Dans cette saison 3, nous continuons de poursuivre les tribulations d’une bande d’adolescents, regroupée l’été, confrontée à une monstrueuse présence qui rappelle le Ca de Stephen King et les peurs du basculement dans le monde adulte – ou dans un autre monde -.
L’adolescence, la bande et l’été : lieux de tous les possibles, de tous les amours passionnés et de toutes les sensations fortes. Période de transition par excellence, marquante à jamais, formant un Topos, un lieu de reconnaissance pour toute une génération.
Cette charmante série sur la quête adolescente se nourrit de tout un ensemble de références pop culture des années 80 (Stephen King, Cronenberg, Terminator, la Guerre Froide, les Gunnies, Joy Division, la Synthwave, …) comme autant de signaux de reconnaissances.
Mais elle ne se limite pas à cela. Fixons-nous comme objectif d’observer quelques autres ressorts.
Les femmes à la conquête de la société
Dans « Strangers Things » saison 3, les femmes sont plus intelligentes que les hommes, les hommes sont soit des adolescents qui ne pensent qu’à s’amuser, soit des gros ours un peu lourdauds, maladroit (le Shérif), un peu trop « patriarcal ».
On semble éprouver une certaine nostalgie, l’ours shérif, archétype du vieux mâle américain, bonne patte et bon fond, finalement, on le laisse néanmoins mourir – il a fait son temps, rempli son rôle -.
C’est le personnage de Winona Ryder qui mène l’enquête à propos du champ magnétique quand le policier reste terre à terre et demande des explications quant au lapin qu’elle lui a posé. C’est l’homme qui fait la « scène de ménage », en somme, ce qui est une conception pour le moins incongrue des rapports Hommes/Femmes.
Dans le groupe d’adolescents, ce sont encore les filles qui sont les plus intelligentes, les plus curieuses, qui ont fait le plus d’études, tandis que les hommes se dispersent en intelligence éparpillée. Les femmes vont au but, pragmatiques et intriguées.
Les femmes ne sont pas reconnues à leur juste valeur. Chez les journalistes, c’est la femme qui est dévouée à faire le café qui enquête sur les rats, tandis que les hommes sont des gros lourds qui ne pensent qu’à faire des plaisanteries salaces au sein de ce même journal. Ce monde sera balayé, et s’il est balayé, c’est par l’individualité développée à l’extrême (Madonna et sa « Material girl » : « I am a material girl in a material world », bande son d’un épisode de la série) durant les années 80.
Le nouveau temple : la Grande surface
Les années 80 sont clairement présentées comme la deuxième phase de l’émancipation, après la phase de contestation libertaire et des tentatives de lignes de fuite des années 70.
Cette deuxième phase a pour particularité d’intégrer les dispositions des êtres à l’individualité et à la singularité, la quête du soi, de sa liberté et de son indépendance aux processus productifs et sociaux.
On ne rêve plus d’être Janis Joplin chantant son mal-être en pattes d’eph’, de faire fuir la société ou de la fuir (mouvement de communautés hippies), de la crever, de contester le système mais on cherche à l’intégrer, conquérir le champ social, son cœur. On ne veut pas être dans les marges de la société ou même en créer de nouvelles, mais bien en être en son cœur, en son temple.
Et le Temple de cette société en formation des années 80, c’est la grande surface. C’est pourquoi l’émancipation de la femme a un rôle majeur dans ces années et cette mutation passe largement par le renfort des grandes surfaces et de l’invention du shopping comme distraction et satisfaction fondamentale de l’Ego. La shoppingification du monde consacre sa féminisation. Les jeunes filles se rêvent désormais en « mini-star » se maquillent, portent des talons, se photographient – plus tard, elles auront leurs propres fans, leurs groupies, leurs « followers » sur Instagram.
De cette extrême liberté individuelle soudainement disponible, les adolescents mâles l’utilisent à rêver, à « geeker », tandis que les femmes ont de l’ambition et partent à sa conquête. Les « minorités » (femmes, etc.) veulent l’intégrer, les hommes à en repousser les bornes.
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
Transition technologique et révolution comportementale
Tout un aspect de la modernité technologique est aussi abordé. Dans les années 80, les enfants jouaient en bande, en jeu de plateau, en forêt, sur une butte. On semble ici bien satisfait et fier de la prouesse de n’avoir pas eu à montrer de scènes avec des iPhones ou internet. La prouesse relève presque de la « reconstitution historique d’une époque » dont nous sommes, désormais, anthropologiquement éloignés. La génération 80 a connu la transition, en ont été même les pionniers, et il faut bien expliquer aux jeunes comment faisait-on « AVANT », avant l’iPhone, internet, l’appareil photo, les réseaux sociaux, tout cela dans une poche. Nostalgie de la transition.
Le téléphone fixe et le « contrôle parentale » qu’il impliquait fait contraste avec la société des téléphones portables et individuels dès le plus jeune âge. L’arrivée des réseaux sociaux a achevé la transformation cognitive et sociale entraînant les nécessaires transformations et chamboulement sociaux.
On pense aussi aux possibilités de prendre des vidéos ou des photographies facilement lorsque le jeune homme découvre le rat au comportement étrange et tente de le photographier à coup de polaroid. Comment faisait-on « AVANT », une fois de plus. Avant la révolution individuelle et cognitive. Et comment faisait-on pour la diffuser, la crier au monde entier (là encore, étape avant la révolution technologique du Réseau des réseaux : Internet) ?
Le monde change, technologiquement, structurellement. Ces changements travaillent des millions de cerveaux et entraînent progressivement une révolution comportementale. Et c’est les femmes qui vont accompagner et bénéficier le plus de cette redistribution par le contrôle de leur image, par l’indépendance économique, technologique, par la maîtrise de leur individualité, tout cela transforme, travaille la société sans plus que l’on soit obligé d’admirer le « maître-nageur ». L’épanouissement individuel et, plus tard, le choix, le choix infini de Tinder, offrira d’autres possibilités, toutes les possibilités. Il fera exploser les anciens schémas, permettra d’autres agencements. Globalement, la technologie accélère toutes les possibilités, vertigineusement.
Nostalgie d’une “génération », nostalgie de son enfance
Malgré une réécriture de l’histoire avec des biais politiquement corrects et orientés de la société d’aujourd’hui (les femmes sont systématiquement les plus malignes, etc.), c’est parfois avec une certaine nostalgie que les scénaristes nous ramènent dans les années 1980. Il est vrai que c’est une génération qui a grandi avec l’arrivée progressive des nouvelles technologies, des transformations de la société (« matérialiste », comme dans la chanson de Madonna), de satisfaction individuelle, des possibilités qu’on offert et offrent encore internet, sans tomber dans les excès actuels d’une génération absolument noyée dans les écrans. Cette génération avait encore un contact avec la bande, les amis, le terrain, les airs de jeux, elle sait qu’elle a servi de relais, pionnier de l’âme, de l’individualité, de l’internet, des forums, des réseaux et que, peut-être, plus tard, elle ne comprendra déjà plus rien à ses propres enfants. Ainsi laisse-t-elle un témoignage, un passage de relais avec grands renforts de clichés (« les Russes ! ») , sans compter que, business et business, le marché des trentenaires bedonnants, gavés de séries, de Netflix, plantés dans leur canapé et leur vies épuisées, représente désormais une gigantesque part à qui il faut bien s’adresser.
Elle tente, en tout cas ici, de transmettre sa nostalgie, de rappeler son rôle de relais, de transition, en tant que génération.
C’est aussi, bien entendu, la nostalgie d’avoir été un adolescent, plein d’enthousiasme, de curiosité, de quête, de sensations nouvelles dans la ferveur d’éphémères vacances d’été. Un temps de tous les possibles et de toutes les excursions, qui sommeille encore en nous.
Je me suis donné la peine de regarder cette série et il faut avouer que c’est un rare ramassis de conneries maladroites, destiné sans doute à des abrutis sans cervelle. La nostalgie a bon dos : une histoire idiote, des invraisemblances à la pelle, des acteurs à têtes de nœud (sauf Wynona qui, même si elle n’est plus toute jeune, tire son épingle), un sentimentalisme ignoble et écœurant, le tout baignant dans une répugnante bien-pensance omniprésente. On veut bien être “bon public” mais y a des limites : quand il est évident, par exemple, que les gens qui ont fabriqué cette m… prennent le spectateur pour un idiot. Ou alors ils sont eux-mêmes complètement stupides.