Et si on légalisait le proxénétisme?

Étant historien, je dois fréquemment consulter de vieux journaux. 
Cette occupation minutieuse est l’occasion de découvrir nombre de faits divers dont la narration ou le dénouement m’amènent à réfléchir sur l’esprit des lois et de la morale majoritaire.
L’un de ces faits divers est celui dont parle cet article issu d’un Paris-Normandie des années Giscard, il conforte mes positions sur le proxénétisme, dont je défends la légalisation ;

« DIX MOIS DE SURSIS POUR LE PROXENETE AVEUGLE ;

Nous avions rendu compte le 27 septembre dernier de ce procès au cours duquel Michel Maranger, un homme de 35 ans, aveugle depuis 1975 à la suite d’un accident, faisait opposition à un jugement qui l’avait condamné par défaut, le 30 mai, à six mois de prison ferme et 1000 F d’amende pour proxénétisme.
Il lui était reproché d’avoir touché 50 F par jour (durant deux mois) d’une prostituée qui, lui ayant fait part de son désir de ne plus rien lui donner en échange de ses menus services (il allumait la lumière dans l’escalier, faisait le ménage, et, une fois, était intervenu dans une dispute avec un client) lui avait porté des coups (des coups sur le visage constatés par un certificat médical) et l’aurait menacé d’un couteau. 

Défendu par M° Sylvie Breton-Lardenois, qui avait demandé que la peine soit assortie du sursis, le proxénète aveugle bénéficie d’une mesure de clémence. Il est condamné à 10 mois de prison avec sursis et 1.000 F d’Amende. Il ne pourra plus exercer ses petits-talents auprès de Danielle, la prostituée qui a porté plainte contre lui, « bénéficiant » également de deux années d’interdiction de séjour, mesure déjà prononcé par défaut. Automatiquement. »

Que nous dit ce fait divers ?

Il nous informe certes qu’un individu exerçant la « profession » de proxénète violenta une prostituée avec laquelle il faisait affaire, en l’occurrence lui a ici porté des coups sur le visage et usa de menace par arme blanche.

Dans un sens cela peut nous conforter sur les clichés que l’on a sur le proxénétisme ; c’est un milieu de lâches qui exploiteraient les femmes et n’hésiteraient pas à les brutaliser pour mieux les soumettre à leur cupidité et garantir leur train de vie de satrapes, le tout en profitant sexuellement de leurs victimes quand l’envie leur prend.

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Cependant nous avons ici affaire à un proxénète qui n’était pas aisé. 
En effet, en 1975, année où M. Maranger devint invalide, un employé touchait en moyenne 29 026 francs par an, soit un peu moins de 80 francs par jour, moins l’imposition bien sûr.

Il n’était donc guère mieux loti avec les 3 000 francs qu’il toucha lors de son aventure de proxénète que lorsqu’il devait travailler de manière plus classique.

Qui plus est, il était aveugle et loin d’être oisif au point d’occuper ses jours à jouer aux cartes avec des collègues proxénètes, à organiser d’autres types de trafic ou à peloter quelques-unes de ses protégées, il se faisait fée du logis pour son unique demoiselle.

On a vu plus mafioso comme proxénète…

Reste la question de la violence. 

Elle est certes regrettable et sans l’excuser on ne peut que comprendre qu’un aveugle ayant rendu service à une prostituée, quitte à se battre pour assurer sa protection, ait mal réagi en comprenant qu’il ne pouvait plus compter à l’avenir sur la source de revenus qu’elle lui assurait, source de revenus qui devait être l’essentiel de sa richesse.

Ce point-là d’ailleurs est en un sens un autre coup porté à notre perception du proxénétisme, où le proxénète domine totalement ses filles, ici l’ascendant était exercé par la prostituée, c’est elle qui congédia son proxénète.

Mais imaginez que notre malvoyant ait réagi calmement à l’annonce de son associée, de quel crime se serait-il montré coupable ? D’avoir allumé la lumière ? D’avoir fait le ménage ? D’avoir défendu la prostituée lorsqu’elle fut en mauvaise posture ?

Pourtant en tant que proxénète, il aurait tout à fait été susceptible de se faire condamner, quel que fut son comportement.

La loi française ne se montre pas d’avantage compréhensive aujourd’hui.

Ainsi pour la loi française, le proxénétisme est considéré comme étant le fait 

  1. D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;
  2. De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
  3. D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire.

Il est de fait puni de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende selon l’Article 225-6 du code pénal.

Cette sévérité aveugle se base bien-sûr tant sur les préjugés pesant sur le proxénétisme que sur un progressisme ambiant, les femmes prostituées sont toutes des victimes, c’est bien connu…
Ainsi la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 2 décembre 1949 et signée par la France, considère la prostitution et le proxénétisme comme étant « incompatibles avec la dignité humaine ».

Dans un premier temps je ne peux m’empêcher d’ironiser sur le fait que protéger, assister ou aider la prostitution d’autrui, rendre service en somme, serait un crime… et que par conséquent, toucher de l’argent pour ce service serait une attitude criminelle.

Dans un second temps, il faut bien défendre l’idée que le proxénétisme n’est pas violent par essence, de même qu’il ne porte en aucun cas atteinte à la dignité humaine.

Walter Block défendit admirablement le proxénète dans son livre Défendre les indéfendables, consacrant un de ses plaidoyers pour leur défense :

« Le premier point qui requiert une clarification est l’assertion que les “souteneurs” usent de coercition et de menace de violences pour enrôler les prostituées et les conserver sous leur coupe. Certains en sont coutumiers, mais ce fait justifie-t-il la condamnation de la profession dans son ensemble ? Existe-t-il une profession qui n’ait pas un seul praticien coupable d’actes délictueux ?
[…] Pour évaluer le proxénétisme, il faut ignorer tous les actes malfaisants qui peuvent avoir été commis par certains souteneurs mais qui sont étrangers à la nature même de leur profession proprement dite. »

Mais justement, si le métier de proxénète ne consiste pas à sabrer le champagne tout en tyrannisant un harem, en quoi consiste-t-il ?

« La fonction du proxénète est en soi identique à celle d’un courtier. De même que le font les courtiers – en ce qui concerne les biens immobiliers, l’assurance, le marché financier, les investissements, les opérations à terme sur les marchandises, etc…, le souteneur a pour fonction de mettre en relation deux parties intéressées par une transaction et ceci à moindre frais qu’il ne leur en aurait coûté sans ses bons offices. »

En l’occurrence, le client ne perd pas son temps à rechercher une prostituée, il lui suffit de téléphoner pour obtenir un rendez-vous avec une prostituée, avec le sentiment sécurisant pour sa santé et sa libido que cette dernière lui est recommandée.

Quant à la prostituée, elle aussi bénéficie d’un gain de temps ainsi que d’une protection contre des clients indésirables où envers les autorités de l’État, les rendez-vous organisés par son souteneur lui procurant une sécurité physique sans commune mesure avec celle de la rue.

Le proxénète est-il donc un exploiteur ? Encore une fois Block nous illumine de bonnes comparaisons :

« La prostituée n’est pas plus exploitée par le proxénète que le fabricant ne l’est par le vendeur qui racole des acheteurs pour lui, ou l’actrice qui verse à un agent un pourcentage de ses gains afin qu’il lui trouve de nouveaux rôles. Dans ces exemples, l’employeur, grâce aux services de l’employé, gagne plus que ne lui coûte son salaire. Si tel n’avait pas été le cas, la relation employeur-employé ne se serait pas établie.

La relation de la prostituée avec le proxénète (d’employeur à employé) apporte les mêmes avantages. »

L’économiste Walter Block est connu pour ses ouvrage de philosophie morale “Defending the Indefensible”. Prostituée, maître chanteur, vendeur de drogue et usurier sont des professions décrites comme légalement acceptables.

Toucher 50 F par jour dans les années 70 ou un pourcentage de chaque passe en échange d’une protection et le développement d’un réseau de client, est-ce vraiment de l’exploitation ?

Cela peut le devenir si, sans parler de la violence hypothétique, les gains prélevés par le proxénète sont trop importants, mais dans ce cas la prostituée peut s’en plaindre auprès de lui. 
En cas de refus d’une redistribution des gains, la prostituée pourra voter avec ses hauts talons et tenter l’auto-entreprise, si elle ne choisit pas un autre souteneur.

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Ce serait le scénario idéal, uniquement possible dans un pays où le proxénétisme et la prostitution sont légalisés, conditions nécessaires pour que la prostituée puisse proclamer qu’elle recherche un autre souteneur ou annoncer tout simplement qu’elle est à la recherche de clients sans être inquiétée par les forces de l’ordre, dont elle se protège en période de prohibition par le biais d’un souteneur.

Par ailleurs, comment expliquer dès lors que les stripteaseuses aient besoin elles-aussi d’une protection rapprochée ? Toute stripteaseuse fournissant des prestations à domicile se voit accompagné d’un garde du corps. Pourtant elles ne vendent pas de services sexuels et leur activité est légale. Il suffit juste de remarquer que de tout temps, lorsqu’un plus faible fournit des services tarifés à un acteur plus fort, ce dernier a parfois tendance à utiliser sa force afin de ne pas s’acquitter de ce qu’il doit, rien de révolutionnaire à ça.

On peut donc légitimement se poser la question de la légalisation du proxénétisme. Sans tenir compte des préjugés séculaires, et une fois cela fait, verrions-nous quantité de personnes se comporter en souteneurs sécurisant et respectueux dans l’optique de gagner un confortable train de vie et de nombreuses employées ? Au-delà du cadre juridique, y-a-t-il des déterminismes biologiques qui constitueraient un frein à avoir une profession de proxénète propre ? Difficile de trancher.

Qui a dit que le féminisme ne pouvait être qu’hostile aux métiers du sexe ?

2 comments
  1. C’est bête, la moitié de l’article repose sur une grave erreur de lecture du document initial à propos du jugement : vous avez lu que c’est l’homme aveugle qui avait frappé et menacé d’un couteau la prostituée, alors que c’est l’inverse ! Relisez, il est écrit :
    “une prostituée, qui, (… longue incise) LUI avait porté des coups et l’aurait menacé (pas accord féminin, ndr) d’un couteau”
    S’il a été condamné “automatiquement”, dit le pigiste, en première instance, c’est on le devine à la suite de la plainte de l’homme, faisant constater les coups. mais exposant alors à la justice les circonstances préalables. La prostituée s’est en effet portée plaignante, c’est-à-dire qu’elle a eu l’audace d’accuser son employé de fait d’être son employeur. La cour d’appel a convenu qu’il ne s’agissait pas de proxénétisme traditionnel, mais elle aurait pu être bien plus dure si l’avocate de M. Maranger, qui a prêté serment peu avant, en décembre 1979 selon les registres, n’était pas si inexpérimentée. En effet, aucun des faits relatés par le journal ne laisse à penser qu’il y ait un lien de subordination inverse.

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