The Boys : la contre-histoire des Super-héros

The Boys est une série Amazon Prime, sortie le 26 Juillet 2019, adaptée de la bande dessinée “de super-héros”, du même nom, de Garth Ennis, que je n’ai pas lue ; les divergences étant très importantes mais l’essence apparemment respectée, cette ignorance aura peu d’incidence sur cette analyse de la série.

La fine épique anti-héroïque, dans tous les sens du terme.

Ce comics est réputé comme faisant la critique satirique trash, déjantée et ultraviolente des histoires de super-héros, dans un univers inspiré des œuvres Marvel et DC : une équipe d’individus “normaux” tentent de se venger et de nuire de toutes les manières possibles aux super-héros, véritables ordures, derrière le masque que leur offre leur célébrité, leur puissance et leur appui économique. Le matériau de base était réputé comme extraordinairement violent, choquant et cru.

Pour preuve de la controverse que le matériau de base suscite, ce comics a notamment changé d’éditeur à cause de sa violence et de son propos parfois choquant (mais surtout parce que cet éditeur tirait ses bénéfices d’œuvres dont celle-ci se fait la satire).

En cette époque où beaucoup font des overdoses de super-héros avec la quantité de films et de séries à ce sujet, cette adaptation tombe à pic. Et même pour ceux qui apprécient le genre – et la quantité – The Boys propose une réflexion intéressante et originale sur nos petits écrans. Revenons sur ce qui fait que l’oeuvre est originale et vaut le détour.

Cet article ne comportera que des éléments mineurs de la série, mais qui pourraient toutefois gêner ceux qui voudraient en faire la découverte totale.

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La désillusion du cadre

Contrairement aux univers super-héroïques habituels, avoir des super-pouvoirs ne rime pas simplement avec altruisme, survie et sacrifice. En tout cas pas du côté des Supes, comme les appelle Butcher, un des personnages principaux. En réalité, ils sont plus des acteurs qu’autre chose. Ils jouent dans des films leur propre rôle, sont des instruments de marketing et de publicité pour des parcs d’attraction, produits dérivés et autres événements culturels.

Super-héros, acteurs, c’est la même chose dans cette série.

L’envers du décor est un thème central de la série, et cela passe notamment par un traitement cru de la célébrité. Les coulisses de l’empire Vaught – la société qui “gère” le business super-héroïque et qui semble en avoir le monopole dans cette première saison – sont profondément explorées. Tout est artificiel, tous les discours sont écrits à l’avance, l’image de chacun de ces dieux vivants est manipulée pour plaire à un public spécifique, tout débordement – et ils sont nombreux – est réglé par corruption ou communication mensongère.

Le thème de la célébrité est intelligemment abordé au travers de la “quête” de Starlight, nouvelle recrue des Sept – membres les plus puissants deVaught-American Consolidated. En effet, Annie est cette jeune adulte, un peu candide, aux capacités surhumaines qui rêve depuis toujours de devenir une employée de Vaught. Elle se retrouve rapidement confrontée à la réalité de son travail : pression médiatique, chantage (parfois sexuel), mensonge etc. Ce regard innocent que Annie porte initialement sur la structure Vaught est assez similaire à celui de Hughie. Tous deux ont grandi avec les illusions, communes à tous, concernant les Supes. Et pour tous les deux, leurs idéaux, leurs ambitions et leurs modèles s’effondrent. Leurs (més)aventures respectives et parfois communes leur ont permis d’apercevoir la réalité : les idoles sont toujours des chimères, des condensés d’artificiel, qui servent les intérêts de leur créateur.

Hughie et Starlight.

D’autre part, au travers du personnage de Mesmer, une face sombre de la célébrité est abordée : la nature éphémère de cette dernière, et le manque que son absence peut représenter pour ceux qui l’ont connue. Éternellement enfermé dans ce personnage de série qui l’a rendu connu pendant son enfance, il est prêt à tout pour être de nouveau sous la lumière des projecteurs. Le fait que ce Mesmer soit incarné par Haley Joel Osment, le gamin qui voit des fantômes dans le fameux Sixième Sens de M. Night Shaymalan n’est pas un hasard. Cette mise en abîme est juste et marquante.

Effectivement, dans cette vision sans concession de la starification et des thèmes adjacents, la série ne choisit pas la facilité. En humanisant notamment certains personnages au comportement ignoble comme Homelander, A-Train et The Deep, The Boys nous rappelle habillement que les premières victimes de la célébrité sont les célébrités elles-mêmes.

Un angle qui tranche

Il est rarissime d’avoir comme point de vue principal, dans le genre super-héroïque, celui que nous avons ici. Les rôles sont totalement inversés : les protagonistes sont les Boys, des individus sans capacités surhumaines qui connaissent la réalité de la vie des super-héros, en apprenant toujours davantage (plus principalement Hughie et Butcher qui ont tous les deux perdu leur bien aimé à cause des super-héros). Vaught, de manière générale, et les Sept – puissants héros inspirés de la Justice League de DC – constitueront les antagonistes principaux de cette série, puisque notre équipe d’humains quasi-normaux n’auront qu’une envie : se venger d’eux, leur nuire, voire de les éliminer. Néanmoins, une fois la main mise dans un engrenage de cette ampleur, il est trop tard pour se rétracter. Nos Boys s’en rendront compte rapidement.

Les Sept. De gauche à droite : Starlight, The Deep, Queen Maeve, Homelander, Black Noir, A-Train et Tansluscent

A l’exception d’Annie/Starlight, les seuls moments où l’on se retrouve du côté de nos vilains-héros, c’est pour apercevoir leurs vices, leurs défauts, leurs exactions, leurs faiblesses, leurs excès. La débauche et les dérapages n’ont plus de limites tant ces individus qui se retrouvent au-dessus des lois peuvent tout se permettre.

Ceci dit, ce sont avant tout des acteurs ; et contrairement au grand public de l’univers de la série, nous connaissons la réalité de ces personnages adulés. Ainsi, chacun de leurs actes héroïques et autre nobles paroles prennent un tout autre sens pour nous qui connaissons la vraie nature de ces êtres sur(in-)humains.

Tout comme le cadre général de l’intrigue, la psychologie des super-héros nous permet d’être totalement plongés dans le récit. Au-delà de leur image publique, les Sept sont en réalité au mieux des névrosés, et au pire, des psychopathes. Ils sont tout simplement ce qu’un individu normal serait s’il avait de telles capacités : une célébrité qui perd la tête, instrumentalisée, manipulée et manipulatrice qui abuse de ses pouvoirs.

Un psychopathe est déjà bien effrayant en tant que tel, sauf que nos Supes sont des dieux vivants. Pour que vous ayez une idée de leurs capacités : Homelander est un Superman, Queen Maeave une Wonder Woman, A-Train un Flash, The Deep un Aquaman, Transluscent un homme invisible à la peau indestructible, Black Noir un assassin exceptionnel et Starlight, une force surhumaine et la capacité à canaliser l’énergie électrique pour la rediriger vers des ennemis.

Vous l’aurez compris, The Boys contre les Sept, c’est un peu David contre Goliath. Sauf que tout le monde kiffe Goliath.

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Un cynisme prenant

L’idéalisme enveloppant systématiquement, à différents degrés, les histoires de super-héros est lassant, voire insupportable. Prendre le contre-pied, comme Watchmen : Les Gardiens a pu le faire avant elle (le ton plus léger pour The Boys cela dit) rend la série au moins audacieuse.

Dans cet affrontement, tous les coups sont permis et les victoires ne sont pas glorieuses. Pleinement conscients de la menace qui se dresse en face d’eux, Butcher, Hughie, Mother’s Milk, Frenchie et Female sont impitoyables. Il n’y a pas de fair play ici, d’où l’absurdité de violence dont la série témoigne.

Aussi, la série ne se prend pas toujours au sérieux, Seth Rogen à la production oblige, rendant le tout très divertissant, rajoutant à l’humour noir, grinçant et obscène une dimension consciente d’elle-même à l’oeuvre, sans briser le quatrième mur. Reposant sur un jeu d’acteur de haute volée et une mise en scène digne du bon cinéma pour une simple série, les blagues et autres situations comiques font mouche.

Quand la pertinence et l’originalité se joignent à la qualité

Mis à part un Frenchie un peu caricatural et surjoué, quelques costumes au rendu cheap et certains retournements de situation un peu prévisibles, la série n’est pas qu’une simple parodie acerbe et violente des histoires de super-héros. En plus d’un portrait un peu plus réaliste de ce à quoi pourraient ressembler des surhommes, ainsi que l’environnement social dans lequel ils évolueraient, The Boys est une série plus complexe qu’il n’y paraît.

Les personnages sont attachants, les antagonistes développés, le scénario prenant, les acteurs investis (notamment Anthony Starr dans le rôle de Homelander et Karl Urban dans celui de Billy Butcher), la réalisation propre, l’humour efficace, le tout avec un rythme suffisamment bon pour garder le spectateur en haleine. Le fait que nos personnages principaux sont des humains “normaux” et qu’ils s’opposent frontalement aux êtres les plus puissants de la planète fait grandir les enjeux ; le danger se fait d’autant plus ressentir que nos personnages sont véritablement vulnérables. Lassé de voir des ennemis peu menaçants et des personnages vêtus d’une armure en scénarium, j’ai vraiment été convaincu par la menace qui pesait sur nos anti-héros.

Bien qu’il y ait du sang, des orgies, des os qui se brisent, des viols, des explosions et des corps qui se décomposent, tout cela ne laisse pas une impression de surenchère et de gratuité. La violence sert à la fois à appuyer la puissance, la dépravation et la cruauté des Supes d’un côté, et la hargne des Boys dans leur combat impossible de l’autre. Cette satire n’est pas une caricature, des super-héros comme d’elle-même. Le piège principal étant évité, la série est donc tout à fait plaisante et vaut largement le détour pour 8 épisodes.

La force principale de la série reste toutefois son propos. A l’apparence vulgairement subversive, elle est une habile critique de la superficialité, qui – au même titre que les histoires de super-héros – est surabondante dans notre culture du XXIe siècle. A l’image des Supes dont le public, cible principale, sont les communautés religieuses du pays profond (Starlight, Ezekiel et Homelander), les meilleurs mensonges ne sont pas les plus fins, les plus subtils ou les plus machiavéliques, mais ceux auxquels nous avons le plus envie de croire.

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