Castlevania : Netflix réussit l’adaptation d’un jeu vidéo

Adapté du 3ème volet de la célèbre franchise vidéo‑ludique d’action‑aventure gothique de Konami, Castlevania est une réussite. Infidèle à sa mauvaise réputation, Netflix fait honneur au matériau d’origine en nous livrant une série d’animation de dark fantasy. Débutés en 2017, les quatre courts épisodes de la première saison ont su trouver un public, si bien qu’en 2018, huit nouveaux épisodes prolongeront cette prometteuse production. La très attendue saison 3 débarque sur la plateforme de streaming le 5 mars 2020.

La série, pratiquement comme le jeu, raconte la quête héroïque de Trevor Belmont, Sypha Belnades et Adrian “Alucard” Tepes visant à défendre la Valachie du XVe siècle contre le courroux de Vlad Tepes, alias Dracula, qui veut se venger des humains qu’il juge coupables du meurtre de sa femme, brûlée vivante sur l’autel d’une sorte d’inquisition.

La série d’animation séduit par son écriture au rythme haletant — qui peut pourtant prendre son temps — dans un univers médiéval européen jaillissant de vie et un développement des personnages agréable, malgré des dialogues légers et amusants.

La recette des bons antagonistes

Outre la puissance du personnage et la menace qu’il peut représenter — notamment pour le(s) protagoniste(s) — écrire un antagoniste marquant dans une histoire peut se faire, principalement, de deux manières distinctes. Soit, il peut être absolument insupportable, provoquer dégoût, agacement et mépris chez le spectateur ou à l’inverse susciter sympathie, compréhension et attachement. Ces deux manières radicalement différentes peuvent donner d’une part Joffrey Baratheon dans Game of Thrones et de l’autre Thanos dans Avengers: Infinity War, par exemple.

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Castlevania propose dès la première saison cette diversité entre les antagonistes. D’une part, avec l’évêque inquisiteur, fanatique, lâche et cruel, au ton insupportable ; la voix à la fois mielleuse, sarcastique, faussement bienveillante et lente de Matt Frewer faisant vivre à la perfection cet odieux personnage. D’autre part, au travers de ce puissant et savant vampire en deuil, veuf et las de Vlad Tepes. Encore une fois, comme souvent dans cette série, le doublage est grandiose. C’est Graham McTavish — à la carrière de doublage qui n’est plus à démontrer — qui prête sa voix au célèbre personnage hématophage, véhiculant ainsi précisément et finement ses émotions, ses pensées dans sa lente chute dans la folie.

On dit souvent que les antagonistes font le(s) héro(s). Quelque part, les protagonistes seront, dans un récit, à l’image des menaces qu’ils rencontreront. Face à une adversité aux multiples visages et comportements, nos personnages principaux peuvent évoluer, se montrer sous différents jours et complexifier leur identité. Si la série reste aussi captivante (et facilement « bingewatchable ») c’est aussi grâce à un temps d’écran extrêmement important accordé à des personnages ayant soif de sang humain — au sens propre comme figuré. Les enjeux restent ainsi très élevés, portés par de très nombreuses et sombres épaules.

Le folklore de l’Europe de l’Est sous le feu des projecteurs

Pour les français, comme pour une bonne partie des Occidentaux, il n’existe rien entre Berlin et Moscou. Cette large méconnaissance des cultures européennes est triste, tant l’Europe centrale et orientale regorge de mythes, d’histoire et de lieux exceptionnels. Castlevania n’en est que plus rafraîchissant. La mythologie de l’univers s’étoffe au fil des épisodes pour donner de l’épaisseur à ce qui reste une série d’animation qui ne cherche pas à être plus que ce qu’elle est : un divertissement. Il en reste que ces nombreuses références aux légendes centenaires européennes sont très agréables et ont contribué à mon happement par la série.

J’en veux pour preuve les références au folklore légendaire européen. Tout comme dans Castlevania III: Dracula’s Curse, le fils de Dracula est le fruit d’une union mi‑vampire (plutôt évident jusque‑là) mi‑humaine. Les enfants de ces unions hybrides sont appelés dans le folklore des Balkans Dhampir et, en fonction des versions, peuvent être stériles ou avoir les pouvoirs des vampires sans leurs faiblesses.

Autre exemple, dans la saison 3, parmi les quatre vampires de Styria, l’une d’elles se prénomme Striga. Shtriga, en Albanie notamment, est un mélange entre un vampire et une sorcière. Plutôt amusant que ce personnage ait un accent qui rappelle l’Europe orientale !

Vlad Tepes, personnage réellement légendaire

Comme on pouvait s’y attendre avec la chasse aux monstres et de surcroît hématophages, le nom plus connu d’entre tous est au centre du récit.

Contrairement à ce qu’on a souvent pu entendre, Vlad III Drăculea dit l’empaleur (ou Țepeș en roumain) n’était pas de Transylvanie et n’a pratiquement rien à voir avec cette région. Cette croyance populaire est dûe entre autres, au fait que le comte Dracula, personnage fictif de Bram Stoker, soit lui, de Transylvanie dans son fameux roman.

En fait, la Roumanie d’aujourd’hui regroupe plus ou moins les régions historiques de Transylvanie et de Valachie, et Vlad est le descendant de Vlad II ou Vlad Dracul. Vlad II était un enfant illégitime du voïvode Mircea Ier de Valachie, de la dynastie des Besarabi. Il passa sa jeunesse à la cour de Sigismund de Luxembourg, qui fit de lui un membre de l’Ordre du Dragon (ou Dracul en ancien roumain, bien qu’il signifie aujourd’hui “le diable”) et le reconnut comme digne voïvode de Valachie. Le suffixe “a” signifie “fils de” en ancien roumain, d’où le nom de Dracula de Vlad III ainsi que celui de la dynastie qui le suivra, Drăculești.

Ce mélange entre histoire et fiction permet d’ancrer le personnage dans une sorte de réalité. Que la région historique du sud de la Roumanie soit le théâtre des événements de Castlevania est assez remarquable, et cette fâcheuse manie d’exprimer son mécontentement par le pal qu’avait Vlad Tepes est joliment reprise, jusque dans la dernière saison par ailleurs, de façon particulièrement douce‑amère et poétique.

Inspiration des lieux

C’est probablement la première fois qu’on peut entendre “Valachie” dans une œuvre de fiction grand public. La série est fidèle à l’histoire et ne parle pas de Transylvanie (qui est à l’est de la Valachie à ce moment‑là) ou de Roumanie (qui n’existe pas encore) en plus de faire honneur à des lieux précis, ainsi qu’à leur prononciation. Excepté Gresit (Mal en roumain) qui est une ville complètement fictive, les lieux comme Târgoviște et Brăila existent, et sont plutôt bien représentés à l’écran.

Bien que les événements fictifs de Castlevania piochent dans la géographie réelle de l’est européen en ce qui concerne les lieux dans lesquels ils prennent place, la saison 3 permettra d’élargir ces inspirations aux Alpes et aux contrées d’outre Méditerranée. D’une part avec la Styria (qui est aujourd’hui un Bundesland de l’Autriche) — contrée d’origine de l’antagoniste vampire Carmilla, par ailleurs inspirée du roman gothique éponyme de Joseph Sheridan le Fanu et précédant le magnus opus de Bram Stoker de 26 ans — et d’autre part, avec Tunis ou Gênes au travers des pérégrinations du personnage d’Isaac.

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Comment réussir l’adaptation d’un jeu vidéo ?

Adapter une œuvre vidéo‑ludique est bien plus que la reprise basique de l’identité des personnages entourée de clins d’œil au contenu original. Bien souvent, l’adaptation n’est qu’un prétexte pour réaliser au mieux une banalité sans saveur qui donne l’impression qu’on vous hurle dessus peu subtilement “EH REGARDE CETTE RÉFÉRENCE, TU AIMES NON ?” et au pire, un calvaire douloureux qui mettra à rude épreuve votre mémoire sélective.

Il n’en est rien en ce qui concerne Castlevania, bien que les références aux jeux soient légion. Peut‑être parce que la série a été, entre autres, écrite par Warren Ellis, scénariste de Comics depuis une trentaine d’années — et que cela en fait bien une dizaine qu’il s’attelle à ce projet — mais aussi que les références sont suffisamment subtiles pour ne pas gêner les spectateurs étrangers au matériau de base.

Bien entendu, l’adaptation n’est pas totalement fidèle au récit de base, mais elle parvient à saisir son essence et à la retranscrire dans un scénario imprévisible, un dessin élégant, un travail du cadre méthodique et de fines chorégraphies. La saison 3 va au‑delà du contenu proposé dans le jeu vidéo ici adapté, si bien qu’elle n’est plus une adaptation à proprement parler. Le récit est tout nouveau, basé sur aucun des arcs narratifs des multiples jeux, tout en continuant à y faire des clins d’œil et y puiser des références. La qualité n’en démord pas moins, Castlevania réussit à être un divertissement accrocheur, spectaculaire et — de manière suffisamment rare pour que cela puisse être relevé — dénué d’idéologie.

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