contre le VIH. Enfin, il faut savoir que nous sommes tous porteurs de 2 copies d’un gène, l’une venant de notre père, l’autre venant de notre mère, or les deux sont codants. He Jiankui a modifié les deux copies du gène CCR5 chez l’une des deux jumelles et n’a modifié qu’une seule copie chez l’autre enfant. Cette dernière n’est théoriquement que peu protégée contre le VIH et a pourtant été réimplanté également. Le chercheur chinois se défendra en affirmant que telle était la volonté de la mère.

La littérature scientifique met en évidence l’implication du gène CCR5 dans les capacités cognitives chez le rongeur. https://elifesciences.org/articles/20985

De plus, les individus ayant naturellement une délétion de 32 paires de bases sur ce gène, ont une récupération cognitive post-AVC ischémique plus rapide et plus importante (https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(19)30107-2?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS0092867419301072%3Fshowall%3Dtrue). Si on se place alors sur l’hypothèse d’une exploration de CCR5 dans les capacités cognitives, le protocole qui semblait chaotique devient soudainement cohérent : deux filles du même âge, ayant réalisé le même développement gestationnel, vivant dans la même famille, allant dans la même école, mais différents par le nombre de copies modifiées de CCR5.

Néanmoins, les fuites des travaux de He Jiankui dans le MIT review ont montré la présence de “off-targets” chez l’une des jumelles. https://www.technologyreview.com/2019/12/03/131752/chinas-crispr-babies-read-exclusive-excerpts-he-jiankui-paper/

En effet, la Cas9 n’est pas singulière par sa capacité à couper l’ADN (beaucoup d’autres enzymes en sont capables), mais bien par sa capacité à chercher la séquence de notre choix (comme un controle+F sur l’ordinateur) grâce à un ARN guide. Il arrive parfois que ce ciseau moléculaire à tête chercheuse se trompe de séquence et coupe là il ne faut pas, on parle alors de off-targets.

L’ingénierie génétique via CRISPR/Cas9 a fait couler beaucoup d’encres au sein de la communauté scientifique malgré le fait qu’à cause de ces off-targets qui peuvent induire des effets indésirables imprédictibles et que les caractères recherchés (comme l’intelligence) sont modulés par des centaines de milliers de variants, il est beaucoup plus probable que nous assistions à l’avenir à la massification de la sélection embryonnaire plutôt qu’à la modification génétique de ces embryons. Néanmoins, il n’est pas exclu que l’outil s’améliore et que le risque de off-targets diminue significativement.

Certains midwits ayant lu quelques sites de vulgarisation sur l’épigénétique affirmeront la prédominance de l’environnement sur le développement des individus et sur l’inégalité que l’on observe au sein de la société.

Tout d’abord, il est important de préciser que l’épigénétique est une modification de l’expression génique par la méthylation, acétylation ou phosphorylation de la séquence d’ADN ou des histones qui sont des protéines servant de bobines autour desquels s’enroulent l’ADN pour former des chromatines. Des modifications épigénétiques similaires sur des génomes différents donneront des résultats différents. Ces modifications sont réversibles car sans modification de la séquence d’ADN, mais parfois héréditaires si elles touchent les lignées germinales. Ce qui signifie qu’une modification épigénétique délétère peut perdurer au sein de votre descendance durant quelques générations avant de disparaître.

De façon intéressante, en 2021, des chercheurs ont fusionné la protéine Cas9 capable de chercher une séquence spécifique de notre choix sur tout le génome avec une enzyme capable de méthyler ou déméthyler, offrant ainsi un outil pouvant réaliser un effet “ON/OFF” de nos gènes sans édition génétique. https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(21)00353-6?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS0092867421003536%3Fshowall%3Dtrue

L’avenir de l’optimisation de notre espèce, de l’amélioration de nos caractères innés et héréditaires ne passe pas seulement par la sélection des variations génétiques d’intérêt, mais également par le contrôle de l’influence qu’a notre environnement sur l’expression génique.

Un déséquilibre possible : 

S’il sera possible de choisir l’embryon de notre choix, les conséquences possibles sont multiples : Tout d’abord, il serait possible de connaître le sexe de l’embryon sélectionné. Ensuite, il existe un risque de la réduction de la diversité des protéines HLA de classe 2.

Les HLA (human leukocyte antigen) de classe 2 sont des protéines impliquées dans la présentation d’antigènes aux lymphocytes T, en bref, lorsqu’un microbe s’invite dans votre organisme, il est reconnu comme du non-soi, sera détruit avant que des cellules dites présentatrices d’antigènes ne présentent un morceau de ce microbe aux lymphocytes T afin que ces derniers reconnaissent ce microbe et partent en chasse. Au sein de notre espèce, il existe une grande variété de HLA de classe 2, car chacun de ces variants ne peut présenter qu’une fraction de tous les antigènes existants. Ainsi, si nous partagions tous le même HLA de classe 2, à la moindre épidémie échappant à ce variant spécifique, nous risquerions l’extinction. La pression de sélection induite par les pathogènes a donc maintenu une grande diversité des gènes codants pour ces protéines.

Théoriquement, il serait donc possible qu’involontairement, en réalisant de la sélection embryonnaire, nous provoquions un déséquilibre de ces deux paramètres (la balance homme/femme ainsi que la diversité des HLA de classe 2). Néanmoins, il ne serait pas difficile pour les institutions de santé publique d’observer les tendances de ces phénomènes ni d’implémenter un algorithme de randomisation du choix des embryons sur ces facteurs à risque de déséquilibre.

Quels effets sur notre civilisation ?

De cet eugénisme libéral, sans coercition, viendra une modification complète de toute la civilisation humaine. Les idéologies immatures et irresponsables qui contaminent les cerveaux de basse qualité n’auront plus de prise sur les générations futures. Nous constaterons une réduction significative du ressentiment propre à ceux qui ne trouvent pas leur place dans notre société avancée. Les coûts actuellement pharaoniques de la santé diminueront incroyablement.

Les études aux Etats-Unis estiment que le QI moyen des prisonniers est d’environ 80, dans l’hypothèse où l’intelligence participe au moins partiellement aux comportements asociaux qui mènent à l’incarcération, alors la sélection embryonnaire permettra la réduction du taux de criminalité et de la population carcérale.

La société de consommation nous offre des produits susceptibles d’être désirés et vendus à une population donnée. L’amélioration de cette population signifie, par extension, une modification des biens de consommation et des productions culturelles. Les œuvres actuellement les plus nobles ne seront plus lues, vues et consommées que par une petite élite aristocratique, mais deviendront de la culture populaire massivement valorisée. La junk-food de rue et les fast-food cesseront de produire des concentrés de gras et de sucre car ces mets seront devenus invendables à une population à haut QI moyen, mais devront s’adapter avec des produits de haute qualité au prix le plus bas possible.

L’intelligence suit une loi normale, elle a une distribution gaussienne dans la population. Actuellement, si on qualifie de “génie” le top 1% de la population, alors pour obtenir 10 génies, il faut une démographie d’au moins 1000 individus. De la même façon, pour obtenir 100 génies, cela nécessite une démographie d’au moins 10 000 individus. Ainsi, la quantité d’intelligence dans le monde est intimement liée à la taille de la population. La baisse de la natalité dans le monde va mécaniquement induire une diminution de la quantité de génies. Il n’existe actuellement aucun pays ayant trouvé une solution durable et réellement efficace pour relancer la natalité (avec un taux de fécondité de plus de 2 enfants par femme).

La sélection embryonnaire nous permettrait de dissocier l’intelligence et la taille de la population, dissocier le qualitatif et le quantitatif. Le monde occidental se dépeuplerait inévitablement, mais ne perdrait aucunement en puissance technologique, économique et militaire. Mieux encore, une Clio neuve coûte environ 20 000 euros et une Tesla modèle X neuve coûte environ 100 000 euros, soit 5 fois plus que la Clio, pourtant la quantité de ressources utilisées pour la fabrication des 5 Clios est plus importante que pour la fabrication d’une seule Tesla. Ainsi, avec une population plus intelligente et plus riche, il serait donc théoriquement possible de réaliser de la croissance économique en consommant moins de ressources et malgré une baisse démographique.

La rhétorique Kaczynskiste collapsologique d’une société thermo-industrielle qui s’effondrerait par l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde finie est balayée par la froide gifle victorienne de l’eugénisme. Elle n’est pas seulement désirable, elle est nécessaire, car comme la bombe atomique, vous pouvez vous y opposer, mais vos adversaires n’auront peut-être pas le même état d’âme. Or, si la sélection des meilleurs de nos gènes pour les générations futures s’avère être un avantage évolutif dans une compétition internationale alors vos descendants seront écrasés comme les indiens d’amérique l’ont été.

Personne n’imposera ce nouveau processus reproductif, il sera demandé, nos contemporains paieront pour cela. Car l’incertitude est impopulaire et que l’on préfère l’assurance d’obtenir un enfant en bonne santé avec les plus hautes capacités possibles plutôt que de jouer à la roulette russe avec ceux que l’on aime d’avance. Il est certain que des communautés d’Amish de la reproduction feront des enfants selon les anciennes méthodes et comme aux Etats-Unis, ils vivront dans des réserves protégées par des populations surdéveloppées.

Si je ne participe pas sur les réseaux à ces débats stériles sur ce sujet pourtant passionnant, c’est tout simplement parce-qu’il est préférable d’œuvrer à la naissance de ce monde sans procédé démocratique. Quand bien même les Kaczynskites décroissants souhaiteraient s’opposer à ces incroyables technologies, ils n’ont absolument aucun moyen de m’empêcher de trier massivement des embryons et d’influencer l’évolution humaine. Le monde de demain sera meilleur, car nous serons meilleurs et non le contraire.

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