Surveiller et punir

Michel Foucault démontre que l’ampleur de l’illégalisme et les modalités de la répression étaient et sont toujours au cœur de la stratégie de survie du régime.

Tout déconstructiviste qu’il fut, le philosophe post-moderne Michel Foucault ne pouvait s’attaquer à l’institution judiciaire et carcérale sans l’étudier en profondeur. Son essai « Surveiller et Punir » est plus que jamais une excellente généalogie de la gestion de l’illégalisme depuis le Moyen-Âge jusqu’à la seconde moitié du XXième siècle.

Michel Foucault démontre que l’attitude du pouvoir politique vis à vis de l’illégalisme s’explique avant tout par sa stratégie de survie. L’idéologie et la spiritualité n’interviennent qu’en seconde intention, pour légitimer et institutionnaliser les pratiques du système de pouvoir. Alors que l’insécurité, l’immigration clandestine et les fraudes sont plus que jamais au cœur de notre quotidien, cet essai est indispensable pour comprendre la logique implacable derrière le prétendu “laxisme” des états occidentaux.

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Au temps des châtiments

Michel Foucault découpe sa généalogie de l’illégalisme en trois phases. La première est l’époque féodale, caractérisée par l’usage de sévices corporels aussi bien dans la phase d’interrogation des suspects que dans le châtiment des coupables. Si les références morales et spirituelles de l’époque sont généralement évoquées pour justifier ces pratiques, Michel Foucault ne pouvait limiter sa réflexion à ces explications superficielles. En rappelant les réalités militaires, sociales et économiques de l’époque, il propose un éclairage bien plus pertinent.

Tortures féodales

La société européenne féodale se structurait par un niveau très élevé de violence et d’arbitraire. Il n’existait aucune police ou gendarmerie nationale, l’état central, le roi, était faible. Les seigneurs locaux et les municipalités concentraient à la fois le pouvoir militaire, politique et judiciaire. Cette concentration et cette autonomie du pouvoir favorisaient tous les abus et manquements imaginables.

Dans les campagnes, des bandes de mercenaires, écorcheurs et autres routiers, pillaient, tuaient et violaient en toute impunité. Du XIIème au XVème siècle, ces soudards vécurent sur le dos de la paysannerie, tolérés autant par la noblesse que le roi qui en avaient besoin pour les guerres mais ne pouvaient les rémunérer entre deux campagnes.

Enluminure représentant la prise et la mise à sac d’une ville par des hommes de guerre. Chroniques de Jean Froissart (manuscrits Gruuthuse), Paris, BnF, ms. Français 2644, fo 135 ro, 3e quart du XVe siècle.

Les hommes en armes n’étaient pas les seul à bénéficier de tolérance, toutes les classes de l’ancien régime profitaient d’illégalismes. Vaine pâture et glanage pour les plus pauvres, charte fiscale pour les marchands et exemptions fiscales pour les nobles, à chaque classe ses passes droits, pour sa fortune ou sa survie.

La répression judiciaire était rare, hétérogène et arbitraire. Le fou et même l’animal étaient jugés comme l’humain sain d’esprit. Pour Michel Foucault l’enjeu était moins le contrôle de l’illégalisme que l’affirmation du pouvoir. Le roi étalait ostensiblement son maigre pouvoir lors des rituels publiques d’exécutions atroces, tout en concédant de bon gré des tolérances à toutes les classes. Bien que bancal, injuste et inefficace de notre point de vue moderne, ce système était probablement ce que la société féodale pouvait faire de mieux.

La réforme contractualiste et utilitariste

La seconde phase identifiée par Michel Foucault est la Réforme. À partir du XVI et surtout du XIIème siècle, plusieurs facteurs vont rendre possible et souhaitable (du point de vue de l’état et des vassaux) des changements radicaux dans la doctrine de gestion de l’illégalisme.

Sous la monarchie absolue les soldats ne terrorisent plus les campagnes, ils sont enfermés dans des casernes. Fini le temps des châteaux forts, la noblesse loge dans de luxueux palais. Si les plus courageux (ou ruinés) prennent des charges d’officier dans l’armée royale, la majorité des nobles profitent d’une vie très confortable et loin du danger.

Cette paix intérieure retrouvée favorise la croissance économique et une baisse sensible du niveau de violence. Les écorcheurs laissent place aux escrocs et autres bonimenteurs.

Ces conditions sont favorables à l’émergence du capitalisme. Pour assurer sa croissance ce dernier va faire pression sur l’état pour liquider juridictions et coutumes féodales dorénavant obsolètes.

Les prés communs se ferment, les marchands exigent des routes sûres et sans octrois, l’industrie naissante mise sur l’état pour assurer la protection de ses moyens de production. Si la société se ferme pour les pauvres et les débrouillards, en échange elle devient plus efficace et productive.

Le régime prend aussi conscience des risques inhérents aux rituels de mise à mort publique. La correction du criminel, à huit clos dans la prison, évite d’agglomérer des foules surexcitées et potentiellement hostiles au pouvoir, comme ce fut le cas lors de l’exécution du régicide Robert François Damien.

Bénéficiant de moyens supplémentaires et poussé autant par ses propres intérêts que ceux du capitalisme naissant, le régime va entamer une profonde réforme de sa doctrine de répression.

Affiche
Occident

L’occident est le fer de lance
du progrès

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La surveillance et la répression totale

La troisième phase est l’édification progressive d’un système de répression standardisé, systématique et utilitariste. Plus l’État est fort, plus il punie profondément. La criminalité devient une déviance marginale sous l’effet d’un rapport coût/bénéfice très dissuasif.

Les mots d’ordre de la justice réformée sont l’homogénéisation des lois et des procédures, la certitude de la punition, l’économie de moyen (comme dans l’industrie) et la valorisation économique du criminel (travail forcé). Le fou, celui qu’on ne peut ni réhabiliter ni valoriser, n’a plus sa place en prison.

Prison à l’architecture panoptique, inventé par les frères Bentham. Dans la tour centrale les surveillants peuvent contrôler les détenus, sans ce que ces deniers ne puissent deviner où regardent les surveillants. Pour Michel Foucault cette architecture est l’apogée de la société de surveillance et de punition.

Le criminel n’est plus le seul à subir la réhabilitation par le travail et l’éducation. Par mesures préventives les simples citoyens furent soumis dès l’école à des injonctions civiques qui plus tard prendront le pas sur l’instruction.

Punir n’est plus un rituel d’affirmation du pouvoir royal, mais un moyen de défendre le contrat social, de réhabiliter le criminel et de le remettre au service de la communauté.

Les mutations contemporaines de l’appareil répressif

Depuis la publication de Surveiller et Punir en 1975, l’appareil de répression occidental n’a cessé d’évoluer.

Comme Michel Foucault l’annonçait, la généralisation des punitions « humaines » augmente l’acceptabilité du contrôle de tout et n’importe quoi. Les États, poussés par le lobbyisme des multinationales et des grandes ONG, s’adonnent depuis les années 80 à une fascinante inflation juridique.

Protection de l’environnement, santé des consommateurs, standardisations et normalisations, le champs d’action de la loi s’élargit sans cesse. L’UE promulgue chaque année 1500 à 2000 directives que les États doivent traduire dans leurs réglementations nationales.

Si l’alourdissement de la juridiction semble explicable par la complexification de la société, notamment l’apparition des risques technologiques, d’autres déterminants viennent emballer le processus au delà du raisonnable.

Les ONG, justifiant leur existence par des problèmes qu’elles sont censées résoudre, découvrent sans cesse de nouveaux dangers nécessitant l’alourdissement de la législation. Telle une locomotive incapable de s’arrêter une fois arrivée en gare, leurs revendications modernes comme l’interdiction du glyphosate ou la création de quottas de femmes dans les métiers attractifs n’ont ni légitimité ni rationalité.

Si l’on décrypte l’étonnant règlement n°666/2013 de la Commission européenne qui interdit les aspirateurs de plus de 900Wh, on découvre l’incroyable influence des lobbyistes industriels. L’objectif est moins la réduction de la consommation d’électricité que de réserver le marché intérieur aux fabricants d’aspirateur sans sac, moins énergivore mais beaucoup plus coûteux à l’achat.

Les activités économiques ne sont pas les seules à subir l’impétuosité des législateurs, leur croisade atteint maintenant des territoires jusque là sanctuarisés. La répression des crimes et délits idéologiques, autrefois caractéristiques des régimes autoritaires, se banalise dans les démocraties occidentales.

Introduite pour lutter contre la diffusion des thèses négationnistes (avec le succès que l’on sait), la criminalisation de l’expression s’est progressivement élargie à l’ensemble des discours identitaires européens. La simple critique de l’immigration, revendication pourtant légitime, fait déjà l’objet de censure et d’acharnement judiciaire, prémisses à sa probable interdiction.

Ces outils de censure et d’entrave à la diffusion des idées déviantes seront, à n’en pas douter, progressivement étendus à l’ensemble des discours dérangeant le régime. L‘ultra gauche en a fait l’expérience lors du G7, subissant une censure par shadow banning algorithmique tout aussi efficace (et légale) qu’une suppression de contenu.

Pour les régimes démocratiques, l’automatisation du contrôle idéologique dans les médias numériques est une opportunité de raffermir leur pouvoir à moindre frais. Les GAFA, bien que renâclant face aux risques juridiques, sont globalement coopératifs. Cette docilité n’est en rien étonnante, les principales plate-formes de contenus numériques sont déjà largement engagées dans l’élimination des contenus non politiquement corrects, même légaux.

Quand la censure et la propagande ne suffiront plus, la science viendra au secours de la justice pour soigner les déviants idéologiques. Un chercheur allemand a déjà suggéré de droguer les opposants à l’immigration pour corriger leur opinion déviante.

Si l’expression numérique est soumise à une répression quasi systématique, dans la rue les délinquants bénéficient d’une incroyable passivité de l’appareil répressif. Profitant d’un rapport coût/bénéfice de nouveau favorable, la délinquance explose comme au temps des écorcheurs. Les peines de prison sont rarement fermes, et généralement dépourvues de mandat de dépôt.

Et qu’importe si le délinquant finit par être incarcéré, la prison n’est ni pénible ni contraignante. Pas d’obligation de travail, possibilité d’améliorer l’ordinaire via des mandats cash, salle de sport, activité extérieure, jeux vidéo et bientôt ligne téléphonique dans les cellules pour continuer à gérer ses trafics comme au quartier. L’État se retire de certains territoires (no go zone), n’expulse pratiquement jamais les clandestins déboutés du droit d’asile et tolère le commerce de substances antisociales (cannabis).

La prison, c’est comme à la maison ou presque

Conclusion : un abominable retour en arrière

Ces mutations, à première vue incohérentes, ont du sens si l’on les passe à travers la grille d’analyse de Michel Foucault.

Comme à l’époque des écorcheurs le régime n’a ni les moyens ni intérêts à reprendre le contrôle des territoires sous le joug des délinquants et de trafiquants de drogues. Pour acheter la paix sociale et surtout des votes unanimes aux élections, il concède des illégalismes aux communautés problématiques comme au temps de la société féodale.

Du fait de la nature démocratique du système politique, le régime prend beaucoup plus au sérieux le risque de bouleversement dans les urnes. La censure directe et algorithmique sont dès lors des enjeux bien plus critiques pour la survie du régime que la destruction des réseaux de trafics de drogue, la pacification des établissements scolaires et la neutralisation définitive des délinquants ultra-violents.

L’archaïsme du régime est particulièrement flagrant si l’on met en parallèle l’intolérance religieuse des monarchies absolues et l’intolérance idéologique des démocraties occidentales. Dans les deux cas le régime, incapable d’acquérir une légitimité par ses actes concrets pour le bien de la nation, impose la soumission à une religion/idéologie d’où il puise sa légitimité.

La société, pulvérisée par l’immigration extra-européenne et de la disparition de la notion de contrat social (le vivre ensemble étant une injonction absolument vide de substance concrète), a perdu son décorum au profit de l’égoïsme et de la violence. L’État, recentré sur sa propre survie, adapte simplement son appareil répressif à ces nouvelles réalités pratiques.

2 comments
  1. Article très bien écrit, avec tout de même une remarque sur le papier “Oxytocin and social norms reduce xenophobia” qui me semble être un tissu d’aneries. En effet Il a été prouvé que si l’Oxytocine renforce bien les comportements pro-sociaux à l’interieur d’un groupe (le nous) , celle-ci a en revenche un effet beaucoup plus délétère sur l’acception des individus à l’extérieur du groupe (le eux) , et je vous renverrais pour cela aux travaux du Dr. Sapolski de Stanford.

    1. Certes mais dans ce cas c’est l’intention qui compte. Du reste qui s’étonnera à la vue d’un chercheur structuré par la pensée postmoderne produisant des travaux complétement bidon?

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