L’Etat ne garantit pas la liberté, il la condamne

Comme nous l’avons fait pour Contre la propriété intellectuelle, Démocratie : le dieu qui a échoué ou Bien comprendre le libertarianisme, nous allons parler du dernier travail fourni par les traducteurs des Editions Résurgences : Market For Liberty ou La liberté par le marché.

Ce dernier est certes un ouvrage court et une lecture facile mais il reste tout à fait primordial dans la compréhension de la philosophie libertarienne. Son importance ne réside pas dans son innovation intellectuelle – puisque nous sommes embarqués sur des eaux déjà explorées par Ayn Rand, Murray Rothbard ou Ludwig von Mises – mais plutôt dans la qualité des explications et exemples donnés dans un tout cohérent qui permet de mieux visualiser la structure sociale à laquelle les auteurs libéraux et libertariens aspirent.

Publié en 1970, on pourrait penser que La liberté par le marché a perdu de son éclat en 50 ans, ou du moins, de sa pertinence. Pourtant, ce n’est bien tristement pas le cas ; les idées qui entretiennent le Léviathan n’ont pas régressé, alors que nos outils pour lutter contre celui-ci n’ont fait que croître.

Dans un monde décentralisé au sein duquel une grande partie de l’humanité accède à l’information et à l’éducation presque gratuitement et de manière quasi illimitée, nous devrions être davantage capables d’exprimer notre opposition aux systèmes politiques liberticides des grands Etats.

En réalité, le monde a changé, et il continue de changer. Mais les idées, elles, sont restées les mêmes. Le fond de ce genre d’ouvrages restera pertinent tant que les idées qui promeuvent réellement la raison, la vie et la liberté ne seront pas sur le devant de la scène et que les idées irrationnelles, nihilistes et collectivistes constitueront la pensée commune.

Introduction
en douceur à
Unqualified
Reservations

Premier tome d’une série de 7 de l’oeuvre de
Curtis Yarvin offert à nos tipeurs.

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Premier tome de l’oeuvre
majeure de Curtis Yarvin

Le Monopole de la protection ne protège pas

“L’homme qui « engage » un État comme agent de protection individuelle se rendra, par l’acte même d’entrer en relation avec ce monopole coercitif, sans défense envers son « protecteur ».”

p.104

Pour beaucoup, l’idée d’un ordre libertarien, c’est à dire sans monopole de la violence légitime, est un fantasme candide ou quelque sorte d’utopie naïve impliquant une vision idéalisée des rapports humains. Et c’est le contrepied de ce préjugé que prennent les auteurs en expliquant que c’est justement ceux qui jugent nécessaire un monopole de la violence légitime qui rêvent.

Les auteurs transmettent l’essence de leur réflexion nuancée et pragmatique sur la sécurité et la protection dans une suite de chapitres clés : la privatisation de ces secteurs ne relève pas de l’utopisme mais d’un constat “praxéologique” (quand bien même ce dernier terme n’est pas nommé) pur. Effectivement, la nature publique de ces services est fatalement décorrélée de quelconque logique de rentabilité.

Plus que des institutions qui garantissent la protection, la liberté doit pouvoir être préservée par les citoyens eux-mêmes, comme l’a démontré ce couple protégeant leur propriété pendant les émeutes de BLM, cette année aux Etats-Unis.

Contrairement aux fantasmes anticapitalistes, la rentabilité est en réalité la garantie que le producteur a au moins intérêt à rendre le service qu’il prétend rendre. En parallèle, rien n’empêche un artisan de produire et vendre des artéfacts par passion ; mais le fait qu’il en tire un intérêt économique est le gage de sa volonté de satisfaire le besoin d’un consommateur, et que le mieux ce besoin sera satisfait pour un grand nombre de consommateur, le plus de profit cet artisan tirera de son œuvre.

Plus largement que sur la question de la protection, les auteurs essaient tout simplement de nous faire réaliser que les secteurs des pouvoirs publics n’ont que trop peu (voir aucun) d’intérêt à faire ce qu’ils sont censés faire. Par conséquent, nous devrions en vérité cesser de vouloir “plus d’Etat”, de fonctionnaires ou “d’injection” de budget dans un service public jugé déficient, mais davantage souhaiter sa soumission aux lois du marché. Nous devrions redouter l’intervention de l’Etat en tant que consommateurs plutôt que de révérer son obésité morbide immobilisante.

Ainsi, de manière générale, les auteurs abordent la manière par laquelle les systèmes d’assurance permettraient de rendre définitivement obsolète l’Etat. Cette logique de la compréhension du système capitaliste est alors simplement étendue sur toutes les non-problématiques habituelles pour lesquelles on nous sert de faussement fiers “Il faut un Etat pour s’occuper de ces services, on ne peut pas juste le laisser à des entreprises qui ne cherchent que la rentabilité !” conjointement aux sempiternels “Ces entreprises vont forcément remplacer l’Etat en grossissant et atteignant une situation de monopole, donc on sera de retour à la situation initiale !“.

Un outil honnête de persuasion

Comme le dit Jonathan Haidt, on ne peut malheureusement pas convaincre sur la moralité à partir de faits ; ce sont les histoires, les narratifs sur l’homme qui le peuvent. C’est ce dont se chargent les auteurs : nous livrer leur vision du monde, des rapports humains, de l’interaction sociale. Ils nous montrent aussi où ils veulent emmener les humains et comment ils voient la société débarrassée du parasite étatique. Une histoire de la libre coopération du marché contre la coercition étatique.

C’est bien avec cette idée en tête que Linda et Morris Tannehill nous livrent moultes conjectures sur la logistique et l’organisation de cette société libertarienne. On imagine alors qu’ils n’ont eux-mêmes pas été convaincus si facilement, puisqu’ils prennent le temps de décrire l’hypothétique organisation d’une société totalement privée.

Sans conteste, les Tannehill répondent aux interrogations principales des profanes du libéralisme radical, ces questions que l’on s’est tous posées, nous qui nous sommes émancipés (au moins partiellement) progressivement de la propagande infusée dans nos esprits malléables alors que nous étions encore sous la chape de l’éducation nationale.

Intéressant même après un détachement total des mythes socialistes, La liberté par le marché est un condensé d’outils intellectuels essentiels pour se représenter la liberté et son application. Témoin subjectif de la qualité de l’ouvrage : je me suis pris plusieurs fois me questionner sur les implications de ce qui était affirmé et proposé dans l’ouvrage. Bien des fois, les réponses et autres éclaircissements tombent à pic. Particularité notable en comparaison aux autres ouvrages de la pensée anarcho-capitaliste, l’accent mis sur l’agencement de certains biens et services (jugées comme devant impérativement dépendre du secteur public dans la doxa) dans une société purement capitaliste appuie encore davantage l’originalité de La liberté par le marché.

Cette histoire, donc, les humains en ont besoin : ils n’ont écouté que la défense de l’intervention de l’Etat dans tous les domaines et la nécessité de son monopole dans d’autres. Et plus de 50 ans après sa publication, le grand public n’a toujours pas entendu la version de “l’autre côté”, ils ne visualisent pas ce qu’elle impliquerait. Il est grand temps de mieux saisir ce qu’est une société de marché.

Peut-être que vous resterez sceptique quant à la crédibilité de cette vision d’une société sans monopole légal même après la lecture de cet ouvrage, excepté sur la propriété privée de chacun. Il en demeure que votre compréhension du processus capitaliste n’en sera que plus solide et claire ; l’intrication que vous ferez entre la liberté et le marché n’en sera que plus forte.

Quel monde veulent les libertariens ?

Un monde dans lequel chacun est responsable de ce dont il est propriétaire et où personne ne peut prétendre gérer ce dont il n’est pas propriétaire est celui d’hommes libres. En fait, la société libre est une société débarrassée des politiciens qui ne font que dilapider votre argent et règlementer vos vies contre votre grès. Les hommes politiques sont ceux qui, au nom du bien commun, servent des intérêts particuliers, mais jamais de ceux qui font que la civilisation est ce qu’elle est.

Les lignes des Tannehill brillent par un jusqu’au-boutisme assumé des idées de la liberté, sans compromis : l’Etat est le grand parasite des sociétés humaines, un fardeau dispensable mais dont nous sommes simplement convaincus de la nécessité.

Parce que les citations originales d’un ouvrage – de plus en plus intéressant au fil des pages tournées – parlent plus que n’importe quelles paraphrases pour illustrer le propos puissant, riche et responsabilisant des auteurs, en voici quelques-unes :

“Moralement, l’État n’est rien d’autre qu’une bande bien organisée de malfrats mafieux.”

p.200

“[…] il est bon de se rappeler que la plupart de ces gens sont coupables d’avoir au moins passivement consenti aux prédations politiques.”

p.201

“Préconiser un État limité, c’est préconiser un esclavage limité. Dire que l’État est un préalable nécessaire à une société civilisée, c’est dire que l’esclavage est nécessaire à une société civilisée.”

p.213

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“Comment y parvenir ?”

Ultime partie du livre, les auteurs y discutent en toute justesse des solutions pour tendre vers un modèle de société libre, débarrassé de ce fardeau qui pèse sur les humains, et surtout, sur les humains productifs.

Pour les Tannehill, la clé de la société libre réside dans la persuasion des masses, par la propagation des idées libérales.

L’idée que nous devons répandre est très facile à comprendre : c’est simplement que l’État est un mal inutile et que la liberté est le meilleur et le plus commode des modes de vie.

p.213

Là où je serais personnellement en désaccord avec les auteurs serait sur cette détermination des idées comme étant le critère ultime du changement de perspective du grand public. Cette façon de voir le destin politique reste assez naïve en ce qu’elle n’inclue dans son calcul que peu de déterminismes – si tant est qu’il y en ait le moindre – comme si les humains pouvaient changer d’avis uniquement parce qu’ils seraient convaincus par des idées rationnelles. Je pense qu’il demeure au moins des raisons purement sociologiques à considérer.

En effet, par le biais de l’Etat providence, le fonctionnariat ou encore les monopoles, les Etats ont créé, entretenu et renforcé une classe d’individus dépendants de la capacité de celui-ci à parasiter les individus productifs actuels et futurs (par le biais de l’endettement). Les Etats ont tendance à faire croître justement cette classe de la population qui entretien son propre appareil parce que, comme le disait Frédéric Bastiat, il est la grande fiction au travers de laquelle tout le monde souhaite vivre au dépens de tout le monde. Au préalable, c’est donc ces dépendances aux Etats et leur prédation des richesse contre lesquelles nous devons nous dresser

Avant même d’atteindre la société libre par la diffusion des idées libérales, il faut davantage d’individus libres. Après tout, les idées ne sont que les symptômes de l’être.

Voilà ci-dessous un autre lien afin de vous procurer la traduction de l’ouvrage par @ResurgenceEd.

4 comments
  1. Je cite ici : ‘En fait, la société libre est une société débarrassée des politiciens qui ne font que dilapider votre argent et règlementer vos vies contre votre grès. Les hommes politiques sont ceux qui, au nom du bien commun, servent des intérêts particuliers, mais jamais de ceux qui font que la civilisation est ce qu’elle est.’

    Cet extrait démontre selon moi l’aboutissant du courant libertarien, soit une contradiction monstre. Moi même ayant été un activiste libertarien, ayant eu une chaîne Youtube avec quelques centaines d’abonnés et une page Facebook active il y a quelques années, j’ai, après moults réflexions et débats, conclu qu’il s’agissait d’une idéologie malheureusement impraticable. Bien qu’un monopole de la violence par l’État ne soit pas souhaitable, je crains que malheureusement que si un État devenait moins puissant, son rôle serait remplacé par des corporations, qui à leurs tours agiraient en connivence et établieraient un autre monopole ou une oligarchie/tyrannie basée sur leurs intérêts spéciaux. Il n’y aura juste plus le Middle Man qu’est l’État à payer en plus. Et moi, un monde ou les forces de sécurité d’un pays sont tenues par un oligopole des GAFAM, je ne suis pas certain si c’est plus libéral qu’une Chine actuelle.

    1. Vous faites comme si la puissance des GAFAM n’avait aucun lien avec l’Etat pour dire que sur le libre marché ce genre de corpo emergent.

      1. D’accord, mais c’est non pragmatique de votre part cet argumentaire, ou du moins impraticable, étant donné que l’État existe partout. Il faudra donc l’accepter, sinon le mouvement libertarien reste utopique, et n’attirera aucun concret, juste quelques idéologues du net. Laissez moi réitérer mon argumentaire avec d’autres exemples, soit que des situations de monopoles naturels créent, sans aucune intervention de l’État, des structures créant des externalités négatives, dont la connivence crée une dépendance du citoyen non propriétaire à ce dit monopole, qui remplace l’État dans le rôle du monolithe monopolisant, est-ce que le citoyen non propriétaire s’en sort plus gagnant dans ce modèle ou que c’est kif-kif bourriquot, je pense qu’on tend vers le dernier résultat possible.

  2. La définition/représentation libertarienne de ce qu’est un état est insuffisante.

    Monaco et la Suisse par exemple n’en sont pas.
    La première est une propriété privée en nom propre, la seconde une association.
    L’état n’existe pas partout, le libertarianisme fonctionne à condition de savoir le voir en abandonnant des représentations absurdement idéalisées.

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