Non, Michel, la France n’est pas un enfer libéral

Michel Onfray, dans une courte vidéo de présentation de sa nouvelle revue Front populaire, a de nouveau ciblé son bouc-émissaire favori : le libéralisme (ou néolibéralisme par moment, on ne sait plus vraiment). Selon lui, le clivage d’aujourd’hui se situerait entre « ceux qui défendent l’État maastrichtien, les libéraux, et ceux défendant le retour de la politique française, les souverainistes de gauche, et de droite ». Il souhaite que sa revue puisse réunir ces derniers afin d’aborder, entre autres, la question de l’illibéralisme.

Si l’on suit la logique de Michel Onfray, Charles Gave ne serait donc pas libéral puisqu’il est sceptique sur la Commission européenne et plus que critique sur l’euro. Ou alors, serait-il un européiste qui s’ignore ? De même, Benoît Hamon ne serait-il donc pas socialiste car proeuropéen ? Ce prétendu clivage est vicié à sa source et ce n’est pas surprenant ; Michel Onfray se trompe lourdement dans son diagnostic. Accuser le libéralisme en France est classique, partagé (presque tous les partis ont cette rengaine) et facile (ça ne vous empêche pas de faire les plateaux télé ou de faire la promo de votre dernier livre à la radio). Il est donc temps de remettre les pendules à l’heure et de démontrer par les faits et les chiffres que c’est plutôt d’un excès de soviétisme dont souffre la France mais aussi d’un déficit de courage !

Prélèvements obligatoires

Michel Onfray, socialiste-libertaire revendiqué, est comme tous ses pairs : un inconditionnel de l’imposition dans la plus pure tradition du social-étatisme français. Pour eux, il n’y a jamais trop d’impôts, et s’il y a encore des riches en France, des hauts revenus, c’est qu’il y a inégalités et l’injustices dans le système, et donc qu’il faut en passer par la pression fiscale pour rétablir la sacro-sainte égalité et prétendue justice !

Sauf que Michel et ses acolytes devraient remonter aux origines du mouvement des gilets jaunes avant de s’en revendiquer, en surfant sur la vague de la récupération mélenchonienne et syndicale (qui, d’ailleurs, aura acté la fin du mouvement, de sa singularité et de son aura). Car ce fut avant tout et au commencement, un mouvement de révolte fiscale, un mouvement de travailleurs souvent précaires qui ne demandaient pas l’aumône mais seulement de pouvoir vivre de leur travail sans crouler sous les taxes, notamment celle qui concernait le carburant. Une révolte totalement légitime lorsqu’on regarde où en est notre pays par rapport à ses voisins et autres grands pays d’un point de vue fiscal, et notamment sur les taux de prélèvements obligatoires.

Source : Eurostat, FIPECO

Les prélèvements obligatoires sont des impôts, taxes et cotisations versés par les particuliers ou les entreprises à l’État ou aux administrations publiques dans l’objectif de financer les dépenses publiques. Le taux des PO est en France le plus élevé de l’Union européenne, l’écart étant de 7,3 points de PIB avec la moyenne de l’Union, de 6,0 points avec celle de la zone euro et de 6,4 points avec l’Allemagne.

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Leur décomposition par assiette économique montre que les prélèvements sur le travail en France sont supérieurs de 4,4 points à la moyenne de l’Union (soit 23 % de plus en France), les prélèvements sur le capital de 2,5 points (soit 29 % de plus) et les prélèvements sur la consommation de 0,5 point (5 % de plus) en 2017. Les prélèvements sur le capital devraient avoir diminué en 2018 tout en restant nettement supérieurs à la moyenne européenne.

Les prélèvements par assiette économique en 2017 en % du PIB.
source : Eurostat

À travers ces chiffres, nous voyons bien que la France est nettement le pays le moins libéral d’Europe ; ou dire qu’il le devient est encore plus faux : Le taux des prélèvements s’élevait à 15 % en 1945 et 30 % en 1960. Alors certes le monde et les économies n’étaient pas les mêmes à l’époque mais on ne peut décemment pas affirmer les dires de Michel quand on se penche sur la dynamique actuelle.

Dire que le capital n’est pas assez taxé dans notre pays démontre bien là encore une méconnaissance totale des chiffres et de l’économie. Sauf à assumer pleinement que l’avenir de la France doit passer par un régime collectiviste, mais Michel ne l’exprimera jamais en ces termes au bon peuple qui a une image plutôt peu amène des expériences soviétiques. Dans une économie globalisée comme nous la vivons aujourd’hui, cela relèverait clairement du suicide avec l’exil final des plus fortunés, une paupérisation de masse et une désincitation au travail et à la créativité. À moins d’aller clairement vers un régime autoritaire comme le rêve l’extrême-gauche française : car c’est moins l’obtention des liquidités que la jouissance d’exproprier qui fait fantasmer Mélenchon et sa troupe bien soumise.

Autre indice, de moindre importance mais à noter tout de même : le jour de libération fiscale. Il s’agit du premier jour de l’année à partir duquel les contribuables d’un pays ont produit suffisamment de richesses pour pouvoir payer les prélèvements obligatoires dont ils sont débiteurs. Selon le magasine Forbes les Français ont été libérés le 19 juillet en 2019. C’est huit jours de moins qu’en 2018 mais la France reste bonne dernière en Europe, ex-æquo avec l’Autriche, devant l’Allemagne (5 juillet), loin devant la moyenne de l’UE (12 juin) et très loin devant le Royaume-Uni (8 mai).

Dépenses publiques

Les dépenses publiques sont l’ensemble des dépenses réalisées par les administrations publiques. Leur financement est assuré par les recettes publiques et par l’excédent public. En 2017 elles avaient grimpé de 2,4 % par rapport à 2016 qui avait déjà dépassé 2015 de 1,2 % (INSEE).

Depuis 1968, le poids des dépenses publiques dans le PIB a augmenté d’un tiers, selon une étude de FIPECO.

Pour 2018, les dépenses publiques s’élèvent en France à 1 318 Md€, soit l’équivalent de 56,0 points de PIB, après 1 294 Md€ et 56,4 points de PIB en 2017.

La France est au premier rang de l’Union européenne et très probablement de l’OCDE pour le niveau de ses dépenses publiques en 2018, devant la Finlande (53,1 points). Les dépenses publiques des pays européens s’élèvent en moyenne en 2018 à 46,8 % du PIB dans la zone euro et à 45,6 % du PIB dans l’Union européenne. L’écart de la France par rapport à la moyenne de la zone euro (9,2 points de PIB) correspond à une dépense supplémentaire de 216 Md€ (285 Md€ par rapport à l’Allemagne dont les dépenses sont égales à 43,9 % du PIB). Celles des pays non-européens sont souvent plus faibles que celles des pays européens et la moyenne pour l’ensemble de l’OCDE ressort à 40,1 % du PIB en 2017. Les dépenses publiques sont égales à 38,1 % du PIB aux États-Unis, 38,7 % au Japon et 40,3 % au Canada.

Les dépenses publiques par fonction en % du PIB en 2018.
Source : Eurostat, FIPECO

Le poids des dépenses publiques, en points de PIB, est plus important en France pour toutes les fonctions à l’exception de la sécurité intérieure et de la justice.

L’écart total en points de PIB en 2018 entre la France et la moyenne de l’Union européenne ou de la zone euro (environ 9 à 10 points) résulte surtout des retraites (environ 3 points), des affaires économiques, ensemble hétérogène recouvrant surtout des aides aux ménages et subventions aux entreprises (1,5 points le CICE en expliquant la moitié), du logement en additionnant les aides personnelles et les aides à la pierre (1 point) ainsi que les aides relatives à la santé (1,2 points).

L’écart total en points de PIB par rapport à l’Allemagne (plus de 11 points) tient surtout aux retraites (3,4 points), aux affaires économiques (2,4 points), au logement (plus de 1 point), à l’enseignement (1 point) et à la défense (près de 1 point).

Les dépenses publiques par nature en % du PIB en 2018.
Source : Eurostat, FIPECO

Les dépenses publiques peuvent également être ventilées par nature et cette ventilation peut être comparée à celle des autres pays européens. Les prestations sociales, la masse salariale, les investissements et les subventions sont nettement plus élevés en France. Les achats de biens et services y sont plus faibles que dans la moyenne de l’Union européenne ou de la zone euro, ce qui résulte en partie du fait que certains pays substituent souvent des achats de services à la rémunération d’agents publics.

En Allemagne, par exemple, les hôpitaux sont hors des administrations publiques et celles-ci ne comprennent donc pas leurs rémunérations, mais les caisses de sécurité sociale leur achètent les services rendus aux patients, si bien que le total des dépenses publiques et les dépenses de la fonction santé ne sont pas affectées par ce classement.

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Il reste que le total des dépenses de personnel et des achats de biens et services est plus important en France que dans les autres pays, Allemagne comprise. Les charges d’intérêts y sont plus faibles, en raison de taux d’intérêts plus favorables, sauf par rapport à l’Allemagne.

En 2011, la France a dépensé 670 milliards d’euros en matière de protection sociale, soit 15 % des 4 500 milliards de dépenses sociales mondiales. Bien des précisions et révisions pourraient être apportées, mais l’ordre de grandeur est assez clair. Il faut donc vraiment être malhonnête ou être dans la posture pour accuser le libéralisme d’avoir ruiné la France et les Français. Ajoutez à cela un endettement constant de l’État (98,4 % du PIB en 2018 contre 85,9 % en Grande-Bretagne et 61,9 % en Allemagne), ce n’est définitivement pas sérieux. Michel Onfray, sortez de l’idéologie !

Malgré ces sommes dépensées, les Français constatent chaque jour une dégradation des services publics. Peut-être faudrait-il plutôt se pencher sur leur légitimité et leur organisation interne plutôt que de vouloir y mettre davantage d’argent ?

Ce dont la France souffre vraiment et ce qu’elle doit faire

La France n’est plus un pays riche. Elle est en voie de paupérisation avec un produit par habitant devenu inférieur à la moyenne de l’Union à 27. Il suffit de gagner 88 200€ par an en France pour figurer parmi les plus « riches ». C’est trois fois moins qu’aux États Unis. Il y a 602 500 français soit 1 % de la population qui rentrent dans cette catégorie. Un pays sans riches est un pays pauvre.

Les idées socialistes qui dominent le discours actuel nous servent sans cesse le même sophisme : vous êtes contre l’augmentation du poids de l’État dans l’économie, donc vous êtes en faveur des riches, donc vous êtes contre les pauvres… Ils oublient que pendant les années Mitterrand, les dépenses sociales ont augmenté plus vite en Grande-Bretagne avec madame Thatcher qu’en France, parce que, là-bas, ils avaient favorisé les entrepreneurs à la place de les faire fuir. Du coup, les Anglais bénéficiaient du plein emploi et les pauvres étaient plus riches chez eux que chez nous et surtout , ils retrouvaient leur dignité en trouvant un travail…

Les riches ne paient pas d’impôt ? Totalement faux. Selon l’Institut des Libertés, en 2015, citant le Conseil des prélèvements obligatoires, les 30 % des foyers déclarant les plus hauts revenus règlent 87 % de l’impôt sur le revenu avant application des crédits et réductions divers et 95 % de l’impôt net. Les 10 % des plus riches paient environ 70 % du total de l’impôt sur le revenu. De même, le 1 % des foyers présentant les revenus bruts les plus élevés (les « très riches ») acquitte 28 % de l’impôt avant réductions et crédits d’impôt et 33 % de l’impôt net. Si les riches ne payaient pas d’impôts comme l’affirment la gauche, pourquoi s’exileraient-ils ? Ailleurs, les riches sont souvent dans la même situation car, aux États-Unis par exemple, les 5 % des plus riches paient 95 % de l’impôt sur le revenu.

L’histoire montre qu’une plus forte taxation des riches n’augmente pas les rentrées fiscales. En 1936, le Front populaire instaure un taux supérieur de 40 % pour les contribuables de la tranche la plus élevée. En 1981, les socialistes appliquent une tranche à 65 % couplée à des majorations d’impôts applicables aux contribuables les plus riches. Dans les deux cas, après la hausse des taux, les rentrées fiscales des plus riches ont diminué jusqu’à 20 %. La même situation a été observée aussi aux États-Unis lorsque le taux d’imposition des revenus comprenait une tranche de 91 % dans les années 1970 et par la suite de 70 %, les rentrées représentaient moins de 8 % du PIB. Lorsque les taux ont été abaissés et le nombre de tranches diminuées sous Reagan et Clinton, les rentrées fiscales ont augmenté, atteignant même 9,4 % du PIB dans les années 1997-2002.

On voit mal comment en décourageant ceux qui ont le plus de chances de créer des emplois et des richesses on peut rendre l’économie plus efficiente. En Grande-Bretagne, avant l’arrivée de Margaret Thatcher, le taux maximal de l’impôt sur le revenu était de 85 %. Le pays était en piteux état ! En 2012, la baisse par David Cameron du taux marginal d’imposition de 50 % à 45 % sur la plus haute tranche de revenus (150 000£ par an) a été mise en place. La décision de baisser l’impôt sur les plus riches a été prise à la suite de rapports qui montraient que la précédente hausse du taux d’impôt maximal de 40 % à 50 % pour les revenus supérieurs à 150 000£ avait rapporté 5 % de moins que le taux à 40 %. Les pertes ont été estimées à environ 500M£. Plus d’impôts, c’est donc moins de rentrées fiscales. Tous les hommes politiques devraient pourtant connaître « l’effet Laffer »… Toi aussi, Michel. Il est ridicule de s’offusquer des délocalisations et du chômage sans auparavant ne pas se révolter contre une fiscalité confiscatoire ou par exemple des taxes iniques comme celles dont doit s’acquitter tout créateur d’entreprise avant même d’avoir gagné le 1er euro (ex : CFE)…

La France est davantage victime de son État omnipotent, de sa bureaucratie obèse, d’une technocratie bloquée idéologiquement, incapable de se réformer et de s’adapter que d’un trop-plein de libéralisme. Ce n’est pas le libéralisme qui entrave notre économie mais un excès faramineux de normes, de prélèvements, de réglementations, de l’entretien d’un personnel administratif pléthorique et d’un capitalisme de connivence. Le tout faisant fuir les plus talentueux et ne gardant en son sein que les plus serviles et conformistes.

Nous ne pouvons plus vivre de manière structurelle au-dessus de nos moyens et ainsi faire peser le poids de l’État sur notre économie ou sur les épaules des Français de demain. Cela ne veut pas dire plus aucune dépense, mais à minima un recentrage de l’État sur ses fonctions régaliennes. Aussi, la nécessité se fait également sentir de repenser la fiscalité afin d’encourager l’investissement, le travail et tarir le flux d’expatriés fuyant l’enfer fiscal qu’est la France. À cet égard, une diminution de l’imposition et des taxations serait un premier pas.

Certains diront que l’Union européenne est à la base de tous nos maux et que la loi de 1973 (n’autorisant plus l’État à se financer auprès de la Banque de France) a permis l’endettement structurel de la France. Je répondrais que l’UE et l’euro ne nous aident pas (d’ailleurs sa technocratie et sa bureaucratie n’ont rien à envier au système français) mais qu’elle a bon dos : la France fait fi de nombreuses recommandations de l’Union en termes économiques sans pour autant être inquiétée outre-mesure (et c’est tant mieux) !

Pour rappel, depuis Maastricht, le déficit public annuel d’un État ne doit pas excéder 3 % du produit intérieur brut (PIB), et la dette publique (celle de l’État et des agences publiques) 60 % du PIB. Or, la dette publique française est au-dessus de cette dernière depuis 2002 ! Pourquoi la France n’est-elle donc pas inquiétée et peut se comporter de manière aussi désinvolte ? Car l’UE n’a aucun moyen de contraindre un État comme la France et si elle le pouvait, la France sortirait de la zone dans l’instant et ce serait l’éclatement de la construction européenne. Il est donc faux de dire que la France ne peut plus. Quant à la loi de 1973, il est tout aussi faux de dire que l’État empruntait à 0 % auparavant auprès de la Banque de France. De plus, les taux actuels, très bas, voire négatifs, n’ont pas incité pour autant notre État à se réformer par ailleurs et l’endettement continue de caracoler pour dépasser les 100 % du PIB à fin septembre 2019 (INSEE).

Alors, avant peut-être d’accuser l’Europe, le turbolibéralisme ou la mondialisation, Michel, il serait peut-être temps de regarder en face la situation.

Retrouvez l’auteur, Brice André, sur son blog L’Exutoire.

3 comments
  1. Bonjour, bien que j’admette le point de l’auteur quant à l’économie de la France qui n’est pas libérale au sens stricte du terme, je dois néanmois amener une petite nuance. Il n’est pas de bon ton de qualifier l’économie de socialiste en France, malgré que nous soyions en réalité une économie très contrôlée par l’État. Cependant, l’État n’intervient très peu ou alors intervient dans le sens du libéralisme, lorsqu’il vient le temps du social, je donne quelques exemples notoires; le mariage gai, le financement par l’État de tout ce qui est de la défense du marginal qu’il soit homosexuel ou minorité ethnico-religieuse, théorie du genre… l’État est toujours là pour prendre la défense du ‘choix’ ou de la diversité, plutôt que d’un ordre rigoureux et strict comme un ordre conservateur tel que l’on retrouve encore dans les sociétés asiatiques modernes et qui sont passées par le libéralisme économique tel que le Japon, qui demeure une société conservatrice, bien qu’un peu plus libérale économiquement que la France dans certains domaines, par exemple.

      1. Dans ce cas, en France, l’État n’intervient pas beaucoup dans les affaires dites sociales ou personnelles. C’est en ce sens purement sociologique que la France, oui, est très libérale. Surtout en rapport à toutes sortes de pays qui n’ont pas connues d’avancées sociales.

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