La philosophie morale et politique de Starship Troopers de Robert A. Heinlein.

Starship troopers de Robert A. Heinlein peut être vu comme un récit racontant le parcours initiatique par lequel un jeune homme, Juan Rico, sera mené de l’enfance à la pleine maturité via toute une série d’épreuves qui formeront son caractère et le transformeront en homme accompli. À ce titre, on pourrait rattacher cette œuvre à la tradition du bildungsromans (roman de formation ou d’éducation) de la tradition romantique allemande et du mouvement Sturm und drang (Tempête et passion) du XVIIIe siècle. Les bildungsromans visaient à éduquer la jeunesse en lui transmettant un idéal de l’homme accompli à imiter. Ces récits prenaient en général la forme d’un parcours initiatique, à l’issue duquel le héros parvenait à l’âge adulte après une série de tribulations. Tour à tour qualifié de fasciste, de réactionnaire, de conservateur, on a attribué à Heinlein des positions morales et politiques contradictoires. En dépeignant la fédération terrienne sous les traits d’une dictature militaire fascistoïde, l’adaptation du livre au cinéma par Paul Verhoeven en 1997 n’a d’ailleurs pas arrangé l’image que le grand public se fait de son œuvre. Peu connaissent, toutefois, sa proximité intellectuelle avec le libertarianisme. Qui sait, par exemple, que David Friedman a dédié son livre The Machinery of Freedom. Guide to a radical capitalism (« Vers une société sans État » en français) de 1973 à Robert A. Heinlein ? On ne devrait donc pas être surpris de voir notre auteur définir ainsi son allégeance philosophique : 

Quant à libertarien, j’en ai été un toute ma vie, et un radical. Vous pourriez utiliser le terme « anarchiste philosophique » ou « autarchiste » à mon sujet, mais « libertarien » est plus facile à définir et convient assez bien.

 Notre propos dans ce texte se bornera à mettre en lumière les leçons morales et politiques du roman.

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L’univers de Starship troopers

Tout d’abord, quelques mots de présentation de l’univers et de l’histoire de Starshsip troopers. L’action se passe dans un futur indéfini. À la suite d’un grand conflit mondial opposant « l’alliance Russo-anglo-américaine » à « l’hégémonie chinoise » à la fin du vingtième siècle, à l’issue duquel la civilisation moderne s’effondra, l’humanité s’unifia en une fédération terrienne et essaima dans toute la galaxie en fondant des colonies sur des planètes lointaines. La fédération n’est toutefois pas une démocratie au sens où nous l’entendons. Nous aborderons plus en détail plus bas la théorie politique sur laquelle se fonde la fédération. En attendant, disons simplement que seuls ceux qui ont effectué un service fédéral de deux ans dans les forces armées de la fédération peuvent prétendre au statut de citoyen et obtenir le droit de vote où se présenter à des élections. Nous suivrons le parcours d’un jeune homme, Ruan Rico, de sa décision de s’engager dans l’infanterie mobile, un corps d’élite équipé d’exosquelettes démultipliant les capacités des fantassins, au moment où il devient un homme accompli. De ses classes militaires aux horreurs de la guerre contre les arachnides, d’innombrables épreuves se dresseront sur son chemin qu’il devra surmonter pour pleinement s’accomplir en tant qu’homme et devenir un membre à part entière du corps civique. C’est ce parcours, narré en première personne, que nous suivrons tout au long du roman. Le point de vue philosophique et moral de Heinlein s’exprime souvent directement à travers la voix du professeur Dubois, dont les cours d’histoire et de philosophie morale ponctuent le récit.

L’éthique de Starship troopers ; « Toute morale dérive de l’instinct de survie »

La valeur de l’individu

Heinlein défend une philosophie individualiste. Source de toute valeur, l’individu revêt une valeur en soi pour Heinlein. Mais qu’est-ce qui donne de la valeur aux choses ? La réponse de Heinlein sera familière aux lecteurs coutumiers des travaux de l’école autrichienne d’économie : la valeur d’une chose se mesure au coût que l’on est prêt à sacrifier pour l’obtenir ou la conserver. Elle n’a de valeur que s’il a fallu lutter pour l’avoir. Permettez-moi de citer ici un peu longuement ce bon professeur Dubois :

« […] Vous connaissez cette vieille rengaine. Dans la vie, les meilleures choses sont gratuites. Eh bien c’est faux ! Totalement faux ! Voilà l’erreur tragique responsable de la décadence et de l’effondrement des démocraties au XXe siècle. Malgré toutes leurs nobles intentions, elles ont échoué parce que le peuple a fini par croire qu’il avait le droit de voter pour qui il voulait… et tout ça sans effort, sans larmes, sans sueur. La valeur d’une chose n’est jamais gratuite. Quand on naît, on achète le souffle de vie par ses efforts respiratoires, dans la douleur ».[…] 

« Vous ! Je viens tout juste de vous remettre la médaille d’or du cent mètres. Vous êtes heureux ?

 – Euh… j’imagine, oui.

– Pas d’entourloupe, je vous prie. Vous avez gagné. Là, je l’écris : Médaille d’or, course du cent mètres ». Il s’était vraiment approché de moi pour m’épingler le papier sur la poitrine. « Là ! Vous êtes content ? Cette médaille a-t-elle de la valeur pour vous ? Oui ou non ? »

Son numéro m’agaçait. […] J’avais arraché la feuille et l’avais jetée. Mon attitude avait surpris M. Dubois. « Vous n’êtes pas satisfait ? 

 – Vous savez très bien que j’ai fini quatrième ! 

 – Précisément ! Cette médaille n’a aucune valeur pour vous… parce que vous ne l’avez pas méritée. J’espère que dans cette classe de somnambules, certains ont saisi la morale de cette petite histoire. L’auteur de cette chanson voulait certainement dire que les meilleures choses dans la vie s’achètent avec autre chose que de l’argent. C’est vrai. Mais le sens littéral de ses mots est faux. Les meilleures choses dans la vie dépassent l’argent. Elles se paient en sueur, en douleur, en dévotion… et pour les plus précieuses, le prix est élevé : la vie elle-même. Le tarif ultime pour une valeur parfaite. »

 La valeur de la vie d’un individu vient des choix libres qu’il pose et dans les efforts conscients, délibérés et répétés qu’il fait pour persister dans ses choix. On reconnaît un choix authentiquement libre au fait qu’il s’affirme et se maintient contre l’adversité, qu’elle vienne des autres hommes, de la nature ou des coups du sort. En effet, Rico est constamment en lutte contre les membres de son entourage qui, tous, tentent de le dissuader de s’engager (famille, amis, Dubois lui-même, le sergent au centre de recrutement, etc.) sans parler de la sélection extrêmement rude à laquelle sont soumises les recrues au camp Currie visant à conserver les plus aptes, physiquement et psychologiquement. Autrement dit, il n’y a pas de liberté sans courage, sans force de caractère ou sans force physique. Si cette force fait défaut, on ne peut assumer ses responsabilités et remplir ses devoirs vis-à-vis de la collectivité (son État, sa famille, ses amis, son bataillon, etc.). La liberté, ici comprise comme autodiscipline, est une conquête sur ses instincts et penchants naturels (peur, paresse, découragement, désespoir). On ne devient vraiment un individu accompli qu’en surmontant des épreuves et en faisant face à l’adversité, qu’elle vienne des circonstances extérieures ou de ses penchants. 

Une vision de l’homme accompli, total

Le roman d’Heinlein défend une vision idéale de l’homme, une vision enjoignant chacun à réaliser son plein potentiel, physique comme intellectuel. Selon l’heureuse formule de Heinlein ; « la spécialisation est bonne pour les insectes ». L’homme idéal doit être capable de tout faire, et d’être à l’aise dans des contextes variés. Il doit être, entre autres, un homme d’action, un ingénieur, un scientifique, un philosophe, un gentleman, et développer toutes ses facultés. La fédération ne recherche pas des brutes. Les recrues, les citoyens d’une façon générale doivent comprendre le sens de leur engagement et y adhérer volontairement en connaissance de cause. Laissons ici la parole à Dubois :

« Vous, y a-t-il une différence morale entre un soldat et un civil ?

 – La différence, ai-je répondu avec prudence, réside dans les vertus civiques. Un soldat accepte la responsabilité personnelle de la sécurité du corps politique auquel il appartient. Il le défend jusqu’à la mort, s’il le faut. Le civil y échappe. 

 – C’est la définition exacte du manuel, a sifflé Dubois d’un ton méprisant. Mais l’avez-vous comprise ? Y croyez-vous ? 

 – Euh… je ne sais pas monsieur !

 – Évidement ! Je doute qu’un seul d’entre vous puisse reconnaître la vertu civique, même si elle vous sautait au visage. »

Dubois insiste sur la nécessité pour le citoyen-soldat de la fédération de comprendre et de croire en ces vertus civiques. Il doit y adhérer volontairement, après avoir compris leurs sens et à quoi elles l’engagent personnellement. C’est aussi la raison pour laquelle la fédération terrienne ne pratique pas la conscription obligatoire. Pour avoir de la valeur, le service fédéral doit être volontaire. Protéger la communauté est un devoir moral, s’enracinant dans l’instinct de survie. Toutefois, si la morale peut exiger de l’individu qu’il fasse des sacrifices, elle ne demande pas sa fusion dans la communauté pour autant. Semblable communisme moral convient aux arachnides, pas aux humains : 

Même quand un fantassin éliminait mille insectes, ça restait une victoire nette pour eux. Nous apprenions, à nos frais, l’incroyable efficacité du communisme total, quand il est appliqué par des gens qui y sont adaptés d’un point de vue évolutif. Les commissaires insectes ne se souciaient pas plus de leurs soldats que nous nous souciions de nos munitions. 

Les humains sont des individus libres, choisissant consciemment et délibérément de servir la communauté. Les concepts de devoir, de loyauté, et ainsi de suite, présupposent l’existence d’individus libres et responsables, capables de répondre de leurs actes. Le contraste avec les arachnides fait bien ressortir ici la spécificité humaine. En effet, le sens de l’individualité faisant défaut aux arachnides, ces derniers ne peuvent accéder aux concepts de moralité, de loyauté ou de devoir. Ces créatures sans conscience sont des membres anonymes et interchangeables d’une colonie d’insectes monstrueux, semblables à des organes d’un corps contrôlé à distance par une caste de cerveaux tapis à l’abri au fond d’un nid.

Chez les arachnides, l’individu n’est rien, la communauté est tout. La défense du groupe relève de l’instinct pour elles, et non d’un effort conscient pour surmonter leurs penchants naturels. Paradoxalement, cela veut dire que ces êtres ne peuvent faire preuve d’héroïsme ou de sens du devoir, l’héroïsme impliquant la mise en péril volontaire de ce qui revêt la plus haute importance à nos yeux ; notre propre vie ! Et c’est bien cela qui donne une valeur aussi élevée à cet acte ! Comparativement, la vie des arachnides ne vaut pas plus pour leurs ruches que des munitions que l’on peut dépenser en grand nombre pour terrasser l’ennemi.

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Toute morale dérive de l’instinct de survie

La philosophie morale de Robert Heinlein peut être ramassée en une formule ; « toute morale dérive de l’instinct de survie » :

Qu’est-ce que le sens moral ? Une simple élaboration de l’instinct de survie. L’instinct de survie est la nature humaine elle-même, chaque aspect de nos personnalités en dérive. Tout ce qui entre en conflit avec l’instinct de survie agit tôt ou tard pour éliminer l’individu, échouant ainsi à se transmettre aux générations futures. Cette vérité est démontrable mathématiquement, vérifiable partout. C’est le seul impératif éternel dont dépendent nos actes. 

Dubois, le porte-parole de Heinlein dans le roman, défend une vision naturaliste et évolutionnaire de l’homme. Les actions de l’homme sont ultimement guidées par le souci de son intérêt individuel, c’est-à-dire le souci de sa conservation. Toutefois, si cette loi naturelle gouverne tout son comportement, y compris moral, Dubois ne réduit pas le sens moral à l’affirmation aveugle de l’instinct de survie. Le sens moral correspond plutôt à une version éduquée et disciplinée de celui-ci. On pourrait même dire que la civilisation consiste dans la canalisation de cet instinct vers la sauvegarde de la communauté. En effet, l’instinct de survie, s’il n’est pas éduqué, s’exprime d’une manière aveugle et brutale. Or, le sens moral implique d’agir de manière réfléchie et responsable, tout en subordonnant son intérêt personnel à l’intérêt commun. Ces dispositions n’ont rien d’inné, pour Dubois, et doivent donc faire l’objet d’un apprentissage. Le sens moral, une fois acquis, se manifeste comme sens du devoir :

La base de toute moralité est le devoir – concept qui est au groupe ce que l’intérêt personnel est à l’individu. […] Je vous disais tout à l’heure que le concept de délinquant juvénile est contradictoire. Délinquant signifie qui a failli à ses devoirs. Mais le devoir est une vertu adulte – en effet, un jeune devient adulte quand, et seulement quand, il comprend la nature du devoir et l’embrasse aussi passionnément que l’amour de lui-même. Il n’y a jamais eu, il ne peut y avoir de délinquant juvénile.

Un adolescent qui viole la loi, faute d’éducation digne de ce nom, se comporte comme un animal entièrement soumis à un instinct de survie aveugle et brutale. Il ne devient homme qu’en acquérant le concept de devoir, en disciplinant ses instincts et en apprenant à répondre de ses actes. Ainsi, la morale, si a elle a bien un fondement naturel, doit être instituée. En effet, la morale n’est pas qu’affaire d’instincts, mais de règles, de normes et d’impératifs. La civilisation canalise et discipline ainsi nos instincts naturels pour leur faire servir un objectif supérieur. D’où une critique sévère de la part de Dubois du rousseauisme naïf des éducateurs et autres « travailleurs sociaux » des sociétés occidentales démocratiques antérieures à la fédération, pour lesquels il suffisait d’en appeler à la bonne nature innée des « délinquants juvéniles » pour les faire rentrer dans le rang. La position de Dubois est inverse. La morale est un fruit de la civilisation. Si l’on souhaite s’émanciper de la civilisation et des contraintes qu’elle nous impose, il ne restera que l’expression aveugle et sauvage des égoïsmes et une guerre de chacun contre tous. Sous les pavés, la barbarie.

Il est à noter que l’instinct de survie ne se limite pas à l’individu, mais concerne aussi le groupe pour Dubois :

Mais l’instinct de survie se décline aussi en motivations plus complexes que l’unique besoin aveugle et primitif de rester en vie. Jeune fille, ce que vous considérez comme votre instinct moral vous a été inculqué par vos aînés. La survie a parfois des impératifs plus forts que votre propre survie, il est vrai. La survie de votre famille, par exemple. De vos enfants, si vous en avez. De votre nation, si vous souhaitez changer d’échelle. Et ainsi de suite. Une théorie scientifiquement vérifiable de la morale doit s’enraciner dans l’instinct de survie de l’individu – et nulle part ailleurs ! 

Même s’il peut y avoir un conflit entre la survie de l’individu et celle du groupe, il n’y a pas d’opposition de principe entre l’intérêt individuel bien compris et l’intérêt commun pour Heinlein. Mieux, elle en est le prolongement. En effet, en recevant l’éducation morale adéquate, l’individu comprend que sa propre survie dépend de celle de son groupe et qu’il doit consentir à risquer sa vie pour le protéger. Ainsi, tout l’objet de l’éducation morale consistera à rediriger l’instinct de survie individuelle vers la protection du groupe. Si Heinlein reconnaît que nous avons une tendance naturelle à nous sacrifier pour les membres de notre famille, comme la chatte qui se sacrifie pour sauver ses petits, la considération de l’échelon national implique un effort conscient de la part de l’individu pour qu’il comprenne qu’il a des devoirs, non seulement vis-à-vis des membres de sa famille et de ses proches, mais aussi vis-à-vis de sa communauté politique et que sa survie doit aussi lui importer, au prix de sa propre vie si nécessaire.

Toutefois, la survie du groupe dépend également de la qualité des décisions prises par la classe dirigeante, elle-même fonction de la qualité des dirigeants. Mais comment sélectionner ceux qui ont l’étoffe pour devenir membres de l’élite dirigeante ? Sur quel critère les sélectionner et par quel procédé ?

La politique de Starship troopers : le républicanisme libéral de la fédération terrienne

On ne trouve aucune précision dans le roman concernant le fonctionnement institutionnel de la fédération, en dehors de la condition d’accès à la citoyenneté. On ne sait rien de ses institutions, s’il existe une division des pouvoirs, si la fédération est gouvernée par un président ou une assemblée, etc. Néanmoins, les principes philosophiques sur lesquels elle repose sont clairement exposés dans les cours d’histoire et de philosophie morale tout au long du récit.

Comme nous l’avons dit plus haut, seuls ceux ayant effectué un service fédéral de deux ans au sein des forces armées de la fédération peuvent prétendre au statut de citoyen, sans restriction de classe, de race, de genre ou d’âge. Pourquoi un tel système ? Heinlein attribue l’échec de la démocratie au fait que tout individu, du simple fait d’être né sur le territoire national, devenait de facto citoyen une fois adulte. Ne lui coûtant rien, la citoyenneté ne revêtait aucune valeur à ses yeux. Or, quelqu’un qui n’est pas prêt à endurer les efforts, les sacrifices qu’exige le service fédéral n’accorde pas suffisamment de valeur au corps politique auquel il appartient pour prétendre au statut de citoyen, pour ne rien dire du statut de dirigeant ! Pire. N’ayant pas démontré la valeur qu’il attribuait à l’existence du groupe, on peut même craindre qu’il ne nuise à celui-ci pour satisfaire son intérêt personnel immédiat !

La citoyenneté revient à exercer l’autorité suprême via le vote en décidant de la destinée de la nation dans l’isoloir. Ce qui implique une responsabilité considérable. Or, les sociétés démocratiques distribuaient généreusement ce pouvoir à tout un chacun, une fois l’âge adulte atteint, sans se soucier de savoir si les citoyens avaient les qualités requises pour l’exercer.

Mais sur quel critère sélectionner toutefois ceux dignes de devenir citoyens ? Quelles qualités doit avoir un bon citoyen ?

Robert Heinlein rappelle que l’on a tenté, à de nombreuses reprises dans l’histoire, de faire dépendre l’octroi de la citoyenneté de critères variés ; la possession d’une propriété, l’intelligence, le niveau d’éducation, le sexe, etc. Aucun d’eux ne permit, cependant, l’instauration d’un système politique vraiment fonctionnel et stable. En effet, ce qui fait un bon citoyen, pour Heinlein, n’est pas le niveau d’instruction ou d’intelligence, mais une disposition morale particulière ; la « vertu civique », c’est-à-dire la capacité à faire passer le bien commun avant ses intérêts particuliers quand les circonstances l’exigent, le service fédéral n’étant qu’un moyen de sélectionner ceux qui ont acquis cette vertu : 

Les citoyens ne sont pas choisis. Ils ne sont les dépositaires d’aucune sagesse, ils n’ont aucun talent, personne ne les a formés à l’exercice du pouvoir. Alors, quelle différence y a-t-il entre nos votants d’aujourd’hui et ceux d’hier ? N’imaginons pas, je le répète. Ma réponse relève de l’évidence : dans notre système, chaque votant, chaque fonctionnaire a prouvé par un service militaire long et difficile qu’il plaçait le bien-être du groupe au-dessus de son propre intérêt. 

Exercer le pouvoir politique est la plus importante des responsabilités, car elle engage le corps social dans son ensemble. Il importe donc de choisir avec soin ceux qui pourront exercer cette responsabilité colossale. Par conséquent, quiconque briguant l’autorité suprême devra montrer, par ses actes, un sens des responsabilités d’égale amplitude.

« Voter, c’est porter l’autorité. C’est l’autorité suprême, dont découle toute autre autorité – celle qui m’autorise à vous pourrir la vie une fois par jour. La force, si vous préférez. Le vote, c’est la force, purement et simplement. Le pouvoir du glaive et de la hache. Qu’elle soit exercée par dix hommes ou dix millions, l’autorité politique est la force. 

Mais cet univers est double et complexe. Quelle est la réciproque de l’autorité ? Monsieur Rico ? » Il avait au moins opté pour une question à laquelle je savais répondre. « La responsabilité, monsieur.

 – On peut l’applaudir. Pour des raisons à la fois pratiques et morales, scientifiquement vérifiables, l’autorité et la responsabilité doivent être égales. […] Laisser s’installer une autorité irresponsable, c’est ouvrir la porte au désastre. Rendre un homme responsable de ce qu’il ne contrôle pas, c’est de la bêtise, de l’aveuglement ».

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Ce mode de sélection des citoyens est donc commandé par le bien commun. Laisser n’importe qui exercer le pouvoir suprême ne peut que mener le corps politique à sa perte. Seuls ceux capables de faire le sacrifice suprême sont capables d’assumer pleinement leurs responsabilités en tant que citoyens ou dirigeants, et de prendre toutes les mesures que la protection de la communauté politique peut exiger. C’est pourquoi la fédération terrienne n’octroie la « franchise souveraine » qu’à ceux qui ont prouvé qu’ils étaient prêts à mettre leur propre vie en danger pour la sauvegarde du groupe. La pérennité de la fédération s’explique ainsi par le fait qu’elle est parvenue à instaurer un mécanisme de sélection des élites garantissant que seuls ceux capables de canaliser leur instinct de survie individuelle vers la conservation du groupe, et chez qui donc l’intérêt individuel et l’intérêt du groupe deviennent ainsi indissociables, accéderont aux postes à responsabilité dans l’État. 

Les non-citoyens, les civils, ne sont pas dépourvus de droits pour autant. Ceux-ci semblent jouir de beaucoup de libertés, même s’ils n’ont pas accès aux droits civiques : 

Historiquement, la liberté individuelle n’a jamais été aussi grande. Il y a très peu de lois, les impôts sont légers, le niveau de vie est aussi haut que le permet la productivité, la criminalité est à son plus bas.

On conviendra que l’on est assez loin ici de la société totalitaire et entièrement militarisée complaisamment dépeinte par Paul Verhoeven dans son adaptation cinématographique du roman !

Conclusion :

Robert Heinlein embrasse une vision purement naturaliste de la morale et de la politique. La fédération terrienne décrite dans Starship Troopers est une communauté d’hommes libres, mus par l’instinct de survie, parvenus à s’organiser pour défendre leur survie en mettant en place un mécanisme de sélection des élites politiques garantissant que seuls ceux parmi eux doués de la vertu civique accéderont aux postes à responsabilité dans l’État. 

  1. Patterson, William. Robert A. Heinlein: 1948–1988, The Man Who Learned Better. New York, Tom Doherty Associates, 2014, p. 389.

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2 comments
  1. Super article sur la philosophie de Robert Heinlein. Je me souviens de ce livre que j’avais lu au Lycée.

    Je me demandais si un tel système avait déjà été appliqué dans le monde réel ?

    1. Merci pour votre commentaire. Bien que Heinlein s’inspire du modèle de la cité grecque, ou de la république romaine, dans son roman, je ne crois pas qu’un tel système ait déjà été appliqué tel qu’il le décrit, non.

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