Avertissement : cet article n’est pas une incitation à imprimer des armes digitalisées sur le sol français. La fabrication d’armes et de munitions en France nécessite la possession d’une licence spécifique. Plus d’informations ici
Nous sommes en 2012. Cody Wilson, un étudiant en droit à l’Université du Texas, décide de lancer Wiki Weapon, un projet d’arme digitalisée et open source, inspiré de Wikileaks et de ses archives distribuées en peer to peer. Après un an de travail et de recherche de fonds, la première arme 100 % digitalisable est révélée en vidéo. Les fichiers sont immédiatement bloqués par le Département d’Etat américain, en vain. À peine un an après, l’organisation Defense Distributed est 100% fonctionnelle, hébergeant le site DefCad (le Wikileaks des armes 3D) et distribuant des imprimantes Ghost Gunner, spécialisées dans la création de lower receivers de AR15 (la seule partie réglementées d’une arme à feu). Et ce n’est qu’un projet parmi d’autres : on pourrait citer le travail de Cody Wilson sur Dark Wallet, logiciel d’anonymisation des transactions Bitcoin, ou bien le site de crowdfunding Hatreon, considéré comme l’un des principaux pipelines de financement de l’Alt-right. J’avais même été témoin d’une rumeur sur le site 8chan, affirmant que Cody Wilson était la véritable identité de Sanjuro, le fondateur de Assassination Market, un site du Dark Web où les utilisateurs pariaient sur la mort de personnalités politiques. Une affirmation aussi grotesque que plausible, et qui révèle quelque chose : au-delà d’une chaîne d’événements impliquant Cody Wilson, il existe une certaine idée de ce dernier, une abstraction pour toutes les idées dangereuses passées, présentes et futures.
Post-left et Post-right
La plupart des activistes et personnes impliquées en politique partagent une idéologie implicite : l’idée d’une suprématie de nos démocraties néolibérales qui iraient vers toujours plus de liberté, toujours plus de sécurité. Pourtant cette idéologie qui voudrait un sens de l’Histoire est de plus en plus contredite par les faits. Nos démocraties occidentales sont de plus en plus à l’aise avec les restrictions de libertés (en particulier concernant la liberté d’expression) et l’état de droit s’est dégradé au point que des grandes villes françaises et américaines se retrouvent maintenant en dessous de villes qui, il y a 20 ans, étaient admises comme faisant partie du tiers-monde.
“Si vous regardez 1950, et si la sécurité et la sûreté sont vos standards, il semble que la civilisation n’ait pas apporté plus de sécurité et de sûreté dans ce pays ou dans d’autres depuis cette époque. […] Dessinez une carte et montrez-moi où il est sûr de se promener la nuit avec un iPad à la main en 1950 et redessinez cette carte en 2020. Dites-moi qu’il n’y a pas de différence”.
– Cody Wilson, sur le podcast What Bitcoin Did.
Et si l’on liste les uniques droits et combats qui sont réellement légiférés (avortement, homosexualité, immigration, écologie), ils apparaissent non pas comme des domaines garants de notre sécurité et de nos libertés, mais comme du planning de population allié à des restrictions énergétiques. Nous nous dirigeons vers une société dystopique faite de stérilisation de masse, de suicides assistés et de confinements climatiques.
“L’une des choses qui est si formidable dans ce projet, c’est qu’il révèle des croyances que vous ignoriez posséder, et un certain nombre d’entre elles sont des idéologies publiques que nous avons désavouées, pour finalement affirmer qu’elles n’était pas vraiment des idéologies.”
– Cody Wilson
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
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Et à mesure que ce « sens de l’histoire » se dissipe, des portions de plus en plus importantes de la population découvrent que la Politique, telle qu’elle existe dans nos démocraties libérales, n’est plus vraiment le Politique, dans le sens où elle n’est pas là pour nous permettre d’agir sur le réel, mais au contraire de nous en empêcher.
Le but de ce nouvel ordre mondial, est l’empêchement définitif de tout événement, c’est en un sens la fin de l’histoire, non dans le sens d’un accomplissement de la Démocratie comme Fukuyama le décrit, mais sur la base d’une terreur préventive. Une contre-terrorisme qui met fin à tout événement potentiel.
– Jean Baudrillard, cité par Cody Wilson durant la conférence NH Liberty Forum de 2022.
Paradoxalement le seul gain de liberté, la seule révolution qu’ait connue notre génération ne nous a pas été donnée par des instances politiques ou un quelconque activiste mainstream (qui au contraire tentent de l’annuler par tous les moyens) mais par une technologie : Internet.
La technologie comme politique
La technologie est un moteur de changement. Dans son manifeste crypto-anarchiste, Timothy C. May prend l’exemple des barbelés, qui ont révolutionné la propriété et permis l’apparition des ranchs et des fermes. Plus radicale, l’invention de la presse a littéralement été le moteur d’une révolution politique, religieuse et scientifique, précipitant la fin des guildes médiévales et engendrant l’apparition des nations modernes. Les changements technologiques majeurs ne se contentent pas d’altérer un domaine, ils changent tous les domaines, et ce jusqu’à changer la plus grande instance hiérarchique qu’est l’État lui-même.
La technologie permet de rendre les lois existantes obsolètes, elle bouge les coordonnées en créant de nouveaux espaces de liberté. Imaginons que l’Etat décide d’interdire les Pitbulls : pour contourner cette loi, vous n’aurez qu’à le croiser avec une autre race. Vous aurez toujours quelque chose qui ressemble à un Pitbull (possiblement en plus dangereux) mais qui échappera complètement à l’appareil législatif. Dans un domaine plus proche de notre sujet, Internet, une technologie comme le protocole peer to peer BitTorrent rend toutes tentatives de censure impraticables. Impossible d’organiser une descente police et arrêter en une fois tous ceux qui partagent un même fichier torrent. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres : on pourrait citer le projet Tor, le système de blogging, les imageboard anonymes, le mp3, etc.
Pourtant, malgré ces technologies offrant une décentralisation totale, l’Internet semble se diriger vers toujours de plus de centralisation, dynamique qui devient évidente avec l’apparition de Facebook en 2006 et de son milliard d’utilisateurs. Une révolution technologique sans la révolution. Étudiant en Design dans les années 2000, j’avais été frappé par la fadeur des projets proposés. C’était un sentiment étrange, comme consommer des drogues auxquelles on aurait retiré leur molécule agissante. L’exemple le plus marquant fut lorsqu’un professeur ridiculisa un étudiant parce qu’il travaillait sur un manteau pour se sentir en sécurité dans le tram. Nantes (la ville où j’ai étudié) a maintenant un taux de criminalité supérieur à Medellin.
“Il faut saisir l’urgence du moment, et la chose la plus dure que j’ai dite sur les Makers [le mouvement des utilisateurs d’imprimantes 3D] dans mon livre, c’est que leur révolte n’était pas luciférienne, elle n’était pas sérieuse. L’imprimante phare du mouvement avait été baptisée en 2012 la CNC Cupcake. Sont-ils sérieux ?”
– Cody Wilson, from the video An AR-15 in Every Home: 3D Gun Printer Cody Wilson on Resistance, Trump, the Media, & More.
C’est ce mal de l’époque qu’a mis en évidence Cody Wilson : la démilitarisation (et donc la dépolitisation) du Design, cachée sous des vernis de culture Geek et de simulacre politique de plus en plus ridicules, ne pouvant être traité que par des projets radicaux. Soyez comme Cody Wilson, soyez comme cet étudiant qui voulait résoudre l’insécurité dans le tram.
Le politique comme moteur de radicalité
“Radical : Personne qui préconise des réformes politiques, économiques et sociales fondamentales par des méthodes directes et souvent intransigeantes.”
– Introduction du documentaire the New Radical
Le tour de force d’un projet d’arme open-source, c’est qu’il ne laisse place à aucun compromis possible : les armes sont en ligne pour toujours ou ne le sont pas. Les projets crypto sont différents : ils n’ont pas eu (ou ont perdu) cette obligation de radicalité. On a ainsi vu des écosystèmes entiers se compromettre pour que chaque shitcoin puisse avoir littéralement sa place au forum de Davos. Amir Taki et Cody Wilson avaient déjà alerté sur cette tendance en 2012 et avaient en réaction lancé le projet Dark Wallet (maintenant appelé Dark.fi) permettant l’anonymisation des transactions Bitcoin, et par cela-même préserver cette idée radicale que représente une crypto-monnaie : un écosystème financier ne pouvant être ingéré par l’Etat.
A l’inverse, Ethereum s’est plié à toutes les exigences Davocratiques. Le rejet de la proof-of-work pour la proof-of-stake, mis en avant comme un progrès écologique qui allait amener plus de décentralisation, s’est révélé produire l’exact inverse : une centralisation des serveurs de stake aux Etats Unis, permettant à la fois une collecte de données sur les utilisateurs de la crypto-monnaie et une enquête de SEC pour savoir si la proof-of-stake n’était pas une « sécurité » [un contrat avec une garantie de rendement]. À cela viennent s’ajouter la collecte des données utilisateur officialisée par le wallet Metamask et l’arrestation du codeur du smart-contract Tornado Cash. Autant d’événements annonçant la mort dans l’œuf de tout potentiel radical.
Mastodon est un autre exemple de ce refus, le réseau social clone de Twitter apparaissant en TT à chaque fois que l’idéologie publique se retrouve en péril. Il est mis en avant par ses créateurs comme étant à la fois décentralisé et « anti-nazis ». Cette censure est possible car la décentralisation de Mastodon repose sur un protocole de publication/souscription, qui, quand on l’observe de plus prêt, fonctionne comme une logique de flux d’information similaire à un email ou flux RSS. Et le problème, c’est qu’aucun prestataire de mail ou de service de souscription RSS n’a jamais officiellement bloqué d’adresse mail ou de blog pour des raisons idéologiques. Dans cette perspective, GMAIL et RSS Feed Reader sont des services plus radicaux que Mastodon, qui pourtant lui est postérieur. Cette régression de paradigme met en évidence une guerre pour abolir des libertés qui, il y a 10 ans, était admises comme inaliénables.
Une chose qu’il me paraît essentiel d’ajouter, c’est que cette radicalité ne peut se faire sans une certaine terreur. Je me souviens quand je faisais partie d’un collectif d’imageboard anonyme, nous avions appris l’existence d’un projet de chan décentralisé et donc (théoriquement) incensurable. Malgré nos visions anarchistes de la cyberculture, nous avions été terrifié par les abysses que pouvait ouvrir un tel projet. C’est une terreur similaire qui a retenu la NRA (National Rifle Association) de toute reconnaissance du projet Defense Distributed. La possibilité d’un lower-receiver d’AR-15 digitalisé ne pouvait que précipiter l’examination de la constitutionnalité des fusils d’assaut par la cour suprême américaine, un événement inédit, à l’issue incertaine. Et souvenez-vous : le but du post-politique est justement de prévenir l’occurrence de ce genre d’événement.
“L’histoire n’est pas linéaire, c’est une suite de déraillement”.
– Cody Wilson
C’est la force des technologies radicales, elles nous mettent sur les rails d’un futur incertain qui va venir challenger ce que nous admettions comme un horizon indépassable.
Horreur
Augmentée
Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft
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Vers un future fertile
Nous avons vu dans cet essai que les technologies pouvaient être thermonucléaires, que par leur existence même, elles peuvent modifier l’état des choses, forçant le monde à des réalignements dont l’issue est incertaine. Et dans une perspective très George Bataillesque, elles poussent leurs instigateurs à des sacrifices d’énergie déraisonnée, pouvant potentiellement consumer le future de ces dits instigateurs. Mais le point sur lequel je voudrais insister, c’est que cet érotisme, voire même cette morbidité, s’inscrit comme la condition sine qua non d’une fertilité qui va au-delà d’une vie humaine.
Defense Distributed est toujours actif, hébergeant des fichiers 3D et livrant des imprimantes Ghost Gunner aux quatre coins des USA. Vingt ans après, le site 4chan est toujours en ligne malgré un nombre infini de polémiques et de problématiques techniques. L’œuvre du Marquis de Sade, qui a passé la moitié de sa vie en prison, en grande partie à cause de ses écrits, est maintenant en vente libre. Ces projets radicaux, propulsés sur des technologies nouvelles, n’ont pas disparu, ils ont même pu se transformer en business plus ou moins rentable. C’est le message de Cody Wilson et d’Amir Taki : Investissez-vous dans des domaines technologiques que le Système restreint et saisissez enfin le Politique.
Amir Taki et Cody Wilson ont tous les deux été élus « personnalités les plus dangereuses au monde » par le magazine Wired en 2012.
“Dans l’Économie Générale de George Bataille [la Part maudite], il y a cette idée que le soleil donne son énergie gratuitement. C’est une belle image et une belle idée : la source de toute richesse matérielle, du capitalisme et de l’excès venant d’une réaction nucléaire à des millions de kilomètres, complètement indépendante de l’humanité, et que nous aurions juste à absorber et à rediriger vers notre économie. Mais Bataille nous dirait “non” : il y a une obligation symbolique que l’on ne peut ignorer. Le soleil, comme le savait les Aztèques ou tous les autres peuples anciens, le soleil exige un sacrifice de sang. De quoi parle-t-il ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? Je dis simplement que l’horreur, la catastrophe, le défi, la défense, la provocation, sont des formes initiatiques essentielles. Et je sais que ces choses se situent en dehors de la sociologie de, disons, Mises [Ludwig Von Mises, l’auteur de l’économie autrichienne] où tout est orienté directement et rationnellement. Considérez un domaine symbolique qui est souvent supprimé dans les conversations capitalistes et marxistes, mais qui est en fait essentiel à ce qui nous intéresse et dont tout est dérivé. Chacun des projets dans lesquels je m’engage n’est que le résultat de cette volonté kamikaze de lancer une grenade sur le problème. Et cela a produit de la richesse, cela a produit des emplois, cela a produit un travail, des collaborations, des normes pour des métadonnées ouvertes, des choses qui vont soutenir, fonctionner, et fournir un avantage scientifique.”
– Cody Wilson, durant la conférence NH Liberty Forum de 2022.
Pour mes lecteurs qui souhaiteraient approfondir Cody Wilson, je leur conseille son livre Come and Take It, mais surtout le très bon documentaire The New Radical d’Alex Lee Moyer qui le suit de 2012 à 2016.
Concernant l’indice de sécurité des villes, je me base sur cette statistique, qui est peut-être imparfaite, mais a au moins le mérite d’exister.
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