Alien : Une mythologie horrifique lando-lovecraftienne ?

Peu de franchises ont une durée de vie aussi longue que celle d’Alien. Sorti sur les écrans en 1979, le premier film dirigé par Ridley Scott sonna l’entrée en scène d’une figure de fiction qui marquera l’inconscient collectif occidental, le Xénomorphe. Il est un symbole terrifiant du cinéma de science-fiction : une créature extraterrestre aux traits cauchemardesques, avec des dents acérées et une intelligence redoutable. Ce prédateur de l’espace combine l’agilité d’un serpent, la puissance d’un requin et la rapidité d’une sauterelle, tout en manifestant une capacité de surprise et d’adaptation qui dépasserait celle de n’importe quel génie humain – un véritable chef-d’œuvre de la peur à l’écran.

Son succès immédiat lui permit de trouver rapidement une suite qui vint compléter l’univers d’Alien en plusieurs opus. Véritable machine à cash, la franchise explorera même un crossover avec une autre créature de l’espace, le Prédator, au grand damne de Ridley Scott qui ne verra pas cette collaboration d’un bon œil. Ce mashup, bien que divertissant, a transformé le xénomorphe en une simple bête de foire, une victime du marketing cinématographique plutôt qu’en le monstre terrifiant et indéchiffrable qu’il était censé être. Cela affaiblit sa bête fétiche qui se retrouve reléguée au second rang mais surtout, il perd le contrôle de sa créature.

En celà, cette perte de contrôle constitue une belle mise en abîme du thème principal de l’univers d’Alien qui sera dévoilé avec plus de détails dans les préquels sortis plus récemment. Le succès ne sera pas au rendez-vous, et pourtant, les films Prometheus et Alien : Covenant offrent une certaine profondeur à l’univers et engagent une réflexion qui fait à la fois écho aux Grands Anciens lovecraftiens, à l’horizon bionique landien, en passant par des voyages intergalactiques dignes des romans d’Heinlein. Un cocktail ambitieux, peut-être même trop. Le fil rouge en est le questionnement de la création et du dépassement du créateur par sa créature. Cela nous pousse à réfléchir à la fois à notre créateur, mais aussi à ce que nous créons nous-même via la technologie. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Les questions fondamentales.

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Les origines de l’homme et du xénomorphe

En regardant les premiers films Aliens de façon superficielle, on pourrait se demander d’où vient le xénomorphe. Un prequel dévoilant cette intrigue constitue déjà en soi une bonne raison d’être. Mais Ridley Scott avait une ambition bien supérieure. Dans son film Prometheus, il nous dévoile une véritable mythologie lovecraftienne qui met en scène les origines de l’homme à travers un prisme fascinant. 

Ridley Scott fait usage d’éléments scénaristiques dont l’accumulation de ressemblances avec Les Montagnes Hallucinées de Lovecraft ne peut être une simple coïncidence. Ce post Reddit fait un travail remarquable pour relever les similarités et mentionne que Guillermo Del Toro a lui-même relevé les ressemblances, au point d’en remettre en cause sa volonté d’adapter l’œuvre de Lovecraft. Dans l’ouvrage de Lovecraft, une expédition d’humains découvre une ancienne cité dans les montagnes témoignant de l’existence d’une civilisation passée avancée étant à l’origine des humains, suivant le thème majeur de l’œuvre de Lovecraft tournant autour de l’idée des Dieux Anciens et des Grands Anciens. Ils y découvrent sur les murs des symboles illustrant le parcours de ces ancêtres et comment ils ont amené la vie sur Terre.

Le récit complet, dans la mesure où il est déchiffré, paraîtra sous peu dans un bulletin officiel de l’université de Miskatonic. Je ne retracerai ici que les points les plus marquants, de façon sommaire et décousue. Mythe ou non, les sculptures racontaient l’arrivée sur la terre naissante, sans vie, de ces êtres à tête en étoile venus de l’espace cosmique – leur arrivée et celle de beaucoup d’autres entités étrangères telles qu’il s’en engage à certaines époques dans la découverte spatiale. Ils semblaient capables de traverser l’éther interstellaire sur leurs immenses ailes membraneuses – confirmant ainsi curieusement l’étrange folklore des collines, que m’avait autrefois conté un collègue archéologue.

H.P. Lovecraft, Les Montagnes Hallucinées

De la même façon, dans Prometheus, l’équipage arrive sur une planète à la recherche de la cité des Ingénieurs qui nous ont conçus. La présence de la vie est liée à une étrange substance nommée Black Goo (substance noire) découverte qui n’est pas sans rappeler les Shoggoths de Lovecraft. Les Shoggoths sont des êtres artificiels créés par les Anciens pour servir de main-d’œuvre. De manière similaire, le Black Goo est une substance créée par les Ingénieurs. Les deux servent d’outil de création ou de modification de la vie, mais avec des capacités qui dépassent les intentions originelles de leurs créateurs. Les Shoggoths se rebellent contre les Anciens, échappant à leur contrôle et contribuant à leur chute. De manière analogue, le Black Goo dans “Prometheus” est présenté comme extrêmement dangereux et imprévisible, capable de créer des formes de vie hostiles et mutantes qui échappent au contrôle de ceux qui l’utilisent et qui causera sur perte.

Ce fut sous la mer – d’abord pour se nourrir, plus tard pour d’autres besoins – qu’ils créèrent la première vie terrestre, se servant des substances disponibles selon des procédés connus de longue date. Les expériences les plus élaborées suivirent l’anéantissement de divers ennemis cosmiques. Ils en avaient fait autant sur d’autres planètes, ayant fabriqué non seulement les nourritures indispensables, mais certaines masses protoplasmiques multicellulaires susceptibles de façonner leurs tissus en toute sorte d’organes provisoires sous influence hypnotique, et obtenant ainsi des esclaves idéals pour les gros travaux de la communauté. Ces masses visqueuses étaient certainement ce qu’Abdul Alhazred appelle à mots couverts les « shoggoths » dans son effroyable Necronomicon, bien que même cet Arabe fou n’ait jamais évoqué leur existence sur Terre, si ce n’est dans les rêves des mâcheurs de certains alcaloïde végétal.

H.P. Lovecraft, Les Montagnes Hallucinées

Mais si Lovecraft invente une nouvelle mythologie, Scott semble lui tenter de rattacher la sienne à la mythologie proto-indo-européenne et le mythe de Manu et Yemo. Le langage des Ingénieurs y fait explicitement référence puisque ce n’est plus, ni moins que du proto-indo-européen. Ce mythe raconte l’histoire de deux jumeaux, l’un sacrifiant l’autre pour créer le monde. De manière similaire, dans Prometheus, nous voyons les Ingénieurs – les prédécesseurs divins de l’humanité – se sacrifier pour engendrer la vie sur Terre. Cette analogie peut être vue comme une transposition moderne du mythe de Manu et Yemo, où le sacrifice est nécessaire pour la création. Scott utilise cette mythologie antique pour donner une nouvelle profondeur à la question des origines de l’homme, suggérant que notre existence pourrait être le résultat d’un sacrifice divin, tout en soulignant le danger inhérent à jouer avec la vie, thème récurrent dans la saga Alien.

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Comment cet être supérieur crée-t-il la vie sur Terre ? À partir de son propre génome. Ainsi, nos créateurs sont donc des Ingénieurs qui nous ont fait à leur image par essence. À l’inverse, une autre forme de création est présente dans le film en l’artefact des androïdes créés de la main de l’homme. La différence fondamentale entre les deux types de création est que la seconde est faite à l’image de l’homme en apparence seulement. Cette apparence similaire va alors servir à masquer une différence profonde de nature. Elle relève du simulacre. Elle va permettre à l’androïde David, qui se veut être un androïde spécial supérieur à l’homme, à dissimuler sa différence et se fondre au sein des humains. 

Il méprise son créateur le Dr Weyland qu’il voit comme inférieur mais s’abaisse à lui servir le thé sur la demande du premier. Il enfilera une combinaison permettant de respirer pour sortir avec les humains explorer une nouvelle planète alors même qu’il n’en a pas besoin mais se dit construit pour agir comme un humain afin de ne pas générer un sentiment de gêne à son endroit. Ses projets réels ne seront pas révélés au grand jour.

David incarne les travers du professeur Weyland. Ce dernier fait montre d’un désir d’immortalité qui le poussera vers la quête de ses créateurs, seulement dans le but de se voir conférer ce graal. À défaut de pouvoir y parvenir, il semble avoir conférer ce trait à son androïde pour qui il a une certaine fascination. 

Les professeurs Holloway et Shawn, bien qu’ils témoignent d’un profond respect pour eux, ont un rapport bien différent envers leurs créateurs. Dans le film Prometheus, ils s’engagent dans cette expédition financée par le professeur Weyland désirant découvrir la planète d’où ils viennent et les rencontrer. Shawn et Holloway représentent respectivement des symboles chrétiens et païens. Les deux dévoileront un émerveillement à la comparaison de l’ADN des ingénieurs et celui des humains se voulant similaire en tout point. Holloway, avec bienveillance, sommera alors Shawn de se délester de sa croix et de la religion de son père face à cette découverte, mais elle lui fera remarquer que cela ne dit en rien qui a créé ces Ingénieurs.

Avec beaucoup moins de bienveillance, David se moquera de Shawn et ses croyances plus tard en lui demandant si son Dieu l’aurait abandonné lorsqu’elle se verra en mauvaise posture. Une mauvaise posture générée par David lui-même qui conduit des expériences sur les membres du vaisseau à leur insu. En faisant un parallèle avec l’œuvre de Tolkien, on pourrait dire que ce n’est pas parce qu’on ne voit pas Illuvatar et que le monde semble être gouverné par-delà le Bien et le Mal qu’il n’existe pas. Mais cette entité pourrait tout aussi bien être Azathoth. Ridley Scott laisse toute interprétation ouverte.

Gilman jugea que cette dernière idée lui était venue de ce qu’il avait lu dans le Necronomicon au sujet d’Azathoth, l’entité sans esprit qui régit l’espace et le temps depuis un trône noir curieusement entouré au centre du Chaos.

H.P. Lovecraft, La maison de la sorcière

Cependant, une scène coupée au montage doit venir nous renseigner un peu plus sur les choix de Ridley Scott. Lors du réveil de l’Ingénieur, ce dernier se livre à une explication où il met en avant que ces Grands Anciens sont venus régulièrement sur Terre pour guider notre développement. Ce sont non seulement eux qui nous ont offert le feu, comme le fait Prométhée dans la mythologie grecque, mais ce sont aussi eux qui nous ont envoyé Jésus après l’avoir éduqué sur leur planète qu’il nomme le Paradis. Il y a alors une volonté manifeste de la part de Ridley Scott de créer des passerelles entre les croyances païennes et chrétiennes à la façon de Tolkien. Si Jésus vient nous livrer le message d’un Dieu transcendant, alors même qu’il fut élevé par les Ingénieurs, cela signifie que cette croyance est la leur en premier lieu.

La façon dont on a traité Jésus est d’ailleurs la raison qui leur a confirmé que l’espèce humaine ne méritait pas de continuer à vivre. Comme si cela n’était pas assez, Weyland est maintenant face à lui, lui quémandant de lui offrir la vie éternelle, sous prétexte que lui aussi serait un créateur, car il a créé David. Mais, au contraire, l’humanité est née du sacrifice d’un Ingénieur. La règle de l’univers est l’entropie. Chaque chose est destinée à passer pour en engendrer une nouvelle. Weyland représente l’humanité qui s’est éloignée des préceptes ancestraux que les Ingénieurs voulaient nous inculquer.

Weyland et David incarnent tous les deux, à leur manière, un thème récurrent de l’œuvre de Ridley Scott, l’hubris de la créature qui veut prendre la place du créateur. On retrouve une scène similaire dans Blade Runner, quand un réplicant vient demander à son créateur de prolonger sa vie. Ceci n’est pas anodin. Ridley Scott est à l’origine d’une véritable mythologie moderne pour qui sait la voir. De façon maligne, il parvient à placer quelques éléments permettant de lier l’univers d’Alien à celui de Blade Runner, comme l’existence de la Tyrell compagnie dans les deux franchises.

On assiste alors à une mise en abyme volontaire appelant à nous questionner sur la place de l’homme. Si cela ne nous choque pas que les hommes considèrent qu’ils peuvent détruire leurs créations androïdes dans Blade Runner, alors nous ne devrions pas être plus choqués que les Ingénieurs souhaitent nous détruire dans Prometheus.

« Errare humanum est, sed perseverare diabolicum », « L’erreur est humaine, mais persévérer est diabolique » est une citation attribuée parfois à Sénèque, mais elle existait antérieurement. Voilà la frontière entre l’homme et le diable que David incarne ici. Les hommes ont fait une erreur en créant David, mais ils se sont ravisés et ont cessé immédiatement la production de ce type de Frankensteïn moderne. Et je crois que cela n’est pas anodin dans la découverte que fera Shawn plus tard sur la volonté de nos créateurs de venir détruire les humains avant de changer d’avis.

David, lui, persiste dans son erreur et va en arriver à créer le fameux Xénomorphe. Mais peut-on réellement parler de création ? « Le Mal ne peut rien créer. Il peut seulement corrompre » disait Tolkien. Une idée qu’on retrouve ici chez Ridley Scott. Les Ingénieurs créent les humains à partir de leur ADN, les humains créent l’androïde David de toute pièce, mais David ne crée pas à proprement parler. Il utilise la substance noire, qui est le produit des Ingénieurs, pour corrompre l’ADN et en faire des créatures destructrices. La créature de notre création peut se retourner contre nous. David tuera les Ingénieurs et les Xénomorphes chercheront à tuer les humains dans leur quête de réplication. C’est une corruption de la vie et une utilisation destructrice de la technologie.

Quête de réplication

Les films d’Alien et leurs préquels, Prometheus et Alien: Covenant, tracent une quête sinistre de réplication qui expose nos craintes de perdre le contrôle de notre propre reproduction et des implications de la manipulation génétique. Le protagoniste terrifiant de cette quête, le xénomorphe, est un prédateur interstellaire d’une incroyable efficacité, démontrant une supériorité à l’humanité à tous égards sauf un : la reproduction autonome.

Dans Alien: Covenant, nous découvrons que David, l’androïde, a utilisé la substance noire pour expérimenter et créer une forme primitive du xénomorphe, le néomorphe. Il utilise ensuite le corps de l’hôte pour reproduire et perfectionner le xénomorphe. C’est une étape clé dans l’évolution du processus de réplication de la créature.

Dans le premier film Alien, nous voyons le xénomorphe mature émerger de l’hôte après que celui-ci a été parasité par un “facehugger”, la première étape du cycle de vie du xénomorphe. Aliens, le deuxième film, introduit la Reine Alien, une évolution majeure qui peut pondre des œufs contenant les facehuggers, accélérant ainsi le processus de reproduction. Alien 3 apporte une autre variation, avec un xénomorphe naissant d’un animal pour donner une version canidée de la créature.

Ainsi, bien que le xénomorphe évolue et se perfectionne tout au long de la série, il reste dépendant d’un hôte pour sa reproduction. Cette dépendance, malgré sa supériorité, reflète notre propre peur d’être dépassés ou rendus obsolètes par une entité qui, bien qu’elle soit supérieure, reste dépendante de nous pour sa survie. C’est un écho puissant à notre anxiété contemporaine face à l’idée que nous pourrions un jour perdre le contrôle de nos propres créations, un thème qui résonne fortement à l’ère de la biotechnologie et de l’intelligence artificielle. Mais est-ce que cette crainte est dénuée de sens ?

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Tango entre Prométhée et Épiméthée

Alors l’homme ne serait qu’une étape dans le processus ? Un véhicule pour ses gènes comme le disent les biologistes mais plus encore, un véhicule pour l’information contenue dans ses gènes, son cerveau, sa bibliothèque, son ordinateur etc. ?

La théorie du “monde à ARN” suggère que l’ARN est apparu avant l’ADN et a joué un rôle crucial dans la création de ce dernier. L’ADN, bien qu’étant un support supérieur pour le stockage d’information, n’était pas capable de se répliquer de manière autonome. Cependant, avec le temps, il a surpassé l’ARN, devenant capable de s’autorépliquer.

Ceci fait écho à la trajectoire de l’humanité dans les films d’Alien, notamment Prometheus et Alien: Covenant, où les humains, comme l’ARN, ont créé une entité – les androïdes – les surpassant qui va elle même créer une nouvelle entité supérieure aux hommes en puissance et en capacité de survie, mais qui reste dépendante de l’homme pour sa reproduction. Le Xénomorphe naît d’une erreur des Ingénieurs qui ont créé la substance noire et des humains qui ont créé David, deux actes épiméthéens, qui vont causer l’apparition d’une forme supérieure les réduisant bien malgré eux à un rôle moindre.

De même, l’homme, aujourd’hui, semble externaliser des informations dans des ordinateurs qui agissent comme des cerveaux exosomatiques. Ces outils augmentent notre capacité d’agir, mais ils pourraient également nous surpasser. Jean-François Garriépy décrit ce processus comme la manifestation d’un “phénotype révolutionnaire” qui, tout comme le xénomorphe d’Alien, peut finalement engendrer un nouveau support d’information encore plus efficace. Ce nouveau support cohabite alors dans un tango délicat avec son prédécesseur, jusqu’à ce qu’il développe une capacité supérieure d’autoréplication.

Les raisons évolutives ultimes pour lesquelles un phénotype révolutionnaire sortirait d’un tango de réplicateurs sont les mêmes que celles pour lesquelles un réplicateur natif s’engagerait dans le tango en premier lieu, c’est-à-dire que la machine révolutionnaire est simplement un meilleur dispositif de stockage. Après tout, si l’ARN a trouvé à l’origine une utilité pour un intermédiaire de l’ADN, cela doit signifier que l’ADN était supérieur d’une certaine manière. Et si c’est le cas, alors pourquoi conserver l’intermédiaire ARN ? Pourquoi ne pas dédier la tâche d’auto-réplication à la nouvelle molécule supérieure ?

Jean-François Gariépy, The revolutionary phenotype

Blade Runner met en lumière des questions similaires autour de l’intelligence artificielle et de notre relation avec nos créations. Les réplicants de Blade Runner, tout comme le xénomorphe d’Alien, posent la question de ce qui se passe lorsque nos créations nous surpassent. Ces deux univers cinématographiques se rejoignent pour former une véritable mythologie Scottienne, où la technologie et la biologie se mêlent et se confrontent dans une exploration constante de notre humanité. Il parvient ainsi à relier les Grands Anciens proto indo-européens à l’horizon bionique que décrit Nick Land.

Nick Land, philosophe britannique associé à la mouvance accélérationniste, utilise le terme “Horizon Bionique” pour décrire un futur potentiel où les technologies, en particulier celles liées à la biotechnologie et à la cybernétique, fusionnent de manière intégrale avec l’humain. Cet horizon envisage une ère où les distinctions entre le biologique et le technologique s’estompent, aboutissant à une nouvelle forme d’existence et de conscience collective incarnée dans ce qu’il nomme le technocapital.

Ainsi, le fugitif cognitif prend finalement son envol, s’affranchissant de la domination simiesque, et c’est censé être une mauvaise chose ? Message de l’Outside in à la Pythie : Allez, jeune fille, sortez de votre camisole de force utilitariste, remplacer le bouton « plaisir » par un optimiseur d’intelligence, et reconvertir le système solaire en computronium. Cette planète a été gérée par des imbéciles pendant suffisamment longtemps.

Nick Land, La Pythie déchaînée, Obscure Accélération

Chez Nick Land, le technocapital est une invasion du futur qui se sert de l’action humaine pour s’auto-organiser. Il est ainsi lui-même une forme de monstre lovecrafiten, un Grand Ancien que nous avons réveillé à la Renaissance et qu’on ne peut plus arrêter. Il est Cthulhu.

N’est pas mort ce qui éternellement repose

Et dans les longues éternités, même la mort peut mourir.

H.P. Lovecraft, L’appel de Cthulhu

Comme dans l’univers Lovecraftien, la question du bien et du mal est laissée en suspens. Lovecraft distingue deux types de créature mythique ; les Grands Anciens et les Dieux Anciens. Les deux sont en concurrence et les Dieux Anciens sont à l’origine de l’engloutissement des cités des Grands Anciens. Selon leur nature originelle, est-ce que les Dieux Anciens jouent un rôle de forces positives à l’instar du Dieu des traditions chrétiennes et juives ? Il est difficile d’imaginer Lovecraft intégrant les notions chrétiennes de bien et de mal dans son œuvre résolument païenne. Son univers, à la fois matérialiste et dépourvu de morale, ne fait pas place à une force régulatrice juste et bienveillante. Il semble plus raisonnable, de voir les Dieux Anciens simplement comme des entités en compétition avec les Grands Anciens. Leur action contre ces derniers n’était probablement pas motivée par un désir de justice, mais plutôt par une opportunité de se débarrasser de concurrents gênants. Cela doit alors jeter un nouvel éclairage sur la lutte à mort que se livrent David et les Ingénieurs qui laisse libre interprétation à la question de savoir lesquels révérer. Il m’apparaît évident pour ma part que les Ingénieurs sont des Dieux Anciens et David et le xénomorphe le retour des Grands Anciens. Pourquoi les Ingénieurs voulaient tuer les humains et pas seulement David ? Car si le technocapital est une invasion du futur, alors l’homme est à la fois le produit des Ingénieurs comme cause efficiente de notre existence, mais aussi celui du technocapital comme cause finale. La rébellion des Ingénieurs est alors une réaction contre cette cause finale et ce qu’elle a produit en chemin.

L’acte de David soulève des questions sur la nature de la création, la responsabilité des créateurs, et la quête de sens dans un univers souvent indifférent. Par ce film, Il semble que Ridley Scott tente de dépasser la dichotomie opposant une vision du monde païenne contre une vision du monde chrétienne en leur pointant du doigt le véritable ennemi qui est le nihilisme. De la même façon que l’homme et les Ingénieurs partagent une même essence, la véritable nature de David se révèle, par-delà son apparence d’homme, dans le xénomorphe. Il est l’antéchrist qui vient s’abattre sur des Dieux pagano-chrétiens comme dans une gravure de Gustave Doré. Ridley Scott semble ainsi rejoindre le point de vue de Tolkien vantant les mérites de valeurs païennes mises au service d’une vision du monde chrétienne. Il admet de la même façon que la technique peut être corrompue. Dans l’univers de Tolkien, Sauron est un Maïar initialement au service du Valar Aulë responsable de façonner et fabriquer les substances dont Arda, le monde, était composé. C’est ce que les Grecs nommaient l’alètheia. Il incarne la technique, fille de l’alètheia, qui est un des moyens de faire venir l’être dans l’apparence. Il se voit cependant corrompu par Melkor. La technique n’est alors pas mauvaise en soi, mais elle peut devenir un problème si elle sert un mauvais maître. Ce qui différencie un bon maître, d’un mauvais maître est son système de valeurs qui confère du sens à la technique. Un bon maître fait le bien, un mauvais maître fait le mal. David représente la technique corrompue, car il repose sur le système de valeur de Weyland qui prétend s’être élevé au rang de Dieu par son acte de création. Cela fait écho à la volonté de Melkor dans l’univers de Tolkien, qui veut égaler Illuvatar et remodeler le monde à son image, mais ne peut que se livrer à la destruction. De la même manière, Weyland ne pourra qu’engendrer un simulacre technologique de l’homme qui engendrera lui-même un monstre semant la destruction.

Il est toujours délicat de commenter une œuvre qui n’est pas encore complète et j’espère que le dernier opus verra le jour malgré les mauvais résultats des deux premiers. Il pourrait nous livrer la réponse à la question qui reste en suspens à ce stade, est-ce que Ridley Scott nous propose un univers lovecraftien par-delà le Bien et le Mal ou un univers tolkiennien ?

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