BAP / ACC

Et pourquoi se concentrer sur le produit du sucre ? Pourquoi ne pas plutôt considérer le développement d’une race d’hommes nobles ? Les perspectives de la Jamaïque, tout comme celles de n’importe quel pays, ne reposent pas sur le sucre ni sur aucune forme ou degré de richesse matérielle, mais sur la qualité des hommes et des femmes qu’ils façonnent et élèvent. Là où il y a des hommes et des femmes d’une nature noble, tout le reste suivra naturellement ; là où il en manque, il ne peut y avoir de véritable prospérité, même si le nombre de tonneaux de sucre passe de milliers à des millions. Les colonies ne sont intéressantes que dans la mesure où elles offrent des foyers où les Anglais peuvent croître et se multiplier ; des Anglais du type ancien, avec des habitudes simples, qui n’ont pas besoin de luxes importés.

James Anthony Froude, L’Arc d’Ulysse

Il est assez rare qu’une thèse soit publiée pour être donnée à lire à un public large. Selective Breeding and the birth of philosophy de Costin Alamariu déroge à cette règle car Alamariu n’est pas n’importe qui. Sa réputation le précède après qu’il ait acquis une notoriété sous le pseudonyme de Bronze Age Pervert via son ouvrage Bronze Age Mindset, traduit en français par le blog Les Trois Étendards. Lors d’une discussion avec Julien Rochedy, il fut surpris d’apprendre que, malgré mon attachement au techno-optimisme de Marc Andreessen affirmé, je n’en appréciais pas moins BAP. De la même manière, Laurent Alexandre fut lui de son côté étonné de me voir publier mon livre chez Hétairie, maison d’édition de Julien Rochedy qu’on associerait plus volontiers au second, qu’au premier. Il semble à première vue pour beaucoup que ces mondes ne sont pas connectés. Il y aurait les nerds accélérationnistes d’un côté et les esthètes réactionnaires de l’autre. Il n’en est rien selon moi. Ces pensées se complètent, et un article récent publié par le Harvard Divinity bulletin établissant le lien entre Marc Andreessen et BAP ne s’y est pas trompé. Elles sont intimement liées et cela est évident, ou devrait l’être, pour tout néoréactionnaire conséquent.

Ce que proposent des gens comme Andreessen et BAP est donc un retour à une culture plus musclée et masculine, un retour à un « état d’esprit de l’âge de bronze » qui privilégie les valeurs guerrières et méprise l’efféminement, la démocratie et l’égalitarisme.

Nicholas E. Low, Dreaming of Superhumans: New Reactionary Nietzschean Fantasies

La thèse principale de Costin Alamariu développée dans Selective Breeding pourrait se résumer assez simplement, l’eugénisme et la philosophie vont de pair. La naissance de la philosophie est intimement liée à la préoccupation de la reproduction. Pour cela, Alamariu va piocher dans les textes des auteurs antiques pour soutenir sa thèse et, sans surprise, il y parvient. Pourquoi dis-je sans surprise ? Car il suffit de prendre les choses à la racine pour comprendre qu’il ne pourrait pas en être autrement et que c’est exactement ce à quoi on devrait s’attendre. 

Mon explication ne devrait pas surprendre mes lecteurs habituels. Elle pourrait même sembler convenue, mais il me faut procéder à un peu de pédagogie pour les autres afin d’expliciter clairement le lien qui unit l’eugénisme et la philosophie. Si l’eugénisme est la production et la sélection des bons gènes, la philosophie est la production et la sélection des bons mèmes. Nous pourrions dire que la philosophie est eumémiste. De la même façon qu’il existe un phénomène de réplication des gènes et de création du nouveau via les mutations, la philosophie doit permettre de sélectionner les idées correctes sous la pression de la science, mais surtout permettre la création du nouveau, du singulier comme le dit Deleuze. Il peut vous sembler étrange de mettre en avant que Deleuze et Alamariu sont d’accord, mais c’est pourtant le cas, car les deux se sont nourris à la même source nietzschéenne. À la suite de Nietzsche, tous deux affirment que la convention est là où la vérité meurt et qu'”un philosophe doit se libérer de la convention”, de la norme. C’est cette capacité qui le rapproche du tyran selon Alamariu. Le tyran est celui qui s’élève au-dessus du nomos et parvient à imposer ses intérêts, celui pour qui la loi ne s’applique pas, l’exception de Carl Schmitt, le seul souverain. Le tyran exprime sa suprématie dans l’action, car “c’est dans l’action manifeste que la nature est révélée” nous dit Alamariu avant d’ajouter que “c’est en cela que la vérité, l’être, la réalité sont connus, deviennent littéralement apparents”. La nature d’un être et la vérité se révèlent dans l’action, les gènes et les mèmes sont soumis à la même loi, le tyran qui dispose des bons gènes n’est pas différent du philosophe qui dispose des bons mèmes. Les deux doivent trouver le courage de s’élever contre la norme. Chez le tyran ce sera par la force, chez le philosophe se sera par la parrhésie.

Quel est le point commun entre les gènes et les mèmes ? À un degré d’abstraction suffisante, ils sont tous les deux de l’information. C’est-à-dire qu’ils vont mettre en forme une entité. Autrement dit, l’information ne peut pas être strictement séparée de la matière puisqu’elle va justement mettre en forme cette matière et n’aurait aucun sens sans elle. Les gènes donnent la forme d’un organisme et les mèmes donne la forme d’une culture. Un organisme et une culture peuvent alors être vus comme des systèmes cybernétiques qui vont traiter l’information. Il existe cependant deux écueils à éviter quand il est question de cybernétique. Premièrement, il serait faux d’imaginer, comme le font souvent les nerds, que la cybernétique ne s’applique qu’à des systèmes informationnels virtuels. La cybernétique est en fait la science du comportement d’un système qui va acquérir de l’information sur lui-même lui permettant de réduire son entropie et elle est évidemment pertinente pour tout système du monde matériel. Deuxièmement, il serait réducteur de concevoir la cybernétique comme un système déterministe se contentant d’effectuer des tâches prédéfinies, ou un système conservateur cherchant seulement à maintenir une homéostasie. Un système cybernétique est en fait producteur d’information, de singularité faisant apparaître de nouvelles entités dans le monde.

Produire de l’information sur lui-même, cela rejoint l’idée du “connais-toi toi-même” de Socrate, mais surtout, en considérant l’aspect productif conduisant au dépassement, la cybernétique devient une lentille épistémologique idéale pour penser ce que les Grecs nommaient la phusis (φύσις), souvent traduit par “nature”. Le terme phusis désigne l’ensemble des caractéristiques essentielles et intrinsèques des êtres et des choses, ainsi que le principe de leur croissance et de leur développement. Dans la philosophie antique, la phusis est souvent étudiée pour comprendre les lois fondamentales et les processus naturels du monde. Sous la plume d’Alamariu, la phusis devient la loi de la nature s’opposant au nomos compris comme la loi des hommes, la tradition reposant sur des conventions humaines. La phusis est alors à ses yeux, en réalité, la seule tradition digne de ce nom et la production du nouveau, par l’engendrement génétique, comme par l’engendrement mémétique, doit permettre de la découvrir.

Il est évident que la culture est portée par des organismes. Nous avons donc des organismes mis en forme par leur gènes, qui vont générer des mèmes mettant en forme une culture. Il semble évident que la qualité des idées produites ne peut pas être indépendante de la qualité des organismes produits. C’est ainsi qu’on observera une coévolution gène-culture où l’évolution génétique et l’évolution culturelle affectent chacune la trajectoire de l’autre.

“L’évolution culturelle est différente parce qu’elle est entièrement un produit du cerveau humain, un organe qui a évolué au cours de la période préhumaine et paléolithique par une forme très particulière de sélection naturelle appelée coévolution gène-culture.”

E.O Wilson, The meaning of life

Se connaître soi-même pour une culture passe alors nécessairement par la tentative de mieux comprendre ce qui la compose. Ce sera le rôle de la philosophie. Plus encore, la philosophie telle qu’elle apparaît en Grèce et comme le met remarquablement en avant Alamariu est la prise de conscience de la nature et de son mouvement où tout est engendré et composé d’éléments fondamentaux s’agençant de manière de plus en plus complexe. 

L’idée du mouvement et du changement perpétuel est clairement explicité dans la mythologie grecque telle qu’on peut y avoir accès dans un ouvrage du Romain Ovide, Les métamorphoses. L’idée de la recherche d’élément fondamental permettant la création du nouveau traverse la naissance de la philosophie. Ceci est sujet de débat chez les présocratiques où Héraclite veut que le feu joue ce rôle, quand dans le même temps les atomistes imaginaient une unité fondamentale insécable.

En tant que fruit de cet engendrement partant d’un élément fondamental, il existe alors une nature de l’homme. Chaque individu est le fruit d’une lignée qui lui confère des caractéristiques propres qui appellent à être révélées dans le monde. Pindare capture cet aspect de la culture grecque avec son injonction destinée à Hiéron de Syracuse “Tu dois devenir tel que tu es quand tu l’auras appris”. L’individu dispose d’une nature qu’il doit comprendre afin d’en révéler le meilleur. Il faut replacer une telle assertion dans son contexte grec où l’idéal de soi n’est pas méritocratique, mais passe par l’accomplissement de l’arete (ἀρετή), l’excellence innée d’une forme de noblesse.

Ce n’est pas une incitation à se dépasser ou à se réaliser, accessible à tout le monde, mais plutôt à se montrer à la hauteur de sa valeur innée, héritée. Il s’agit donc de manifester, donner à voir des preuves tangibles de ce que l’on est déjà par sa naissance. Hiéron est déjà Hiéron à sa naissance, mais il lui reste à devenir Hiéron en se montrant à la hauteur de son rang. Le devenir est un destin, celui du sang et de la lignée. L’impératif chez Pindare est donc de devenir en apprenant, en se révélant à soi-même et aux autres une nature préexistante. Mais un système cybernétique cherchant à être plus qu’il n’est, la connaissance de soi doit être un moteur du dépassement de ce qu’on est comme le relèvera très justement Nietzsche.

La cité grecque est alors le fruit d’une nouvelle singularité, elle constitue une propriété émergente d’une culture trouvant une nouvelle forme. Comment une culture va-t-elle être mise en forme ? De la même façon que l’ADN va être le support des gènes, le langage va être le support des mèmes. C’est le langage qui va permettre de communiquer des faits du monde entre des agents rationnels qui vont leur permettre de générer et maintenir des institutions. Le monde est plus vaste que l’information que l’ADN capture sur lui et il est aussi plus vaste que ce que le langage peut capturer sur lui. Cependant, le langage est suffisant pour communiquer des idées formulées sur le monde qui vont offrir à une culture sa conception du monde et ses institutions. 

Mais si le propre d’un système cybernétique est de produire de l’information sur lui-même afin de réduire son entropie, alors une culture reposant sur des idées portées par des organismes va naturellement produire une réflexion introspective sur les individus la composant et générer l’idée de l’homme.

Il est coutume de dire que la Grèce antique était étrangère à l’idée de progrès. Cela ne semble pas tout à fait exact. Dans son ouvrage “ Cours familier de philosophie politique “, Pierre Manent soutient que les Grecs anciens avaient une notion de progrès, bien que différente de celle de la modernité. Pour Manent, le progrès en Grèce antique se comprend surtout à travers le développement de la pensée philosophique et politique. Les Grecs voyaient le progrès comme un perfectionnement de l’âme et de la cité, avec un accent sur la vertu et la sagesse. Ce progrès n’était pas linéaire ni matériel, mais plutôt moral et intellectuel, visant à atteindre un idéal de vie bonne et juste.

Horreur
Augmentée

Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft

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Une fois obtenues les idées de nature, d’engendrement, d’homme et de son perfectionnement moral, il apparaît évidemment que cela suffit pour se diriger vers une réflexion sur l’engendrement d’une meilleure nature de l’homme, que l’on nommera plus tard l’eugénisme, dans le même temps que la cité voit l’apparition de la philosophie. La philosophie est intimement liée à l’homme prenant conscience de sa nature d’homme, de sa phusis dans l’aspect qu’elle recouvre par l’idée d’engendrement et de croissance. La philosophie est intimement liée aux tyrans car elle nécessite de braver les consensus sur lesquels reposent la cité et de faire confiance à son jugement effectué à l’aune de sa nature supérieure. Le tyran s’oppose à la démocratie et au populisme relevant de l’imposition de la norme par la majorité, mais il s’oppose encore à l’aristocratie qui cherche les meilleurs dans le contexte connu du nomos actuel. Le philosophe crée un nouveau nomos supérieur, et parce que celui-ci est supérieur il appelle à être mis en place, il appelle donc le tyran à régner.

En observant cela à l’aune de l’anacyclose de Platon, on voit se dessiner un schéma où le tyran est l’individu d’exception, seul capable de créer le nouveau et de l’imposer. Il va sélectionner une aristocratie selon les nouveaux critères, avant que ces critères ne deviennent plus que des conventions démocratiques appelant à être révisées par un nouveau tyran disposant du thymos nécessaire. Par ce biais, Alamariu rejoint les propos de Curtis Yarvin évoqués dans son manifeste techno-pessimiste, ainsi que les propos de James Anthony Froude livrés dans L’arc d’Ulysse. Le danger pour une culture est de perdre sa capacité à produire des tyrans, des individus conscients de leur arete.

Chacun vit et lutte pour faire son propre chemin et obtenir sa propre position. La seule exigence est qu’il y ait un terrain de jeu équitable et que chaque garçon apprenne à utiliser les armes qui lui permettront de se frayer un chemin. ἀρετή (arete), la ‘virilité’, est la plus essentielle de toutes les acquisitions et la plus difficile à cultiver, comme Aristote l’a observé il y a longtemps, elle est présumée dans les démocraties comme allant de soi. D’ἀρετή (arete) une quantité modérée ὁποσονοῦν (hoposonoun) suffirait, et selon Aristote, c’est sur ce rocher que les républiques grecques ont fait naufrage. Leur ἀρετή (arete) ne s’est pas imposée naturellement, et ils l’ont perdue, et les Macédoniens et les Romains les ont dévorés.

James Anthony Froude, L’Arc d’Ulysse

Pourquoi lire Alamariu ? Car si une lignée peut être ascendante ou descendante et produire des organismes eugéniques ou dysgéniques, une culture peut, elle, produire des méméplexes eumémiques ou dysmémiques. Quel est le pire pour une culture ? Condamner et supprimer l’expression d’idées marginales. Si l’entropie est la norme et que la production du singulier et du remarquable est rare, il est fort possible qu’elle doive être cherchée à la marge. Cela ne signifie pas que toute idée marginale est remarquable. La majorité des idées marginales sont même à jeter directement à la poubelle, car si l’information met en forme, ces idées en donneraient une mauvaise. Mais c’est à la marge que nous trouverons une minorité d’idées qui guérissent, qui sauvent, qui créent. On pourrait appeler cela l’effet LN-CC. Au sein d’un coin malfamé de Londres, Dalston, se trouve un magasin de mode. Le magasin a maintenant pignon sur rue, mais à l’époque où je m’y étais rendu, il fallait passer par une petite rue derrière pour y accéder. Il était caché à la vue du badaud. Il ne pouvait y avoir plus grand contraste entre la rue qui l’environne et l’intérieur du magasin, entre le prix des loyers et celui des produits proposés. On parle d’un quartier où se mêlent islamisation et explosion des MST de la jeunesse décadente qui laisse traîner ses seringues sur le trottoir.

L’intérieur était constitué d’un couloir aux contours en bois, lui donnant un aspect de jungle urbaine, menant sur une succession de plusieurs salles à l’ambiance variée allant de réminissence de 2001 : l’Odyssée de l’espace à des aspects plus bruts de pur béton sentant l’industrie lourde.

Le magasin constituait une singularité dans son quartier. Mais à l’intérieur même du magasin, l’explosion de créativité proposée conduisait à promouvoir des articles dont la majeure partie était le fruit du chaos et bonne à être mise à la poubelle (petit collier de popcorns les gars ? Vos lunettes, les voulez-vous intégrées à votre bonnet ? Un peu cher n’est-ce pas, peut-être pouvez-vous vous permettre l’achat d’un col à défaut d’un pull entier). Si vous voulez vous assurer de ne pas faire de fautes de goût, allez chez Ralph Lauren ou Tommy Hilfigger. Mais vous vous trouverez face à un maximum local où l’innovation est rendue presque impossible. Si vous voulez trouver quelque chose de radicalement nouveau, alors vous devez accepter l’existence du déchet.

Il en va de même pour les idées. BAP exprime comment il aime passer du temps dans la crasse des milieux underground où peut encore se trouver l’expression d’une forme de liberté. Il faut traîner entre les prostitués et les proxos pour tomber sur un Alamariu. “L’avenir se façonne dans les recoins de l’Internet de bas statut, là où les élites ne mettent pas les pieds” tweetera Marc Andreessen. Il faut aller sur 4chan pour y trouver les idées vraiment innovantes d’un Alamariu, mais elles côtoient une large part de déchets. Il faut naviguer au travers des femmes poussant leur onlyfan et les tiers-mondo-complotistes de droite pour tomber sur BAP. Identifier les bonnes idées, au sein des idées nouvelles, demandent du temps et des connaissances. Si vous n’avez aucun des deux, alors allez vous habiller chez Ralph Lauren, tenez-vous en aux médias mainstream pour l’actualité et lisez les classiques qui ont passé l’épreuve du temps. Cela fera de vous un individu plus fonctionnel que celui qui ingurgite les choses les plus farfelues qu’il lit sur Internet. La rumeur est amusante, mais Brigitte Macron n’a pas changé de sexe. Au sein même des idées de BAP, il vous faudra sûrement faire le tri. Par exemple, je ne crois pas comme il le laisse penser que “des civilisations bien plus avancées que la nôtre sont enfouies sous des kilomètres de cendres et de roches, ou sous la glace de l’Antarctique”*. En nietzschéen, Alamariu philosophe à coup de marteau. Ses mouvements sont amples et défrichent une zone large. Le déchet produit ne constitue pas un frein pour moi. Les oppositions qu’il adresse à Yarvin, et qui pourraient entrer en contradiction avec ma propre vision du monde, ne me rebutent pas non plus. “Tout homme prend les limites de son champ de vision pour les limites du monde”. En livrant sa vision du monde, BAP enrichit la mienne d’une autre perspective. Malgré les différences affirmées, et bien qu’il s’en défende, le propos de BAP peut facilement être rapproché du point de vue cybernétique de Land et de l’aspect réactionnaire de celui de Yarvin. Il est simplement un néoréactionnaire préférant le miracle grec à l’ère victorienne. Il est d’ailleurs un acteur qui établit parfaitement la jonction entre tous ces univers. Cela vous est peut-être étranger, mais avant qu’Andreessen ne publie son manifeste techno-optimiste, ce terme fut employé par un autre auteur qui n’a pas peur d’apeller BAP son ami, je veux bien sûr parler de Zero HP Lovecraft. Il est l’auteur qui combine la vitalité de BAP avec la réalité du monde technologique accélérationniste qui s’ouvre et s’impose à nous.

Connaissez-vous le manifeste futuriste de Filippo Tommaso Marinetti ? Son mouvement esthétique est l’histoire d’une folie et d’un échec, que même son engagement en faveur du fascisme n’a pu racheter, n’étant qu’une obséquiosité mièvre à l’égard des puissances dirigeantes de l’Italie de son vivant. Mais malgré ses défauts, il y a un fil conducteur techno-optimiste dans son célèbre manifeste, un esprit et une joie que j’ai rarement rencontrés dans toutes mes fascinations pour le genre de la science-fiction. […] Ces mots m’inspirent. Qui parmi vous aura le courage, l’audace et la révolte de louer la beauté de la vitesse, de glorifier la guerre, le militarisme, le patriotisme, les belles idées qui tuent et le mépris de la femme?

Zero HP Lovecraft, Histoires de téléphones fixes dans un monde de smartphones

S’il ne faut garder qu’une idée de BAP, c’est celle-ci : on pourra toujours parler de la façon d’organiser le meilleur système possible autour d’un roi ou d’un CEO, mais la question est de savoir si ce roi existe en premier lieu. Est-ce que le matériel humain est là ? La sélection des idées ne peut pas se faire indépendamment de la sélection du matériel biologique qui les porte. S’il existe, il doit se saisir du pouvoir par n’importe quelle voie à sa portée. Je crois pour ma part que ce matériel existe et qu’il se manifeste en temps voulu, quand les circonstances le réclament. “ Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve “ selon la formule d’Holderlin. La Providence arrive lorsque tout semble perdu. La singularité émerge du chaos, loin de la norme, donc de la médiocrité. Les écrits de BAP doivent conduire à la conclusion nietzschéenne voulant que la faute la plus grave est d’avoir la puissance est de refuser de régner. Tu as la force, tu as la vérité, tu as le mandat du ciel. Montre nous à présent ton arete. Le monde t’appartient. Tu veux être bon pour ces gens ? Leur fournir un UBI ? Tu dois d’abord être un tyran. Tu dois t’emparer du monde, il est ta propriété et c’est seulement dans ce cas que ta redistribution sera légitime car elle proviendra de ta fortune. Mais pour cela, tu DOIS régner. Longue vie à Elon 1er.

* Bronze Age Pervert, Bronze Age Mindset, chapitre 25, 2018 (voir traduction)

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