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Le power metal, d’où ça vient ?
Commençons par un peu de généalogie. Comme dans tous les domaines très spécialisés, la valse des étiquettes peut donner le tournis et provoque souvent des querelles incompréhensibles pour le profane. Pour faire simple, et sans entrer dans une nomenclature hermétique, le power metal est une branche musicale du heavy metal qui lui-même descend du hard rock.
Le hard rock, en son temps, était une version plus rapide, brutale et complexe du rock, sans pour autant en abandonner l’aspect mélodique. Le hard rock ne coupait pas avec les racines afros du rock, il conservait l’usage des gammes pentatoniques et blues, et les rythmes, bien que plus rapides, restaient proches de ceux du rock. Le heavy metal justement, coupe avec ces racines et met l’accent sur la recherche de mélodie. Le power metal en est un sous-genre, qui dispose de son propre univers, à la fois musical et conceptuel.
Le power metal, ça ressemble à quoi ?
Musicalement, le power metal se démarque par deux aspects principaux : la vitesse, et la mélodie. Les rythmes employés peuvent évoquer une chevauchée au galop, notamment grâce à l’usage de la double-pédale à la batterie et des rythmiques rapides à la guitare, souvent exécutées avec la technique du palm-muting (étouffement des cordes à l’aide de la paume de la main droite). Concernant les guitares, elles sont la plupart du temps en son saturé et les rythmiques évoquent la puissance et la rapidité. Une grande place est faite aux soli et à la virtuosité, sans tomber complètement dans la démonstration, comme cela peut être parfois le cas dans le metal progressif (un autre sous-genre où la technique des musiciens est largement mise en avant). Nous assistons tout de même à des passages où tout le talent du soliste peut s’exprimer à travers des techniques comme les arpèges en « sweep picking » ou des rapides séquences en aller-retour (alternate picking).
Dans le power metal, avant tout, c’est la mélodie qui doit primer. Celle-ci doit être facile à retenir. Souvent les chorus évoquent des ambiances positives, les refrains et les leads sont fédérateurs. Les gammes utilisées sont souvent « mineure mélodique » et « mineure harmonique ». Les leads sont parfois doublés à la tierce, ce qui renforce encore la puissance de la mélodie.
Enfin, les chanteurs sont connus pour exceller dans le registre des aigus. Là encore, les voix sont souvent doublées et la recherche de mélodie est primordiale. Parfois, pour renforcer le côté puissant et fédérateur, des chœurs sont utilisés pour entonner des refrains. C’est notamment l’une des spécialités du groupe Allemand Blind Guardian.
Le power metal, une école d’exigence
Ce qui fait que le power metal est un genre d’une grande richesse harmonique et technique, c’est que le pré-requis pour coller à ses standards est très élevé. En réalité, tout le monde, même avec beaucoup de travail, n’est pas capable d’atteindre le niveau suffisant pour jouer et composer un bon morceau de power metal (je suis bien placé pour le savoir).
Si le groupe est mauvais, cela ressemblera d’ailleurs souvent à du hard rock, mais pas à du power. C’est en effet un style très exigeant, notamment pour les chanteurs et les guitaristes solistes. Le public étant composé en grande partie de musiciens, la critique sera toujours sévère et la concurrence rude.
Certains groupes assez moyens techniquement (comme les finlandais de Stratovarius, qui sont malgré cela, un très bon groupe), ont réussi à se faire leur place en produisant très tôt – avant que la scène n’éclate – des compositions accrocheuses. Ce genre d’éclosion n’est plus vraiment possible à partir des années 2000 où le genre connaît son âge d’or et où les groupes fleurissent, toujours plus rapides, toujours plus orchestraux, toujours plus riches d’harmonies. Beaucoup des grands acteurs de la scène possèdent de solides formations musicales, souvent classiques, et parfois à des degrés élevés comme c’est le cas avec André Matos, ancien chanteur du groupe brésilien Angra.
L’héritage européen dans le power metal
Le metal est une musique européenne, c’est certain, mais le power, plus spécifiquement, porte en lui tout notre héritage de mythes et d’inconscient collectif millénaire.
Tout d’abord, d’un point de vue harmonique, il intègre dans ses structures de nombreux éléments de la musique européenne traditionnelle. En effet, il n’est pas rare de voir des groupes proposer des albums concepts, avec une écriture proche des standards de l’opéra. Avantasia, un projet de Tobias Sammet, le chanteur du groupe Edguy, assume complètement cette étiquette d’opéra metal, auquel participent de nombreux musiciens venus de groupes différents.
En ce qui concerne la composition, on retrouve là aussi des gammes tirées de la musique dite « classique », notamment mineure harmonique. Idem en ce qui concerne les progressions harmoniques, que l’on retrouve chez Bach ou Paganini.
Les albums sont souvent construits sous un modèle qui rappel aussi la grande musique, avec prélude, interlude, ainsi que des morceaux en plusieurs parties. La longueur des morceaux ne correspond d’ailleurs pas toujours aux formats radios, puisqu’il n’est pas rare de rencontrer des durées de 8, 10, et parfois 15 ou 20 minutes. Les influences « classiques » du heavy metal sont la plupart du temps issues de Paganini, Bach ou Vivaldi. [1]
Peu avant la naissance du power metal, ces influences sont portées par des guitaristes précurseurs qui, en plus de leur attrait pour le rock et le hard rock, ont étudié la musique classique. C’est le cas de Brian May (Guitariste de Queen) ou de Ritchie Blackmore, le guitariste de Deep purple, qui fut le principal inspirateur de Yngwie Malmsteen, un célèbre guitariste suédois qui a popularisé le mélange de guitare metal et classique dans les années 80. Saluons aussi, par chauvinisme et parce qu’il le mérite, même s’il est en dehors du champ du power metal, le guitariste français Patrick Rondat, qui connut son heure de gloire dans les années 90, notamment grâce à sa reprise du presto de l’été de Vivaldi, lors d’un concert en collaboration avec Jean-Michel Jarre.
Concernant l’univers et les textes, les thèmes sont souvent centrés autours de l’heroic-fantasy, sujet européen au possible, mais peuvent intégrer parfois des aspects historiques, littéraires ou mythologiques. Blind Guardian, un groupe allemand déjà cité, a produit son excellent album-concept Nightfall in middle-earth autour du Silmarillion de J.R.R Tolkien. Les Américains de Kamelot n’hésitent pas à jongler entre des thèmes historiques ou littéraires, en s’inspirant de la quête du Graal ou du Faust de Goethe. Tolkien, Lovecraft, la quête du Graal, les mythes bibliques, l’alchimie, le bestiaire mythologique européen, voilà des inspirations récurrentes pour ces musiciens.
Le power metal, une musique positive du combat manichéen
Contrairement à une idée reçue, et à ce que le nom de « heavy » pourrait évoquer, cette musique n’exprime rien de lourd. Au contraire, les envolées aériennes et lyriques en sont l’une des grandes composantes. Car oui, les musiques sont presque toujours positives, et c’est l’une des grandes caractéristiques de ce sous-genre. Nous n’avons pas à faire à une musique sombre, triste ou lourde. Les morceaux évoquent, la plupart du temps, des mouvements rapides, aériens, épiques. Cet aspect optimiste s’exprime autant à travers la musique qu’à travers les textes.
Timo Kotipelto, chanteur du groupe Stratovarius, nous dit d’ailleurs que « le power metal, est le type de musique qui te donne l’énergie pour affronter ces temps difficiles. » [2]
Luca Turilli, chanteur du groupe Rhapsody, va même plus loin : « (…) j’essaie d’être génétiquement positif,(…) il y a un moment où tu as cette sensation et cette volonté d’être positif et de répandre le bien sur une autre personne (…) Rhapsody représente ma volonté d’être positif et mon combat contre les énergies négatives. » [3]
Sébastien, le compositeur et créateur du groupe français Galderia, livre un discours comparable en qualifiant sa musique de « très positive » [4], et de répondre à l’affirmative lorsque le journaliste lui demande s’il s’agit d’une volonté que de rendre les gens de bonne humeur. [5]
Certains groupes assument ouvertement une orientation religieuse chrétienne, souvent protestante. Il existe donc un courant « white metal » où les thèmes du combat du bien contre le mal, de la rédemption ou de la fin des temps sont prégnants. Nous retrouvons cela chez Rob Rock, Divine Fire ou Theocracy.
Rhapsody, le groupe qui a tout changé
Si on pense metal et classique, on évoquera naturellement les Italiens de Rhapsody. Ce groupe est un incontournable du genre, son guitariste, Luca Turilli, est un fils de musicien, passionné à la fois de musique metal ainsi que de baroque et classique. Rhapsody fut, à la fin des années 90, le fer de lance de ce mouvement musical. Rhapsody c’est d’ailleurs plus qu’un groupe, c’est un univers en soi.
Les 5 premiers albums retracent une même saga et nous plongent dans un monde d’heroic-fantasy. Je me revois encore, adolescent, ouvrir le livret du premier album et découvrir la carte d’un monde imaginaire où se déroulera cette saga épique. Rhapsody propose un véritable voyage entre passages narratifs (dont certains sont récités par Christopher Lee lui-même), morceaux folks aux couleurs médiévales et envolées metalliques puissantes et positives.
Ce sera le premier groupe à réellement mettre en œuvre les moyens nécessaires pour exprimer ce que tous les autres ont voulu exprimer avant eux sans y parvenir pleinement. Plutôt que de simples nappes de clavier, quelques chœurs ou des notes de clavecin, nous avons là de véritables orchestrations complexes, des dizaines de musiciens, des chœurs majestueux, des instruments médiévaux.
Futurisme et archéo-futurisme dans le power metal
Le power metal ne nous parle pas que de notre passé, il est aussi tourné vers l’avenir. La science-fiction et le futur sont donc des thèmes récurrents. Iron Savior, un groupe de metal allemand, est sans doute le premier à exploiter à fond ce thème de science-fiction. Keldian, un duo norvégien, a lui aussi construit son univers musical autours de thèmes futuristes ou technologiques comme la conquête spatiale.
Gamma Ray ou Iced Earth n’hésitent pas à s’inspirer de ces mythologies modernes liées à la vie extra-terrestre ou aux technologies perdues d’anciennes civilisations. Notons aussi que les Anglais du célèbre groupe Iron Maiden, la référence absolue en terme de heavy metal, avaient déjà établi, en précurseurs, les bases conceptuelles et une partie des fondements musicaux de ce qui deviendra plus tard le power metal.
Nous retrouvons parfois dans certains groupes un univers que nous pourrions qualifier d’archéo-futuriste. C’est notamment le cas, comme nous le voyons, de l’album Prophet of The Last Eclipse de Luca Turilli, où l’ancien leader de Rhapsody n’hésite pas à ajouter à ses arrangements orchestraux quelques sonorités électroniques.
Une musique de passionnés
Quand on connaît un peu ce petit monde de musiciens passionnés, on est à la fois impressionné et découragé par l’énergie que peuvent déployer ces groupes pour exister. Le metal n’est pas une musique qui rapporte de l’argent, bien au contraire. Elle n’apporte pas non plus la reconnaissance, malgré les efforts et les sacrifices qu’elle exige. C’est un genre très ingrat, qui n’a pas vraiment la cote, surtout en France. Un groupe français, comme Heavenly, existe depuis 1994 (leur démo est cependant sortie en 1998).
Cela fait donc 20 ans qu’ils persistent à composer et enregistrer des morceaux, pour un succès quasi-nul dans leur propre pays (je les ai vu en concert dans une salle des fêtes contenant moins d’une centaine de personnes). Souvent, ces groupes peuvent se consoler en appréciant un certain succès dans les pays d’Amérique du sud ou parfois, comme c’est le cas avec Heavenly, au Japon. Les productions sont rendues laborieuses du fait qu’il ne s’agit souvent pas de musiciens professionnels et qu’ils ont un travail et une famille. Il n’est pas rare qu’un album soit composé et enregistré sur une période de plusieurs années, ou que de multiples ennuis viennent retarder leurs sorties.
Malgré cela, la plupart des groupes sont étonnamment endurant et continuent de produire de la qualité même après plusieurs décennies d’existence.
Un genre souvent sous-évalué, parfois méprisé
Que peut-on reprocher à ce genre musical ? Ni violence, ni provocation, ni « satanisme », ni rien de dégradant ou qui puisse attenter à la bonne morale. Vous n’entendrez pourtant pas de power metal dans vos boutiques préférées, pendant les grands événements sportifs, pendant les spots publicitaires ou lors de la fête de votre village.
Malgré ses mélodies joyeuses et motivantes, son énergie positive et fédératrice, le power metal reste une musique mal vue et dépréciée. C’est étonnant de constater qu’écouter du metal chez vous, les fenêtres ouvertes, sans que cela représente une nuisance, peut faire que vos voisins fermeront leurs fenêtres. Ils ne le feront pas à cause du volume sonore, à peine plus fort ou égal à un poste de télévision, mais parce qu’ils ne peuvent pas supporter d’entendre ce genre musical.
Vous pouvez faire la même expérience en voiture où une racaille qui écoute du rap à volume ostentatoire n’attirera pas les regards, alors qu’ils exprimeront de l’effroi et jusqu’à de la haine irraisonnée (ou feinte), s’ils entendent du metal à un volume largement moindre. J’ai fait ce genre d’expériences plusieurs fois, y compris celle de subir la demande de baisser la musique que j’écoutais au casque lors d’un trajet en bus, à peine audible par d’autres personnes.
Je pense qu’il s’agit d’un bête conformisme. Les sociétés sont régies par des codes et des normes, un ensemble de règles non-écrites qui définissent ce qui est acceptable ou pas. La musique metal ne fait pas partie de cette norme et sera donc perçue comme mauvaise, inécoutable, sans raison rationnelle. Admettons aussi que beaucoup de « metalleux » ont du mal à accepter l’idée que leur petite musique chérie puisse un jour être diffusée au grand public et se complaisent bien dans leur marginalité.
Il est cependant des pays où ces musiques choquent beaucoup moins. En réalité, c’est un peu le cas partout hors de France, mais c’est spécialement vrai dans un pays comme la Finlande où le taux de groupes de metal par habitant est le plus élevé du monde. Dans ce pays, le metal est diffusé à la radio et à la télévision et il existe même des groupes de heavy metal pour enfants. [6]
Conclusion
Technique exigeante, virtuosité, recherche de mélodies, harmonies subtiles, imaginaire typiquement européen et énergies positives, c’est pour toutes ces raisons que je pense que ce genre musical est une pure expression artistique de l’âme de notre civilisation. Cela n’empêche pas cette musique d’être écoutée et jouée à travers le monde, et très appréciée dans les pays d’Amérique du sud et en Asie, notamment au Japon. Ce rayonnement positif ne change rien au fait que l’esprit qui souffle dans ces créations soit d’essence purement occidentale. C’est donc une musique à découvrir ou bien à partager autour de vous. En plus de mériter d’être diffusée pour toutes ses qualités, elle vous procura l’énergie et la force d’affronter les défis de notre époque.
[1] Eruptions: Heavy Metal Appropriations of Classical Virtuosity Author(s): Robert Walser Source: Popular Music, Vol. 11, No. 3 (Oct., 1992), pp. 263-308 Published by: Cambridge University Press Stable URL: http://www.jstor.org/stable/931311
[2] Entretien par radiometal.com paru le 05/02/2013.
[3] Hard N’Heavy N°65, Décembre 2000.
[4] Entretien par lagrosseradio.com paru le 24/01/2013.
[5] Entretien par heavylaw.com paru le 16/08/2017.
[6] www.hevisaurus.com
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Article très sympa à lire malgré quelques erreur (Luca Turrili chanteur de Rhapsody??) ou quelques jugement trop subjectif (Stratovarius groupe assez moyen techniquement? Aie…).