L’expression Europe des régions non seulement me hérisse, mais me fait dire que ceux qui l’emploient font un étrange retour en arrière. Il y a déjà eu l’Europe des Régions. C’était le Moyen-Âge et la féodalité.
George Pompidou
Ce n’est pas péché par pessimisme que d’affirmer que l’Europe décline. Et comme on ne saurait être accusé d’impiété envers un mort parce qu’on malmène un zombie, je dis encore : ce déclin est une chance ! La trop grande puissance ne génère pas de nouveau, elle s’étend, annexe, aplanie; puis se conserve, s’exporte, empêche. Mais quand les bases tremblent, alors on peut contempler d’asphalter Venise. On peut proposer et… espérer être écouté.
Je m’excuse d’avance de ne pas écrire pour le quidam et de placer les lecteurs de ce texte devant une position d’où ils devront déjà connaitre le concept phare du Patchwork ou devoir se renseigner en lisant un article ou bien en promptant Chat-GPT ou Grok. Je conçois que cela puisse embêter. Mais, je crois que tous y trouveront leur bénéfice autant ceux qui savent car le texte ne sera pas trop long; que ceux qui ignorent, car ils auront appris quelque chose.
Mais d’abord, il faut reconnaître que parler de Patchwork en 2025 peut faire arrière-garde. En effet, il n’aura fallu que d’une élection gagnée pour que le créateur même de l’idée n’y renonce. Pourtant, je n’y vois pas une invalidation du concept mais simplement la conséquence de ce que j’affirme plus haut et développerai plus bas.
Le Patchwork est mort en Amérique; vive le Patchwork en Europe ! Hail the future !
D’ailleurs, c’est égal, l’idée n’était que trompeusement américaine – j’y reviendrai. Puis, bien qu’elle ait vu sa théorisation sur le continent américain le sol n’était pas – et n’est toujours pas – prêt à ce qu’elle y prenne. Il manque ce quelque chose essentiel : l’impuissance. Savoir si les États-Unis déclinent ou prospèrent est accessoire car le trop-plein de puissance demeure. Et cet excès déborde toujours sur le monde indifférent à ce que Washington soit tenu par MAGA ou le GRC. Demander à un tel volcan – dont l’État est relativement fonctionnel – de se patchworker car on s’y dispute entre elfes et hobbits sur l’âge d’éligibilité aux thérapies de transition relève de la Chutzpah.
En Europe, c’est autre chose. Déjà, il y a une tradition – un art de vivre – dans le morcellement. Cela donna même souvent lieu à ses périodes les plus riches. Le midwit m’assènera que division a été source de guerres. Et croira m’achever en ajoutant que les deux dernières furent mondiales; et que la Guerre de Sécession, à côté, c’était un picnic à Gettysburg. Certes ! Mais je ne m’incline pas pour autant. Car j’entrevois un système renouant avec la généalogie de l’Excellence née de Compétition, fille de Morcellement et ce spectre qui hante l’Europe depuis plus d’un millénaire : l’Empire Romain/l’Unité?
Car oui, l’Auberge Europe Post-476 est hantée depuis plus de mille ans. Du haut de ces mots, dix siècles vous contemplent : Constantinople, Chrétienté, Pontifex, Patrice, Dux, Renovatio Imperii, Translatio Imperii, Charlemagne, Saint-Empire Romain Germanique, Guelfes, Gibelins, Kaiser, Tsar, Plus Ultra, Napoléon.
Donc, dis-je, marier Prométhée et Cardea.
J’ai écrit plus haut que le Patchwork était faussement américain. C’est qu’en Europe – comme le faisait remarquer Pompidou – nous l’avons déjà connu en plusieurs endroits; et pas qu’au Moyen-Âge. Le Patchwork à l’italienne peut se targuer d’avoir accouché de la Renaissance. Et puis, il y a en a un qui a duré beaucoup plus longtemps – je l’ai mentionné plus haut : le Saint-Empire romain germanique (Le SERG).
Sur ce système – indûment calomnié, je compte me restreindre à ce qu’il est absolument nécessaire de dire quant à l’illustration de mon propos. Le SERG comme empire a toujours dérouté les observateurs contemporains ou non. Comme tout empire, il possédait une vocation universelle. Il s’en distinguait toutefois dans sa durable incapacité à se doter d’une administration centralisée. Et encore, dans ce qu’il n’y avait pas de contradiction entre cette prétention universelle et à ce qu’il ne s’étendait pas formellement à tout; il ne s’y essayait même pas. Son empereur trônait naturellement au-dessus des rois et sa suprématie s’ancrait dans la métaphysique chrétienne. Il devait son ascension à une élection (une de trop !) hautement censitaire des princes-électeurs (7 de trop !). Son pouvoir réel variait dans le temps (sa mission jamais) selon ce que les centaines de principautés constituant le royaume germanique l’appuyaient ou non – généralement, selon les privilèges qu’il octroyait ou garantissait.
Donc la force du système résidait dans une haute subsidiarité; la faiblesse, en ce qu’à mesure que les États-Nations se développaient à ses frontières, il était mal outillé pour leur résister. Ce point suscitera un légitime scepticisme à ce que je proposerai et il faudra en reparler.
Mais avant, soulignons bien que c’est de cette subsidiarité dont peut émerger une Europe à l’horizon impérial retrouvé, alliant la liberté dans l’unité à une flexibilité interne dont elle est dépourvue depuis le SERG.
Je propose simplement d’amplifier encore davantage cette flexibilité en charcutant radicalement les principautés afin que de cette gigantomachie naissent des Cités Libres d’Empire (Patchs). Voilà ce que j’appelle : Patchwork à l’européenne.
Car l’Europe des nations ne fonctionne déjà plus et l’Europe des régions n’y changerait que l’échelle : en granremplaçant l’enarque nationale par le pouilleux du communautaire local. Contemplons plutôt une Europe, dans laquelle on ne vote pas. Mais dans laquelle on n’a qu’à quitter une ville – pas même une province – pour trouver le cadre de vie qui nous convient.
Dotons-la ensuite de la Constitution la plus minimaliste possible dans laquelle ne figurerait que le strict nécessaire pour encadrer les relations entre les Cités-Patchs (NAP par défaut), leur défense quant aux menaces extérieures et la liberté de circulation totale des sujets impériaux. Les Cités-Patchs, elles, auront le luxe d’avoir des règles d’utilisateurs contenant tous les menus détails et règlements qu’elles jugeront nécessaires dans la mesure, qu’aucun ne contreviennent aux principes constitutionnels du nouvel empire. Les sujets décideront avec leurs pieds.
Ainsi, l’Homme européen se trouverait de nouveau libre pour se développer, s’associer et créer. Libre, il le sera deux fois davantage car il n’aura plus à écouter les fanfaronnades utopistes des uns – la possibilité de toute mise en action invalidera tout ce qui ne le sera pas; ni à tenir des débats stériles avec ceux d’en face – ce qui n’a jamais constitué un glorieux loisir. Dans l’empire européen aux milliers de Patchs, le sujet trouvera le cadre de communauté qui lui convient ou il le bâtira – et s’il ne trouve pas ou ne peut le maintenir, il conclura de bonne ou mauvaise grâce que pour ne pas être mal, l’idée était mauvaise.
L’écolo pourra enfin vivre dans une cité vivotant aux énergies alternatives sans pour autant que sa conscience ne se trouble d’être à charge de Nicolas qui paie en polluant et l’e-Acc pourra carburer ses IA à grands coups de centrales nucléaires sans en refiler l’externalité à un tiers qui ne demande qu’à vivre dans une autre Patch selon les us et coutumes de l’Odinisme – enfin l’Europe du ne-plus-vivre-ensemble !
De ces Cités-Patchs beaucoup échoueraient, certaines se maintiendraient sans grands mérites si ce n’est la tendresse du climat et les beautés des paysages mais celles qui croîtraient et prospéreraient se verraient dotées de la redoutable beauté de ce qui a survécu à une sélection d’airain, a appris à s’en renforcer et cessant de simplement survivre, vivraient aussi organiquement que le cosmos. Imaginez que de cette catégorie, il n’en existe que dix sur le continent, que ne produiraient-elles pas en termes de merveilles? Mais voilà, il suffit qu’une seule existe pour qu’il devienne impossible qu’ils n’y en aient que dix car ce qui ne dépasse ou n’imite pas au minimum sombrera dans l’oliganthropie.
Toutes belles que soient ces cités futures, on les sent orphelines. Remontons encore le temps pour revenir au SERG dont l’un des enjeux fut toujours la tension entre la puissance de l’Auguste germanique et celle de ses princes. L’équilibre variait selon les évènements et les accidents et non de façon inhérente à la nature même du système initial. Ce qui mena à plusieurs conflits d’envergures variables mais fournissant toujours à ses voisins des occasions pour déstabiliser et neutraliser l’Empire – voir en prendre des morceaux. Cet enjeu ne peut être occulté car il parait inéluctable : le pouvoir central voudra toujours s’accroître et étant un face à une multitude, il pourrait décider de Capétienner. C’est humain… trop humain.
Sauf que la Providence/Singularité a permis à l’Humanité et l’Europe de faire l’économie de l’humain en ce qu’elle a suscité l’apparition de l’Intelligence Artificielle. Imaginez une constitution pour le Patchwork qui serait une IA programmée afin d’être celle-ci plutôt qu’un morceau de papier. Le monarque de l’ensemble cède à une constitution vivante faisant l’économie de conseils constitutionnels, d’avocats et de juges de par sa programmation initiale et une capacité de calculs et de simulation inégalables au service de l’interprétation de sa propre lettre et de son propre esprit.
Certains lecteurs verront immédiatement surgir, devant eux, l’image d’un sinistre Skynet. C’est oublier un peu rapidement qu’il n’est pas encore démontré que de l’intelligence naisse la volonté – tout penche plutôt à croire que celle-ci naît de l’instinct et donc… de la Vie.
Enfin si cela ne paraît pas suffisamment convainquant, ne faites que regarder votre présent enfermé dans ses villes-musées avec ses masses brunes (pas les chemises) et de quel avenir tout cela est porteur.
Puis, portez votre regard vers ce potentiel futur avec son pouvoir léger, consciemment limité dans son essence et pourtant omniprésent qui fournit à l’Europe un arbitre impartial pour les litiges entre Cités-Patches (notamment quant aux externalités) ainsi qu’un défenseur ne se reposant pas et ne déviant jamais de son but premier. Créature régnant presque in abstentia sur ses créateurs, ne possédant de nature rien sauf ce qui lui aura été donné à son inception, de physique que ce qu’il lui faudra à son fonctionnement et aucuns intérêts particuliers propres, il me semble avoir trouvé-là un specimen réellement digne à placer au-dessus des CEO des Patchs.
Évidemment, il y aura encore beaucoup à trouver ne serait-ce que le code initial, la Constitution en propre, déterminer comment seront couverts les coûts de fonctionnement ainsi que les formes de ses armées. Je pressens des pistes (souscription des Cités-Patchs via flat-tax ce qui revient à leur imposer un minimum d’efficacité; automatisation totale de l’infrastructure énergétique impériales et de son armée) mais je ne m’engagerai pas ici à cette ascension, ce texte se voulant à la fois bref et un appel à une réflexion commune – et puis, il n’y a pas de raison que ce soit à moi de me taper tout le taf.
Toutefois j’offre encore un peu de volontariat en proposant – et, j’insiste même ! – pour que cette IA soit baptisée du nom de Carolingien/Karolinger afin qu’aucun sursaut d’honneur national allemand ou français ne vienne tout faire capoter en dernière instance – certes, cela déplaira à Giorgia mais l’Italie ne compte pas; et puis, l’esprit national n’y est jamais aussi élevé que lorsqu’il se sent méprisé par le puissant Axe Paris-Berlin.
J’insiste sur ce que l’Empire, bien que contraint par sa structure à n’être qu’une force défensive, ne devra pas pour autant être pacifiste. Les Cités-Patchs seront probablement toujours incapables de s’entendre sur une guerre offensive et ce pouvoir ne peut être délégué à Carolingien/Karolinger sans menacer l’ensemble. Pourtant, il ne faudra pas entraver les plus audacieux et entreprenants membres de la future jeunesse européenne de faire montre de l’esprit conquérant qui déjà a soumis le monde. Il faudra qu’il leur soit permis de traverser le limes de par la Terre et l’Espace comme mercenaires, experts ou marchands et revenir; ou bien comme conquérants et s’y établir – selon le caractère de chacun. S’ils ne pourront en attendre aucun secours, ils seront compensés de ce que nul ne pourra être inquiété sur le sol européen pour des actions commises dans le Barbaricum. Après tout, nous ne devons pas nous contenter de n’être que de bons Européens, nous devons aussi être ouverts sur le monde.
Je n’insiste pas, néanmoins, sur la composante ethnique. Il me parait superflu de le faire. Puisque tous devrons vivre avec les conséquences directes de leurs décisions, on imagine mal qu’une Cité-Patchs décide de faire venir infini-sub-sahariens chez elle. Ici, l’échelle de gouvernance est critique car les Patchs – au contraire des États-nationaux – ne sont pas équipées pour endurer longtemps une dégradation volontaire de leurs écosystèmes. Il ne suffira que de veiller à ce que Carolingien/Karolinger soit doté de barèmes clairs quant à l’initiation du nettoyage des expériences ratées.
N’étant pas un inconscient ou dénué de surmoi, je réalise pleinement que cette proposition ainsi présentée pourrait paraître risible tant elle semblera une pensée magique : abra cadabra, fin des États-nationaux; hocus pocus, unité européenne; ala kazam, plus de vote…
Mais, c’est simplement que – comme le démontre ma proposition – j’ai foi en deux puissances : la décadence et les Européens. La première, inéluctable et parcourue jusqu’à son bout, permettra l’établissement du Patchwork par sa corrosion alors que les seconds rendus à eux-même par celui-ci ne pourront que réussir de par leur nature. Mais malgré tout, je ne saurais suffisamment me faire pressant car avec la décadence arrivera bientôt le César et aussi bien statistiquement que tendancieusement celui-ci risque bien d’être un indigéniste ou une femme-trans; et ils ont des comptes à régler…
Afin que ne s’évapore pour de bon toute apparence d’irénisme, je conclurai ainsi : il est facile de critiquer son gouvernement national derrière un bon VPN mais aurez-vous le courage de lui agripper la tête et de la maintenir fermement sous l’eau jusqu’à ce qu’il cesse de se convulser?