Le soviétisme comme source de libéralisme

L’objectif de cet article est d’expliquer en quoi un système politique ultra-centralisé terrorisant les pouvoirs locaux, par exemple un système soviétique, est nécessaire à un système économique libéral.

I) Pourquoi la décentralisation politique tue le libéralisme économique ?


La décentralisation politique, i.e l’existence de pouvoirs publics locaux tels que la commune et son maire, mène à des décisions politiques systématiquement en défaveur du libéralisme, de l’efficacité et de l’efficience. Au contraire, un système ultra-centralisé terrorisant les pouvoirs locaux peut être modélisé, du point de vue de l’homme standard, comme prenant des décisions aléatoires. La complexité des jeux politiques centraux et des personnalités de dirigeants déconnectés des affaires de terrain peut en effet être modélisée comme un phénomène aléatoire. Les décisions politiques prises par le système décentralisé présentent un biais clientéliste extrêmement marqué. Premièrement, les pouvoirs locaux, lorsqu’ils prennent une décision, favorisent leur position politique aux dépens de tout le reste. Cette position est liée à la richesse et au pouvoir de nuisance de la minorité active qui leur sert de soutien, la majorité de la population suivant sans agir. Cela peut aller très loin. Un maire déclare ses terrains, ou ceux de ses amis, constructibles pour augmenter leur valeur alors que le terrain est inondable. Il donne un emploi à la mairie au fils d’un ami, incapable par ailleurs. Il détourne de l’argent via le comité des fêtes ou le club de sport local. Il n’accorde les marchés publics qu’aux fournisseurs ayant payé une prétendue
prestation marketing à l’office de publicité de la mairie, qui emploie elle-même des amis qui profitent de leur temps libre pour faire de la politique locale. Tout cela peut impliquer des subventions, des taxes, des réglementations et des comités, associations et emplois fictifs à l’infini. Il n’y a pas de limite.
Deuxièmement, les pouvoirs locaux sont ce qui permet à l’Etat d’agir efficacement, donc fondamentalement de pistonner et de taxer efficacement. Ce sont eux qui, par leur présence locale, collectent les informations nécessaires à l’action. Par exemple, le maire participe à la commission locale des impôts. Concrètement, il utilise sa connaissance des biens et activités locaux pour indiquer aux impôts où se trouve la chose à taxer, du moins où se trouve la chose à taxer si elle n’est pas chez un ami de la famille. Il dispose de ces informations car il est bien intégré au tissu social local. Il connaît tout le monde, ou plutôt connaît ceux qui connaissent tout le monde, il sait ce qui se passer chez vous car il en a parlé à une amie de votre sœur qui est venu passer Noël en famille. Si vous construisez une piscine chez vous ou pratiquez une activité sans la déclarer, et que vous n’êtes pas un familier du conseil municipal, les impôts le sauront grâce à lui. Le même procédé est utilisé pour obtenir des renseignements hors de la sphère économique, par exemple pour prendre la température locale lors d’une réforme, ou pour savoir où positionner les affiches de propagande pour qu’elles soient les plus efficaces. Tout cela contre rémunération plus ou moins illicite mais souvent légale. Troisièmement, les pouvoirs locaux déforment la prise de décision du pouvoir central en leur faveur, dans un biais clientéliste marqué par un anti-libéralisme monstrueux. Leur capacité à fournir l’information et à servir de relais local est tellement précieuse pour le pouvoir central que celui-ci est prêt à tout pour l’acheter, même à imposer des couvre-feux aux aéroports parce que des locaux se plaignent du bruit, lisez la minorité active de retraités et d’amis du maire faisant partie de l’association de voisinage locale et qui embête tout le monde.

Au contraire, un système politique ultra-centralisé, terrorisant les pouvoirs locaux et n’ayant aucun lien avec eux si ce n’est de haine, prend des décisions bien plus favorables au libéralisme, du moins statistiquement. D’une part, ces décisions peuvent être vues comme aléatoires car dépendant seulement de la personnalité et du savoir personnel du dirigeant du moment. N’avoir aucun lien avec les pouvoirs locaux implique de ne pas pouvoir pratiquer de clientélisme à outrance pour le maintenir. Une décision aléatoire vaut mieux qu’une décision systématiquement biaisée contre le libéralisme. D’autre part, si le dirigeant du moment est bon, il peut prendre des décisions techniquement optimisées, en fait des décisions en faveur de la liberté économique. Celles-ci ne sont pas déformées par le souci de satisfaire les pouvoirs locaux. Remarquons qu’un pouvoir central dont le dirigeant personnellement n’apprécie pas le libéralisme peut se révéler gênant, mais il ne pourra pas empêcher totalement le système de fonctionner, au contraire d’un Etat décentralisé solidement charpenté.


II) Mais donc, qu’est-ce qu’un pouvoir ultra-centralisé qui terrorise les pouvoirs locaux ?

Un pouvoir ultra-centralisé qui terrorise les pouvoirs locaux peut être défini comme un système où les pouvoirs politiques locaux sont très faibles, voire inexistants, où leur lien avec le central est faible. Cela a pour conséquence que les pouvoirs locaux ne seront pas des mafias locales, soit car faibles soit car inexistants, et que le pouvoir central ne pourra que peu agir, car manquant d’information et de relais locaux faisant le lien local-central. Au mieux, il continuera à démolir les pouvoirs locaux, au pire, il ne pourra faire que relativement peu de mal. Ou alors il faudrait que le dirigeant soit quelqu’un de très particulier, un homme politique comme on n’en voit qu’un tous les deux siècles, un Staline. On reconnait un tel système au fait que le clientélisme central-local est peu pratiqué et présente peu d’intérêt pour le central. Le central, dans tout système, peut patronner en local, mais le local n’aura rien à lui apporter en échange. Ni information, ni relais. Cette faiblesse des pouvoirs locaux provient de la dissolution du tissu social local au profit des individus ou des familles mononucléaires. Si un tissu social local est présent, des corps intermédiaires et donc des pouvoirs politiques locaux en sortiront. Cette absence peut être le fait d’une tradition, par exemple l’Angleterre normande. Mais dans n’importe quel Etat, elle peut être imposée de force en une décennie par une Terreur. Une Terreur consiste pour le central à détruire le lien social local en détruisant la confiance locale qui pourrait mener à la formation de corps intermédiaires. Cette destruction passe simplement par la pratique de la délation à outrance envers les corps intermédiaires identifiés ou même potentiels. Délation avec sanctions associées.

Staline, so to say. Cependant, il existe des manières de faire avec moins de dégâts collatéraux dans le cas d’un système présentant une composante centraliste non nulle, comme la France. Le principe de base est de tout faire remonter au niveau national, puis de privatiser, quitte à distribuer des chèques directement de l’Etat aux individus pour qu’ils puissent se payer le service. La distribution du RSA ? A remonter du département au national. Les HLM ? Des offices municipaux HLM, on passerait au bureau central des HLM. Des mutuelles aux mains des pouvoirs locaux ? Préférez la sécurité sociale nationale, avec trois fois moins de frais de fonctionnement à la clef. La presse locale ? Des socialistes subventionnés par le local, à dissoudre. Des clubs de sports liés au maire ? Vendez-les à un grand groupe comme Décathlon. C’est ce qu’a fait Javier Milei avec les prestations sociales. En désintermédiant, les pauvres n’ont jamais reçu autant d’argent. Et ils aiment cela. Et ils voteront pour lui pour cela. En parallèle, remplacez les maires par des city managers professionnels issus de grands cabinets de conseil et dissolvez autant de corps intermédiaires que vous pouvez. Une fois que tout est remonté au niveau national, i.e que l’emprise des pouvoirs locaux s’affaiblit, affermez ces activités à de grands groupes, multinationales si possible, ou privatisez-les carrément. Voire supprimez-les.

Comment imposer de telles mesures ? Par la délation des opposants. Par la force brute. Au XVIIème siècle, on logeait la troupe chez l’habitant. Par l’affermage. Payez une société de sécurité privée pour faire respecter vos décisions. Le maire et les conseillers départementaux, députés, sénateurs, ce sont les mêmes de toute façon, se battront pour leur survie et n’hésiteront pas à entrer dan l’illégalité plus ou moins profonde. Il faut faire respecter la loi et ne pas se contenter de l’apparence de la centralisation. Le préfet, représentant du central, est en fait à la botte des maires qui risquent de faire remonter leur mécontentement s’il ne les écoute pas. En plus, vous pourrez sortir des répliques classes comme « Les députés appartiennent à la Nation entière et non à leur circonscription », « Force reste à la Loi », « La Nation », « L’intérêt général face à l’égoïsme local ».

III) Les Etats-Unis et la Russie post-soviétique

Deux systèmes ultra-centralisés sont les Etats-Unis et la Russie post-soviétique.
Aux Etats-Unis, il existe deux niveaux de pouvoir qu’on peut appeler central car déconnecté des pouvoirs locaux, le fédéral et le national. Les hommes politiques locaux ne sont pas les hommes politiques nationaux qui ne sont pas particulièrement les hommes politiques fédéraux. Il n’existe pas de cursus honorum comme en France, où une carrière politique classique est comité des fêtes -> conseil municipal -> maire -> conseiller général au département -> sénateur -> ministre -> Barnier. Di Santis n’a pas plus de chances d’être Président des USA parce qu’il est gouverneur de Floride que Musk parce qu’il est PDG de Tesla ou Taylor Swift parce qu’elle est pop-star. Au niveau local, 40% de la population vit dans des unincorporated aread, où le pouvoir local communal n’existe pas. Le pouvoir le plus proche se trouve au niveau du comté, équivalent en surface au département. Dans ces zones, et même dans des commues sans police municipale, le maintien de l’ordre est assuré par le shérif. Il est un véritable agent anti-pouvoir local car il en rend de comptes qu’au gouverneur, même s’il exerce sur un territoire correspondant au comté. Il est certes élu, mais avec une participation de 10% et une inertie énorme. Il reste de fait shérif à vie, ou son adjoint prend sa place. Historiquement, il était nommé par le gouverneur. Il n’est pas rare que des pouvoirs municipaux abandonnent leur police municipale et paient plutôt le shérif du comté pour faire régner l’ordre. Dans les zones incorporated, souvent, les conseils muncipaux nomment depuis le début du XXème siècle des city managers professionnels plutôt que des maires issus du local, ce qui affaiblit le pouvoir politique municipal qui est renforcé en présence de l’unité politique carburant au compromis que constitue le maire. L’Etat, ou même les fédéraux, plutôt que de négocier avec un pouvoir local pour qu’il fournisse des informations et serve de relais, a tendance à créer des sections locales dédiées à la tâche à accomplir, par exemple des special district zones, à compétence fonctionnelle exclusive. Pire, le fédéral crée des agences pour contourner les pouvoirs locaux et nationaux, dont le plus célèbre est le FBI, différent de la police de l’Etat, du shérif et de la police municipale. Le FBI a une tradition de brutalité qu’on retrouve dans les films américains où il est acteur. La brutalité vient du manque d’information, restreignant l’action au brute force. Pour les métropoles, souvent incorporated, les suburbs sont souvent unincorporated. Ils ont tendance à former leur propre pouvoir municipal, ou l’ont eu au cours du XXème siècle, pour imposer du zoning résidentiel pour éloigner les immigrants et les Noirs. Mais aujourd’hui, l’appauvrissement relatif de ces suburbs par rapport à des centres-villes subventionnés semblerait avoir l’effet inverse pour des raisons que je n’explique pas encore. Ajoutez à cela une polarisation politique à l’échelle des Etats-Unis entiers sur des questions absurdes telles que l’avortement, et le clientélisme local ne peut fonctionner. Le seul moment où le central coopéra significativement avec le local fut le New Deal. Le fédéral collabora avec les pouvoirs municipaux, et avec les Etats, pour imposer de l’étatisme. Celui-ci ne fut repoussé que dans les années 80, après des décennies d’affaiblissement des pouvoirs locaux tant par les Démocrates que les Républicains, certes inconsciemment. Chacun avait par ailleurs des politiques d’objectifs opposés. Casser du local, c’est bien, quelle que soit votre intention. Les solidarités locales qu’on évoque souvent en parlant des USA sont organisées sur le fondement de la secte. En politiquement correct, la secte est un courant religieux protestant. La secte n’est pas un pouvoir local car elle est fermée au compromis. Si elle s’y ouvre, ce n’est plus une secte, et une faction réactionnaire opère un schisme pour refonder la secte, la faction compromise déclinant rapidement par perte de ses adhérents les plus motivés.

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Augmentée

Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft

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IV) Top-tiers des Etats centralisés

Tiers 0 : Centralistes 
Etats-Unis, années 80-aujourd’hui ;
Angleterre de la Révolution Industrielle, 1600-1830 ;
Chine des Songs ;
France Napoléonienne et de la Première Restauration, la centralisation déclina continuellement entre 1830 et 1870 ;
Russie de Poutine ;
Saint Empire Romain Germanique avant Frédéric II de Hohenstaufen.

Tiers 1 : Semi-centralistes
La Chine des Tangs ;
La République romaine avant la Guerre sociale ;
La France de De Gaulle et Pompidou ;
Les Francs Carolingiens ;
L’Empire Assyrien ;
Florence indépendante ;
URSS ;
La Normandie-Anjou-Domaine Plantagenêt ;
L’Empire d’Autriche-Hongrie. Les Habsbourgs sont des militaristes qui brutalisent les pouvoirs locaux mais sont sur un fond décentralisé très fort.

Tiers 2 : Semi-décentralisés 
USA du New Deal ;
La Moscovie des Tsars ;
Les royaumes hellénistiques ;
La Chine des Qings ;
L’Espagne des Bourbons ;
L’Angleterre de Thatcher ;
L’Angleterre de 1830 à aujourd’hui ;
La France après 1969 ;
La France d’Ancien Régime ;
Milan indépendante ;
La Chine de Xi, en cours de centralisation.

Tiers 3 : La décadence
La France de la IIIème République ;
Les Etats latino-américains à caudillos ;
Sumer ;
L’Afrique du Sud après Pik Botha et post-apartheid ;
Le Japon moderne [Ma position précise reste à construire a sujet de cet étrange pays] ;
L’Empire Romain ;
L’Hispanie Wisigothique ;
La Chine des Mings, pire que tout ;
L’Espagne pré-Bourbon mais post Rois Catholiques ;
L’Italie autrichienne ;
La Pologne post-Jagellon.

-Pas encore classés :
La Suisse actuelle ;
Les Pays-Bas du Siècle d’Or, dont certains doutent qu’on puisse vraiment parler d’un Etat.

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