Margaret Thatcher (1925 – 2013) est une femme politique anglaise qui a marqué l’histoire, étant la première femme à diriger le parti conservateur (1975-1990) et à être premier ministre (1979-1990). Elle est à ce titre le premier ministre à la seconde plus grande longévité de l’histoire britannique.
Le virage néo libéral qu’elle enclenche est mondial, d’abord seule puis en duo avec le président Ronald Reagan (1981-1989). Elle est à ce titre haïe par une bonne partie de la population mondiale de gauche, notre Jean Luc Mélenchon national allant jusqu’à insulter sa mémoire le jour de sa mort :
Oui mais toi tu es libéral Etomit, forcément tu la défends ! Eh bien non. J’ai une attitude ambivalente envers Margaret Thatcher. Bien que je ne puisse m’empêcher de l’admirer ou au moins la respecter à bien des égards, sa politique libérale conservatrice ne me fait pas vibrer. Après y avoir bien réfléchi, j’ai compris ce que je ressens envers elle, quel rôle historique je lui trouve. Pour cela, nous allons devoir remonter en… 1818.
1818 – Naissance de Karl Marx
En ce 5 mai 1818 naissait Karl Marx. Qui aurait pu se douter que ses premiers pleurs de nourrissons allaient se mêler plus tard aux gémissements de la classe ouvrière ? Contrairement à l’amalgame répandu, Marx n’a pas inventé le communisme. Il a inventé le Marxisme, ou socialisme scientifique. Auparavant existait déjà ce que Engels (1820-1895) a appelé le socialisme utopique, promu par Robert Owen (pour la Grande Bretagne) ou Etienne Cabet (pour la France). Ce socialisme “romantique” a une histoire riche, qu’on pourrait même faire remonter aux frères Gracchus et passer par Thomas More et aboutir à Proudhon. Engels décrit dans Socialisme utopique et socialisme scientifique (1880) la différence entre les deux :
“Certes, le socialisme antérieur critiquait le mode de production capitaliste existant et ses conséquences, mais il ne pouvait pas l’expliquer, ni par conséquent en venir à bout ; il ne pouvait que le rejeter purement et simplement comme mauvais. Plus il s’emportait avec violence contre l’exploitation de la classe ouvrière qui en est inséparable, moins il était en mesure d’indiquer avec netteté en quoi consiste cette exploitation et quelle en est la source. Or le problème était, d’une part, de représenter ce mode de production capitaliste dans sa connexion historique et sa nécessité pour une période déterminée de l’histoire, avec par conséquent, la nécessité de sa chute, d’autre part, de mettre à nu aussi son caractère interne encore caché”
Nous pouvons donc synthétiser leur différence dans le fait que le socialisme utopique vise un avenir construit philosophiquement, alors que le socialisme scientifique part du constat matériel pour construire un système cohérent qui identifie les problèmes et erreurs du système en place pour le faire tomber et en construire un nouveau. Avançons désormais dans le temps, en 1871…
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
1871 : Grundsätze der Volkswirtschaftslehre
Non, en effet, nous n’allons pas parler de La guerre civile en France, publié par Marx cette année-là. Nous allons quitter le côté obscur pour retrouver la lumière. Cette année-là un Carl en chasse un autre : Menger (1840-1921) publie un énorme pavé dans la marre, Principes d’économie politique. Cet ouvrage fait partie de la révolution marginaliste, portée également par la Théorie de l’économie politique de Jevons (1835-1882) la même année, et par Eléments d’économie politique pure de Walras (1834-1910) trois ans plus tard. Les néo classiques remplacent les classiques, Marx compris. Particulièrement, les économistes de l’école Autrichienne peuvent être opposés aux libéraux classiques et mêmes aux autres néo classiques.
Les autrichiens changent la nature même de la discipline économique, déclenchant la Methodenstreit, la “querelle des méthodes” : Alors que les historicistes allemandes (mais tous les autres courants économiques d’alors, Marxistes compris) prétextaient l’inexistence de lois générales en économie, et que l’économie était purement descriptive (l’analyse de l’évolution historique des faits économiques sous une optique holiste – avec une continuation philosophique chez Marx), Menger déclare que des lois générales existent bel et bien.
Il adopte donc une méthode “a priori” : les phénomènes fondamentaux de l’action nous sont directement accessibles (nous sommes des humains), mais l’expérimentation est impossible du fait du nombre trop élevé de variables. C’est cette imprévisibilité qui rend le raisonnement mathématique inapplicable, bien que la multitude des facteurs répondent à des lois générales. On en arrive ainsi à un réalisme abstrait : les caractéristiques des êtres humains réels et leurs actions sont prises séparément (construction abstraite), mais réaliste car ces caractéristiques sont effectivement présentes chez les humains réels, ce qui oppose cette école aux hypothèses de l’homo œconomicus de la théorie néoclassique :
« L’économie traite des actions réelles d’hommes réels. Ses théorèmes ne se réfèrent ni à des hommes parfaits ou idéaux ni au fantôme mythique de l’homme économique (homo œconomicus) ni à la notion statistique de l’homme moyen. »
— Ludwig von Mises, L’Action humaine (1949)
Nous voyons donc ici qu’au XIXème siècle le libéralisme subit la même mutation que le socialisme : alors que des versions très philosophiques et idéalistes prévalaient (De Smith à Walras, le premier par une conception idéaliste de l’homme, le second par le mirage des mathématiques), les Autrichiens repartent de la base pour déduire leur modèle. Poursuivons notre remontée du temps, et faisons un arrêt en 1917…
1917 – Vladimir Ilitch Oulianov
Marx a beaucoup écrit, mais sur le capitalisme. Il est resté flou sur le reste, c’est-à-dire sur la mise en place du communisme et son fonctionnement ultime. Quelqu’un d’autre s’est chargé du sale boulot pour lui : Lénine (1870-1924). Ses apports importants sont la conception du parti comme fer de lance de la révolution (des “professionnels de la révolutions”) et la dictature du prolétariat. Avec la révolution de février 1917, il va retourner en Russie, aidé par l’Allemagne, et va arriver au pouvoir lors de la révolution d’Octobre 1917 et la prise du palais d’Hiver. Une fois aux manettes, il aura la tâche difficile de créer le communisme réel.
Dans le contexte de la guerre civile, le “communisme de guerre” est mis en place par lui et Trotski : l’assemblée constituante est dissoute dès sa première séance, l’armée rouge est créée (plus question d’élire ses officiers, et la conscription est instaurée) ainsi que la Tchéka et des tribunaux spéciaux. Loin du communisme annoncé, le communisme de guerre répond cependant aux nécessités d’une époque et d’un contexte (guerre civile et interventions internationales). La survie de la Russie soviétique et la proclamation de l’URSS leur donnera par ailleurs raison. Avec l’établissement du régime, il faut donc revoir l’organisation. Le constat fait alors mal :
“Nous ne sommes pas assez civilisés pour pouvoir passer directement au socialisme, encore que nous en ayons les prémices politiques » Lénine
La NPE (Nouvelle Politique Économique) est instaurée en 1921. Ce “repli stratégique” du socialisme doit être transitoire, et remplit ses objectifs tout en posant des problèmes : les secteurs libéralisés se redressent puis croissent bien plus vite que les secteurs planifiés (“l’effet ciseaux” dira Trotski).
Les correctifs apportés ne feront que rendre la situation totalement instable et la NPE sera abolie en 1928 par Staline, qui transforme l’URSS en bureaucratie centralisée, ce qui restera la plus grande expérimentation du socialisme à ce jour. La mutation du socialisme, d’utopique à scientifique, a été suivie par une tentative de mise en pratique. Côté libéralisme, la version “classique” avait pour précédent historique les débuts des Etats Unis. Cependant, cet exemple est absolument exceptionnel (fondation ex nihilo d’une nation suivant des principes “historiquement avancés”) et il manquait un exemple de “révolution libérale” au sens économique. La construction du capitalisme au XIXème siècle ne peut être pris comme exemple, ayant été une œuvre des circonstances plus que des idées. La véritable révolution commence en 1979…
1979 – Margaret Ilich Thatcherovna
Il n’est en réalité pas question ici de comparer Thatcher et Lénine. Lénine était un véritable idéologue là où Thatcher était une politique. Elle est une enfant de la classe moyenne britannique, fille d’une couturière et d’un petit épicier. Ses idées vont se forger par son expérience de la vie : elle va aider à faire fonctionner l’épicerie familiale, ce qui donnera avec son éducation très conservatrice et religieuse une véritable éthique protestante (elle était méthodiste). Elle sera une élève brillante et travailleuse, et bénéficiera de bourses au mérite pour poursuivre des études de chimie.
Horreur
Augmentée
Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft
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Dès l’université, elle rejoint une association conservatrice, l’Oxford University Conservative Association, et sera la 3ème femme à la présider. Elle dénote : son origine sociale est très inférieure à celle de ses compères, pourtant bien plus progressistes qu’elle. Malgré le double handicap d’être une femme et d’être d’un milieu modeste, elle s’impose dans le milieu conservateur et devient la plus jeune candidate des élections de 1951. En plus de son travail, elle commence des études de droit en 1950 durant les soirées et les week-ends. Elle se marie à un homme plus aisé qu’elle (Denis Thatcher), qui lui donnera des jumeaux et lui permettra de se consacrer plus sérieusement à la politique. Elle est enfin élue en 1959 à la chambre des communes, où elle restera jusqu’en 1992.
Dans cet univers hostile même au sein de son camp, elle s’imposera par le travail et la rigueur. Elle devient secrétaire d’Etat à l’Education et aux Sciences de 1970 à 1974. De plus en plus en décalage avec l’exercice du pouvoir de son camp, elle prend les rênes du parti Conservateur en 1975 à la surprise générale.
Le Royaume Unis pré Thatcher
Comme en France, l’après seconde guerre mondiale voit un consensus “social-démocrate” balayer la politique traditionnelle. Le keynésianisme est triomphant, et une économie mixte émerge, avec de grandes nationalisations et l’instauration du National Health Service (système de santé du Royaume-Uni). Ces mesures furent tant l’œuvre des travaillistes que des démocrates.
Ce consensus rompt avec le premier choc pétrolier et la stagflation. Tout est fait pour limiter l’inflation, même la semaine de 3 jours. Le gouvernement Heath dont fait partie Thatcher chute en essayant de bloquer les salaires. Les syndicats britanniques sont alors surpuissants et font tomber les gouvernements, dont celui de Heath qui demandera “Who governs England?”. Le gouvernement travailliste de James Callaghan en fait les frais à son tour en 1979 suite à “l’hiver du mécontentement”. Le TUC, grand syndicat Britannique, lance les hostilités, et le pays a du mal à s’approvisionner en carburant, tandis que les éboueurs, les trains, les ambulanciers, et même les fossoyeurs se joignent aux mouvements de grèves. Lorsque Callaghan tombe, c’est l’État Britannique tout entier qui montre son impuissance.
Thatcher is the true Punk
Les Britanniques n’en peuvent plus d’être pris en otage par les syndicats, et se tournent vers la révolutionnaire Thatcher pour leur Salut. Elle gagne en 1979 par 43,9% des voix contre 36,9% pour les travaillistes. Elle devient la première femme à diriger un gouvernement d’un pays européen. Sa politique sera simple : réduire l’État par l’État.
En effet, elle va faire renaître l’autorité du gouvernement Britannique tel un phénix en faisant feu de tout bois. Elle va d’abord briser les Syndicats en se préparant à une nouvelle grève d’hiver, où les syndicats avaient la capacité de priver la population Britannique de chauffage, en accumulant patiemment les réserves nécessaires pour faire face. Les syndicats seront détruits par loi (fin de l’interdiction de recruter des travailleurs non syndiqués, fin des grèves de solidarité, etc…) et la force (la répression de la grève des mineurs de 1984-1985 fut très violente). L’État va privatiser de nombreuses entreprises publiques, parfois à un prix inférieur au marché pour garantir un profit aux actionnaires (tout en favorisant l’actionnariat populaire). Les impôts directs baissèrent mais les impôts indirects augmentèrent fortement.
« Un homme a le droit de travailler comme il veut, de dépenser ce qu’il gagne, de posséder sa propriété, d’avoir l’État pour serviteur et non pour maître. Ce sont là les héritages britanniques. Ils sont l’essentiel d’une économie libre et de cette liberté dépendent toutes les autres. »
Margaret Thatcher
Cela était-il conforme à l’idée de départ ? Était-ce du vrai libéralisme (pour paraphraser nos amis communistes) ? Le pillage classique des biens de l’État par l’oligarchie est un invariable des arrivées néolibérales au pouvoir (notre Française des jeux nationale étant le dernier exemple en date), ainsi qu’une captation de fait des richesses par les castes supérieures (due à la hausse des taxes et aux baisses d’impôts).
L’État a été enfin renforcé comme jamais, certes sur des secteurs régaliens, mais au service d’une minorité contre la majorité. Que faire alors ? Plutôt que vouloir construire une société libérale, il faut laisser-faire la société libérale. Avoir confiance en nos valeurs. La première utilisation de l’outil étatique doit être de le détruire. Casser immédiatement son monopole pour libérer la libre association. Il aurait été en effet très intéressant de voir l’action des Syndicats si les usines avaient été la propriété des travailleurs et non de l’État, et qu’elles auraient été leurs relations avec les consommateurs…
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