Vraiment, l’une des visions les plus tristes de notre époque est celle de pauvres êtres, sur des estrades, dans des parlements et autres situations, faisant et défaisant des « Lois » ; dans l’âme de qui, pleine de simples ouï-dires et de bavardages vides, il n’y a jamais eu d’image de la Loi du Ciel ; il ne leur est jamais venu à l’esprit que le Ciel avait une Loi, ou que la Terre ne pouvait pas avoir n’importe quelle loi ! Les codes de lois humains, par conséquent, deviennent horribles à envisager.
Thomas Carlyle, Pamphlets des derniers jours
Nous nous sommes laissés lors du dernier article sur la réflexion suivante : la philosophie est un système de croyance visant à offrir une représentation simplifiée du monde la plus vraie possible, permettant à son hôte de guider son comportement le plus efficacement possible. La philosophie est génératrice de sens. La religion n’est, elle, pas bien différente. Elle est une philosophie partagée par un groupe d’individus formant une culture qui va permettre de guider leur comportement au sein de ladite culture. Elle est donc un système de croyance duquel vont découler des lois établissant les conditions d’interactions entre ses membres.
Religion et système de croyance
Je sais ce que vous allez me dire, « Quoi la religion ? On en a assez soupé de la religion, nous sommes contents sans religion ». Mais ce que je dis, c’est que vous en avez forcément une de religion. Est-ce que vous pensez qu’un catholique il y a 500 ans vous aurait dit qu’il avait une religion ? Non, il vous aurait dit qu’il fait usage de sa raison et que le monde est créé par le bon Dieu, sinon qui d’autre ? Il faut comprendre que de tout temps, les humains ont adoptés des systèmes de croyances en faisant usage de leur raison et en imaginant que c’était l’explication du monde la plus raisonnable. En quoi cela serait-il différent aujourd’hui quand quelqu’un vous dit qu’il s’est débarrassé de la religion pour s’en remettre à sa raison ? Il ne fait qu’abandonner un système de croyance qui lui semble moins vrai pour en adopter un nouveau qui lui semble plus vrai, donc en accord avec sa raison.
Si ce système de croyance semblant plus vrai est inculqué dès le plus jeune âge par le biais d’institutions publiques, comment appelez-vous cela ? Oh, certes, ils vous diront bien qu’il est inutile d’aller à l’Église et qu’on s’est débarrassé de la religion, mais comment appelez-vous un système qui ne manque pas de vous rappeler à chaque instant, à l’école, dans vos lois, dans ses productions culturelles, dans sa politique, etc. que les races n’existent pas, que tous les humains sont identiques au-dessus du cou, que les minorités sont oppressées, que les Blancs sont racistes… C’est un système de croyance partagé visant à guider le comportement des individus au sein d’une culture. C’est une religion. Elle vous apparaît d’autant plus dans son plus simple appareil qu’elle s’éloigne de plus en plus de la réalité. C’est en cela qu’elle est mauvaise et non le fait qu’elle soit une religion.
Une culture doit avoir un système de croyance guidant le comportement des individus, mais ce système de croyance doit être le plus vrai possible. Il ne sera jamais complètement vrai. La Vérité est un idéal à atteindre. Mais il doit avoir le moins d’écart possible entre ce qu’il prône et ce qui est. La religion d’une culture doit donc être la plus vraie possible.
Religion et système moral
L’autre versant de la religion, avec la vérité, est la morale. Se comporter en société, c’est adopter une attitude qui est bonne. Si je vous vole votre argent en indiquant que c’est ainsi que les choses se passent dans la nature, est-ce que cela fait de moi une personne morale ? Certes, on peut observer des animaux se comporter ainsi, mais en quoi cela serait bon ? La religion va alors s’occuper de définir ce qui devrait être, en plus de ce qui est. De la même façon qu’un système de croyances ne doit pas avoir un écart trop important avec ce qui est vrai, son système moral ne peut pas dévier complètement de ce qui est vrai.
Nous n’avons jamais vu d’humain augmenter son intelligence à l’aide d’une puce intégrée à son cerveau. Nous n’avons jamais vu une humanité dont l’ensemble des membres naissent avec les mêmes capacités cognitives. Cela n’est pas, mais est-ce que cela devrait être ? Certains vous diront que non, pour les deux. Ce n’est pas moral car si cela n’existe pas aujourd’hui c’est que Dieu ne l’a pas voulu, et donc c’est jouer les apprentis sorciers. Ce n’est pas moralement bon.
Comment trancher ? En réalité, je n’étais pas tout à fait exact en disant que ce qui devrait être ne doit pas trop s’éloigner de ce qui est. Il ne doit pas s’en éloigner du tout. Mais encore faut-il comprendre ce qui est. Ce qui est n’est pas ce qui existe. Le possible est “plus riche” que le réel comme le dit Bergson. Il faut prendre en compte l’intégralité de notre schéma afin de comprendre l’être qui est au centre. Ce qui est, c’est le processus. Ce qui est moral, c’est ce qui favorise un processus conduisant vers l’extropie.
J’ai déjà cité l’article « Le possible et le réel », une œuvre assez tardive puisqu’elle fut écrite en 1930 à l’occasion de son prix Nobel. Bergson y parle du temps comme « jaillissement effectif de nouveauté imprévisible » dont témoigne notre expérience de la liberté humaine, mais aussi de l’indétermination des choses. En conséquence, le possible est « plus riche » que le réel. L’univers autour de nous doit être compris à partir du possible, non à partir d’un quelconque état initial dont il pourrait, de quelque manière, être déduit.
– Ilya Prigogine, La Fin des certitudes
Ce qui est moralement bon découle naturellement de ce qui est vrai mais ce qui est vrai doit être évalué à l’aune de ce processus. D’où l’importance d’avoir le meilleur système de croyance possible, car il doit impacter le système de moral. Un humain augmentant son intelligence drastiquement via une puce est une singularité que nous n’avons jamais observée. Une singularité est une irrégularité statistique. De la même façon, une humanité naissant avec des capacités cognitives égales n’est jamais arrivée et constituerait une irrégularité statistique. Pourtant, la première est bonne et la deuxième mauvaise. Pourquoi ?
D’où viennent les lois ?
Au sein de l’Univers, la norme est l’entropie, donc l’égalisation de toute chose. Aaaah ! Donc la deuxième proposition est bonne et pas la première, n’est-ce pas ? Je sais que vous n’êtes si idiots et qu’aucun de mes lecteurs avisés ne pense cela. Au contraire, la vie est une singularité qui suit précisément la voie inverse, celle de la réduction d’entropie. Ainsi, la première proposition est bonne et la deuxième est mauvaise.
Ce qui devrait être ne doit pas se limiter à ce qui est, ou fut déjà par le passé, mais il ne peut pas dévier des principes qui ont généré ce qui est. Alors, si on veut pouvoir identifier des lois permettant de définir ce qui est bon, et donc ce qui devrait être, nous devons au préalable avoir le système de croyance le plus vrai possible qui nous livre les lois de l’univers. Une bonne loi favorise l’extropie, une mauvaise loi favorise l’entropie. Quand Harvard décide de pénaliser les meilleurs élèves et de favoriser les plus mauvais via un système de sélection raciale, elle se transforme en agent de l’entropie, car cette règle est injuste. Ce que l’on nomme juste ou injuste est ce qui favorise respectivement l’extropie ou l’entropie.
Alors, pourquoi n’est-ce pas moralement bon si je vous vole votre argent ? L’agression est une chose banale dans la nature, n’est-ce pas ? Il n’y a pas d’infraction aux lois de l’univers dans cet acte et cela favorise mon extropie.
Principe de non-agression
Mes malheureux amis philanthropes, c’est ce long oubli de l’essence de la loi qui a réduit la Question Criminelle à un tel état parmi nous. De nombreuses autres choses sont venues, et viennent, pour la même triste raison, à un tel point ! Nos lois n’ont pas visé le scélérat suprême ; mais d’une manière incertaine et irrégulière, elles visent le scélérat inférieur ou le plus bas, qui vole dans les caisses et met en danger la peau de l’humanité. Comment le Parlement peut-il résoudre la Question Criminelle ? Le Parlement, oubliant la Loi Céleste, se trouvera dans un réductio ad absurdo désespérée par rapport à d’innombrables autres questions, par rapport à toutes les questions, tôt ou tard. Il n’y aura aucune existence possible pour le Parlement selon ces termes actuels. Le Parlement, dans ses législations, doit vraiment essayer d’atteindre à nouveau une vision de ce que sont les Lois du Ciel. Une chose difficile à faire ; une chose qui nécessite une sincérité triste du cœur, une révérence, une piété sérieuse, une sagesse vaillante et virile ; des qualités pas très abondantes au Parlement en ce moment, ni en dehors, je crains.
Thomas Carlyle, Pamphlets des derniers jours
Même au sein de la culture la plus pacifiée, le crime existe. Alors, si c’est le principe de non-agression est une loi de l’univers, pourquoi cela peut-il exister en premier lieu ? Si une chose n’était pas vraie, l’univers lui-même empêcherait qu’elle se réalise. Si je vous demande de faire du Coca avec comme seuls ingrédients de l’eau et du sel, vous ne le pourrez pas, car cela ne répond à aucun critère de vérité. Pas dans cet univers en tout cas. Alors pourquoi serait-ce moralement bon de ne pas se livrer à l’agression s’il est possible de le faire ? Et pourquoi cela n’en est pas moins une loi morale dictée par les lois de l’univers ?
Reprenons depuis le début. Une culture est une structure dissipative qui cherche son extropie. Elle a besoin d’une religion et cette religion est une représentation de ce qui est tenu pour vrai et bon. Ce qui est bon est la recherche d’extropie de ladite culture. Le rôle de la religion est alors de définir ce qui est bon dans l’intérêt de la culture et non de l’individu. La culture est un méta système cybernétique que la religion va aider dans son auto-organisation. De la même façon que vous ne souhaitez pas que vos cellules entrent en conflit au sein de votre corps, une culture ne « souhaite » pas non plus que ses membres entrent en conflit.
En tant que système cybernétique, une culture cherche à ce que l’échange d’information, d’énergie et de matière lui permette de tendre vers son extropie. Si les individus se livrent au vol, alors cela introduit une erreur statistique la nourrissant de mauvaise information. D’où le besoin de non-agression, d’assurer la propriété et se prémunir du mensonge. Tu ne tueras pas, Tu ne commettras pas d’adultère, Tu ne voleras pas, Tu ne porteras pas de témoignage mensonger contre ton prochain, Tu ne convoiteras pas la maison ou la femme de ton prochain, Tu ne convoiteras rien de ce qui est à ton prochain… Duh !
Mais cette règle n’est évidemment valable qu’au sein même d’une culture puisque le but est de l’organiser. Elle ne dit rien du comportement à adopter avec les membres issus d’une autre culture. Si votre religion est universelle, alors elle vise à établir les règles d’une culture universelle. Mais prenez garde à ce que votre comportement ne soit adapté qu’aux membres qui ont accepté d’appartenir à cette culture en premier lieu. Car si vous définissez des règles de comportements adoptés avec des individus que vous tenez comme membres de cette culture mais qui ne le sont pas, vous vous exposerez à de graves déconvenues, car vous refuserez de faire usage de l’agression sur des individus qui eux n’hésiteront pas avec vous, car ils ne vous reconnaissent pas comme membre de leur culture. Vivre ensemble, il faut choisir.
Économie fonctionnelle
La Spoliation légale a deux racines : l’une, nous venons de le voir, est dans l’Égoïsme humain ; l’autre est dans la fausse Philanthropie.
Avant d’aller plus loin, je crois devoir m’expliquer sur le mot Spoliation.
Je ne le prends pas, ainsi qu’on le fait trop souvent, dans une acception vague, indéterminée, approximative, métaphorique : je m’en sers au sens tout à fait scientifique, et comme exprimant l’idée opposée à celle de la Propriété. Quand une portion de richesses passe de celui qui l’a acquise, sans son consentement et sans compensation, à celui qui ne l’a pas créée, que ce soit par force ou par ruse, je dis qu’il y a atteinte à la Propriété, qu’il y a Spoliation. Je dis que c’est là justement ce que la Loi devrait réprimer partout et toujours. Que si la Loi accomplit elle-même l’acte qu’elle devrait réprimer, je dis qu’il n’y a pas moins Spoliation, et même, socialement parlant, avec circonstance aggravante. Seulement, en ce cas, ce n’est pas celui qui profite de la Spoliation qui en est responsable, c’est la Loi, c’est le législateur, c’est la société, et c’est ce qui en fait le danger politique.
Frédéric Bastiat, La Loi
C’est seulement une fois que ces principes de non-agression, donc de propriété privée reposant sur le droit naturel, sont appliqués que vous pouvez avoir une économie fonctionnelle. Car l’économie n’est jamais que le cadre d’interaction de ces échanges et elle ne fonctionne jamais mieux que lorsqu’elle n’est pas entravée par des lois superflues. Et une loi est superflue lorsqu’elle n’est pas l’institution visant à refléter une loi préexistante dans l’univers. D’où le droit naturel.
La technique va de pair avec l’économie, car elle est une condition de la production de biens et services. Elle est ce qui va dévoiler dans le monde matériel une production qui est en essence spirituelle, comme vous pouvez le comprendre avec notre schéma. L’action part d’une représentation de ce qu’on veut produire qui est pure information et elle va user de la technique pour le créer dans le monde réel. Comme le souligne Mises, la production est un phénomène spirituel. Nous reviendrons plus longuement sur la question de la technique dans le prochain article.
La production n’est pas une chose physique, naturelle et extérieure ; c’est un phénomène spirituel et intellectuel. Ses conditions essentielles ne sont pas le travail humain ni les forces et les choses naturelles extérieures, mais la décision de l’esprit d’utiliser ces facteurs comme des moyens pour atteindre des fins.
Ludwig Von Mises, L’action humaine
Liberté totale ?
Alors, est-ce qu’il serait immoral que le politique se charge de définir ce qui peut être produit et échangé ou non ? Dans une culture idéale, c’est-à-dire, qui ne produit que de l’information vraie et dont chaque membre a une connaissance adéquate de ce qui est bon et mauvais, la politique n’aurait aucun besoin de se tourner vers ce qu’il se passe à l’intérieur et pourrait être entièrement tournée vers l’extérieur. Je ne crois pas que vous vous inquiétez de vos intestins tant que votre transit fonctionne. Tant que tout est en ordre, votre esprit est entièrement consacré à l’environnement extérieur. Aucune culture n’étant idéale, le rôle de la politique est de s’assurer du respect de la Loi, donc de la propriété et de la non-agression. Sécurité interne et externe.
La politique doit alors se tourner vers l’intérieur uniquement en cas de désordre. S’il existe un désordre, elle doit identifier le problème et chercher à le résoudre rétroactivement. Imaginez une culture qui passe du déplacement en cheval à celui en voiture, mais elle ne se dote d’aucune loi pour le gérer. Les accidents augmentent, car plus l’accès aux voitures se démocratise, et plus il y a de conducteurs roulant sous l’emprise de l’alcool, plus il y a d’accident. Idéalement, il n’y aurait pas besoin de créer de nouvelles lois. Les gens comprendraient d’eux-mêmes que cela n’est pas juste et bon, et cesseraient cette pratique, mais… tout le monde ne fonctionne pas comme cela. La religion pourrait être suffisante pour l’inculquer. Le curé ou le journaliste pourrait annoncer au journal de 20h ou à la messe du dimanche que cela n’est pas juste et bon de rouler bourré et qu’il faut cesser cela. Mais si vous voulez que cela soit vraiment efficace, vous aurez besoin d’une loi instituée qui sera exécutée par le politique en cas d’infraction.
En revanche, un gouvernement qui prendrait comme seule solution de taxer l’alcool est purement mauvais. Il se contenterait de prendre sa part sur l’œuvre du diable devenant ainsi son complice. Il se livrerait de surcroît à la spoliation et enfreindrait ainsi la première des lois.
Il faut alors être extrêmement parcimonieux avec l’ajout de lois instituées. Un bon système de croyance devrait suffire à développer un bon système moral et donc favoriser des mœurs adéquates. Plus un système tombera dans la décadence, plus il n’aura comme solution que d’instituer des lois et compter sur une politique répressive pour les exécuter. C’est littéralement sécuriser l’enfer ou le chaos. Car une culture fonctionnelle est un cosmos et une dysfonctionnelle sombre dans le chaos. Une culture fonctionnelle trouve son extropie et se rapproche du paradis, une culture dysfonctionnelle subit l’entropie et devient l’enfer. Je comprends bien que vous en avez soupé de Dieu et que vous ne voulez plus de religion, mais quand vous en arrivez à avoir des gens sous OQTF assassinant une enfant de 10 ans dans un rite macabre, il ne m’apparaît pas si difficile de voir la réalité de l’enfer sous vos pieds et de croire qu’au moins le diable existe.
Excellent article !