Kurniawan : escroquerie et corruption dans le milieu du vin

Août 2014, à New York, Rudy Kurniawan est condamné à une peine fédérale de 10 ans de réclusion, ce après quoi il sera expulsé dans son pays d’origine, l’Indonésie. 

Son tort ? Etre devenu le négociant en vin rare le plus en vue du marché et avoir écoulé pour plus de 28$ millions de grands crus tel que des Petrus ou des Romanée-Conti dans des formats introuvables. Sauf que c’étaient des faux… 

Dans le milieu feutré du vin, on l’appelait Dr Conti. Rudy Kurniawan connut une carrière flamboyante dans le milieu en montant une escroquerie artisanale. Les oenologues les plus pointus le considéraient comme un expert. Mais Kurniawan est aussi un flambeur, et c’est bien là son défaut : l’appât du gain entraîna sa chute puisque le Dr Conti en est arrivé à mettre aux enchères des flacons dans des années où ils ne furent jamais produit. En 2012, la perquisition de sa villa de Los Angeles a mis en évidence la présence de milliers d’étiquettes contrefaites et de centaines de bouteilles vides. Au milieu de ce laboratoire un peu particulier figurait un cahier de recette où, tel un orfèvre, il avait couché par écrit comment élaborer un vieux Pomerol des années 1940. Retour sur un phénomène qui met en valeur bien des dysfonctionnements dans le milieu des ventes aux enchères, qui sont loin d’être inhérents au monde du vin.

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Costume Hermès, hôtesses et détermination 

L’affaire remonte aux débuts des années 2000, moment où apparaît de nulle part Kurniawan. L’indonésien présente bien dans l’univers cossu des grands crus. A New York, il se fond vite dans le décors avec ses costumes Hermès. Il fait également sensation dans les ventes aux enchères où il n’est pas rare qu’il garde son paddle (petite pancarte avec un numéro qui vous distingue des autres qu’il convient de lever lorsque l’on participe à une enchère) levé pour montrer aussi bien sa détermination qu’impressionner la salle. Si le monde du vin est petit, celui des acheteurs de grands crus est minuscule, et l’indonésien se taille très vite une réputation d’acheteur compulsif. La légende voudrait qu’il ait acheté pour 1 millions de $ de vins par mois. Pour autant, l’origine de sa fortune ne semble pas claire. Mais qu’importe, les commissaires priseurs l’apprécient, surtout lorsqu’il s’affiche avec de délicieuses hôtesses.

Kurniawan apprend vite les codes et mémorise tout. Il devient très vite incollable sur le must have de tout collectionneur de vin : la Côte de Nuits en Bourgogne qui renferme les crus les plus prestigieux tel que la Romanée-Conti ou Chambertin. En 2004, Rudy fait la rencontre qui fait en sorte que son arnaque deviendra un modèle du genre: John Kapon. Ce jeune commissaire-priseur de 32 ans, plus connu pour ses frasques cocaïnées dans les soirées huppées, dirige alors la maison d’enchère Acker Merral & Condit. Les 2 personnages s’entendent comme larron en foire. C’est ainsi que Kurniawan construit sa légende : il relate sur le forum de Robert Parker, au travers de textes d’anthologies, leurs marathons de dégustation. C’est un peu comme si un illustre inconnu expliquait comment il a défié Sebastian Vettel sur un circuit durant un week-end. En 2006, les 2 acolytes montent une vente aux enchères qui pulvérisent tous les records de la catégorie. Les enchères atteignirent plus de 24$ millions en cumulé. 

De l’ivresse des sommets à l’avidité 

En 2007, cette débauche de vins introuvables étonnent des collectionneurs avocats de profession. Il faut se figurer ce qu’est un collectionneur de vin : peu importe les moyens, certaines bouteilles demeurent introuvables. On peut passer des années avant de tomber sur une Romanée-Conti 1947 même si son budget est no limit. Aussi, cette profusion de vins rares, dans des formats improbables qui plus est comme des double-magnums, éveillent les soupçons. Des dégustations à huis-clos avec les vignerons bourguignons des domaines visés ont lieu : sur 15 bouteilles goûtées, seules 3 pouvaient être authentifiées par leur géniteur…   

En 2008,l’avocat Doug Barzelay prend les choses en mains et discute du cas Kurniawan/Kapon à des amis vignerons, et non des moindres. Laurent Ponsot, qui est à la tête du domaine éponyme est l’un des plus prestigieux de Bourgogne. Le Bourguignon au port altier enquête très vite, et retrouve des lots de ses vins lors des ventes à venir : une verticale (dans le jargon oenologique, un lot du même vin sur plusieurs décennies) de Clos Saint Denis allant des années 1945 à 1971. Problème, la famille Ponsot n’a commencé à les produire qu’à partir de 1982. Le vigneron est effaré : qui a bien pu, dans une vente aussi prestigieuse, à New York, authentifier ce lot ? Ponsot appelle la salle de vente pour l’avertir de la supercherie.

Second problème : Kapon lui certifie que cette verticale a été authentifiée par des experts ! 24 heures après, Ponsot se trouve dans la salle de vente, en état de sidération. Des centaines de bouteilles contrefaites trônaient en attente d’enchères avec des estimations de plusieurs milliers de dollars chacune. Le Français fond sur le commissaire priseur, Kapon, pour exiger de rencontrer le propriétaire des bouteilles. Kapon bredouille mais finit par lui présenter Kurniawan le lendemain. Le riche indonésien joue l’innocent. Il achèterait tellement de vin qu’il lui est impossible d’en remonter la trace, mais il vérifiera, promet-il. En parallèle, Barzelay a enquêté. Il n’a échappé à personne que Kurniawan récupérait systématiquement les flacons vides à la fin des agapes desquelles il participait. La toile se tisse. 

Le FBI aidé par un Bourguignon

Mais Laurent Ponsot ne lâche pas l’affaire de son coté. Marié à une Asiatique, il se renseigne sur le collectionneur Kurniawan. Il est vrai que le vigneron est une véritable star en Asie. Il connait des hommes politiques et de riches tycoons ; si la famille Kurniawan est si riche que ce que Rudy prétend (selon ce dernier, sa famille posséderait des puits de pétrole et lui enverrait 1 million de $ par mois), il le saura vite. Mais de Singapour à Taïwan où réside une large diaspora indonésienne, rien. Ponsot relance donc Kurniawan sur la provenance des flacons, sans succès puisque le collectionneur le balade effrontément. 

En 2009, l’étau se resserre autour de Kurniawan. Un milliardaire, Bill Koch, porte plainte contre lui. Celui-ci affirme qu’il lui aurait vendu des contrefaçons et que son identité est fausse. A partir de là, le FBI s’emmêle: Kurniawan résiderait illégalement aux USA depuis 2003 et serait en fait de nationalité chinoise. En 2010, l’investigation avance et grâce à la collaboration de Ponsot avec le FBI, le dossier s’épaissit: la fraude porterait sur quelques 10 millions de faux vins.

En 2012, le faussaire chinois est arrêté dans la banlieue de Los Angeles où il vivait avec sa mère. En 2014, aucun membre de sa famille n’est venu le soutenir au procès. Pas de ténor du barreau pour plaider sa cause. Son avocat tente maladroitement d’accréditer la thèse du jeune étudiant perturbé par l’exil. Il s’amuse avec les vins, comme un enfant avec ses jouets. L’enquête révèle que le collectionneur était criblé de dettes. Il avait dépensé plus de 10 millions de dollars en un an, avec une seule de ses cartes de crédit.

Des limites du système de vente aux enchères

Sans aller jusqu’au cas extrême de Kurniawan, les ventes aux enchères présentent un certain nombre d’écueils qu’il convient d’analyser. Pour autant, est ce que le monde du vin cherche à réellement connaître la vérité sur cette affaire ? Cherche-t-on à combler les lacunes mises en valeur par ce scandale ?

Tout d’abord, sachez que John Kapon est toujours PDG de la maison Acker Merrall et qu’il écoule toujours des vins haut de gamme. Manifestement, le fait d’avoir authentifié des vins qui n’existaient pas encore n’a pas été un frein à ses affaires. La plupart des riches collectionneurs de vin admettent pour les plus honnêtes d’entre eux que leurs caves renferment quelques contrefaçons bien que la part soit très faible par rapport au volume d’achat. Coté vignerons, peu oserons le dire, mais beaucoup ont profité de l’aubaine Kurniawan pour augmenter leurs propres prix eu égard aux folles enchères des ventes de la “cave” du faussaire. 

Le principal problème du système reste sans nul doute le conflit d’intérêt. En effet, celui chargé d’authentifier le vin, d’en contrôler sa conservation et d’en faire une estimation sera également le même qui procédera à sa vente… Un peu comme si un expert automobile chargé d’expertiser la bonne condition d’une voiture sera celui qui s’occupera de la vente. Le conflit d’intérêt est ici évident, mais pourtant, il ne choque que peu de monde dans le milieu.

Bien entendu, la plupart des commissaires-priseurs sont honnêtes et droits, mais l’appât du gain prend parfois le dessus, d’autant que le commissaire prélève sa commission coté acheteur comme vendeur, dans un pourcentage allant de 15 à 25% du prix d’adjudication. Cela équivaut à une commission s’élevant à pratiquement la moitié du prix dit “au marteau”, ce qui aiguise les appétits.

Reste aussi le problème de la manipulation des enchères et, in fine, des cours. Nous ne sommes pas ici sur un marché quelconque de matières premières comme pour le sucre où des milliers de tonnes s’échangent chaque jour. Il faut bien comprendre ici que le mécanisme d’achat est peu rationnel, il est compulsif, surtout que le budget s’avère sans limite. Même en ayant les moyens, on peut passer des années sans croiser la bouteille tant convoitée : disons au hasard, un Krug Clos du Mesnil 1981, jugé meilleur champagne du monde, il est à proprement parlé introuvable même avec un portefeuille extrêmement bien garni. Aussi, lorsqu’un flacon de ce breuvage fait surface, l’engouement laisse place à la raison et les prix atteignent des niveaux inédits. Dans l’univers du vin, la rareté conditionne beaucoup plus le prix que la qualité intrinsèque d’une bouteille. Une bouteille considérée comme rare sera souvent plus chère qu’une bouteille pourtant reconnue comme plus qualitative. 

Dans ce contexte, la manipulation des cours est facile. Il suffit d’avoir un acolyte dans la salle des ventes qui fera monter les prix artificiellement jusqu’au montant désiré. La vente d’un flacon rare ne répond pas nécessairement à un besoin d’argent de la part d’un collectionneur fortuné, mais plutôt à un besoin d’orgueil. En mettant aux enchères une bouteille recherchée, on attend surtout d’elle que sa vente atteigne des sommets. Il arrive parfois que les collectionneurs rachètent eux même leur propre bouteille par le truchement d’un complice en salle.

Les commissaires-priseurs sont autant démunis que parfois intéressés par cette pratique puisqu’ils prennent de confortables commissions. Il est impossible de vérifier l’identité et les connexions de chaque participants aux enchères bien que cette pratique soit formellement condamnable. Il suffit donc de racheter sa propre bouteille pour que s’établisse la nouvelle valeur de référence. C’est encore pire sur les enchères en ligne de grandes plateformes où près d’un tiers des enchères sont des enchères de complaisance destinées seulement à gonfler artificiellement les enchères pour atteindre le prix désiré et où il est très facile d’annuler une vente par la suite sans susciter d’interrogation. Les lots dits “sans prix de réserve” commençant à 1€ sont particulièrement visés par cette pratique, il n’y a pas de miracle, le propriétaire ne laissera pas faire sans un minimum de sécurité.

On remarque parfois des situations cocasses : un lot est retiré de la vente car ne trouvant pas preneur à 300€. Le même lot, avec un prix de départ à 1€ s’adjugera souvent à 350€… Pourquoi ? C’est très simple et la raison tient en un mot : l’adrénaline. Lorsque l’on commence à poser une enchère, c’est l’engrenage surtout s’il y a de la concurrence. Il faut avoir beaucoup de recul en tant que passionné pour se retirer au bon moment et respecter ses limites. J’en sais quelque chose. Je suis en plein désarroi lorsque je ne remporte pas une bouteille pour laquelle je me suis pourtant battu bien au-delà de sa cote de référence. Le problème est donc encore plus pernicieux avec ce risque de fausses enchères qui vous font rentrer dans une escalade de prix.

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La contrefaçon dans le vin 

Le problème de la contrefaçon dans le vin ne touche qu’une infime partie des grands crus. Il existe 2 contrefaçons distinctes qui ne ciblent pas du tout la même clientèle. La première, la plus répandue en Asie mais qui a peu d’accroche en Occident du fait de son côté grossier, est la fausse bouteille de grand cru bordelais destinée à berner l’acheteur chinois débutant. Sachez que pour certaines années de château Lafitte, il y a plus de bouteilles sur le marché que ce qui a été initialement produit par le domaine. D’ailleurs, la gestion du problème par le domaine, plus intéressé par le fait de faire augmenter tous les ans le cours de son vin grâce à l’engouement qu’il suscite fut catastrophique : la perte de confiance des acheteurs asiatiques a provoqué une chute de la valeur des bouteilles de Lafitte il y a quelques années.

La méconnaissance des Asiatiques leur est souvent fatale surtout lorsque leurs exigences sont idiotes puisqu’ils exigent des étiquettes immaculées, peu importe l’ancienneté du millésime. C’est en soi absurde puisqu’une bouteille bien conservée dans une cave humide présentera immanquablement des tâches d’humidité sur l’étiquette, preuve pour un amateur averti que le flacon a bien été conservé. Or, pour les Asiatiques, un vin de plus de 20 ans doit tout de même présenter une étiquette parfaite sinon sa valeur peut baisser de 30%. Une ineptie en soi ! Cela conduit souvent les exportateurs à réclamer des ré-étiquetage au domaines. Au début favorable à cette technique puisqu’elle permettait de maintenir les cours de leurs vin à un niveau très élevé, ces derniers ont vite arrêté de proposer cette technique devant le risque évident de fraude : une bouteille reconditionnée ou ré-étiquetée chez Yquem fait office de certificat d’authenticité, certains domaines ne gouttant même pas les breuvages qu’ils reconditionnent ! 

Le second cas de contrefaçon, est la contrefaçon artisanale, une contrefaçon “haut de gamme”. Kurniawan recyclait les cadavres de ses agapes en prenant soin de décoller les étiquettes à la vapeur. Il est de plus très facile d’acheter sur les plateformes en ligne des flacons vides de grands vins. Ce procédé est connu de tous, il permet à un collectionneur aisé de récupérer une mise non négligeable en vendant les bouteilles vides de toute une année de dégustation, alimentant ainsi le marché de la contrefaçon. Il en va de même pour les bouchons. Les domaines favorisent parfois malgré eux l’essor de la contrefaçon : un domaine mondialement connu comme Coche Dury est réputé pour ses étiquettes aléatoires, collées parfois manuellement. D’une génération à l’autre, il est parfois peu évident de démêler le vrai du faux pour le domaine lui-même. Ensuite, il suffit de verser un vieux vin du Rhône beaucoup moins onéreux et de faire son propre assemblage pour tenter de leurrer. De toute façon, des bouteilles extrêmement rares et spéculatives comme les Romanée-Conti changeront de mains des dizaines de fois avant d’être finalement bues, brouillant ainsi les cartes. 

Conclusion

Tout bourgeois et feutré qu’il puisse paraître, l’univers du vin n’en ressemble pas moins à Dallas avec ses trahisons, ses luttes d’influences et ses transactions mirifiques. La passion se mêlant à la rareté des flacons recherchés, les comportements sont rarement entièrement rationnels. Le peu de transparence et les conflits d’intérêts patents de la filière des ventes aux enchères ont été un terreau favorable pour un faussaire intelligent comme Kurniawan qui ne doit sa chute qu’à son avidité liée à un train de vie dispendieux. Un faussaire plus discret et moins flamboyant aurait pu encore alimenter pendant des années le marché en fausses bouteilles de bonne facture.

On aurait pu croire que l’affaire allait provoquer un séisme dans le milieu mais il n’en fut rien. A part Kurniawan qui croupit en prison, John Kapon officie toujours en tant que spécialiste de grands crus ce qui est une aberration totale, et il y a toujours aussi peu de vérification dans l’authenticité des bouteilles qui circulent, comme de leur conservation. Les conflits d’intérêts sont patents et certaines enchères opaques, ce qui rend l’exercice périlleux pour le néophyte. Il faut être soi-même un expert et sentir le marché afin de ne pas y laisser des plumes. Il arrivera bien un moment où la confiance sera rompue comme il y a quelques années avec les grands crus bordelais, ce qui a précipité la chute de plusieurs cours pourtant réputés comme étant solides. Les placements en vin restent une chimère qui ne concerne qu’une minorité de crus et d’amateurs pointus très informés des différents mouvements de la filière. 

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