Elon Musk et la cathédrale martienne

La planète rouge a depuis sa découverte en 1610 par Galilée fait l’objet de fantasmes et spéculation sur son apparence et son occupation. Des récits de fiction ont été écrits à son sujet à la fin du XIXème siècle comme Les deux planètes écrit par le romancier allemand Kurd Lasswitz et au début du XXème siècle par Edgar Rice Burroughs avec sa saga Le Cycle de Mars écrite en 1912 pour All Story Magazine qui s’inspirent tous les deux des travaux de l’astronome italien Giovanni Schiaparelli qui décrivait des canaux souterrains sous le sol de Mars.

Par ailleurs des auteurs tels que Ray Bradbury se met à imaginer dans son recueil de nouvelles le voyage d’humain vers Mars dans son livre intitulé Chroniques Martiennes est l’une des premières œuvres à envisager réellement un voyage vers Mars. Par la suite d’autres livres ont décrit l’arrivée des humains sur Mars tels que La Voie Martienne écrit en 1952 par le renommé Isaac Asimov ainsi que Les Sables de Mars écrit par Arthur C.Clarke en 1977. Mars représente pour les auteurs de science-fiction une planète sœur de la Terre qui a le potentiel d’être colonisée reprenant d’une certaine façon le paradigme américain et terraformée afin de la rendre de nouveau habitable, si tant est qu’elle ait été un jour habitable.

Wernher von Braun, le visionnaire

L’ingénieur germano-américain Wernher von Braun fut un précurseur dans la mise en place de système spatiaux comme le démontrent ses travaux sur la V2 pour l’armée allemande qui fut le premier objet à avoir dépassé la limite de Kármán situé à 100km d’altitude. À la fin de Seconde Guerre mondiale, il fut récupéré par les Américains afin de conduire le programme spatial américain dans un contexte de guerre froide où l’objectif était la maîtrise de l’espace pour faire face aux Soviétiques. Lors de sa seconde partie de carrière au service de la NASA, il écrivit en 1948 pendant ses premières années américaines un livre nommé The Mars project sur la possibilité d’aller jusqu’à Mars et d’y implanter une colonie où ils étudient la possibilité d’aller sur Mars et d’y envoyer du matériel. C’est à ce moment-là qu’on voit les premiers concepts « réalistes » (qui ressemblent étrangement au Starship de SpaceX) pour une expédition martienne, ce livre laisse apparaître une complexité et d’importants besoins logistiques afin d’y parvenir. Dans ce roman technique, est détaillé la durée de voyage Terre-Mars ainsi que les contraintes techniques une fois sur place le tout agrémenté par des planches de calculs indiquant le nombre de DeltaV (différentiel de vitesse) nécessaires pour atteindre les différentes étapes de l’aventure martienne tout cela en prenant en compte le différentiel de masse entre les différentes étapes par rapport à la masse initiale. Plus encore Braun imagine un réel système politique sur Mars basé sur le système de la démocratie libérale américaine passant par la description du mode de vie martien. Après la rédaction de cet ouvrage, il fut missionné par la NASA afin de mettre en œuvre le programme lunaire de la NASA dans lequel il s’illustra par la conception conjointe avec des entreprises de défense américaine du lanceur Saturn 1B puis Saturn V qui marqueront durablement l’imaginaire autour de l’espace. Passé l’ère Apollo, Mars n’intéressa plus vraiment les responsables américains ni même soviétiques à part pour l’aspect scientifique comme en témoigne les missions Viking 1&2, Mars Pathfinder, le duo Spirit et Opportunity mais rien de semblable avec la réplique d’une mission Apollo vers Mars.

SpaceX : l’aventure spatiale d’Elon Musk

La naissance de SpaceX par Elon Musk viendra tout changer, car ce dernier place Mars comme objectif final de sa société. Il commença petit sur les îles Marshal où il fut proche de la fin de son rêve comme en témoignent les trois échecs de sa fusée Falcon 1 propulsé par un seul moteur Merlin 1C pour le booster principal, c’est lors du quatrième lancement qu’il obtient enfin un succès le 28 Novembre 2008 succès qui sauva son entreprise de la faillite, car la trésorerie était à sec et ne pouvait supporter qu’un seul lancement supplémentaire. L’ironie de l’histoire est que Musk développa sa fusée « lui-même », car les russes avaient refusé de lui vendre un lanceur tactique de l’ère soviétique lors de son périple à Moscou.

Ce refus fut probablement ce qui inspire encore Elon Musk à ne rien lâcher dans ses projets. L’aventure de SpaceX continua jusqu’à la mise en place de la Falcon 9 qui ouvrit les voies à l’entreprise de l’orbite basse (LEO en anglais) pour des charges utiles dépassant les 10 tonnes, le lancement le plus notable est celui de la première capsule cargo Dragon vers l’ISS le 8 décembre 2010 qui démontra les capacité de SpaceX de construire à une capsule « taxi » vers l’ISS, cette capsule prendra le relais de la navette spatiale américaine qui fit son dernier vol lors de la mission STS-135 lancée depuis Cape Canaveral le 8 juillet 2011, cette capsule est sur la même logique que l’ATV construite par Arianespace ou que la Cygnus développée par Northrop Grumman anciennement appelé-Orbital Sciences. Le dragon de SpaceX parviendra à les dépasser progressivement à mesure que la réutilisation du booster de la fusée sera réutilisée (on lance même le Cygnus depuis une Falcon 9 et non depuis le lanceur Antares). La suite, la Falcon Heavy une version renforcée de la Falcon 9 dédié aux lancements vers l’orbite géostationnaire (GTO en anglais) pour les services de GPS ou le satellite de défense, ce lanceur a par ailleurs fait l’objet d’une campagne de publicité avec le lancement inaugural du Roadster Tesla personnel d’Elon Musk avec à son bord un mannequin vêtu de la combinaison que porteront les futurs équipages des nouvelles capsule Dragon revisité afin de permettre le vol habité en orbite terrestre.

L’aventure Falcon peut continuer grâce à la mise en place du réseau de satellites internet Starlink et de capsule habité et cargo vers l’orbite basse pour des clients institutionnels et privés. Le rôle de la capsule attribué par la NASA pour la Dragon 2 lors des programmes CRS (commericial resupply mission) CCP (commerical crew program), et celui de ravitailler et permettre la rotation des équipes vivants pour des périodes de six mois dans l’ISS. On compte parmi les clients privés actuels, d’une part le groupe Axiom Space qui a pour ambition d’assembler une station spatiale privée afin de remplacer l’ISS après son démantèlement à la fin de la décennie et le Polaris société créé par l’homme d’affaire Jared Isaacman afin de proposer des expériences de vol spatiaux à des orbites différentes que celle d’une mission classique dans l’ISS. À ce jour, on compte l’envoi de 50 personnes en orbite via Crew Dragon. Enfin, il est à noter que c’est la mise en orbite de la méga-constellation Starlink qui mobilise le plus les ressources de la société d’Elon Musk.

L’épopée Starship ou la naissance d’une caravelle interplanétaire

Lors de l’IAC de 2016, Elon Musk révèle au grand public ses plans pour la conquête de la planète Mars et présente le nouveau lanceur qui permettra d’atteindre cet objectif l’ITS ou Interplantary transport system. Cette intervention du patron de SpaceX est le point de départ du programme Starship, au fur et à mesure, le design du vaisseau changera jusqu’à atteindre la forme que l’on connaît actuellement. Le lieu qui a été choisi pour accueillir le développement du nouveau vaisseau de SpaceX est celui de Boca Chica dans le Sud du Texas pas loin de Brownville. Ce site a plusieurs intérêts d’abord, c’est une zone peu onéreuse à acquérir sur le plan financier et permet à l’entreprise une certaine flexibilité pour faciliter le développement du Starship leur permettant de ne pas à avoir à faire exploser des fusées à Cape Canaverale ce qui évite que le projet ne soit freiner par les politiques américains qui pourraient voir d’un mauvais œil les expérimentations d’Elon Musk et activerait la FAA (Federal Aviation Administration chargée de délivrer les autorisations de lancement) à intervenir pour freiner le programme phare de SpaceX. Le début du programme Starship sembla loin de l’ambiance léchée des usines où les fusées Falcon 9 sont usinés, à Boca Chica l’ambiance est clairement plus expérimentale permettant de tester plus rapidement est en direct les technologies nécessaires au fonctionnement du Starship. Les tentes au début abritent les anneaux qui une fois soudés composeront la partie basse du Starship tandis que des propositions de cônes sont tester afin de répondre aux différentes contraintes rencontrées durant le vol notamment durant la Max Q – période durant laquelle le véhicule est soumis aux charges les plus fortes – c’est à ce titre que de puissance presses hydrauliques sont installées sur des bans d’essais afin d’éprouvé la solidité des assemblages. L’entreprise ne perd pas de temps puisqu’elle commence à assembler les premiers éléments du Starship, elle teste déjà sur le site texan de McGregor les moteurs raptor qui seront chargé de fournir au vaisseau la puissance nécessaire pour quitter l’attraction terrestre.

SpaceX commença sa campagne de tests à Boca Chica le 27 aout 2019 par le vol du Hopper qui a plus l’apparence d’un château d’eau que d’un vaisseau spatial à proprement parler, notons que le design de l’époque était celui d’un vaisseau avec trois ailes, dont deux rabattables servant de pied au vaisseau durant l’atterrissage. La prochaine étape de test concernera les exemplaires SN3 à SN6 qui auront comme objectif de lancer la partie basse du Starship avec un seul moteur Raptor (dans sa première version à l’époque) à une altitude de 150m puis le faire réatterrir sur la terre ferme sur des jambes situé à l’intérieur de la jupe du Starship, le vol du SN5 lancé le 4 aout 2020 et celui du SN6 lancé le 3 septembre 2020 furent couronné de succès. La prochaine étape de développement du Starship sera elle plus semblable à la version que l’on connait actuellement du Starship et concernont les exemplaires SN8 à SN11 qui seront testé sur un vol à haute altitude à 10km. Le destin de ces exemplaires seront explosifs étant donné qu’ils exploseront tous à un moment du vol, le SN8 se crachera sur le sol lors du rallumage des Raptor après la manœuvre surnommé le Belly Flop qui voit le Starship se redresser sur un angle à plus de 90° pour revenir sur terre, le SN9 lui échouera à faire cette manœuvre, le SN10 explosera après avoir réussi à se poser sur le sol suite à une pression anormale des réservoirs et le SN11 lui explosera lors du rallumage des moteurs lors de la manœuvre de redressement.

Le vol test inaugural pour la version complète eu lieu le 20 avril 2023 et sera un échec pour plusieurs raisons, le phasage d’allumage moteur du booster, les projections de morceaux de béton sur les moteurs du booster et l’impossibilité de séparer le Starship de Super Heavy. Cependant, cet échec ne sera pas préjudiciable pour la continuité de son développement étant donné qu’en Mai 2023 l’entreprise sera sélectionné par la NASA sur une liste de trois propositions pour concevoir l’atterrisseur lunaire des futures missions Artemis (contrat HLS). Ce choix fit l’objet d’un contentieux de la part de la national team (concurrent composé de Blue Origin, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Draper Laboratory) auprès de l’autorité de la concurrence américaine (GAO). Les poursuites intentées par le groupe concurrent à SpaceX seront vues par la communauté spatiale comme des freins à la compétition spatiale et des slogan comme Sue Origin apparaîtront sur les réseaux parmi les supporters d’Elon Musk. Suite à cet échec, le 18 novembre 2023 une nouvelle tentative eu lieu à Boca Chica, pas de problème lors de l’allumage des moteurs lors du décollage ni de projection de morceaux de béton, mais un problème au niveau de la séparation entre le booster et le vaisseau). Ce problème sera ensuite corrigé par l’ajout d’un séparateur jetable entre le booster et le vaisseau afin de favoriser la manœuvre de séparation à chaud, cette solution sera testée lors du troisième vol test du 14 Mars 2024 qui verra lui une séparation nominale mais qui se soldera par l’échec du vaisseau avec une perte d’altimétrie et du booster au moment de sa descente. Le quatrième qui a lieu le 6 juin 2024 sera comme une revanche sur les problèmes rencontrés lors du quatrième vol test qui lui verra les premières images embarquées du vaisseau en altitude et l’amerrissage du booster. Enfin le dernier vol en date, le Starship fight test 5 a réussi a capturer le booster avec les bras de la tour de lancement ce qui a émerveillé le monde et montré le niveau qu’ont pu atteindre les équipes de SpaceX quant à la précision de leur système.

Après avoir évoqué la partie développement, il faut se projeter sur l’avenir immédiat du programme, le Starship doit effectuer un nouveau vol test en Novembre de cette année pour confirmer les étapes atteintes par le dernier vol test. L’année prochaine devra prouver deux choses primordiales pour son succès : le rattrapage du Starship par la tour de lancement et son ravitaillement en orbite. Ces deux étapes permettront d’atteindre les deux objectifs affiché par le président de SpaceX : augmenter la cadence de tir du Starship afin de réduire le coût par kg envoyé en orbite et accroître le rayon d’action du Starship pour ne pas être obliger de déployer des engins titanesques, Elon Musk a d’ailleurs indiqué sur son réseau X qu’il souhaitait pouvoir envoyer plusieurs Starships sans équipage vers Mars afin de tester le comportement du vaisseau pendant le voyage de 6 mois vers la planète rouge. Son projet martien demanderait selon la construction d’un millier de Starship pour pouvoir transporter le personnel et les équipements nécessaires à l’installation d’une ville autonome sur la surface de l’astre rouge. Cette tâche ne peut s’envisager que sur le temps long car du fait du jeu orbital on peut lancer vers Mars tous les deux ans lors des fenêtres transfert d’Hohmann et demandera de développer une économie spatiale conséquente pour maintenir l’énergie nécessaire à ce projet titanesque. La victoire récente de Trump qui soutient ses projets lui assure une bonne relation avec l’état américain et par conséquent on peut tout à fait imaginer qu’au terme des quatre prochaines années du mandat de Donald Trump le Starship soit dans une phase avancée pouvant accueillir des équipages en son sein pour fondre sur Mars. Cette projection personnelle s’appuie sur le fait qu’en 2026, le Starship puisse être rapidement réutilisable, garantissant à ce dernier en un ans un nombre de lancements comparable à ceux de la Falcon 9 cette année (plus d’une centaine) ce qui permettrait d’acquérir l’autorisation pour pouvoir accueillir des équipages au sein du Starship à la fin de l’année 2027 ce qui pourrait ouvrir la voix à la mise en place du projet martien d’ici 2028 qui est de fait un fenêtre de transfert pour pouvoir envoyer les premiers hommes sait-on jamais sur Mars ? Enfin, il est fort à parier que d’autres entreprises et pays lanceront des produits comparables au Starship permettant d’offrir au secteur une concurrence saine pour faire avancer la technologie, parmi les acteurs à surveiller il y a l’entreprise de Jeff Bezos qui travaille sur son lanceur réutilisable New Glenn et qui étudie la possibilité de disposer d’un second étage réutilisable à la manière du Starship et la Chine qui travaille sur une Long March 9 semblable dans son fonctionnement au Starship. Ces nouveaux concurrents donneront à SpaceX la possibilité d’innover, Elon Musk a lui-même indiqué qu’il souhaitait voir apparaître un Starship XL avec un plus grand diamètre pour transporter plus de cargo vers Mars.

Des promesses et des questions

Le paradigme multi-planétaire décrit par Musk d’un monde dans lequel nous pourrions voyager de planète en planète afin de contrecarrer la longue destiné tragique qui nous attend si on reste uniquement sur Terre invite à une réflexion sur la nature de l’économie mondiale et de sa transformation pour supporter et s’adapter à la logique multi-planétaire du fait des contraintes de trajet, environnementales et de communication. Prenons l’exemple d’une communication entre la Terre et Mars accuse un retard de 3 à 21 minutes c’est-à-dire que l’information transmise entre les deux planètes aura une latence rendant quasiment impossible la mise en place d’un réseau entre la Terre et Mars à moins d’une révolution quantique qui rend plus rapide la transmission des données Simplement cet aspect rend pour le moment compliqué l’idée d’une Mars pleinement intégrée dans le système d’information terrestre. Les corps subiront également des transformations mineurs ou majeurs selon l’astre occupé, on peut imaginer que dans un lointain futur et après plusieurs générations de colons la densité musculaire des futurs Martiens soit plus légère que des Terriens étant donné la faible gravité martienne (0,379 G sur Mars contre 0,905 G sur Terre). Plus largement ce qui m’intéresse à titre personnel dans le projet martien d’Elon Musk outre l’aspect développement technologique nécessaire à son accomplissement c’est sa dimension temporelle rompant avec les cycles court issus du monde moderne car pour accomplir sa tache qu’il ne verra sans doute pas de son vivant il faudrait plusieurs décennies au mieux ou un bon siècle pour installer de manière pérenne l’humanité sur Mars. On revient finalement à l’aspect cathédrale du projet martien, car sa temporalité relève en quelque sorte de ce qui s’est passé pendant les constructions des cathédrales dans la seconde partie de l’époque médiévale. Plusieurs générations de maîtres bâtisseurs se sont succédé afin d’édifier ses structures titanesques à la gloire de Dieu, ce qui doit nous interroger sur la nature de la motivation qu’il faudra pour succéder à Musk une fois qu’il aura fait son temps pour continuer son projet martien. Peut-on imaginer un culte à la gloire de l’exploration du cosmos la question reste ouverte n’ayant moi-même pas la réponse…

P.S : L’article a été écrit avant le sixième vol d’essai cependant les conclusions ne changent pas.

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