L’IA, instrument de puissance pour la Chine

Pour la Chine, la bataille pour le leadership de l’IA revêt une importance cruciale. Elle a bien compris que dans le monde de demain, celui qui allait avoir une longueur d’avance avec l’IA aurait le pouvoir. Le domaine de l’IA est devenu une priorité telle pour le pouvoir chinois que selon certains experts, elle serait en passe de détrôner les USA dans le domaine. En attendant, le gouvernement chinois expérimente ses trouvailles sans vergogne sur son propre peuple, à un point que des pionniers du secteur comme Yoshua Bengio se disent horrifiés par la tournure des choses, car d’après eux, à mesure qu’elle gagne en puissance, la technologie mène à une concentration accrue du pouvoir et des richesses.

Jusqu’en 2017, la mise au point de l’IA nécessitait d’énormes compétences en recherche et les USA avaient tout naturellement pris le leadership. Mais en 2019, on assiste à l’avènement de la seconde phase : la mise en œuvre et le déploiement de solutions opérationnelles dans tous les métiers. Si les USA peuvent maintenir leur pole position, la Chine a de sacrés atouts à faire valoir comme des milliers d’entrepreneurs dynamiques, des ingénieurs compétents en grand nombre et le soutien actif du pouvoir politique, c’est ce qu’explique très bien Kai-Fu Lee dans son livre AI Super Powers, qui a travaillé aux Etats-Unis chez Apple et Microsoft. En Chine, on ne parle pas gilets jaunes, social et retraite. On parle ambition et puissance.

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« La Chine est l’Arabie Saoudite des données »

Plus que de l’argent, le modèle de l’IA basée sur le Machine Learning a besoin d’énormes quantités de données. Baidu, Alibaba et Tencent disposent de plus de données que les Etats-Unis et l’Europe réunis. Par exemple, les Chinois font 50 fois plus de paiements par mobiles que les Américains ; ceci permet à Alibaba et Tencent de tout savoir sur les habitudes de centaines de millions de leurs concitoyens, dans leurs activités Internet et dans le monde physique. De plus, ce secteur est fortement concurrentiel, et tous les coups sont permis dans le système carnassier chinois, ce qui favorise l’émergence de poids lourds qui écrasent tout sur leur passage. Les entrepreneurs chinois assument vouloir gagner beaucoup d’argent et n’hésitent pas à copier leurs concurrents comme l’a fait Tencent pour contrer Alipay. Dans cette phase de “démocratisation” de l’IA, on a surtout besoin d’un très grand nombre d’ingénieurs de haut niveau capables de mettre en pratique les meilleures solutions.

Un soutien politique fort

Xi JinPing, président à vie de la RPC, peut se permettre d’afficher une vision stratégique sur le long terme là où les démocraties occidentales sont assujetties au jeu des élections et des influences étrangères. Plusieurs milliers de « Silicon Valley de l’IA » ont été ouvertes en Chine, et peu importe si la majorité d’entres elles péricliteront du moment qu’une dizaine émergeront avec des pôles de compétences très compétitifs. Dans les 5 années qui viennent, ce n’est pas tant la technologie et l’innovation de l’IA qui fera la différence que son application généralisée à tous les domaines de l’économie : banque, industrie, assurance, automobile, santé, gouvernement, éducation, défense …

Dès lors, on imagine fort bien les avantages concurrentiels majeurs qui permettront ensuite aux entrepreneurs chinois d’attaquer tous les autres marchés mondiaux en s’appuyant sur cette base locale. 

Il suffit de se pencher sur les publications universitaires concernant l’IA pour mesurer l’ampleur du phénomène : en 1982 les 10% d’études les plus citées dans le monde autour de l’intelligence artificielle comptaient 47% de recherches américaines, contre 0% chinoises. En 2018 la Chine a largement rattrapé son retard, en se positionnant à 26%.

La prépondérance du secteur privé

L’IA doit ses principales avancées au secteur privé. En Chine, quelques grandes entreprises se démarquent dans ce domaine, connues sous le nom de « BATX » (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), équivalents chinois de Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (GAFAM). L’Institut du Deep Learning, crée en 2013 par Baidu, est un laboratoire de recherche interdisciplinaire conçu pour permettre à l’entreprise de renforcer ses compétences en apprentissage profond, technique qui a permis d’accroître considérablement la qualité des logiciels de reconnaissance d’images ou de traitement automatique du langage naturel. De fait, les BATX ont été étroitement liés au développement du plan “China Brain” conçu par le régime chinois. Les moyens alloués au plan sont à la hauteur des enjeux : 22 milliards de dollars par an pour un budget qui devrait progressivement s’élever à 59 milliards d’ici 2025.

Chaque société est dédiée à un domaine de compétences précis, histoire d’éviter l’éparpillement observé chez les GAFAM. Par exemple, iFlytek est spécialisée dans les logiciels de reconnaissance vocale, alors SenseTime est une entreprise leader en reconnaissance faciale et Baidu chargé de développer le secteur des véhicules autonomes.

La dualité civile et militaire

Si le modèle américain est libéral, le modèle chinois reste par essence dirigiste. Pékin parle d’un programme national de « fusion civilo-militaire » puisque la plupart des technologies s’avèrent être à double emploi, comme pour les véhicules autonomes où les technologies appliquées peuvent être aussi bien appliquées à des drones militaires. Prenons pour exemple YaTrans, spécialisée dans les logiciels de traduction automatique basés sur le traitement du langage naturel, qui a mis ses programmes à disposition du contre-espionnage chinois. Il est tout à fait admis en Chine, voire même franchement encouragé, que de grandes entreprises comme Alibaba mettent au service de la police et du renseignement intérieur leurs technologies pour améliorer la « qualité » de la surveillance de masse. Le lien est étroit puisque ces sociétés tendent à faire coïncider leurs technologies avec les exigences du gouvernement en matière de sécurité et de surveillance, et en retour, le gouvernement met à leur disposition de très grandes quantités de données pour améliorer la qualité de leurs machines. En juillet 2018, le South China Morning Post indique que la flotte de sous-marins nucléaires chinois pourra être gérée par une IA grâce à la technique du deep learning. Les Chinois, via la firme Ziyan UAV, ont mis au point un drone hélicoptère capable de larguer des bombes, le blowfish A2. Cette arme a déjà été vendue aux Emirats arabes unis et des clients comme l’Arabie saoudite sont en négociations avancées. Pendant que les USA ont une politique restrictive de vente à l’export de drones armés, les Chinois, eux, n’ont pas ces états d’âme, et ils conquièrent des parts de marché.

Comme en son temps la bombe H, l’intelligence artificielle fait figure aujourd’hui, à tort ou à raison, d’arme absolue. Dévoiler ses essais, c’est faire oeuvre de dissuasion.

Le contrôle sociopolitique, nommé « crédit social »

Les autorités chinoises mettent en place sans scrupule un système en temps réel permettant d’évaluer le comportement de ses citoyens. Fumer dans un train, critiquer la police, relayer assidûment la propagande gouvernementale, autant d’actes quotidiens qui vous attribueront une note à la hausse ou à la baisse qui vous permettront d’accéder (ou pas) à un statut et à des privilèges sociaux comme pouvoir répondre à une offre d’emploi, acheter un billet d’avion pour l’étranger voire … être admis à l’hôpital. C’est Alibaba qui collecte ces données dès que l’on utilise ses services en ligne et les transfèrent directement aux services de l’État, selon le domaine concerné. Le vice-ministre chinois des Sciences et de la Technologie concluait en juillet 2018 : « Si nous utilisons correctement l’intelligence artificielle, nous serons capables de savoir à l’avance qui pourrait être un terroriste, qui pourrait faire quelque chose de mauvais ».

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Les champs d’applications actuels de l’IA

Dès aujourd’hui, l’IA envahit donc le quotidien des Chinois. Les exemples sont nombreux comme vus précédemment mais c’est loin d’être fini. Voilà un an maintenant que l’agence de presse Xinhua a créé une IA à voix synthétique pour présenter son JT. En outre, le déploiement prochain de la 5G en Chine ne souffre d’aucun débat d’arrière garde comme en France. Huawei entend ainsi asseoir sa prédominance sur son marché intérieur et conquérir des parts de marchés à l’international. La 5G permettra entre autre des échanges super-rapides pour les voitures autonomes, l’IOT et les smarts cities. Grâce à ces caméras couplées à de l’IA, il est possible d’identifier les voitures, les cyclistes et les piétons avec des informations comme le genre, l’âge et même les vêtements. Le président américain Donald Trump a déjà donné un coup d’arrêt à l’expansion de Huawei dont son pays qui collecte des informations pour le compte des services gouvernementaux chinois. Washington conseille d’ailleurs chaudement à ses alliés européens de faire de même.  

Le gouvernement chinois confronte très tôt les enfants de ses citoyens à l’IA. Dans les écoles de Shenzhen par exemple, l’accès est conditionné par un portique de reconnaissance faciale des enfants, l’objectif étant clairement de les habituer au plus vite à cette pratique. Cette technique tendra sans nulle doute à se généraliser dans les années à venir à l’ensemble du territoire chinois.  

La grande différence avec nos sociétés occidentales c’est que le sujet de l’IA ne souffre d’aucun débat en Chine. Là bas, personne pour parler ou remettre en cause les priorités du gouvernement à base de revendications sociales. C’est donc à pas de géant que l’IA y progresse, rien que l’armée populaire chinoise dépense environ 10 milliards de dollars par an pendant qu’ici on parle retraite et pouvoir d’achat. Alors que l’écart se resserre entre les USA et la Chine, cette dernière peut compter sur l’alliance entre secteur privé et Etat sans que personne ne trouve rien à redire non plus. Cette course à l’IA et son utilisation militaire inquiète beaucoup les voisins de la Chine, qui ont déjà maille à partir avec un régime qui a des visées de plus en plus impérialistes comme au Vietnam où les tensions sont déjà palpables (Pékin n’a pas hésité à construire des plateformes pétrolières en pleine zone vietnamienne sans le consentement d’Hanoï), et surtout le Japon qui se réarme progressivement suite à la menace que fait peser la Chine sur ses territoires. N’oublions pas non plus le conflit qui oppose Pékin à Taiwan et qui a connu une résurgence très tendue en début d’année, Xi JinPing n’hésitant pas à menacer de raser l’île rebelle. Les protestations à Hong Kong confortent le gouvernement de Pékin dans le fait que l’IA sera l’instrument idéal pour contrôler ses populations et son territoire et ainsi étouffer toutes velléités d’indépendance.

Alors que les gouvernements occidentaux ont des politiques restrictives sur l’IA, cela n’empêche pas les firmes occidentales telles que Google ou Microsoft de collaborer avec le gouvernement chinois pour développer l’IA. Dès lors, on ne peut que comprendre la volonté de Donald Trump d’identifier la Chine comme principal concurrent au leadership américain et de prendre les mesures coercitives qui s’imposent pour protéger les intérêts américains. Et en Europe ?

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