Pourquoi les cassos s’expriment sur les sujets qu’ils ne maîtrisent pas ? – L’effet Dunning Kruger

L’effet Dunning-Kruger est un biais cognitif qui tient son nom de David Dunning et Justin Kruger, deux psychologues qui ont démontré ce phénomène par une série d’expériences relatées en 1999 dans la revue Journal of Personality and Social Psychology (vol. 77, n°6, 1999).

Pour résumer en quelques mots, selon Wikipédia, l’effet Dunning-Kruger s’exprime dans le fait que “les moins qualifiés dans un domaine surestiment leurs compétences”. L’effet Dunning-Kruger se manifestera chaque fois que vous commencerez à vouloir acquérir des connaissances ou des habiletés, à travers des étapes de votre relation entre votre apprentissage et l’évaluation que vous faites de vos propres connaissances. Avant d’aller plus loin, supposons que nous sommes tous soumis à cet effet.

Effet Dunning Kruger - Mont de la stupidité et mont de l'ignorance
Effet Dunning Kruger – Mont de la stupidité et mont de l’ignorance

Au tout début de notre apprentissage, nous sommes dans l’ignorance, mais très vite, nous allons accumuler les premières informations ou techniques. Notre confiance va rapidement croître et au bout d’un laps de temps assez court, nous aurons l’impression d’avoir compris tout ce qu’il fallait comprendre. Nous surestimerons nos capacités. C’est ce qu’on appelle « le mont de la stupidité » ou « mont stupide ». Puis, passés ce cap, nous commencerons à nous rendre compte que les choses sont en réalité plus complexes que nous ne l’imaginions. Nous allons donc perdre confiance, et réaliser petit à petit l’étendue des connaissances ou des habiletés nécessaires pour acquérir de l’expertise. Nous risquons d’atteindre un moment difficile, où, gagnés par le désespoir et le découragement, nous nous dirons : « je n’y arriverai jamais ». Petit à petit, avec le temps qu’il faudra, nous entamerons une remontée, laborieuse, pour acquérir l’expertise.

La sphère de Pascal

Bien avant Dunning et Kruger, le philosophe Pascal avait très bien exprimé le fait que l’étendue de notre ignorance a tendance à grandir en même temps que progresse notre connaissance.

Cela s’applique évidemment après la période appelée « mont de l’ignorance ». Nous semblons donc, après avoir franchi une certaine étape d’excès de confiance, découvrir au fur et à mesure que nous n’en savons jamais assez, sans cesse surpris de notre ignorance. Si vous connaissez ce sentiment, alors bravo, vous êtes sans doute déjà sur la route de l’expertise et n’êtes probablement plus un débutant !

Pour illustrer son propos, Pascal utilise la métaphore de la sphère de la connaissance. Le philosophe mathématicien nous dit que si nous imaginons la connaissance telle une sphère au milieu d’un espace, alors sa surface sera en contact avec ce qu’elle ne contient pas, l’ignorance. Plus la sphère de la connaissance grandira, et contiendra un plus grand volume de connaissance, et plus elle agrandira sa surface, et donc, prendra conscience de l’étendue de son ignorance. Imaginez que vous êtes dans une clairière. Plus la clairiere grandit (vos connaissances), plus les arbres de la lisières sont nombreux (ignorance).

Tous biaisés, mais…

Si nous sommes tous également pourvus de ce biais cognitif, nous ne sommes cependant pas armés également pour y réagir. Nous avons vu qu’un excès de confiance lié à une connaissance peu approfondie d’un domaine (ou la maîtrise d’une habilité) est une étape obligatoire et franchissable. Le danger, c’est de rester coincé tout en haut du mont de la stupidité, par excès d’orgueil, par manque de méthode, ou par confort. Tout enorgueilli par notre nouveau savoir, exalté par la découverte, on peut facilement apprécier ce sentiment de confiance et tout faire pour y rester. En confrontant notre pseudo-expertise à un public de béotiens, en rejetant les contradictions, on aurait tendance à se satisfaire de cette position confortable et socialement valorisante. Du haut de notre ignorance, même la parole des experts pourra sembler indigne de notre intérêt.

En effet, un des aspects de l’effet Dunning-Kruger est que le discours des experts est souvent moins accrocheur, moins satisfaisant que celui de l’ignorant qui croit tout savoir. L’expert répondra souvent de manière plus nuancée, il dira : « c’est compliqué. » Et tous les experts, par exemple dans le domaine des sciences, ne sont pas qualifiés pour vulgariser leurs propres connaissances, ce qui peut rendre leurs discours encore moins accessibles. Le débutant en excès de confiance sera plus convaincu, et donc peut-être plus convaincant, plus affirmatif. Un baratineur pourra facilement feindre une expertise avec un langage complexe et des démonstrations de causalité séduisantes pour notre esprit. Il avancera des développements plus simples, faits de raccourcis, avec beaucoup d’assurance.

Dunning-Kruger responsable du complotisme

Beaucoup de thèses complotistes ou pseudo-scientifiques reposent sur cet effet en utilisant un argumentaire et des connaissances très superficielles, dans des domaines parfois pointus comme l’astronomie, l’étude du climat, la physique, ou l’archéologie.

Beaucoup d’entre nous ont connu ce sentiment de satisfaction cognitive lié au visionnage d’un documentaire à grands moyens ou après la lecture d’un livre à l’argumentaire bien ficelé. Après que le cerveau a relié l’ensemble des causalités et construit une histoire bien cohérente, on pense avoir tout compris. Un simple documentaire de deux heures sur l’égyptologie avec de belles démonstrations nous fait croire qu’on a dépassé, de loin, l’expertise de ceux qui ont étudié ce sujet pendant toute une vie, sur le terrain et dans les universités.

Certains domaines de la connaissance sont très étendus, l’acquisition d’une expertise demande donc des années d’études, et c’est le cas, par exemple, pour la médecine. Les études de médecine sont longues et exigeantes, beaucoup d’étudiants risquent de se décourager en cours de route. La plupart des gens n’auront sans doute même pas les capacités, le courage et la force de travail pour se lancer dans un tel apprentissage. C’est, selon le chercheur Edzar Ernst (1), l’une des raisons du succès des nombreuses vocations de thérapeutes en pseudo-médecines qui fleurissent en grand nombre et sont un important vecteur de dérives sectaires. Une connaissance complexe, fastidieuse, qui force à l’humilité et ne garantit pas de succès absolu est facilement remplacée par des remèdes miracles et une connaissance simpliste, parfois sous un habillage complexe, mais qui réduit la compréhension du sujet à des grandes causes (parfois une cause unique) ou des concepts vagues et interprétables.

Quelles solutions ?

Il n’existe qu’un moyen de combattre l’effet Dunning-Kruger, c’est d’être simplement conscient de son existence. Il faut admettre que nous sommes tous pourvus de ce biais, et tous susceptibles de surévaluer nos connaissances ou nos compétences. Acquérir une connaissance solide dans des domaines complexes comme la science demande des années d’études, parfois une vie entière dédiée à la recherche, et malgré cela, rien ne garantit de ne jamais se tromper. Il n’existe pas de raccourci, aucune recette miraculeuse. Partant de ce principe, il faut rester sur ses gardes et s’alerter lorsque la situation nous rappelle à l’existence de ce phénomène.

(1) https://edzardernst.com/2018/01/the-dunning-kruger-effect-how-it-explains-alternative-medicine

9 comments
  1. Il y a un autre moyen : ne pas penser tout seul dans son coin, se confronter aux autres, à la réalité (c’est valable pour tous les biais en fait).
    On ne pense bien qu’un groupe, mais, le groupe est idéal pour mal penser aussi.
    Ceci dit, le débat contradictoire sincère peut aider à sortir de sa bulle, s’il est utilisé pour ça (le débat politique pour recruter des électeurs n’a aucun intérêt pour sortir de l’effet Dunnin Kruger)

    1. Yoananda, le problème est qu’il y’a un biais lorsque l’on choisit le groupe social avec qui l’on veut partager ses connaissances. Dans votre proposition, cela demande d’échanger avec un groupe d’experts sur la question ou d’érudits. Or, qui les qualifie d’expert ou d’érudit ? > Vous même ou plutot, votre cerveau…. donc votre expertise sera confirmée ou infirmée en fonction de la cible sociale choisie…. ce n’est donc pas si facile dans l’absolue puisque potentiellement, vous établissez un biais à deux niveau, et c’est pour cela que cet effet est si persistant chez certaines personnes. Cela demande un bon recul sur soi même et son propre fonctionnement pour s’en échapper !

  2. Yoananda

    mais qu’est-ce qu’un débat contradictoire sincère ? Car plus le temps passe plus j’ai l’impression que 99,99% des humains sont tout simplement incapable de faire des efforts pour comprendre le point de vue d’autrui et sont surtout prompt à haïr et à maipriser ceux qui ne pensent pas comme eux sans jamais faire l’effort de les comprendre. Donc je me demande est-ce vraiment compatible avec la nature humaine de faire des débats contradictoires ?

  3. “acquérir des connaissances ou des habiletés”
    ‘habiletés” ? Vous pouvez virer votre traducteur… ‘ability’ ça se traduit par ‘aptitudes’, pas par ‘habiletés’ (qui n’a pas du tout ce sens là en français).

  4. En pleine crise du Covid, cet effet est exacerbé : Lors de la coupe du monde de foot, il y avait 66 millions de sélectionneurs de l’équipe de France, et en ce moment, nous sommes 66 millions de virologues. Cette tendance à avoir un avis sur tout n’est il pas également une interprétation excessive et biaisée de la démocratie ? Si l’on peut choisir qui nous gouverne, donc qui est compétent, pourquoi pas également avoir le droit de choisir ce qui est vrai de ce qui est faut ? Qui vote pour que le professeur Raoult ait raison ? Qui vote pour qu’il ait tort ?
    Cet effet est amplifié de manière phénoménale par l’effet de groupe. Plus on est nombreux a partager la même erreur, et plus on est persuadé qu’on a raison !
    Desproges disait : J’ai l’impression que l’intelligence d’un groupe diminué de manière inversement proportionnelle au nombre d’individus qui le composent !

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