Lettre ouverte aux fans de Ted Kaczynski et technophobes de droite

On gâte le plus sûrement un jeune homme en l’instruisant à estimer plus haut quelqu’un qui pense comme lui que quelqu’un qui pense autrement.

Nietzsche, Aurore

Inscrit à Harvard à 16 ans, doctorat de Maths en poche à 25, il devient professeur à l’université de Berkeley et… mène pendant 17 ans une terreur à l’aide de bombes artisanales contre des professeurs, des technophiles et des hommes d’affaires.

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« Tu étais l’élu, c’était toi ! Tu devais rétablir l’équilibre dans la force, pas la condamner à la nuit ! ». Je ne sais pas si c’est politiquement correct de le dire – peut-on séparer l’artiste et l’homme blablabla ? – mais le manifeste de Kaczynski est de très bonne facture. Je me suis surpris à retenir autant de points positifs que négatifs dans les idées qu’il expose. Il est de toute évidence brillant et son parcours n’est pas sans rappeler celui d’un Anakin Skywalker qui deviendra Dark Vador. Ce qui ne me laisse pas indifférent, car je n’ai jamais aimé l’idée de clair et obscur liés au bien et au mal dans Star Wars. Je crois qu’à la manière d’un système cybernétique il y a des forces accélérant le changement et d’autres le stabilisant. Il y a donc besoin des deux, et les Siths me semblent plus complets. J’en ferais peut-être un article pour attirer le normie, mais revenons-en à Teddy, sa pensée et ses fans. Car c’est à ces derniers que s’adresse cet article. S’il y a du très bon dans l’ouvrage du Unabomber, j’aimerais vous faire comprendre les limites de sa pensée et vous faire sortir du côté obscur.

Je vais commencer par les points positifs avant de mettre en avant pourquoi sa pensée a de grosses lacunes qui l’ont conduit à agir de façon profondément immorale.

Le technocapital comme structure dissipative

« Le système industriel et technologique peut survivre ou s’effondrer. S’il survit, il peut éventuellement nous faire subir un faible niveau de souffrance physique et psychologique, mais seulement après avoir traversé une longue et très douloureuse période d’ajustement et seulement au prix de la réduction permanente des êtres humains et de nombreux autres organismes vivants à des produits manufacturés et à de simples rouages de la machine sociale »

« Si le système s’effondre, les conséquences seront toujours très douloureuses. Mais plus le système grandit, plus les résultats de son effondrement seront désastreux, donc s’il doit s’effondrer, il vaut mieux qu’il le fasse le plus tôt possible ».

« De nombreuses personnes qui s’adonnent à des activités de substitution diront qu’elles sont bien plus épanouies par ces activités que par l’activité « banale » consistant à satisfaire leurs besoins biologiques, mais que c’est parce que, dans notre société, l’effort nécessaire pour satisfaire les besoins biologiques a été réduit à la banalité. Plus important encore, dans notre société, les gens ne satisfont pas leurs besoins biologiques de manière autonome, mais en fonctionnant comme des éléments d’une immense machine sociale ».

« Il est concevable que nos problèmes environnementaux (par exemple) puissent un jour être réglés par un plan rationnel et global, mais si cela se produit, ce sera uniquement parce qu’il est dans l’intérêt à long terme du système de résoudre ces problèmes. Mais il n’est pas dans l’intérêt du système de préserver la liberté ou l’autonomie des petits groupes ».

« Ainsi, si des considérations pratiques peuvent éventuellement forcer le système à adopter une approche rationnelle et prudente des problèmes environnementaux, des considérations tout aussi pratiques forceront le système à réglementer toujours plus étroitement le comportement humain (de préférence par des moyens indirects qui masqueront l’empiètement sur la liberté) ».

« Le système peut devenir une organisation unitaire et monolithique, ou bien il peut être plus ou moins fragmenté et se composer d’un certain nombre d’organisations coexistant dans une relation qui comprend des éléments de coopération et de concurrence, tout comme aujourd’hui le gouvernement, les entreprises et les autres grandes organisations coopèrent et se font concurrence ».

« Plus important encore, si les révolutionnaires se permettent d’avoir un autre objectif que la destruction de la technologie, ils seront tentés d’utiliser la technologie comme un outil pour atteindre cet autre objectif. S’ils cèdent à cette tentation, ils retomberont directement dans le piège technologique, car la technologie moderne est un système unifié, étroitement organisé, de sorte que, pour conserver une partie de la technologie, on se trouve obligé de conserver la plus grande partie de la technologie, d’où l’on finit par ne sacrifier que des quantités symboliques de technologie ».

La première des choses à mettre au crédit de Ted Kaczynski est sa bonne compréhension du fait que ce qu’il appelle le système techno-industriel, que j’appelle pour ma part le technocapital, est une structure qu’on pourrait presque définir comme douée d’une volonté propre. C’est une énorme machine sociale que nous créons ensemble et à laquelle nous cédons de plus en plus de liberté en échange de plus en plus de confort. Je reviendrai plus tard sur sa définition de liberté, mais sur ce seul point, à savoir qu’il existe un système régi par des règles autonomes auquel nous appartenons, il a entièrement raison.

Comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises à présent, le technocapital est une structure dissipative autocatalytique, capable d’homéostasie et d’apprentissage, au même titre que la vie, ou plutôt la vye selon la définition de Stuart Bartlett. Nous ne sommes que des composants de cette structure qui agit sur nous autant qu’on va agir sur elle. Les êtres humains étant eux-mêmes, individuellement, des structures dissipatives, ils vont aussi chercher à s’auto-conserver et à croître, mais ils vont devoir le faire de plus en plus en étant imbriqués dans cette plus grande structure dissipative qu’est le capital. C’est pourquoi ils vont devoir trouver comment aligner leurs besoins avec les besoins du technocapital. Sans cela, ils s’exposeront à un conflit entre les deux systèmes cybernétiques qui régissent ces deux structures.

Conflits cybernétiques

« Au-delà de ça, une société technologique doit affaiblir les liens familiaux et les communautés locales si elle veut fonctionner efficacement. Dans la société moderne, la loyauté d’un individu doit être d’abord envers le système et seulement en second lieu envers une petite communauté, car si les loyautés internes des petites communautés étaient plus fortes que la loyauté envers le système, ces communautés poursuivraient leur propre avantage au détriment du système.
Supposons qu’un fonctionnaire ou un dirigeant d’entreprise nomme son cousin, son ami ou son coreligionnaire à un poste plutôt que de nommer la personne la plus qualifiée pour ce travail. Il a permis à sa loyauté personnelle de supplanter sa loyauté envers le système, et c’est du « népotisme
» ou de la « discrimination », qui sont tous deux de terribles péchés dans la société moderne. »

Là aussi, Ted K. pointe du doigt quelque chose de tout à fait juste et qui est lié au fonctionnement des structures dissipatives étant régies par des règles cybernétiques comme énoncé ci-dessus. La famille, la nation, les petites communautés… Toute société humaine est aussi une structure dissipative. Elles aussi entreront potentiellement en conflit avec la structure dissipative qu’est le technocapital. Et comme le technocapital est la structure dissipative la plus efficace jamais créée, elle sera favorisée par la nature au détriment des autres.

Le technocapital comme pression adaptative et effet de la reine rouge

« Quoi qu’il en soit d’autre, il est certain que la technologie crée pour les êtres humains un nouvel environnement physique et social radicalement différent du spectre des environnements auxquels la sélection naturelle a adapté la race humaine physiquement et psychologiquement. Si l’homme ne s’adapte pas à ce nouvel environnement par une réingénierie artificielle, il s’y adaptera par un long et douloureux processus de sélection naturelle. Le premier cas est beaucoup plus probable que le second

« Les conservateurs sont des imbéciles : Ils pleurnichent sur la décadence des valeurs traditionnelles, mais soutiennent avec enthousiasme le progrès technologique et la croissance économique. Apparemment, il ne leur vient jamais à l’esprit que l’on ne peut pas apporter des changements rapides et drastiques à la technologie et à l’économie d’une société sans provoquer également des changements rapides dans tous les autres aspects de la société, et que ces changements rapides entraînent inévitablement la décomposition des valeurs traditionnelles ».

Là aussi, même s’il ne le dit pas dans les termes appropriés, il a raison. En tant que structure dissipative, on va maximiser la dissipation d’énergie de notre environnement. Mais ce faisant, on va modifier notre environnement. Pire encore, on va dissiper l’énergie de plus en plus vite donc on va modifier notre environnement de plus en plus vite. C’est ce qu’on appelle l’hypothèse de la reine rouge, tiré du roman de Lewis Caroll Alice aux pays des merveilles, au cours duquel la reine doit courir toujours plus vite pour rester sur place. Nous allons alors devoir être adaptables afin de rester adaptés. Pendant longtemps, la seule méthode d’adaptation était les gènes, mais grâce à l’apparition du cerveau hypertrophié, la culture permet une adaptation plus rapide, donc d’être plus adaptable. Il a donc raison là aussi, c’est un contre-sens de vouloir à la fois soutenir le technocapital et conserver ses mœurs intactes. Ted K est un conservateur conséquent qui veut détruire la source de ce qui empêche la conservation. Mais ce n’est pas une bonne attitude.

Autonomie, sens, maîtrise

« La différence, selon nous, est que l’homme moderne a le sentiment (largement justifié) que le changement lui est imposé, alors que le pionnier du XIXe siècle avait le sentiment (également largement justifié) qu’il créait lui-même le changement, par son propre choix. Ainsi, un pionnier s’installait sur une parcelle de terre de son choix et en faisait une ferme par ses propres moyens. À cette époque, un comté entier pouvait ne compter que quelques centaines d’habitants et constituait une entité bien plus isolée et autonome qu’un comté moderne. Le fermier pionnier participait donc, en tant que membre d’un groupe relativement restreint, à la création d’une communauté nouvelle et ordonnée. On peut se demander si la création de cette communauté était une amélioration, mais en tout cas elle satisfaisait le besoin du pionnier en matière de processus de pouvoir ».

« Mais les menaces qui pèsent sur l’individu moderne ont tendance à être créées par l’homme. Elles ne sont pas les résultats du hasard mais lui sont imposées par d’autres personnes dont il est incapable, en tant qu’individu, d’influencer les décisions. Par conséquent, il se sent frustré, humilié et en colère ».

« En outre, nous devons tous mourir un jour ou l’autre, et il vaut peut-être mieux mourir en luttant pour sa survie, ou pour une cause, que de vivre une vie longue mais vide et sans but ».

Un thème central de sa pensée est le besoin de puissance. Par puissance, on peut comprendre le besoin d’autonomie, de sens et de maîtrise. Il définira trois types de tâches, les tâches faciles, difficiles et impossibles ; et regrettera que le technocapital rende les choses de plus en plus faciles de sorte qu’il ne reste alors que des tâches trop faciles ou impossibles. Malheureusement, toujours selon lui, seules les tâches difficiles mais pas impossibles peuvent nous rendre heureux. Les tâches trop faciles et impossibles ne permettent pas le sentiment de maîtrise. Le seul choix qui nous reste est de devenir une pièce du technocapital pour y réaliser des tâches faciles où on perd de facto notre autonomie et le sens de ce que nous faisons en plus du sentiment de maîtrise. C’est là aussi en partie vrai. Nous sommes pleinement épanouis quand on est dans cet état particulier que Mihaly Csikszentmihalyi nomme le flow qui réclame un maximum de compétences et de défi donc de maîtrise en accomplissant des tâches difficiles.

Mais le technocapital apprend même de ses critiques et il est marrant de constater que Daniel Pink a fait de ces thèmes le cœur de son cadre de pensée à destination des entreprises. Ted K ne sera pas convaincu par ce genre d’approches visant à donner une meilleure compréhension de la totalité du processus de création aux employées afin qu’ils voient le sens de leur tâche en tant que maillon. Effectivement, ces méthodes restent trop limitées, car elles souffrent d’un manque de transcendance.

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L’hypothèse du monde ARN

« Si les machines sont autorisées à prendre toutes leurs décisions, nous ne pouvons faire aucune conjecture quant aux résultats, car il est impossible de deviner comment ces machines pourraient se comporter. Nous soulignons seulement que le sort de la race humaine serait à la merci des machines. On pourrait arguer que l’espèce humaine ne serait jamais assez stupide pour confier tout le pouvoir aux machines. Mais nous ne suggérons ni que la race humaine céderait volontairement le pouvoir aux machines, ni que les machines le prendraient délibérément. Ce que nous suggérons, c’est que la race humaine pourrait facilement se permettre de dériver vers une position de dépendance telle vis-à-vis des machines qu’elle n’aurait d’autre choix que d’accepter toutes les décisions des machines. À mesure que la société et les problèmes auxquels elle est confrontée deviennent de plus en plus complexes et que les machines deviennent de plus en plus intelligentes, les gens laisseront les machines prendre davantage de décisions à leur place, simplement parce que les décisions prises par les machines donneront de meilleurs résultats que celles prises par l’homme. Il se peut que l’on arrive à un stade où les décisions nécessaires au fonctionnement du système seront si complexes que les êtres humains seront incapables de les prendre intelligemment. À ce stade, les machines auront un contrôle effectif. Les gens ne pourront pas simplement éteindre les machines, car ils en seront tellement dépendants que les éteindre équivaudrait à un suicide ».

Sûrement un des passages les plus brillants du livre. Ce qu’il met en avant ici peut-être rapproché du livre de Jean-François Gariépy sur le phénotype révolutionnaire qui met en avant que l’homme pourrait être en train de créer les conditions de son remplacement. De la même façon que l’ARN aurait créé l’ADN, selon l’hypothèse du monde ARN, parce que ce dernier offrait une capacité de mémorisation d’information plus importante, les humains sont en train de favoriser l’essor des ordinateurs pour la même raison. Il s’est alors formé un tango entre l’ARN et l’ADN jusqu’à ce que l’ADN parvienne à assurer la tâche de réplication rendant l’ARN obsolète. Il pourrait en être de même avec les machines si elles parviennent à se répliquer.

Psychologie des gauchistes

« Aux États-Unis, il y a quelques décennies, lorsque les gauchistes étaient minoritaires dans nos universités, les professeurs gauchistes étaient de vigoureux défenseurs de la liberté académique, mais aujourd’hui, dans les universités où les gauchistes sont devenus dominants, ils se sont montrés prêts à supprimer la liberté académique de tous les autres. (C’est le « politiquement correct ».) Il en sera de même avec les gauchistes et la technologie : Ils l’utiliseront pour opprimer tout le monde si jamais ils en prennent le contrôle ».

Ted K. accorde bon nombre de pages dans le début et la fin de l’ouvrage à la psychologie des gauchistes. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il avait bien anticipé l’essor de ce qu’on appellera faute de mieux le wokisme et la cancel culture.

Passons désormais aux points où je suis en total désaccord avec lui.

Représentation tronquée du monde moderne

« La révolution industrielle et ses conséquences ont été un désastre pour la race humaine. Elles ont considérablement augmenté l’espérance de vie de ceux d’entre nous qui vivent dans des pays « avancés », mais elles ont déstabilisé la société, ont rendu la vie peu gratifiante, ont soumis les êtres humains à des indignités, ont entraîné une souffrance psychologique généralisée (dans le tiers-monde, une souffrance physique également) et ont infligé de graves dommages au monde naturel ».

« Il y a de bonnes raisons de croire que l’homme primitif souffrait moins de stress et de frustration et était plus satisfait de son mode de vie que l’homme moderne ».

« « Oh ! » disent les technophiles, « la science va régler tout ça ! Nous allons vaincre la famine, éliminer la souffrance psychologique, rendre tout le monde sain et heureux ! » Oui, bien sûr. C’est ce qu’ils disaient il y a 200 ans. La révolution industrielle était censée éliminer la pauvreté, rendre tout le monde heureux, etc. Le résultat réel a été tout autre ».

« Mais beaucoup ou la plupart des sociétés primitives ont un faible taux de criminalité par rapport à celui de notre société ».

Le problème de la pensée de Kaczynski est qu’elle repose sur beaucoup de données tout simplement fausses. Il n’y aurait selon lui pas de « bonnes raisons de croire que l’homme primitif était plus satisfait » ou qu’il y avait un plus faible taux de criminalité. Bien au contraire, la violence est beaucoup plus élevée dans les sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs.

Part des morts violentes, sociétés non étatiques vs. sociétés étatiques
Extrait de The Better Angels of our Nature, de Steven Pinker.

Pour ce qui est du bilan de la révolution industrielle sur la famine et la pauvreté… évidemment que cela a marché. La part de personnes vivant dans l’extrême pauvreté n’a fait que décroître pour atteindre 8,7% en 2018 alors qu’elle était encore de 42,6% en 1981.

Part de pauvres dans la population mondiale (en %) et nombre de pauvres dans le monde

Quid de la famine ? Elle diminue également.

Wikiagri.fr

Pareil pour l’éducation. En 1800, il y avait 88% d’illettrés dans le monde, en 1900, 79%. En 2014, c’est seulement 15%. la modernité a amélioré la vie de tout le monde, partout.

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L’homme est déjà « manufacturé »

« Même si le progrès médical pouvait être maintenu sans le reste du système technologique, il entraînerait par lui-même certains maux. Supposons par exemple qu’un remède contre le diabète soit découvert. Les personnes ayant une tendance génétique au diabète pourront alors survivre et se reproduire aussi bien que n’importe qui d’autre. La sélection naturelle contre les gènes du diabète cessera et ces gènes se répandront dans la population. (Cela se produit peut-être déjà dans une certaine mesure, puisque le diabète, bien que non guérissable, peut être contrôlé par l’utilisation d’insuline). La même chose se produira avec de nombreuses autres maladies dont la susceptibilité est affectée par la dégradation génétique de la population. La seule solution sera une sorte de programme eugénique ou une ingénierie génétique extensive des êtres humains, de sorte que l’homme du futur ne sera plus une création de la nature, ou du hasard, ou de Dieu (selon vos opinions religieuses ou philosophiques), mais un produit manufacturé ».

« Pourtant, un grand nombre d’améliorations génétiques prises ensemble feront de l’être humain un produit manufacturé plutôt qu’une libre création du hasard (ou de Dieu, ou autre, selon vos croyances religieuses) ».

Il faut quand même pointer les conséquences de ce que Ted K. expose ici. Il veut un monde où on laisse les gens naître comme des « créations de la nature », avec leurs défauts, et ne pas chercher à corriger ces défauts, mais laisser la sélection naturelle s’en occuper. Et alors quoi ? Il y a à peine 100 ans, il y avait effectivement beaucoup plus de diversité, car les naissances n’étaient pas « manufacturées ». Des gens avec des maladies congénitales peu enviables finissaient dans des cirques.

Il prend ici le problème à l’envers. Il veut laisser les gens naître et les laisser à eux-mêmes alors qu’il faut faire rigoureusement l’inverse. Il faut se débarrasser des gènes causant le diabète, pas les gens. Une fois que les individus sont nés, s’ils sont diabétiques, alors il faut les soigner. En revanche, si leur diabète est génétique, il faut faire en sorte qu’ils ne le passent pas à leurs enfants. Il faut prendre soin des faibles tout en s’assurant de faire en sorte que les faibles soient de moins en moins faibles au fil des générations.

Il faut bien comprendre que le processus de l’évolution est déjà une façon de manufacturer l’homme pour favoriser la dissipation d’énergie en fonction de son environnement. Comme je l’ai expliqué, nous changeons constamment notre environnement et l’évolution fait en sorte de sélectionner les gens les plus adaptés. Notre nouvel environnement est le technocapital et l’évolution continue son même procédé. Sauf qu’à présent, elle nous a dotés d’un cerveau hypertrophié pour l’aider dans sa tâche. Que Ted K ne s’inquiète pas trop, on ne pourra jamais dépasser les lois qui sous-tendent l’évolution, la maximisation de la dissipation d’énergie. Quoi que nous fassions avec les gènes, il y aura toujours un processus de sélection maximisant cette valeur, donc nous manufacturant.

La limite, c’est les connaissances, pas les ressources

« Ici, le conflit de valeurs est simple : l’intérêt économique actuel contre la préservation de certaines de nos ressources naturelles pour nos petits-enfants. Mais sur ce sujet, nous n’obtenons que du blabla et de l’obscurcissement de la part des gens qui ont le pouvoir, et rien qui ressemble à une ligne d’action claire et cohérente, et nous continuons à accumuler les problèmes environnementaux avec lesquels nos petits-enfants devront vivre ».

Ted K. fait ici l’erreur que font les décroissants en affirmant qu’on ne puisse pas avoir de croissance infinie dans un monde fini. Il faudrait ainsi garder un peu de stock pour nos petits-enfants. Alors certes, la croissance ne peut pas être infinie dans un monde fini, mais est-ce que la croissance s’arrête à l’épuisement des stocks de pétrole et d’uranium ? Non, la limite à la croissance commence là où s’arrêtent nos connaissances. Jadis, les énergies fossiles n’avaient pas l’importance qu’elles ont aujourd’hui, c’est-à-dire avant que nous ne sachions les exploiter. Demain, il sera tout à fait envisageable qu’une autre ressource que nous avons sous la main, ou que nous allons découvrir, vienne prendre la place du pétrole et que nos petits-enfants vivent dans une abondance encore plus grande tout en préservant l’écologie.

La liberté et deux types de technologie

« Par « liberté », nous entendons la possibilité de passer par le processus de puissance, avec des objectifs réels et non les objectifs artificiels des activités de substitution, et sans interférence, manipulation ou supervision de qui que ce soit, en particulier d’une grande organisation. La liberté signifie avoir le contrôle (soit en tant qu’individu, soit en tant que membre d’un petit groupe) des questions de vie et de mort de son existence : nourriture, vêtements, abri et défense contre les menaces qui peuvent exister dans son environnement. La liberté signifie avoir du pouvoir ; non pas le pouvoir de contrôler les autres, mais le pouvoir de contrôler les circonstances de sa propre vie ».

« Il est donc clair que l’espèce humaine a au mieux une capacité très limitée à résoudre des problèmes sociaux, même relativement simples. Comment va-t-elle alors résoudre le problème beaucoup plus difficile et subtil de la conciliation de la liberté avec la technologie ? La technologie présente des avantages matériels évidents, alors que la liberté est une abstraction qui a une signification différente selon les personnes, et sa perte est facilement occultée par la propagande et les discours fantaisistes ».

« Ainsi, le contrôle du comportement humain sera introduit non pas par une décision calculée des autorités, mais par un processus d’évolution sociale (évolution rapide, toutefois). Il sera impossible de résister à ce processus, car chaque progrès, considéré par lui-même, apparaîtra comme bénéfique, ou du moins le mal impliqué dans la réalisation de ce progrès semblera être moindre que celui qui résulterait de son absence ».

« Nous distinguons deux types de technologie, que nous appellerons technologie à petite échelle et technologie dépendant de l’organisation. La technologie à petite échelle est une technologie qui peut être utilisée par des communautés à petite échelle sans aide extérieure ».

« Mais la technologie dépendante de l’organisation des Romains a régressé. Leurs aqueducs sont tombés en désuétude et n’ont jamais été reconstruits. Leurs techniques de construction de routes ont été perdues ».

« Mais supposons d’autre part que les contraintes des décennies à venir s’avèrent trop lourdes pour le système. Si le système s’effondre, il peut y avoir une période de chaos, une « période de troubles » comme celles que l’histoire a enregistrées à diverses époques dans le passé. Il est impossible de prédire ce qui émergerait d’une telle période de troubles, mais en tout cas, l’espèce humaine se verrait offrir une nouvelle chance. Le plus grand danger est que la société industrielle commence à se reconstituer dès les premières années qui suivent l’effondrement. Il y aura certainement beaucoup de gens (surtout des types avides de pouvoir) qui seront impatients de remettre les usines en marche.”

« Et une telle idéologie contribuera à assurer que, si et quand la société industrielle s’effondre, ses vestiges seront brisés au-delà de toute réparation, de sorte que le système ne puisse pas être reconstitué. Les usines devront être détruites, les livres techniques brûlés, etc. »

Ce qu’il entend par le mot liberté est donc l’autonomie, la souveraineté de soi-même et la maîtrise de son avenir. C’est ce qui l’amène à parler de deux types de technologies, celles à petite échelle qui vont augmenter la puissance de l’individu et celle dépendante de l’organisation qui vont progressivement retirer à l’individu sa liberté puisqu’elles vont servir en premier lieu le système et non l’individu. En cas d’effondrement, un individu seul ne saura pas refaire un réfrigérateur par exemple, c’est donc le genre d’outil qui appartient au système.

Je crois que cette distinction effectuée entre les deux types de technologie réside seulement dans le point de vue subjectif d’un humain. Il n’y a aucune différence d’essence entre ces deux techniques, mais elles vont servir les intérêts de structures dissipatives différentes. Comme indiqué plus tôt, la société humaine est une structure dissipative, il est donc évident que dès le stade de la cité, elle devient suffisamment complexe pour faire appel à un besoin de technique qui lui est propre. Et c’est ça que Kaczynski manque de voir. Il se plaindra d’ailleurs que la technique reprend toujours son chemin vers la complexité. Mais ce sera toujours le cas, car c’est une loi physique liée à la thermodynamique.

Évidemment que le progrès reprendra sa marche. Non pas parce que des hommes avides de pouvoirs voudront causer du tort, mais parce que c’est notre rôle dans l’univers. Alors s’y opposer est profondément immoral en plus du fait qu’il causerait beaucoup de souffrances en forçant un effondrement. Il le sait et prétend que ça irait mieux après ce passage difficile, mais c’est faux. Pourquoi diable le monde entier a rejoint la modernité ? La réponse est pourtant si simple : ils sont heureux de le faire. Le technocapital est une expression de l’univers, et il est la forme la plus aboutie de la dissipation d’énergie. Dissiper l’énergie nous rend heureux et c’est extrêmement moral. Alors la liberté est avant tout l’absence d’entrave à la dissipation d’énergie. En voulant détruire le système techno-industriel, Kaczynski entrave la capacité des autres à dissiper l’énergie, ce qui en fait un être profondément immoral.

Une vision tronquée de la nature

« L’idéal positif que nous proposons est la nature. C’est-à-dire la nature sauvage ; ces aspects du fonctionnement de la Terre et de ses êtres vivants qui sont indépendants de la gestion humaine et libres de toute interférence et de tout contrôle humain. Et avec la nature sauvage, nous incluons la nature humaine, c’est-à-dire les aspects du fonctionnement de l’individu humain qui ne sont pas soumis à la réglementation de la société organisée mais qui sont les produits du hasard, du libre arbitre ou de Dieu (selon vos opinions religieuses ou philosophiques).

La nature constitue un parfait contre-idéal à la technologie pour plusieurs raisons. La nature (ce qui est en dehors du pouvoir du système) est l’opposé de la technologie (qui cherche à étendre indéfiniment le pouvoir du système) »

« La nature se débrouille toute seule : c’est une création spontanée qui existait bien avant toute société humaine, et pendant d’innombrables siècles, de nombreux types de sociétés humaines ont coexisté avec la nature sans lui causer de dommages excessifs. Ce n’est qu’avec la révolution industrielle que l’effet de la société humaine sur la nature est devenu vraiment dévastateur ».

« L’homme moderne en tant qu’entité collective – c’est-à-dire le système industriel – a un immense pouvoir sur la nature, et nous (FC) considérons cela comme un mal ».

« Notre véritable ennemi est le système industriel-technologique, et dans la lutte contre ce système, les distinctions ethniques n’ont aucune importance ».

« À la fin du Moyen Âge, il y avait quatre grandes civilisations à peu près aussi « avancées » les unes que les autres : l’Europe, le monde islamique, l’Inde et l’Extrême-Orient (Chine, Japon, Corée). Trois de ces civilisations sont restées plus ou moins stables, et seule l’Europe est devenue dynamique ».

Que dire de plus que je n’ai pas encore dit ? Sa vision de la nature est complètement biaisée. Évidement que les sociétés humaines et le technocapital font partie de la nature. Elles sont l’émanation des principes physiques. Elles sont le fruit de la biosphère qui sélectionne les entités les plus intelligentes, celles les plus capables de construire l’information afin de dissiper l’énergie. Sa vision d’une nature humaine particulière qui serait dénaturée dans la cité est fausse. Cela l’amène à nier les différences ethniques et à ne pas voir le génie européen dans sa capacité à avoir pris conscience qu’il était capable d’actions concertées complexes.

Les naissances se stabilisent et la démographie mondiale commence même à décroître

« […]alors que, si le système industriel survit, il continuera à développer de nouvelles techniques de production alimentaire qui pourraient permettre à la population mondiale de continuer à augmenter presque indéfiniment. »

Là aussi, il se trompe. La croissance démographique se stabilise et je m’inquiète plus de savoir si nous mettrons au monde suffisamment d’individus intelligents pour continuer la marche du progrès.

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Conclusion

Il y a un dernier point sur lequel je suis d’accord avec lui. De toutes les civilisations, l’Europe est effectivement la seule qui devint dynamique. On ne sait pas exactement quelles sont les raisons de ce qu’il convient d’appeler une singularité bioculturelle. Pour Pierre Manent, cela trouve sa source au moment où l’homme prend conscience de sa capacité d’agir. Quoi qu’il en soit, cela n’était pas une erreur. Cela constitue notre spécificité, notre nature prométhéenne. Pousser à la décroissance forcée des pays occidentaux c’est s’opposer à notre identité. Le progrès est notre tradition. Ted Kaczynski se révèle ici être ce qu’il est, un ennemi de l’intérieur de l’Occident. C’en est d’autant plus triste qu’il avait les capacités pour en être un de ses meilleurs atouts. Quel gâchis ! Ne tombez pas dans le même piège.

1 comment
  1. Bonjour, quelques commentaires au fil de l’eau, sans intention particulière si ce n’est de donner un avis différent sur certains points.
    Contexte : j’ai lu Kazynski. J’ai été “frappé” par son texte. À l’époque, j’ai adhéré à une objection près (j’y reviens). Maintenant, j’ai plus de recul. Dans l’ensemble, je suis d’accord avec le propos principal : Kazynski apporte des éléments de réflexions pertinents, notamment sur l’autonomie du système du technocapital que ne nous ne contrôlons pas.

    * “Demain, il sera tout à fait envisageable qu’une autre ressource que nous avons sous la main, ou que nous allons découvrir, vienne prendre la place du pétrole et que nos petits-enfants vivent dans une abondance encore plus grande tout en préservant l’écologie.”
    Ce point de vue me semble un peu “naïf” dans la mesure où il SEMBLE faire l’impasse sur la 2ème loi de la thermodynamique : chaque transformation, chaque dissipation, crée de l’entropie, du déchet donc. Plus une société est civilisée, plus elle crée du déchet en masse. On le voit actuellement, on parle d’un déchet presque tous les jours : le CO2, produit de la combustion. C’est inévitable. Plus d’abondance signifie plus de déchets, et, à moins de donner de bonnes raisons, ça semble contraire à des objectifs écologistes. J’ai quelques idées sur la question.

    * Ce qui a manqué dans le manifeste de Kazynski, quand il propose de retourner aux technologies de petite échelle, c’est qu’il ne tient pas du compte du fait que si le voisin ne suit pas le même processus, il dispose immédiatement de technologies pour nous botter le cul et nous mettre en esclavage (s’il est gentil). C’est un énorme point aveugle de sa réflexion qui la rend utopique dans la pratique. Si, au lieu de devenir terroriste, il avait accepté le dialogue (mais je conçois qu’à son époque il devait être assez isolé dans son milieu), il aurait pu réfléchir à ce point et peut être faire unen proposition plus pertinente.

    * ” Le technocapital est une expression de l’univers, et il est la forme la plus aboutie de la dissipation d’énergie. Dissiper l’énergie nous rend heureux et c’est extrêmement moral.”
    Attention aux simplifications. Je suppose que c’est une simplification de l’expression et non de la pensée, mais je souhaite re-complexifier un peu ce point. Je pense qu’il serait plus pertinent de dire “LES technocapitals” d’une part, car dans LE SYSTEME du technocapital tout n’est pas un succès, il y a de nombreux échecs et c’est le temps qui dit. Toute technologie n’est pas bonne “en soi”, elle est bonne si elle nous permet de dissiper plus avec moins de déchets. D’autre part, non, ça ne NOUS rend pas plus heureux, mais ça rend certains plus heureux, d’autres moins, beaucoup sont simplement programmés (de plus en puls par le système) pour l’être. C’est un sujet (le bonheur) qui me semble assez casse-gueule. Je pense qu’il vaut mieux parler d’abondance matérielle. Surtout qu’à l’heure actuelle, dans un occident en pleine dérive ou de nombreuses études montrent que, non, on n’est pas plus heureux, ça me paraît mal étayé comme affirmation. Du moins, c’est un point qui demande plus de précisions.

    * “la croissance démographique se stabilise”
    Hum … oui et non. Disons que c’est possible en effet, mais c’est loin d’être gagné. D’abord, elle se stabilise à l’échelle mondiale parce que les pays avancés sont en forte dénatalité et vieillissement, et que les pays pauvres sont en forte natalité. Personnellement, je pense qu’il est trop tôt pour parler de “stabilisation” étant donné les différences de différentiel de natalité, de prospérité et de QI. On n’a aucune idée de comment tout ça va évoluer, surtout qu’on passe en mode démondialisation et que la transition démographique est peut-être réversible, personne ne sait.

    * Je trouve que les erreurs manifestes de la manière de voir les choses de Kazynski, notamment sur l’idéalisation d’un “retour à la nature” (que l’on peut justifier par la théorie du mismatch) et sur une nature idéalisée de manière générale. Son eschatologie nature edenique vs techno apocalyptique est assez immature somme toute. La nature n’est pas bonne ou équilibrée. Les cyanobactéries ont bousillé leur atmosphère de CO2, l’O2 est un poison pour elles. Nous sommes la grâce à ça, mais ça indique bien que la “nature” ne fait pas mieux que nous, pas pire. Personne n’échape à la thermo et à l’évolution …

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