À la découverte de paysages sonores planants – Entretien avec Philby

Philby est un guitariste, musicien et compositeur français. Puiser dans les classiques du rock pour produire des compositions instrumentales crépusculaires, chaudes et atmosphériques, voilà une mission qui ne peut faire que des heureux parmi les mélomanes de notre lectorat. Nous vous proposons notre échange avec lui à l’occasion de cette découverte.

Vous pouvez retrouver Philby sur sa chaîne YouTube et son compte Spotify. Pour plus d’options, consultez son Linktree.

Red Skull : S’il fallait définir votre genre musical en quelques mots ?

Philby : La classification stylistique est toujours un exercice un peu délicat (dans la mesure ou je ne cherche pas à correspondre aux canons d’un genre ou d’un autre), mais l’étiquette la plus pertinente me semble être « rock progressif ». Plus précisément, mon style est construit autour de la guitare et accorde une grande place aux contrastes sonores : des passages planants et aériens viennent préparer le terrain pour des riffs plus agressifs et des atmosphères plus lourdes. Beaucoup de mes morceaux commencent par des motifs en arpèges avec un son totalement clair, puis évoluent progressivement pour apporter de la tension. Le paradoxe est que malgré mon gout prononcé pour la plupart des grands noms du blues rock, la dimension « blues » est quasi totalement absente de ma musique, qui comporte de fait une dimension plus progressive et plus « mineure ».

Qu’est-ce que la musique représente pour vous? Est-ce une vocation précoce ou au contre plus tardive?

J’ai d’abord pris des cours de guitare classique quand j’avais 12 ans, mais je pratiquais très peu et n’étais pas particulièrement motivé. Tout a changé quand j’ai découvert la guitare électrique vers 2005/2006 : j’ai commencé à apprendre des brouettes entières de riffs et de solos de Slash, d’Angus Young et de Jimmy Page, ce qui m’a vite fait progresser.  La connaissance très approximative et empirique du manche induite par cet apprentissage m’a permis de commencer à improviser rapidement. Avec le recul, je trouve que ce processus foisonnant était trop anarchique et j’aurais clairement appris de manière plus efficace et solide avec un prof.

Sur ce que la musique représente, je dirais que c’est à la fois une fin et un moyen, un objectif et un chemin. Il y a une dimension « défouloir » et échappatoire, mais aussi la volonté de structurer ses idées pour produire quelque chose dont on puisse être fier, et surtout laisser une trace de son existence. La dimension apprentissage (même si je ne suis pas assez intensif là-dessus) permet aussi de renouveler l’intérêt pour l’instrument : quand on commence à en avoir marre de la guitare rock, on peut par exemple écoute un peu de guitare classique ou flamenco et essaie de décoder ce qui se joue. Il faut considérer la pratique d’un instrument comme une quête à vie qui ne sera jamais achevée : il y a toujours de nouvelles choses à apprendre et des choses apprises ou « acquise » à peaufiner. Le manche d’une guitare ou le clavier d’un piano ont une dimension fascinante et presque magique : une aussi petite surface permet de créer une quasi-infinité de sons et de dégager une palette sans fin d’émotions. 

Quels sont vos groupes ou compositeurs favoris? Lesquels vous ont le plus influencé dans vos créations?

Mon groupe préféré demeure Led Zeppelin. Je me rappelle encore très bien le moment exact où j’ai entendu le solo de Stairway to Heaven, qui relève pour tant de gens (musiciens ou pas) d’un moment de grâce quasi magique. 

J’ai aussi une affection particulière pour la musique de Rory Gallagher. Cet irlandais plutôt discret se transformait un bête de scène survoltée lors de ses concerts, qui ont marqué tous ceux qui ont eu la chance d’y assister par leur intensité et leur sincérité. Il n’a jamais cédé aux sirènes du tube facile et sucré, et a tracé sa route avec une intégrité artistique qui force le respect. Son premier album éponyme est un modèle de finesse et d’élégance, le titre « I Fall Appart » étant d’une beauté lancinante. Moine soldat du blues/Rock, il n’a jamais singé le mode de vie « rockstar » qui ne correspondait pas à sa nature. Mon nom d’artiste est d’ailleurs choisi en hommage direct à Rory Gallagher, qui a écrit un titre intitulé « Philby » après avoir lu un livre sur cet espion britannique (pour lequel je précise n’avoir aucune sympathie). 

Les premiers albums Scorpions (années 1970) ont aussi été une découverte marquante. J’ai été impressionné par le ratio mélodicité / virtuosité d’Uli Jon Roth (leur guitariste à l’époque), ses prouesses guitaristiques ayant la particularité de ne jamais tourner à la vaine démonstration et de toujours être au service de la chanson.

Parmi les guitaristes qui m’ont le plus marqué et influencé, il y a Gilmour et Knopfler pour le pendant « soft » et deux spécimens morts bien trop jeunes pour le pendant « hard » : Randy Rhoads et Dimebag Darrell. Musicien sérieux et appliqué, Randy Rhoads a su apporter un certain raffinement harmonique et mélodique au heavy metal d’Ozzy Osbourne. Le Texan haut en couleurs Dimebag Darrell était quant à lui un pur prodige inné dont la mélodicité reste selon moi assez inégalée dans le metal : tous ses solos (pourtant très techniques) peuvent se chanter et restent en tête.

Outre le Blues rock (Cream, Johnny Winter, John Mayall) et le hard rock des années 70 (Ronnie Montrose, Leslie West, Blue Oyster Cult), j’aime beaucoup le “Grunge” des années 1990 (Alice in Chains, Soundgarden) et sa descendance stoner (QOTSA, Kyuss), dont l’influence se ressentira beaucoup plus nettement dans un album à venir. 

Concernant l’influence de tout ce beau monde, il est difficile de relier tel groupe à tel ou tel de mes morceaux, j’imagine que tout ça se mélange et décante et ressort de manière diffuse dans ce que je joue. 

Hormis le rock y a-t-il d’autres genres musicaux que vous appréciez ? Ont-ils également déteint sur votre style ?

Je ne dirais pas que j’écoute de tout (je suis allergique au reggaeton par exemple), mais j’ai de fait des gouts assez variés, de ABBA à Pantera, pour préférer la rime à la litanie. Si mon centre de gravité musical demeure clairement le rock au sens large, je n’ai aucun « cahier des charges » figé par lequel j’analyserait toute musique nouvelle pour déterminer si j’apprécie ou pas. 

J’aime énormément la musique classique, et en particulier le baroque et la charnière classique / romantique qu’incarne Beethoven. Ce dernier reste mon compositeur préféré en raison de la profondeur que dégagent ses œuvres tardives, notamment les dernières sonates pour piano et les derniers quatuors à cordes, autant de productions héroïques qu’il a composé en étant totalement sourd. Je considère le troisième mouvement de sa 29eme sonate « Hammerklavier » comme le firmament de la musique en général. J’ai aussi un gout particulier pour l’élégance et l’espièglerie des sonates de Scarlatti et, dans un tout autre registre, pour les fugues de Bach. 

J’ai réalisé vers 2011/2012 que j’avais des grosses lacunes en jazz, et j’ai donc commencé à en écouter. J’ai une immense admiration pour la virtuosité instrumentale ébouriffante du jazz manouche (Django l’extraterrestre), pour la musicalité insolente d’un George Benson ainsi que pour la liberté musicale dont on fait preuve les grands noms du genre. Globalement, j’ai tendance à préférer le jazz mélodique et « facile d’accès » au bebop tendant parfois vers l’atonalité. Parmi mes artistes préférés en jazz : Michel Petrucciani, Dave Brubeck, Duke Ellington, Jelly Roll Morton, Mezz Mezzrow, Chet Baker, John Coltrane. Niveau rap, je suis plutôt années 90/2000 et j’aime beaucoup Eminem et ses comparses de D12. 

Pour trancher avec ce côté très anglo-saxon du rock, je peux aussi évoquer Eyde Gorme, Goran Bregovic ou Cesaria Evora. Je confesse enfin une ignorance assez crasse sur la partie musique électronique, à laquelle je ne suis pas du tout fermé par principe mais que je connais tout simplement très mal. Quant à la question de l’influence de ce que j’écoute sur mon style, j’imagine que tout ce corpus se mélange et fermente, contribuant de manière plus ou moins consciente à façonner les idées musicales qui peuvent venir. 

Quelle émotion souhaitez-vous transmettre par la musique? Où puisez-vous votre inspiration?

Je cherche à susciter chez l’auditeur une sensation contemplative et une impression de voyage, à créer des textures sonores. Dans les parties plus rock des morceaux, je cherche à dégager une sensation de puissance, d’urgence ou de tension. Dans les passages plus calmes qui souvent qualifiés de « planant » dans les retours que j’ai, je cherche plutôt à propager une sensation de flottement et d’apaisement. Je pense que l’état d’esprit dans lequel on est quand on enregistre se ressent sur le son et donc aura un impact sur l’auditeur.

Si elle peut venir après avoir vu un film, lu un livre ou vécu quelque chose d’une manière plus générale, l’inspiration vient le plus souvent en improvisant à la guitare, c’est-à-dire un peu par hasard et par errances. Il y a également ce que j’appelle l’effet pinball : le fait d’écouter de la musique entraine quasi mécaniquement l’apparition d’idées nouvelles qui dérivent du flux entrant. Cet effet intervient surtout après l’écoute, quand ce qu’on vient d’emmagasiner décante dans le cerveau. 

Il peut également arriver qu’une idée vienne alors qu’on est dans la rue, dans les transports etc…Dans ces cas-là, je sors mon téléphone et enregistre vite fait avec une appli de memos vocaux. 

Travaillez-vous en solo ou bénéficiez-vous de l’assistance de collaborateurs?

Je travaille en solo mais sollicite / saoule régulièrement des amis sur l’aspect composition (« ce solo est-il a sa place ici ? ») et production (Préférez-vous l’extrait A ou B en termes d’égalisation ?). Je sollicitais aussi beaucoup les oreilles d’un ingénieur du son et producteur qui m’a découvert sur internet et a apprécié mon travail. Pour ce dernier album, j’ai soumis les titres avec batterie a un ancien ingénieur du son du studio Abbey Road, pour qu’il en fasse un audit et me suggère quelques ajustements. Son expertise a été très utile !

A part la Guitare maîtrisez-vous d’autres instruments de musique? Avez-vous l’intention d’en apprendre d’autres?

Je ne joue que de la guitare et de la basse. Je peux aussi jouer des choses très basiques au piano mais très loin de moi l’idée de dire que je joue du piano. J’aime beaucoup cet instrument et je compte m’y mettre un peu plus sérieusement un jour en prenant des cours. La batterie m’attire aussi mais impossible logistiquement d’en avoir une, en tout cas pour le moment (contraintes de la vie en appartement). 

Avez-vous l’impression que votre style musical évolue au rythme de vos compositions? Qu’est-ce qui a le plus changé entre vos premières créations jusqu’aux plus récentes?

Le principal défaut de mon premier album « Kairos » (2019) était un côté « patchwork » : en gros certaines chansons ont l’air d’en contenir plusieurs, du fait de la progression du morceau en passant par différentes palettes de couleurs. Il s’agit d’un défaut induit par le caractère instrumental de l’œuvre (il y a 8 titres chantés et 8 instrumentaux sur cet album) : pour surprendre l’auditeur et maintenir un intérêt malgré l’absence de paroles, il faut en effet qu’il « se passe des choses » niveau instrumental. Par rapport à mes premières compos, j’essaie désormais d’aller plus à l’essentiel et d’être plus discipliné et organisé. Sur un plan production, je trouve aussi que mes sons saturés n’étaient pas terribles sur le premier album, et j’essaie de faire un peu plus de tests pour trouver les sons avant d’enregistrer. J’ai aussi longtemps fait « l’erreur » de ne pas faire de double tracking (enregistrer deux fois la même piste pour apporter plus de densité au son), ce qui est une technique très efficace pour épaissir les riffs.

Parlez-nous de votre nouvel album !

Ce nouvel album approfondit le côté « calme » et « planant » des albums précédents avec des compositions plus épurées et moins orchestrées, comme Midnight Lamp, Bastogne, Unfold et Desert Bound. L’album a une atmosphère assez cohérente de bout en bout, avec des sonorités plutôt solennelles et parfois un aspect « classisant » : beaucoup d’inversions dans les conduites de voix (sur Aljoun par exemple) et arpèges sonnant un peu baroques (notamment sur « Resolution »). La production épouse naturellement ce fil directeur stylistique, et l’album fait la part belle au sons clairs, souvent drapés dans de la reverb ou du delay, et les passages saturés sont assez rares (uniquement dans les secondes moitiés d’Aljoun et Memento). Le défi était d’avoir moins recours aux overdubs (pistes qui se surimpriment à la piste principale) et d’aller davantage à l’essentiel.  Il y a de la batterie sur seulement 3 titres (Dream Reset Switch, Aljoun et Memento), les autres pouvant être joués par une guitare seule.

Quels sont vos projets futur ?

Outre quelques singles dans les tuyaux, je prévois un prochain album qui ira chasser sur les terres du metal (dans un esprit sabbathesque lent et vénéneux plutôt que des tempos ultra rapides à la Slayer). L’idée est de garder l’ADN de mon style tout en le faisant évoluer vers des sonorités plus sombres et agressives, avec un songwriting plus classique et ramassé (chansons avec voix et structures plus radiophoniques). J’ai déjà plusieurs maquettes qui dorment sur mon disque dur et attendent sagement leur heure, mais il me faut encore trouver une chanteuse qui fasse l’affaire.  J’ai également un autre projet d’album (qui sera donc le 6eme) partageant cette nouvelle approche de chansons aux formats plus standards et « efficaces », mais cette fois dans un style plutôt blues / rock avec quelques aspects stoner (dans un esprit Queens of the Stone Age). Idem, j’ai déjà plusieurs maquettes pour ce projet-là, dont le titre phare que j’ai enregistré dans la cave de mes parents au début du confinement (mars 2020). Là encore, l’enjeu majeur sera de trouver un chanteur…

Y-a-t-il des choses que vous aimeriez améliorer ?

J’ai un certain nombre de défauts que j’essaie d’améliorer. Sur le plan de la composition, je suis toujours en rémission sur coté « patchwork », et j’ai encore beaucoup de marge pour gagner en efficacité (bien que ma démarche ne soit en en effet pas une recherche à tout prix de l’efficacité accrocheuse en dépit du reste). Sur le plan instrumental, mon timing n’est pas très bon et mon vibrato a tendance à être trop nerveux et pas assez ample. En tant que guitariste, je ne suis pas très propre dans les longues phrases d’alternate picking strict (c’est-à-dire quand on joue toutes les notes à la main droite avec le médiator). 

Votre musique est très marquée d’une époque spécifique du rock, disons les seventies, y a t il quelque chose que vous trouvez indépassable à la musique de cette époque ? Si oui, les scènes du rock et métal progressif continuent-elles de vous intéresser, par leur dépassement perpétuel des limites et la recherches de nouvelles sonorités, voire de degrés de complexité de la musique toujours plus importants ?

Au risque de tomber dans le cliché de la nostalgie et du « c’était mieux avant », considérer la période 1966/1976 comme un âge d’or de la musique est opinion quasi universellement partagée (et le caractère « mainstream » du propose ne diminue en rien sa pertinence). Il y a eu une effervescence créative à la charnière de ces deux décennies, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Sur un plan strictement musical, disons que les germes du rock ont fait éclore de superbes fleurs dans la serre générationnelle des babyboomeur (Jimmy Page est par exemple né en 1944). Cet aspect générationnel correspond d’ailleurs à une bascule transatlantique : les rockeurs US (Little Richard, Chuck Berry) ont passé le flambeau à des gamins londoniens qui allaient donner un nouveau souffle à cette musique qui risquait de tourner en rond. 

Je précise que je ne me réfugie pas dans la posture de snobisme surjoué qui consiste à dénigrer à priori toutes les productions contemporaines, et je découvre assez régulièrement de la nouvelle musique, notamment via Spotify. 

Quant à la complexité, ça n’est pas ce que je recherche dans la musique (en tant qu’auditeur comme compositeur). Bien sûr, je vais apprécier des œuvres qui sont de fait « complexes » (principalement en jazz et en classique) mais ça n’est pas cette caractéristique qui est le facteur déterminant de l’adhésion suscitée. Je dirais au contraire que je préfère souvent des œuvres viscérales et peu sophistiquées à des œuvres complexe et tortueuses : je suis par exemple assez hermétique au rock progressif de Yes alors que j’ai un amour sans bornes pour Creedance Clerwater Revival. Pour ce qui relève du Heavy Metal également, je me retrouve beaucoup plus dans l’aspect « bayou » et marécageux de Down que dans des grandes épopées galopantes et propres sur elles type « Metal symphonique ». Cette observation s’applique aussi à l’aspect strictement instrumental : si la recherche démonstrative de technicité gratuite est une quête assez vaine et puérile, cela ne veut évidemment pas dire que les grands techniciens sont tous des joueurs sans âmes. On peut jouer vite et bien, comme on peut jouer lentement et mal, et inversement. Dans mes compositions, la « complexité » est plutôt du côté des phrasés et des figurations (beaucoup d’inversions notamment) que de l’harmonie, qui reste globalement simple. 

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